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Carrière de Malancourt-La-Montagne : 3. Description

Sur une longueur d'environ 700 m de fronts de taille, la carrière fait affleurer les formations qui constituent l'assise de la Côte de Moselle et qui représentent la sédimentation de la fin du Bajocien inférieur (fig.2). Ce sont notamment les Calcaires à polypiers (inférieur et supérieur), équivalents de ceux des environs de Nancy (voir par exemple les fiches Bainville-sur-Madon, Maizières, Viterne ou Liverdun sur ce site) mais l'Ooilithe cannabine est toutefois absente ici. Ces deux formations sont séparées ou relayées par les "Calcaires siliceux de l'Orne", un faciès carbonaté local, riche en quartz détritique et silicifications (= chailles). Le sommet (non accessible) du Calcaire à polypiers inférieur et du Calcaire à polypiers supérieur sont tous deux marqués par une surface durcie taraudée (= hard-ground). Celle qui affecte le sommet du Calcaire à polypiers supérieur correspond à la discontinuité vésulienne qui marque la fin du Bajocien inférieur partout en Europe. Les Marnes de Longwy qui chapeautent la série par endroits en transgressant sur la surface de discontinuité vésulienne (fig.4), correspondent à l'amorce du Bajocien supérieur.

 

Fig.2 - Position stratigraphique des terrains de la carrière de Malancourt-la-Montagne (illustration © BRGM)

Le front de taille montre dans sa partie basale (fig.3), correspondant au Calcaire à polypiers inférieur, des sections de biohermes coralliens d'importance métrique à décamétrique, sur lesquels se biseautent et se soulèvent latéralement les couches de marno-calcaires bioclastiques dont le dépôt est contemporain de l'enfouissement des récifs. La différence de compaction diagénétique entre les massifs construits (= patch-reefs) et les bancs inter-récifaux est responsable de leur incurvation (Hilly & Haguenauer, 1979).
 
Fig.3 : Partie médiane du front de taille de la carrière de Malancourt (mai 2007) - (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
 
Dans la formation du Calcaire à polypiers supérieur, inaccessible de par sa position sommitale sur le front de taille, les constructions coralliennes de dimensions métriques se reconnaissent de loin à l'aspect "grumeleux" du faciès. Le Calcaire à polypiers supérieur comprend aussi des calcaires biodétritiques grossiers de haute énergie, à galets roulés à restes de solénopores (algues rouges), formant des litages obliques (fig.3) ou recouvrant en onlaps successifs les niveaux construits coralliens mitoyens (fig.4).
 
Fig.4 : Extrémité nord du front de taille de la carrière de Malancourt (mai 2018) - (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
 
Les fossiles (fig.5) sont abondants dans les Calcaires à polypiers et peuvent encore être ramassés dans des blocs d'éboulis, provenant majoritairement du Calcaire à polypiers inférieur et dispersés çà et là dans l'ancienne carrière. Outre les coraux coloniaux scléractiniaires (genres Isastrea et Periseris dominants) responsables des constructions récifales, on récolte principalement des restes d'organismes benthiques côtoyant l'environnement des biohermes : grands gastéropodes du genre Bourguetia, lamellibranches fouisseurs (genres Pholadomya et  Homomya par exemple) ou non (pectinidés, lucines, Trichites, Lopha, Ctenostreon, Plagiostoma, etc.), brachiopodes (térébratules de petite taille et rhynchonelles), échinides réguliers, crinoïdes, bryozoaires à port vertical. Quelques organismes nectoniques sont épisodiquement présents comme les bélemnites (rostres) ou des nautiles et plus rarement encore, des ammonites. Le sédiment est également bioturbé : réseaux de terriers de diamètre centimétrique, horizontaux et verticaux interconnectés de type ThalassinoIdes, attribués à l'action de crustacés décapodes. Sur le front de taille, cette faune se rencontre dans les faciès marno-calcaire bioclastiques situés entre deux masses récifales construites.
 
Fig.5 : Quelques fossiles récoltés dans le Calcaire à polypiers inférieur (A: surfaces calicinales de coraux coloniaux - diamètre d'un calice = 0,5 cm ; B: rostre de grande bélemnite cassé longitudinalement - diamètre max. = 4 cm  - la base du phragmocône est visible à droite ; C: rhynchonelle - genre Cymatorhynchia (?) ; D: le gastéropode Bourguetia )
 
