Origine des déformations
L'existence de structures en gouttière synclinale (ou anticlinale) pourra être déduite de l'observation paysagère (géomorphologie) depuis des points élevés et au cours d'une traversée. Le franchissement des côtes est à cet égard révélateur. L'analyse directe de quelques affleurements choisis permet de situer dans l'espace à trois dimensions une formation-repère (cf Calcaire à entroques) et de saisir sa géométrie (pendage). Cette approche peut être complétée par la lecture cartographique. Les structures tectoniques ont l'allure de vastes ondulations orientées SW-NE dont l'axe remonte vers le NE ( par ex. prolongement en Allemagne du saillant de Muschelkalk). Si elles n'ont certes pas la vigueur des accidents alpins, leur étendue pose le problème de leur origine.
Pour la compréhension globale, il est souhaitable d'envisager les phénomènes en jeu d'abord dans la partie nord-est (parcours 1) puis de passer à une explication des structures rencontrées dans le domaine sud-ouest (parcours 2 ou 3).
1) La gouttière synclinale de Sarreguemines à l'échelle de la grande région
Le profil sismique Ecors-Dekorp interprété montre le pendage général de la portion de croûte comprise entre le toit du socle pénéplainé après l’orogenèse hercynienne (volontairement simplifié ici) et le Moho. Cette disposition est imputable en premier lieu au relèvement des épaules du rift rhénan (Vosges) mais aussi à l’existence d’un vaste synforme lithosphérique dont seul le flanc sud est représenté ici. On notera que la couverture sédimentaire ne suit cette disposition que dans le secteur sud-est et présente des déformations dans le secteur de Morhange.
Dans une étude relative aux déformations de l’avant-pays alpin, les auteurs, Bourgeois et al (3), après avoir soustrait les effets du rifting ouest européen (relèvement des épaules du rift) aux valeurs des isohypses du toit du socle et du moho, observent que des déformations de grande longueur d’onde ( Y = 270 km et d’amplitude voisine de 1500 m ) subsistent au nord-ouest de la chaine alpine. Elles sont lisibles dans les tracés géométriques de l’interface primaire/secondaire et de celui du Moho ainsi que dans les variations d’épaisseur sédimentaire au sein des fossés tertiaires. Le synclinal de Sarreguemines apparait comme une de ces voussures lithosphériques qui s'étend sous forme de sillon depuis la Sologne, en passant par la Lorraine, jusqu'au Bassin franconien. Il fait suite au bassin molassique péri-alpin, à la ride anticlinale Bourgogne-Jura souabe, et précède la ride anticlinale Normandie – Vogelsberg. Si le bassin molassique péri-alpin résulte du ploiement de la plaque européenne sous l’effet du poids de la chaine, les déformations à distance sont l’effet du flambage lithosphérique attribué à une compression horizontale, prévue par le modèle. Ces courbures se seraient développées entre 17 MA et la période actuelle.
2) Les structures ondulées du secteur de Morhange, Chateau-Salins
Déformations rencontrées dans le secteur de Morhange (exploitation de la carte géologique)
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La coupe géologique simplifiée NW-SE réalisée à partir des données de la carte géologique et de résultats de forages montre une succession de 3 "plis" associés. La largeur de ces structures orientées SW-NE est de l'ordre de 5 km. L'amplitude de la déformation est voisine de 300 m (Landroff). Les synclinaux sont perchés et dominent l'anticlinal évidé de plusieurs dizaines de mètres. L'échelle des hauteurs fortement exagérée leur confère un aspect presque jurassien qu'ils sont loin de posséder (pendages moyens de quelques degrés).
La rareté de failles relevées dans ce secteur contraste avec leur abondance dans les régions proches ; elle est à mettre sur le compte de la difficulté à les repérer à la surface des terrains marneux. Elles se traduisent souvent par des variations du pendage local visibles parfois à la faveur d'un chantier. De ce fait, un certain nombre d'affleurements présentés peuvent offrir un pendage accentué par la présence d'une faille proche.
L'existence de ces structures à l'allure de plis plaide en faveur d'un régime compressif postérieur au dépot des couches.
Les apports de la sismique.
