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Le spéléodrome de Nancy : 3. Description

Le sous-sol des environs de Clairlieu (quartier ouest de Villers-lès-Nancy), est parcouru par un réseau de galeries creusées entre 1899 et 1906 pour récupérer les eaux d’infiltration du plateau de Haye, afin de satisfaire les besoins en eau de la population de l’agglomération nancéienne considérablement augmentée après l’annexion de l’Alsace-Moselle en 1871. Abandonnées dans les années 1930, ces galeries ont été réhabilitées et sont devenues un site d’initiation et d’entraînement à la spéléologie, connu sous le nom de spéléodrome de Nancy.
 

Sommaire :

  1. Historique de l’alimentation en eau de la ville de Nancy.
  2. Le contexte géologique
  3. L’ouvrage de Hardeval
  4. De l'ouvrage de Hardeval au spéléodrome

 

1.    Historique de l’alimentation en eau de la ville de Nancy.

Pendant longtemps, les Nancéiens ont utilisé l’eau de sources locales et de puits creusés dans le sous-sol. Ceux-ci atteignent la nappe phréatique contenue dans les alluvions de la Meurthe au-dessus des marnes liasiques. Dans les années 1880, on dénombrait environ 4000 puits.
Les eaux du vallon de Boudonville, issues du plateau calcaire, détournées dès le 13ème siècle ont longtemps alimenté les lavoirs et les fontaines de Nancy.
A partir du 18ème siècle, les groupes de sources de l’Asnée, du Montet et de la Malgrange ont à leur tour été captées pour alimenter Nancy.

Après l'annexion par l'Allemagne de l’Alsace et de la Moselle en 1871, une partie de la population de ces territoires a choisi de migrer vers les territoires restés français. Ainsi Nancy a connu un accroissement considérable de sa population : environ 50000 habitants en 30 ans, ce qui correspond au doublement de la population (détails en annexe1). Nancy devient la capitale de l'est de la France. L’alimentation en eau potable est alors devenue un problème crucial, à la fois en quantité et en qualité. Les sources captées ne suffisaient plus. Tandis que les eaux de la nappe phréatique sous l’agglomération étaient polluées et avaient engendré plusieurs épidémies de typhoïde.

Entre 1875 et 1879, une galerie filtrante fut réalisée pour capter les eaux dans les alluvions de la Moselle au sud de Nancy. Cette eau filtrée et pompée à Messein s’écoulait jusqu’à Vandoeuvre par deux aqueducs. Elle ne subissait aucun traitement, à l’exception d’une javellisation et partait ensuite en distribution. Elle s’est avérée elle aussi sensible aux pollutions, (microbiennes, industrielles, minières) et n’a pas apporté la solution au problème.
Dans les années 1890, des travaux furent entrepris sur les captages autour de Nancy pour en améliorer les performances. Mais la ressource en eau restait préoccupante.

localisation des noms cités dans le texte

Localisation des lieux géographiques cités dans le texte, et de l'ouvrage de Hardeval.
En bleu clair, les sources captées. En bleu foncé, galeries et puits de l'ouvrage de Hardeval
(1: oeil de l'ouvrage et réservoirs de Hardeval - 2: puits de Hardeval - 3: Puits St Julien - 4: puits de Clairlieu -
5: puits de la Croix Grand Colas - 6: puits de la Haute Borne - 7: puits de la Vierge).

Puis, l’ingénieur Edouard Imbeaux proposa de capter les eaux souterraines du plateau de Haye au moyen de galeries de drainage en partant de Hardeval. Ces eaux situées sous le massif forestier et filtrées par les roches calcaires, avaient l’avantage de ne pas être polluées.
Les travaux de creusement conduits par les ingénieurs Edouard Imbeaux et François Villain ont duré 8 ans, de 1899 à 1906. L’ouvrage de Hardeval fournissait 1440 à 4320 m3 par jour, soit 14,4 à 43,2 L/jour par habitant.
Mais l’eau étant très calcaire, les dépôts de calcite ont rapidement obstrué les conduits provoquant la diminution du débit. Dès 1919, le conseil municipal de Nancy faisait état à nouveau de difficultés dans l'alimentation de la ville en eau potable.

