Eléments de nomenclature et quelques bases
pour comprendre et utiliser la classification des granitoïdes
(d'après J.F. Moyen 2011 modifié)
Le terme générique de "granite" au sens large (Sensu Lato S.L.) recouvre le plus souvent la notion de "roche grenue acide", synonyme de "granitoïde" et occupe un large champ dans la partie supérieure du Diagramme de Streckeisen (1973) regroupant des granites au sens strict (Stricto Sensu S.S.) mais également d'autres roches apparentées comme les granodiorites ou les trondhjémites contenant toutes au moins 20% de quartz.
Pour le granitier, le terme générique de "granite", parfois orthographié "granit" va encore plus loin et recouvre souvent l'ensemble des roches dures utilisées dans la graniterie (dont les syénites, les gneiss, les migmatites...), voire même parfois encore plus largement, toutes les roches décoratives "dures" mises en valeur.
Domaine des "granites S.L." ou "granitoïdes" (zone orangée) dans le Triangle QAP qui regroupe les roches saturées en SiO2 (celles dont la composition chimique contient plus de 50% de SiO2) et correspond à la partie supérieure du Diagramme de Streckeisen (1973). Légende : Q = % de Quartz dans la composition normative traduisant le niveau de saturation en SiO2, A = % de feldspaths Alcalins (contenant les oxydes K2O et/ou Na2O), P = % de feldspaths Plagioclases (contenant le CaO). (D'après J.F.Moyen 2011 modifié)
Pendant longtemps, les pétrographes ont décrit les "granites" en utilisant uniquement des lettres, d'abord seulement deux lettres S et I faisant référence à la source des magmas à l'origine de ces granites (Chappell et White 1974) :
- S pour "origine sédimentaire" donc issus de la fusion d'un paragneiss (= métasédiments)
- et I pour "origine ignée" donc issus de la fusion d'un orthogneiss (= métagranites)
Cette classification binaire simple qui était utilisée à la base pour décrire spécifiquement des "granitoïdes" du sud-est de l'Australie s'est retrouvée être utilisée par tous, partout dans le monde, et galvaudée pour décrire beaucoup trop de types de granitoïdes différents qui ne pouvaient pas entrer dans cette classification. (note: Les "granites" australiens S correspondent à des granites CPG et les "granites" australiens I à des granites ACG "collision" selon la classification de Barbarin 1999 - voir plus loin).
Rapidement ces deux lettres S et I, qui décrivaient incomplétement la famille des "granites", devenue plus récemment et largement celle des "granitoïdes", ont été rejointes par deux autres lettres M et A :
- M pour "magmatique" terme de la cristallisation fractionnée d'un magma issu de la fusion partielle d'une péridotite mantellique correpondant aux ATG et RTG de Barbarin 1999 auquels s'ajoutent les TTG archéennes.
- et A pour certains "granites" "anorogéniques" correspondant aux PAG de Barbarin 1999.
Classification des "granites" selon les quatre types S,I,M et A et positionnement dans le triangle Q=Quartz, A= feldspaths Alcalins, P = feldspaths Plagioclases de Streckeisen 1973. Pour la signification des termes utilisés à l'intérieur des triangles correspondant à la classification de Barbarin 1999 - voir dans le texte qui suit) (© J.F. Moyen 2011)
Certains "granites" ne trouvant pas encore leur place à l'intérieur de cette classification à 4 lettres (comme les KCG par exemple), celle-ci a progressivement été complétée par celle de Barbarin 1999. La classification à quatre lettres parle encore à beaucoup de géologues par sa simplicité, sa facilité à associer chaque lettre à l'origine de la roche ; elle est donc encore largement en usage et garde ses adeptes.
Sur la carte géologique de la France au millionnième, c'est la classification de Barbarin 1999 qui est utilisée.
Barbarin décrit sept types de "granites". (L'explication précise des termes peralumineux et peralcalin sera donnée plus loin mais transpire au travers de sa lecture sémantique ; les termes tholéiitique et calcoalcalin sont d'usage courant) :
- ACG pour Amphibole Calc-alkaline Granites (granites calcoalcalins à amphibole)
- ATG pour Arc Tholeitic Granites (granites tholéiitiques d'arc)
- CPG pour Cordierite Peraluminous Granites (granites peralumineux à cordiérite)
- KCG pour K-potassic Calc-alkaline Granites (granites calcoalcalins riches en K2O)
- MPG pour Muscovite Peraluminous Granites (granites peralumineux à muscovite)
- PAG pour Peralkaline Granites (Granites peralcalins)
- RTG pour Ridge Tholeitic Granites (Granites tholéiitiques des dorsales)
N'oublions pas le magmatisme très particulier et surtout représenté durant l'Archéen à TTG ou Tonalite Trondjemite Granodiorite.
Selon la part de contribution crustale ou mantellique de la source et leur minéralogie, ces "granites" peuvent être rangés dans un ordre logique.
Classification des granites selon la contribution crustale ou mantellique de la source (© Barbarin 1999)
Un lien existe donc entre les types de "granites", leur minéralogie et le contexte géodynamique dans lequel ils se sont formés. Cela est très utile pour qui étudie le magmatisme ancien.