Mise en correspondance du profil altimétrique et du profil sismique Ecors-Dekorp interprété (1). (Ws= toit du Westphalien, Sw= base du Westphalien, FM= faille de Morhange, 2/4s = durées du parcours des ondes sismiques /TWT). Au sud-est, les structures profondes sont marquées par l'existence de failles obliques traversant les terrains primaires (Carbonifère et socle) liées à des événements tardi-hercyniens. A l'extrémité nord-ouest du tracé, apparait un compartiment soulevé : une faille limitante (FM= faille inverse de Morhange) bute contre une série de failles normales échelonnées affectant la couverture permo-triasique. A ce niveau, les strates de la couverture secondaire sont décalées et présentent un pendage accentué. Ces déformations qui affectent la couverture sédimentaire secondaire sont donc relativement récentes. Le panneau soulevé se calque sur l'anticlinal de Morhange. Pour l'instant, l'absence de données complémentaires en direction du nord ouest ne permet pas de savoir s'il s'agit d'un horst inversé formant une structure en coin expulsé (pop up). Les terrains à "fort" pendage sud-est observés dans le secteur de Conthil - Lidrezing sont à mettre en parallèle avec le réseau de failles normales décalant la couverture. L'anticlinal de Morhange et le synclinal adjacent de Chateau-Salins / Bride apparaissent comme étant des ondulations provoquées par le jeu de ces failles.
Des prospections sismiques complémentaires pour la recherche de gisements de houille et pétrole ont permis d'établir un profil complet du Carbonifère de ce secteur.
d'après A.Izarta, J.Barbarand, R.Michels, V.A.Privalova (2016) Modifié.
Coupe synthétique du Carbonifère et de la couverture secondaire (2). Au sommet du profil, la série secondaire (Buntsandstein en noir) parait peu perturbée à cette échelle d'observation. La série carbonifère est affectée par des déformations de grande ampleur. Ce sont du NW au SE : le synclinal de Lesménils, l'anticlinal de Pont-à-Mousson dit de Lorraine, le synclinal de Landroff, l'anticlinal de Morhange et le synclinal de Sarreguemines. Ils sont attribués à une phase de serrage tardif (phase saalienne). On remarque les expulsions de blocs (coins) au sommet des anticlinaux.
La poursuite du serrage affecte l'axe du synforme né de la flexure lithosphérique qui suit le tracé Nancy-Sarreguemines. Cette déformation lithosphérique (flambage) va réactiver un certain nombre d'accidents anciens accompagnés parfois de nouvelles fractures non ancrées dans le socle. Ainsi les ondulations à grand rayon et faible pendage correspondent à des ajustements de la couverture aux mouvements de compartiments du socle. Les failles se traduisent en surface par des rides anticlinales et synclinales dont le tracé peut être décalé par rapport au tracé en profondeur. Les synclinaux et anticlinaux triasiques-liasiques ne sont donc pas des plis au sens classique mais des réponses à des mouvements verticaux exercés par des panneaux profonds. Ils participent à une tectonique de revêtement.
Au final, les répercussions de l’orogenèse alpine sont de deux ordres : les fossés d’effondrement, fossé rhénan et fossés de Lorraine centrale (voir fiches correspondantes : Fossé d'effondrement de Colombey, Fossé tectonique de Gondrecourt, Verrou tectonique de Removille) et les déformations "souples" de la couverture sédimentaire.
Remarque 1
A plus grande échelle, ces déformations reflètent des anomalies de la croûte profonde (anomalies gravimétriques et magnétiques). Des études récentes (1) sur l'orogenèse varisque attribuent à la zone faillée de Morhange la place d'une ligne de suture dans le cadre de la subduction de la marge passive saxothuringienne pendant le Carbonifère inférieur. Elle apparaît comme étant un "secteur fragile" de l'écorce terrestre.