Les biohermes du Calcaire à polypiers inférieur sont constitués d'une accumulation de colonies à morphologie aplatie ou quelquefois massives ou en dôme (fig.6). À l'affleurement, les colonies sont facilement identifiables par leur aspect cristallin, résultant des phénomènes de recristallisation qui ont affecté le squelette calcaire du corail (= polypier), au cours du processus de fossilisation. Ces transformations ont généralement pour conséquence, l'effacement des structures calicinales ou internes du polypier. Le développement d'un récif s'opère à partir de petites colonies naissantes isolées (reconnaissables à leur base conique) puis s'étalant latéralement et finissant par fusionner avec leurs voisines (Geister et Lathuilière, 1991). Au cours de son existence, la partie vivante du récif lutte en permanence contre l'enfouissement sous les dépôts carbonatés qui recouvrent en onlap les parties devenues inertes de l'édifice construit. De ce fait, dans leur environnement, les biohermes ne devaient pas être très étendus en hauteur. Lorsque l'intensité de la sédimentation s'accroît encore, le stress provoqué conduit à un changement de morphologie des colonies passant d'un aspect tabulaire à un aspect phacéloïde, c'est-à-dire branchu, favorisant la croissance verticale, vers le haut, des individus. Cette adaptation a été constatée et observée, pour la première fois, par Lathuilière (1989) chez le genre Isastrea, dans des récifs bajociens localisés, entre autres, dans la carrière de Malancourt. Cette réaction du corail signifie la mort imminente du récif qui finit par être ennoyé sous l'afflux de sédiments.
 
Fig.6 : Colonies coralliennes formant les biohermes du Calcaire à polypiers inférieur ; à gauche: accumulation de colonies massives en dôme; à droite : bloc avec colonies à morphologie aplatie

Dans le Calcaire à polypiers supérieur, les constructions sont également progressivement recouvertes de sédiments biodétritiques (calcaires à solénopores), progradant en onlaps sur le massif (fig.4) puis l'ensevelissant totalement. Cette configuration dans le Calcaire à polypiers supérieur illustre une phase régressive (hydrodynamisme croissant et profondeur diminuant au cours du temps) en période de haut niveau marin relatif (Lathuilière et al., 2003).

La discontinuité vésulienne marque un épisode érosif qui se manifeste dans toute l'Europe de l'Ouest et qui affecte ici le Calcaire à polypiers supérieur lors d'une période de bas niveau marin relatif. Cette surface de discontinuité constitue aussi la surface de transgression sur laquelle se déposent les Marnes de Longwy à l'issue de la remontée du niveau marin.

Un scénario comparable, mais d'importance plus modeste à l'échelle géographique, peut être envisagé pour la transition entre Calcaire à polypiers inférieur et Calcaires siliceux, séparés par une discontinuité. Les silicifications (chailles) qui caractérisent les Calcaires siliceux seraient d'origine secondaire (diagénétique) ; la source de silice provenant d'éponges siliceuses du genre Rhaxella dont on a retrouvé de nombreux spicules épigénisés dans la roche de cette formation (Hallam, 1975). Les quartz et micas détritiques qui composent également les dépôts des calcaires à chailles sont vraisemblablement des produits de l'érosion du socle continental ardennais, l'Ardenne constituant un massif émergé au Jurassique moyen.

A noter aussi dans cette carrière la reconquête végétale du milieu et l'accumulation croissante d'éboulis qui masquent progressivement la base des fronts de tailles au fur et à mesure des années (fig.3 et 4).


Ce site est une ZNIEFF de type 1 (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Floristique et Faunistique), pelouse sèche où on peut observer une vingtaine d'Orchidées différentes.

 

A proximité, la carrière de Jaumont donne accès à la suite de la série stratigraphique du Bajocien en Moselle, avec notamment la "Pierre de Jaumont". Voir la fiche Carrières de Jaumont.

 

Remerciements à (Pr.) Bernard Lathuilière de l'Université de Lorraine (laboratoire Géoressources) pour ses conseils avisés et son aide à l'interprétation des affleurements.

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Bibliographie

DURAND M., HANZO M., LATHUILIÈRE B., LE ROUX J. & MANGOLD C. (1989) - DUGW Stratigraphische Kommission ; Subkommission für Jura Stratigraphie. Excursion en Lorraine, livret-guide. Univ. de Nancy I , laboratoire de Géologie des Ensembles sédimentaires, 60 p. (inédit).

GEISTER J. & LATHUILIÈRE B. (1991) - Jurassic coral reefs of the northeastern Paris Basin. VI int. Symp. on fossil Cnidaria inluding Archeocyatha and Porifera, Münster (1991). Excursion guidebook. International Association for the Study of Fossil Cnidaria and Porifera , 113 p.

GRIETTE M. (2021) - Malancourt-la-Montagne : Carrière du Bois de Malancourt - Contribution ORAGE originale à la Banque de données du sous-sol n°23 ; lien de consultation : https://orage.univ-lorraine.fr/s/orage/item/1473.

HALLAM A. (1975) - Coral patch reefs in the Bajocian (Middle Jurassic) of Lorraine. Geol. Mag., 112 / 4, p.383-392.

HILLY J. & HAGUENAUER J. (1979) - Lorraine Champagne - Guide géologique régional - Masson

LATHUILIÈRE B. (1989) - Isastrea, polypier branchu ! Isastrea branching coral ! C.R. Acad. Sci., Paris, 308, p.887-892.

LATHUILIERE B., CARPENTIER C., ANDRE G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. 20-21-22 septembre; livret de terrain excursion - G2R/CG54/Groupe Français d'Etude du Jurassique.


Auteurs : Roger CHALOT - Didier ZANY - Date de création : 24/09/2006 - Dernière modification : 30/08/2021

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