ANNEXE SCIENTIFIQUE – Le fer, mémoire et reconversion
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LE FER : MÉMOIRE ET RECONVERSION

Christiane PARISOT - Jean-François SCHMIT


Tiré du livret guide d’excursion du Congrès Lorraine de l’APBG 1994.
 
Décembre 93 : la dernière mine en activité ferme ses portes... L’histoire du fer lorrain s'achève : il faut se résigner à en parler au passé !
Le passé le plus lointain permet de comprendre la genèse du gisement. Les techniques d’exploitation font encore partie de notre mémoire vive et certains lorrains s’attachent à en perpétuer le souvenir.
Cependant, le lorrain ne peut pas vivre sur le passé : les sites désaffectés sont rasés et transformés en friches industrielles, les unités sidérurgiques conservées se restructurent (aciérie électrique de Gandrange, nouvelles installations de SOLLAC Florange) mais il faut trouver des voies de reconversion : les municipalités se regroupent, créent une dynamique, favorisent les installations d’usines de transformation (Téléviseurs à Fameck, pièces d’aéronautique à Florange...) ou se tournent résolument vers des secteurs très diversifiés comme le thermalisme, les cultures sous serres ou les loisirs... Amnéville est à ce point l’exemple de reconversion le plus spectaculaire des deux vallées sidérurgiques.

1- AUTREFOIS : LE MINERAI DE FER

1.1- LOCALISATION DU GISEMENT

Le bassin ferrifère s’étend du nord au sud sur plus de 100 km (de Longwy au nord à Pont-Saint-Vincent au sud de Nancy) et sur une trentaine de km d’est en ouest. On reconnaît un bassin de Briey au nord, le dernier à être exploité et un bassin de Nancy au sud de l’anticlinal de Pont-à Mousson dont toutes les installations sont fermées depuis 1981.

Document 1. Le bassin ferrifère de lorraine - coupe géologique est-ouest.

La formation ferrugineuse aalénienne, terme final du jurassique inférieur, est affectée du pendage général des couches, de 2 à 3% vers l’ouest.
Les exploitations ont été de trois types :
- à ciel ouvert
- en galeries à partir du flanc des côtes de Moselle ou des vallées obséquentes.
- à partir de puits implantés sur le plateau du Jurassique moyen.
La puissance de la formation exploitable varie de quelques mètres à une soixantaines de mètres.

Les couches diversement colorées sont désignées par leur couleur : on distingue de la base au sommet une couche verte, une couche brune, une couche jaune puis jaune sauvage et pour terminer une couche rouge.

Document 2. Coupe moyenne à travers la formation ferrugineuse
dans l'exploitation nord des mines d'Hayange.


1.2- ETUDE PETROGRAPHIQUE

Le minerai de fer lorrain, très pauvre en fer, a reçu de ce fait le qualificatif de “minette”. Sa richesse en phosphore a longtemps empêché son exploitation. La découverte du procédé Thomas en 1878 a permis, en éliminant le phosphore, de démarrer l’exploitation du gisement et le développement de la sidérurgie lorraine. Du point de vue pétrographique, on rencontre des corpuscules ovoïdes ferrugineux constitués essentiellement de limonite (hydroxyde de fer) ou secondairement épigénisés en chlorite (silicate de fer), nommés “oolithes”, associés à des débris de coquilles marines (bioclastes) et à des grains de quartz. Contrairement aux oolithes vraies, ils montrent rarement un noyau détritique.

Lame mince de minette. Photo CRPG
Oolithes ferrugineuses dans un ciment calcaire, en LPNA.
http://www.crpg.cnrs-nancy.fr/Science/Collection/index.html

- Oolithes de petite taille, parfois allongées,
dont les enveloppes sont constituées d'oxydes de fer
- Grains de quartz abondants
- Ciment formé de calcite, de chlorite en taches vertes
- Fragments de coquilles de lamellibranches recristallisées en calcite



