En marge de l’année Hugo


Hugo a très tôt pratiqué les auteurs latins et il n’oubliera jamais la dette qu’il doit aux grands classiques étudiés à la pension Cordier et au lycée Louis-Le-Grand. Deux de ses poèmes  traduisent tout particulièrement l’intérêt qu’a toujours manifesté le poète pour la littérature et la pensée latine. Il s’agit de À Virgile extrait du recueil Les Voix intérieures (1837) et de À propos d’Horace tiré du premier livre des Contemplation (1856). Les dates de publication respectives des œuvres ne doivent pas nous faire oublier que le poème À propos d’Horace a en fait été écrit en 1832, donc avant À Virgile qui date, lui, de 1837.

À propos d’Horace  fait partie du livre I des Contemplations intitulé Enfance. Ce long poème de 214 vers  constitue dans sa première partie un violent réquisitoire ironique et souvent drôle contre l’enseignement des lettres anciennes tel que l’a vécu et expérimenté le jeune Hugo sous la férule des « pédants traîtres aux grands auteurs » ; dans la seconde partie l’écrivain développe ses idées sur l’éducation nouvelle dans laquelle « l’enfant ne sera plus Une bête de somme attelée à Virgile ».

À Virgile est le septième poème du recueil Les Voix intérieures. Il a été écrit aux Roches en juin 1835 dans la vallée de la Bièvre. Hugo ici s’inspire plutôt du Virgile des Bucoliques que de celui de l’Énéide ; Virgile a incontestablement joué un rôle essentiel dans ce qu’on a appelé le premier paysage hugolien,  celui qui précède le visionnaire :

O Virgile ! ô poète ! ô mon maître divin !
Dans ce poème « paysage état d’âme » Hugo demande au poète latin de l’aider à comprendre le mystère et la beauté de la nature, qu’il associe à son nouvel amour. Il s’accorde la complicité du poète latin pour ennoblir et transcender sa passion. 
Pour plus d’information on se reportera à l‘ouvrage de Louis Aguettant, Victor Hugo poète de la nature, L’Harmattan, 2000.
Deux grands textes de Hugo à faire connaître aux élèves (latinistes ou non) pour leur montrer l’intérêt qu’ont manifesté les grands écrivains pour la culture antique .

À propos d’Horace

Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues !
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l’air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! – Mon sang bout
Rien qu’à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j’étais en rhétorique !
Que d’ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! – gredins ! –
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
 » Dimanche en retenue et cinq cents vers d’Horace ! « 
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais :  » Monsieur… – Pas de raisons !
Vingt fois l’ode à Panclus et l’épître aux Pisons ! « 
Or j’avais justement, ce jour là, – douce idée.
Qui me faisait rêver d’Armide et d’Haydée, –
Un rendez-vous avec la fille du portier.
(…)
Paris 8 mai 1831

Les ContemplationsAutrefois
Livre premier. Aurore
(Début du poème – Télécharger le texte intégral : *pdf 75 Ko)

À Virgile

 O Virgile ! ô poète ! ô mon maître divin ! 
 Viens, quittons cette ville au cri sinistre et vain,
 Qui, géante, et jamais ne fermant la paupière, 
 Presse un flot écumant entre ses flancs de pierre, 
 Lutèce, si petite au temps de tes Césars, 
 Et qui jette aujourd’hui, cité pleine de chars, 
 Sous le nom éclatant dont le monde la nomme, 
 Plus de clarté qu’Athènes et plus de bruit que Rome. 

 Pour toi qui dans les bois fais, comme l’eau des cieux, 
Tomber de feuille en feuille un vers mystérieux, 
 Pour toi dont la pensée emplit ma rêverie, 
 J’ai trouvé dans une ombre où rit l’herbe fleurie, 
 Entre Buc et Meudon, dans un profond oubli, 
 — Et quand je dis Meudon, suppose Tivoli ! — 
 J’ai trouvé, mon poète, une chaste vallée 
 A des coteaux charmants nonchalamment mêlée, 
 Retraite favorable à des amants cachés, 
 Faite de flots dormants et de rameaux penchés, 
 Où midi baigne en vain de ses rayons sans nombre 
 La grotte et la forêt, frais asiles de l’ombre ! 

 Pour toi je l’ai cherchée, un matin, fier, joyeux, 
 Avec l’amour au coeur et l’aube dans les yeux; 
 Pour toi je l’ai cherchée, accompagné de celle 
 Qui sait tous les secrets que mon âme recèle, 
 Et qui, seule avec moi sous les bois chevelus, 
 Serait ma Lycoris si j’étais ton Gallus. 

 Car elle a dans le coeur cette fleur large et pure, 
 L’amour mystérieux de l’antique nature ! 
 Elle aime comme nous, maître, ces douces voix, 
 Ce bruit de nids joyeux qui sort des sombres bois, 
 Et, le soir, tout au fond de la vallée étroite, 
 Les coteaux renversés dans le lac qui miroite, 
 Et, quand le couchant morne a perdu sa rougeur, 
 Les marais irrités des pas du voyageur, 
 Et l’humble chaume, et l’antre obstrué d’herbe verte, 
 Et qui semble une bouche avec terreur ouverte, 
 Les eaux, les prés, les monts, les refuges charmants, 
 Et les grands horizons pleins de rayonnements ! 

 Maître ! puisque voici la saison des pervenches, 
 Si tu veux, chaque nuit, en écartant les branches, 
 Sans éveiller d’échos à nos pas hasardeux, 
 Nous irons tous les trois, c’est-à-dire tous deux, 
 Dans ce vallon sauvage, et de la solitude, 
 Rêveurs, nous surprendrons la secrète attitude. 
 Dans la brune clairière où l’arbre au tronc noueux 
 Prend le soir un profil humain et monstrueux, 
 Nous laisserons fumer, à côté d’un cytise, 
 Quelque feu qui s’éteint sans pâtre qui l’attise, 
 Et, l’oreille tendue à leurs vagues chansons, 
 Dans l’ombre, au clair de lune, à travers les buissons, 
 Avides, nous pourrons voir à la dérobée 
 Les satyres dansants qu’imite Alphésibée. 

 23 mars 18… 

Portrait de Virgile, la tête couronnée de laurier, devant un masque qui évoquerait les Mânes pour faire allusion à la description des Enfers.
Gravure et légende extraites de l’Encyclopédie de Diderot.

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