Il fut alors décidé de prélever l’eau directement dans la Moselle à Messein. C’est à partir de 1932 que fut mise en service l’usine de traitement Saint-Charles à Vandoeuvre, qui permettait de traiter à l’ozone 80.000m3 d’eau par jour. A partir de cette date, le réseau de Hardeval ne fut plus utilisé. 

En 1985 une nouvelle usine de traitement des eaux, l’usine Edouard Imbeaux construite à Vandoeuvre, a été mise en service. Elle traite les eaux prélevées dans la Moselle à Messein, ou en cas d’étiage ou de pollution, dans les réservoirs installés dans les anciennes sablières de Richardménil.

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2.      Le contexte géologique
Le sous-sol du plateau de Haye où sont creusées les galeries de drainage se compose de calcaires du Bajocien légèrement inclinés vers l’ouest. Ceux-ci ont à leur base un niveau de marnes micacées et la formation ferrifère de l’Aalénien qui repose sur les marnes supraliasiques (toarciennes). Cet ensemble forme le rebord de la côte de Moselle qui domine Nancy.

Les calcaires bajociens, et aussi ceux de la formation ferrifère constituent des aquifères, dont le plancher imperméable est formé par les marnes micacées et les marnes supraliasiques. Les galeries principales de drainage sont creusées dans la formation ferrifère et le sommet des marnes supraliasiques.

 

localisation des galeries dans la série stratigraphique
Position des galeries du spéléodrome dans la série stratigraphique du plateau de Haye

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3.      L'ouvrage de Hardeval

Les travaux de creusement commencent en février 1899. Le sous-sol est assez bien connu grâce aux nombreuses mines de fer du plateau. Une galerie de drainage presque horizontale est creusée sous la formation ferrifère et donc au-dessous de la nappe principale du calcaire bajocien, à partir du vallon de Hardeval. Ce point de départ est appelé « Oeil » du réseau. Plusieurs puits sont creusés successivement de plus en plus éloignés : puits de Hardeval, de Clairlieu, de St Julien, de la Haute Borne, jusqu’au puits de la Vierge à 4,5km de l’œil. Le puits de la Croix Grand Colas, un ancien puits minier, est réutilisé dans le cadre des travaux de l'ouvrage de Hardeval. (cf. plan du spéléodrome dans le paragraphe 4).

coupe 3 puits ouvrage Hardeval
Coupe de 3 puits du réseau : puits de Hardeval, de St Julien et de Clairlieu. (Dans Origine du spéléodrome de Nancy et historique de l'ouvrage de Hardeval - plaquette USAN Spéléodrome 1991) ) cliquer ici pour agrandir

Les galeries creusées à partir des puits se rejoignent progressivement. Leur tracé doit s’adapter aux variations du niveau de l’aquifère, et au débit trouvé. Ainsi, un tracé vers l’ouest et le puits de la Croix Grand Colas peu productif est abandonné au profit d’un tracé vers le sud et le puits de la Vierge ; le franchissement d’une faille à rejet vertical de 13m en aval du puits de la Haute Borne oblige à creuser une galerie à forte pente en escalier, qui crée une cascade dans le réseau.
Les galeries passent sous l’aquifère. Aussi, afin de collecter l’eau vers la galerie de drainage principale, ou collecteur, des « montages », petites galeries montantes à 45° de part et d’autre du collecteur, sont réalisés et des forages verticaux de 7 à 8 cm de diamètre sont pratiqués régulièrement dans la voûte du collecteur pour atteindre la nappe phréatique des calcaires bajociens, donnant naissance à des « fontaines ».
D’autres galeries sont forées à mi-hauteur entre les puits, de façon à favoriser le pompage de l’eau qui envahit les puits et galeries lors des travaux. Dans le puits de Clairlieu, foré dans une zone basse du plateau, l’eau a une « puissance artésienne » de 20m, c’est-à-dire que lors du creusement du puits l’eau a jailli jusqu’à 20m et noyé le puits. Une galerie partant du puits St.-Julien permet de faciliter le pompage de celle-ci (cf. coupe de 3 puits du réseau ci-dessus).
A partir de 1902 les travaux d'adduction sont effectués pour raccorder ce nouveau réseau à l'existant et les réservoirs de Hardeval sont construits.  