Ces éléments sont liés par un ciment carbonaté dans le cas des couches rouges ou par une matrice, donc un ciment primaire, chloriteuse dans les couches vertes ; le minerai dans les deux cas est une arénite ferrugineuse qui est soit calcaire (couche rouge), soit silicatée (couche verte).
La teneur moyenne en fer des couches exploitées est de l’ordre de 30 à 32 %, donc très faible par rapport aux 70 % des minerais importés. (voir compositions chimiques page2)
Au niveau de l’échantillon on peut constater que les corps ovoïdes présentent un granoclassement positif au sein de feuillets qui ont une disposition oblique. Les corps sédimentaires élémentaires montrent donc une séquence positive. Mais au niveau du gisement on constate qu’une couche débute par des argilites puis des marnes et enfin une couche dite “pied de grise”, tandis qu’elle est surmontée du crassin, terme plus grossier.
On observe donc au niveau du gisement une mégaséquence négative qui traduit une augmentation de l’énergie du milieu donc une tendance vers un caractère local plus affirmé.
En outre, de la base au sommet du gisement, on constate que les couleurs passent du vert au rouge, traduisant le passage du fer réduit Fe2+ au fer oxydé Fe3+ .
Ces diverses observations seront exploités pour la reconstitution du milieu de genèse du minerai de fer lorrain.

Document 3. Le minerai de fer lorrain : situation de la couche
exploitée dans les roches encaissantes. Haguenauer 1980


1.3- GENESE DU GISEMENT

Avant le dépôt des formations ferrugineuses, la Lorraine est recouverte par la mer du Jurassique inférieur venue de l’est : la zone de subsidence maximale du bassin de Paris qui s’est individualisée au Keuper est centrée sur la Champagne.
Cette mer dépose des formations argilo-carbonatées.
Vers la fin du Jurassique inférieur, au Toarcien, la nature des dépôts à dominante argileuse et les fossiles présents (lamellibranches, gastéropodes, bélemnites et quelques vertébrés) correspondent à un niveau faible d’énergie, les faciès marins sont de type confinés et parfois bitumineux.
Mais vers le sommet du Toarcien, des dépôts détritiques relativement plus grossiers traduisent une légère augmentation de ce niveau d’énergie. Ces faciès gréseux et davantage les faciès ferrugineux, et la présence de nodules remaniés évoquent une plus grande proximité des zones d’apport. L’eau présente une dynamique plus élevée ; le mélange de fossiles de faciès continentaux et marins indiquent un milieu littoral.
En conséquence, le Toarcien montre une dérive générale négative traduisant une régression du domaine marin.
La formation ferrugineuse de l’Aalénien amplifie cette tendance régressive, elle passe progressivement de couches noires et vertes à la base, traduisant un état réduit du fer à une couche rouge au sommet où le fer est oxydé.
On conçoit donc que le milieu est devenu plus littoral au cours du temps. Les fossiles rencontrés confirment cette hypothèse puisqu’ils sont franchement marins à la base et plus littoraux au sommet.
Donc on perçoit ici l’existence d’une régression qui succède à la grande transgression du jurassique inférieur. Cette régression s’effectue par saccades enregistrées au niveau des diverses séquences.
La mégaséquence négative observée en un lieu précis enregistre donc le passage d’un milieu marin de faible énergie à un milieu marin plus littoral d’énergie plus élevée au niveau du crassin. Cette succession chronologique des faciès est due à la régression qui marque la fin du Lias.
Trois points sont à considérer :
- la libération de fer continental
- son transport
- sa précipitation.

La libération du fer
Le fer est présent dans beaucoup de minéraux férromagnésiens des roches magmatiques, métamorphiques et sédimentaires affleurant à l’époque en bordure de la mer du Jurassique inférieur : Ardennes, Eifel, Hunsrück, Vosges.
Actuellement, le modèle où l’altération chimique de ces minéraux férromagnésiens est la plus intense se rencontre sous un climat chaud et humide, donc, de ce fait fortement hydrolysant, réalisant des sols ferralitiques intertropicaux. Mais ce modèle ne préjuge en rien des conditions climatiques régnant à l’époque de leur mise en place. La vitesse de mobilisation dépend des conditions climatiques et du facteur temps, aussi, il faut moduler le modèle actuel intertropical.
Les produits d’altération sont solubles et la silice est emportée par les eaux, seuls les oxydes de fer et d’aluminium restent sur place car ils sont peu solubles : il se forme une préconcentration en fer sous forme de Fe3+. Le fer est donc d’origine continentale, il provient de l’altération chimique des minéraux férromagnésiens sous climat chaud et humide, sous couvert forestier dense.
La concentration en fer est donc un problème pédogénétique mettant en jeu le lessivage du sol par l’eau entraînant les produits d’hydrolyse et d’oxydation.