Remarque 2
Des ondulations "mineures" orientées NW-SE traversent également le secteur. Elles sont sans doute à l'origine du découpage transversal en tables-unités du synclinal de Landroff. L'anticlinal de Morhange présente aussi une structure en dôme dont le point culminant se situe près de Racrange (à l'est de Morhange), il s'ennoie aux extrémités SW et NE. Sa limite ouest est marquée par une série de failles (faille de Delme), son rebord oriental suit un tracé relativement rectiligne dans le secteur de Francaltroff (Notice de la carte géologique de Chateau-Salins). Sa largeur ainsi délimitée fait environ 30 km. Cette situation n'est pas sans rappeler les ordres de grandeur des blocs ayant marqué le fonctionnement du bassin carbonifère sarro-lorrain profond... A ce titre, la faille de Delme constitue une limite de compartiment houiller profond.
Résumé simplifié
Le bloc-diagramme ci-dessous illustre de façon très simplifiée la situation :
Figure du haut : Cas simple correspondant à la partie nord-est. La compression alpine provoque une flexure lithosphérique à grand rayon de courbure qui affecte à la fois le socle (vert) et la couverture ( 2 couches représentées ici). Il en résulte un pendage des couches vers le centre du synforme qui passe par Nancy-Zweibrucken et dont l'axe se relève vers le nord-est (fossé rhénan). Des failles sont visibles sur le terrain dans les séries triasiques calcaires et gréseuses avec des rejets décamétriques (non figurées sur le document). L'érosion s'attaque aux reliefs et préserve les structures synclinales au centre.
Figure du bas : Cas du secteur de Morhange. Au sein du synclinorium, le secteur de Morhange fait figure de bloc au comportement singulier. Lors de la compression d'une plaque à grande échelle, le flambage qui se traduit par des plis à grand rayon de courbure, engendre des structures secondaires qui apparaissent au sein de la croûte et de la couverture sédimentaire dans les zones à concavité prononcée. Des réajustements se produisent dans le socle (tectonique de fond) grâce à des mouvements verticaux (ici anciennes failles réactivées symbolisées par un tireté en noir). Ces dernières s'amortissent en flexures plus ou moins pentées ou en ondulations synclinales et anticlinales.
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Bibliographie et sources de documents
1) - Jean-Bernard Edel, Karel Schulmann (2009) Geophysical constraints and model of the "Saxothuringian and Rhenohercynian subductions -- magmatic arc system" in NE France and SW Germany. Bulletin de la Société Géologique de France, ISSN 0037-9409, Vol. 180, Nº. 6, (source du document : profil sismique Ecors)
2) - A.Izarta, J.Barbarand, R.Michels, V.A.Privalova (2016) - Modelling of the thermal history of the Carboniferous Lorraine Coal Basin: Consequences for coal bed methane. International Journal of Coal Geology Volume 168, Part 2, (sou O. Bourgeois, M. Ford, M. Diraison, R. Pik, M. Gerbault, et al..(2007) Separation of rifting and lithospheric folding signatures in teh NW-Alpine foreland. Interior Journal Earth Science 96, pp.1003-1031 (source du document : coupe du bassin houiller lorrain)
3) - O. Bourgeois, M. Ford, M. Diraison, R. Pik, M. Gerbault, et al..(2007) Separation of rifting and lithospheric folding signatures in teh NW-Alpine foreland. Interior Journal Earth Science 96, pp.1003-1031.
- Sierd Cloething, Evgenii Burov. Lithospheric folding and sedimentary basin evolution: a review and
analysis of formation mechanisms. Basin Research, Wiley, 2011, 23 (3), pp.257-290.
- S.Cloetingh, T.Cornua, P.A.Ziegler, F.Beekmana. Environmental Tectonics (ENTEC) Working Group1(2006). Neotectonics and intraplate continental topography of the northern Alpine Foreland. Earth-Science Reviews Volume 74
- Muriel Gerbault (2012) - Accomodation de la convergence entre plaques tectoniques terrestres: approche numérique . Voir en particulier les diapos 8,9 de ce document.
- Cartographie de certaines formations géologiques spécifiques en Moselle sur :
J-C. Baubron, C. Jeandel, G. Fourniguet (2002) – Evaluation du potentiel de
contamination par le radon des habitations du département de la Moselle (57) - Rapport
BRGM/RP-51943-FR, 251 pages, 2 figures, 7 tableaux, 26 annexes.
http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-51943-FR.pdf