Les travaux s’achèvent en juin 1906. Ils ont mobilisé une centaine d'hommes et ont coûté 1,892 MF à la ville de Nancy.
Les débits sont très satisfaisants mais rapidement des problèmes apparaissent à cause des concrétions qui se forment dans les fontaines et les obstruent progressivement.

Le réseau de Hardeval a cessé d'être utilisé en 1932. Il n'aura servi que 26 ans. Il est progressivement tombé dans l'oubli.
Toutefois les eaux drainées par le réseau s'écoulent encore vers les réservoirs de Hardeval et alimentent le ruisseau de l'Asnée.

entrée galeries Vallon de Hardeval

L'oeil des galeries dans le Vallon de Hardeval.
L'eau des galeries alimente le ruisseau de l'Asnée. (photo M.Montagne)

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4.     De l'ouvrage de Hardeval au spéléodrome

Laissé à l'abandon depuis 1932, le réseau reçoit la visite de quelques spéléologues et scientifiques à partir des années 1950.
Suite à la fondation de l'Union spéléologique autonome de Nancy (ou USAN) en 1961, ses membres profitent des divers puits de l'ouvrage pour s'entraîner aux techniques spéléologiques de progression verticale.
Dans les années 1970, le lotissement de Clairlieu est construit. Les habitants utilisent les puits laissés ouverts comme des décharges et des tonnes d’ordures diverses y sont déversés, les rendant impraticables. Les spéléologues le délaissent peu à peu. En 1973, le service des eaux du District de l'Agglomération Nancéienne abandonne officiellement l’ouvrage de Hardeval.
Le réseau va renaître à partir de 1989. Les spéléologues de l’USAN entreprennent son exploration systématique. Désobstrué, nettoyé, aménagé, le réseau baptisé « spéléodrome » a été inauguré officiellement le 1er décembre 1991.
La Ligue spéléologique lorraine (ou LISPEL) a signé une convention avec la communauté urbaine du Grand Nancy afin de garantir la gestion de l'ensemble par les spéléologues. Ainsi, les visites du réseau ne peuvent avoir lieu que sous la responsabilité d'une association habilitée par la LISPEL.

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Le Spéléodrome est constitué par un ensemble de galeries totalisant environ 6,5km de longueur, de réservoirs d'eau et de cinq puits d'accès :

- la galerie principale, ou collecteur, d'une longueur de 4 873 m ;
- des galeries remontantes à 45°, situées de part et d'autre du collecteur, et des galeries annexes, pour un total de 1 769 m ;
- les réservoirs de Hardeval, à l'entrée de la galerie ou œil de la galerie ;
- 5 puits d'accès, de l'aval vers l'amont : Hardeval (profondeur 27 m), Saint-Julien (64 m), Clairlieu (38 m), Haute-Borne (65 m), Vierge (63 m).

plan des galeries USAN

Le plan du spéléodrome (document USAN : http://usan.ffspeleo.fr/)   retour paragraphe 3

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Aujourd'hui, le spéléodrome est un site d'entraînement des spéléologues, pour les techniques de progression sur corde, de plongée souterraine, et le parcours d'une rivière souterraine. Mais c'est aussi un espace pédagogique de découverte pour les élèves du primaire et du secondaire dans le cadre des cours de sciences. C'est encore un lieu d'étude de terrain en hydrogéologie pour les étudiants de l'École nationale supérieure des mines de Nancy.