Son transport
Ce transport nécessite une transformation du Fe3+ en Fe2+, beaucoup plus soluble. Ce passage s’effectue en milieu réducteur dans les zones marécageuses plus ou moins stagnantes recouvrant la Lorraine à cette époque. Le fer peut se complexer avec les argiles humiques ou avec le phosphore et la silice ; sous ces formes il est mobilisable.
Ce sont donc des facteurs pédologiques qui ont contribué à la libération du fer des zones continentales et à son transport.

La précipitation du fer
Le Fe2+ en solution se transforme en Fe3+ au contact de l’eau de mer alcaline (pH 8) et plus oxydante. Le fer précipite sous forme de limonite. La concentration est en relation avec l’activité de bactéries fixatrices de fer au sein des pelotes fécales des animaux limnivores.
Ces pelotes fécales, riches en fer, sont reprises par des courants littoraux, triées, classées en feuillets élémentaires de stratification, retrouvés au sein de la mégaséquence. Le dépôt s’est donc réalisé en milieu agité dans le cas de la couche grise.
Dans les pelotes fécales, le fer est mélangé à de la matière organique qui, par décomposition, va accentuer le caractère réducteur. Selon la présence de matière organique, la réduction du fer sera plus ou moins complète ; d’où l’apparition de minéraux réduits (chlorites, sidérites, pyrites...) et la grande diversité des couleurs des formations ferrugineuses.
Le passage à une teneur en fer de 30 % s’obtient par de nombreuses concentrations élémentaires faisant intervenir :
- des processus chimiques (influence du pH et du potentiel d’oxydoréduction)
- des processus biologiques (bactéries des pelotes fécales)
- des processus mécaniques (tri des corpuscules ferrugineux par les courants)
- la durée d’action de ces mécanismes.

Document 4. La série ferrugineuse : reconstitution du paysage
à partir de l’enregistrement sédimentaire. B. Haguenauer 1980



2- HIER : L’EXPLOITATION DE LA “MINETTE” LORRAINE

2.1- LA MÉTHODE D’EXPLOITATION

La méthode employée a pour but d’enlever 95 % du minerai de la couche. Son principe est de creuser des galeries puis des chambres laissant de moins en moins de roche en place, enfin les piliers sont foudroyés pour permettre l’effondrement.
Elle se fait en trois étapes :
- des galeries sont réalisées et numérotées pour découper la couche en carrés de 100 m de côté.
- on recoupe chaque carré par des chambres de 5 m de large, laissant en place 6 piliers de 100 m sur 12 m.
- le dépilage : on détruit les piliers en suivant un front d’exploitation et en foudroyant la zone utilisée.
Le but du foudroyage est de provoquer l'effondrement du toit au dessus de la couche exploitée, ce qui soulève deux problèmes :
- en cas d’exploitation de deux couches superposées ( la rouge et la grise ), les deux chantiers doivent rester suffisamment décalés, ce qui implique une surveillance de la mine par les géomètres.
- l’effondrement en profondeur se retrouve deux fois moins important en surface, mais il reste tout de même plusieurs mètres de dénivelé. On ne peut donc pas utiliser cette technique sous des zones construites.