Ce lien est imposé par la nature de la source, crustale ou mantellique, le taux de fusion partielle (FP) et de celui de cristallisation fractionnée (CF) ou encore par l'implication de mélanges, d'hybridations entre les liquides magmatiques réalisés lors d'assimilations d'encaissant par exemple (Thomas 2010)... Ce lien génétique est clair et sans ambiguïtés pour tous les types sauf pour le type ACG qui est le moins bien délimité, impliquant les deux types de sources crustale et mantellique : il peut correspondre à un magmatisme de zone de subduction... ou être associé à un magmatisme impliqué dans un épisode de collision en impliquant des sources variées par exemple.
Le plus souvent ce n'est pas "le" granite x ou y qui permet de comprendre le contexte géodynamique dans lequel il s'est mis en place, mais plutôt l'association des granitoïdes à laquelle il appartient.
La nouvelle nomenclature s'appuie davantage sur la minéralogie et donc sur les éléments chimiques (l'analyse des éléments majeurs de la roche) qui étaient contenus dans le magma et ont pu entrer dans le réseau des silicates.
Tableau récapitulant la présence, en plus de celles du quartz et potentiellement de celle du feldspath potassique, des autres minéraux présents dans les "granites" en fonction de l'origine des magmas sources. (© Barbarin 1999)
Les minéraux importants pour déterminer les granitoïdes sont les feldspaths Alcalins (pôle A du triangle QAP) et les feldspaths Plagioclases (pôle P du triangle QAP). Le Quartz (pôle Q du triangle QAP) est toujours présent en quantité importante comprise entre 20 et 60% ; d'autres minéraux secondaires comme la biotite pratiquement toujours présente ou d'autres minéraux seulement parfois représentés : muscovite, cordiérite, amphiboles... complètent la paragénèse.
Il est aisé de décomposer les feldspaths en leurs oxydes constitutifs (exemple: l'anorthite CaAl2Si2O8 décomposée en CaO + Al2O3 + 2 SiO2) ou mieux en utilisant les cations Al, Na, Ca et K constituant leur formule structurale.
Pour un feldspath alcalin (microcline par exemple KAlSi3O8), Al = K ou Al = Na+K alors que pour un feldspath plagioclase calcique (anorthite CaAl2Si2O8), Al = 2 Ca... donc dans le cas général Al = 2Ca+Na+K.
Ce nombre va déterminer la nature peralumineuse, métalumineuse ou peralcaline du magma source.
Si le magma est peralumineux (c'est à dire riche en Al) alors Al est grand par rapport à 2Ca + Na + K et il reste toujours de l'Al2O3 en excès lorsque les feldspaths ont terminé leur cristallisation, quand K2O et Na2O et CaO sont épuisés. L'Al2O3 en excès permet alors de produire de la muscovite ou de la cordiérite ou encore d'autres minéraux comme la tourmaline ou le grenat... L'Al entrera également en parallèle dans la composition de la biotite pratiquement toujours présente dans les granites.
Au contraire, si on se trouve en présence d'un déficit d'Al2O3, deux cas vont se présenter :
- le type métalumineux où Al est inférieur à 2Ca+Na+K mais reste supérieur à Na+K.
Il est encore possible de former des feldspaths alcalins mais il restera du CaO qui sera utilisé pour former des amphiboles ou des clinopyroxènes... L'Al entrera ici aussi en parallèle dans la composition de la biotite pratiquement toujours présente.
- ou le type peralcalin où Al est inférieur à 2Ca+Na+K mais également inférieur à Na+K.
Il y a tellement peu d'Al2O3 disponible que tous les alcalins ne seront pas consommés et que des pyroxènes sodiques (aegyrine) ou plus rarement des amphiboles sodiques se formeront pour utiliser et épuiser le Na2O contenu dans le magma... Vu la disponibilité en Al2O3, la biotite sera dans ce cas précis moins fréquemment présente.
Les rapports peuvent être mis en confrontation dans le diagramme de Shand (1943).
Le diagramme de Shand (1943) permet de visualiser rapidement à quelle famille appartient le granite étudié si on possède son analyse chimique. (© J.F. Moyen 2011)
Il suffit de calculer les rapports atomiques A/NK qui correspond à Al/Na+K et A/CNK qui correspond à Al/2Ca+Na+K
Remarque: la relation Al = 2Ca+Na+K peut aussi s'exprimer sous la forme Al/2Ca+Na+K =1
Tableau : Essai de comparaisons des nomenclatures et des caractéristiques des principaux types de granites (d'après J.F. Moyen 2011 modifié et enrichi)
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BARBARIN B. (1999) - A review of the relationships between granitoid types, their origins and their geodynamic environments, Lithos, 46, 3, 605-626
CHAPPEL B.W. et WHITE A.R. (1974) - Two contrasting granite types, Pacific Geology, 8, 173-174.
MOYEN J.-F. (2011) - Il ne faut pas confondre granite et granite. https://planet-terre.ens-lyon.fr
SHAND S.J. (1943) - The eruptive rocks : 2nd edition, John Wiley, NewYork, 444p.
STRECKEISEN A.L. (1973) - Plutonic Rocks : Classification and Nomenclature Recommended by the I.U.G.S. Sub-Commission on the Systematic of Igneous. Rocks, Geo, Times, 18, 26-30.
THOMAS P. (2010) - Vade-mecum sur l'origine des granites. https://planet-terre.ens-lyon.fr