Ce que des élèves peuvent voir lors d'une visite du spéléodrome :

  • les puits d'accès équipés d'échelles métalliques ;
  • la galerie principale, où circulent encore les eaux de drainage issues de la nappe, et dont le sol est couvert de concrétions blanches ;     
  • des portes métalliques, ou serrements, dites de "sous-marin", permettant de réguler l'écoulement des eaux dans la galerie ;
  • les escaliers permettant de rattraper les rejets de failles (le rejet est la différence de niveau des couches de part et d'autre d'une faille) ;
  • des concrétions de calcite au toit, en particulier à la sortie des fontaines, résultat de la dissolution du calcaire par l'eau puis la prcipitation de calcite ;
  • la faune cavernicole, dont Niphargus, un petit crustacé amphipode, Cæcosphæroma, crustacé isopode : observation d'une vie adaptée à un milieu extrême (froid, obscur, humide, et minéral donc avec peu de ressources alimentaires) et possédant des caractères particuliers (anophtalmie, dépigmentation, taille réduite par rapport au cousin de surface).
  • des fossiles observables en place dans la roche, rostres de bélemnites, ammonites ;

galerie    escalier

concrétion sortie de fontaine    petit crustacé cavernicole

Galerie principale, escalier, concrétions, Niphargus (de haut en bas, de gauche à droite) :
photos extraites de la visite virtuelle proposée sur le site USAN.

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Remerciements à Christophe PREVOT pour la documentation fournie, dont s'inspirent les textes, et pour la relecture de la fiche.

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Bibliographie :

- Imbeaux, E. (1897) - Recherche de nouvelles eaux de source : avant-projet de captation des eaux souterraines de la forêt de Haye (partie Sud-Est), Nancy, Impr. Nancéienne, 51 p.

- Imbeaux E. (1897), Les eaux potables et leur rôle hygiénique dans le département de Meurthe-et-Moselle, Nancy

- Imbeaux, E. & Villain, F. (1902) - Captation des eaux souterraines de la forêt de Haye, Ville de Nancy, Nancy

- « La spéléologie aux congrès des sociétés savantes 1901-1904 » (1904), Spelunca 1re série no 37, Société de spéléologie, Paris, p. 19-21

- Les eaux de Nancy en 1909 (1909), Nancy, Impr. réunies, 44 p.- Les eaux de Nancy 1905-1985 (1985), Service des eaux du DAN

- Les eaux de Nancy en 1909 (1909), Nancy, Impr. réunies, 44 p.

- Évolution de la population des communes de Meurthe-et-Moselle depuis 1806 (1962), Observatoire économique régional de Lorraine, INSEE, Nancy,

- Louis, M. & Lehmuller, D. (1966) - Travaux et recherches spéléologiques tome III - "Contribution à l'avancement du catalogue des cavités de Meurthe-et-Moselle", USAN et A.S.H.M., Nancy, vol. 1 p. 111

- Weber A., Pollution en spéléologie (1973), Spéléo L n°1, CRSAL,Nancy

- USAN (1991) - USAN 61/91 Spéléodrome Nancy, USAN, Nancy, 36 p.

- USAN (1991) L’inauguration officielle du spéléodrome

http://usan.ffspeleo.fr/spip2129/IMG/pdf/HISTHARD.pdf

- Martin, E. (2010), L’hydrosystème domestique et urbain à Nancy au XIXème siècle, étude de géographie historique, Thèse de géographie, Université de Nancy 2

http://docnum.univ-lorraine.fr/public/NANCY2/doc530/2010NAN21010.pdf

- Prévot, C., Prévot, D., Prévot, E. & Prévot, N. (2012) - « Origine du spéléodrome de Nancy et historique de l'ouvrage de Hardeval », Spéléo L no 21 (ISSN 0758-3974), LISPEL, Tomblaine, p. 73-80- Admant, P. & Prévot, C. (2014)

- « Le Spéléodrome de Nancy : un espace pédagogique de première importance » [PDF], LISPEL-Info no 1-2014, LISPEL, Tomblaine, p. 2-4


Auteur : Roger CHALOT - Date de création : 09/12/2016 - Dernière modification : 30/06/2017

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