Document 5 : méthode d'exploitation


2.2- LA TECHNIQUE D’EXPOITATION
  • L’accés
Le gisement se situe à l’affleurement des côtes de Moselle et possède un pendage d’environ 3° vers l’ouest. L’épaisseur utilisée est comprise entre 2,5 m et 7 m. Pour atteindre et exploiter ce minerai, on creuse des galeries à partir du flanc de la côte permettant les allers et retours des mineurs en camionette. Les mines situées sur le plateau y accèdent par des puits classiques d’environ 250 m de profondeur.
  • La foration des trous
Le front de taille est percé d’une série de trous de 44 mm de diamètre et d’une profondeur variant entre 2,5 m et 4,5 m selon un schéma précis. Un engin spécialisé effectue rapidement ce travail.
  • L’abattage
Les trous sont remplis d’un explosif (mélange de nitrate d’ammonium et de fuel)et munis d’un détonateur. L’artificier relie tous les fils a une génératrice, et en fin de poste, le porion procède à la mise à feu.
  • Évacuation du minerai
Des chargeuses récupèrent de 8 à 15 tonnes de minerai par prise et vont les déverser dans des camions navettes pouvant en accepter une quarantaine de tonnes.
  • La sécurité du mineur
Un engin spécialisé intervient après l’évacuation du minerai afin de “purger” le toit, c’est à dire faire tomber les blocs dangereux et de calibrer galeries et chambres : c’est le purgeage.
Le toit est alors ancré dans les terrains supérieurs par des tiges à expansion boulonnées au niveau du toit. La cohérence de l’ensemble permet de se passer de tout étaiement.
  • Le devenir du minerai
Les bennes déversent le minerai au niveau d’une station de concassage localisée au sein de la mine, un transporteur à bandes assure l’acheminement de ce minerai concassé vers l’extérieur.
  • Les problèmes annexes
Le problème de l’aération. L’air de la mine est sans cesse pollué par des tirs d’explosifs, les poussières, les gaz d’échappement des nombreux moteurs diesels. Pour assurer des conditions permettant le travail des hommes et le fonctionnement des moteurs, des ventilateurs importants provoquent une circulation de 1750 m3 d’air par seconde, créant de véritables courants d’air entre les entrées et les puits d’aération.
Le problème de l’eau. En pays calcaire, les eaux d’infiltration sont très importantes. La présence de couches argileuses et les techniques de foudroyage facilitent son transfert. Ainsi, 250 millions de m3 d’eau sont captés et évacués annuellement ; soit 25 fois le poids de minerai extrait ! Ces eaux d’exhaure alimentaient les usines et les communes avoisinantes. Actuellement, la cessation d’exploitation supprime le pompage, ce qui provoque l’ennoyage des galeries... et un problème de fourniture en eau pour les communes.

Document 6 : Exploitation des couches superposées, affaissements de surface

3- LA MÉMOIRE OUVRIÈRE DES MINES DE FER

Le sous-sol lorrain contient des réserves considérables d’une minette à qui les conditions économiques ont fait perdre le statut de minerai de fer. Au 1er janvier 1988, il ne reste que quatre mines en activité employant au total, moins de 1500 personnes (plus de 80 mines et 35000 mineurs en 1834!), fin 1993, la dernière mine cesse son activité.
Depuis 1982, des témoins de la disparition du patrimoine des mines s’émeuvent et imaginent de conserver les installations minières les plus significatives afin de les ouvrir au public. Leur foie et leur acharnement permettent en 1984 de créer AMOMFERLOR (Association Mémoire Ouvrière des Mines de Fer de Lorraine), une association de bénévoles dont le siège social est à Neufchef en Moselle. La volonté de l’association qui regroupe des professionnels des mines, est de recréer dans le monde souterrain de la mine, l’histoire de l’extraction du minerai de fer, des origines à nos jours, et d’abriter dans un bâtiment musée, documents, archives et objets miniers afin que le public puisse connaître, avant sa complète disparition, un monde auquel il n’a jamais eu accès.
Le site historique des Mines de fer de Lorraine de la Vallée de Sainte-Neige présente :
- en partie souterraine :
un réseau de plus de 1800m de galeries dont l’exploitation remonte au début du 19ème siècle. Ces galeries de 3 mètres de large et 2,8 mètres de haut retrace les trois grandes époques du travail d’extraction avec outils et machines correspondants :
- la mine à main,
- la mine à air comprimé,
- la mine actuelle.

- en partie extérieure :
un carreau de mine, un hangar d’exposition des gros engins, un musée.
Les salles sont articulées autour de trois thèmes :
- “la naissance du fer” associant géologie et sidérurgie,
- “les métiers du mineur” essentiellement technique
- “la vie dans la cité” traitant un aspect plus sociologique
Un document audio-visuel complète cette visite et permet de comprendre l’importance historique de la “minette” lorraine.


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Auteur : Roger CHALOT
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