Carrière de Lorry-Mardigny : 3. Description
L'observation du front de taille et de la stratification peut se faire depuis cet endroit ou depuis un point haut à l'emplacement de la table d'orientation (fig.3) qui surplombe l'ancienne casemate "le Solitaire", à l'est de la carrière (fig.4).
Fig.4 : Vue panoramique du front de taille de l'ancienne carrière (depuis la casemate) ; en orange, les biohermes - image sensible au survol / cliquer sur l'image pour agrandir et ICI pour obtenir une interprétation sans végétation
Au pied du front de taille, le plancher de la carrière et la plus ancienne formation correspondent au Calcaire à entroques constitué d'une roche de couleur grise à jaune-ocre. Les échantillons provenant des éboulis sont facilement identifiables grâce aux débris d'échinodermes, les entroques, qui ont donné leur nom à la formation. Ces éléments sont constitués de monocristaux de calcite correspondant à des fragments de radioles ou de tests d'oursins réguliers et d'articles de crinoïdes (en forme d'étoiles à 5 branches lorsqu'il s'agit de la tige). Quelques fossiles de mollusques complètent l'inventaire faunistique : bivalves, gastéropodes et parfois des rostres de bélemnites. Dans le front de taille, les limites de bancs présentent souvent des ondulations (fig.5) ou une surface mamelonnée, résultant du mouvement d'oscillation des vagues sur le sédiment. Ces structures traduisent le caractère brutal du dépôt, mis en place lors de tempêtes (= dépôts de type tempestite). Des laminations horizontales ou obliques, dégagées par l'érosion, des granoclassements caractérisent également, ponctuellement, ces bancs (fig.5).
Fig.5 : Figures sédimentaires dans le Calcaire à entroques à l'entrée de la carrière
La deuxième formation, le Calcaire à polypiers inférieur surmonte le Calcaire à entroques et apparaît à l'affleurement sous différents faciès :
- Vers le fond de l'ancienne carrière, au sommet d'un talus à gravir (lien hypertexte fig.3) ou directement visibles dans le front de taille (fig.6), affleurent plusieurs constructions coralliennes, de dimensions plurimétriques, bouleversant la stratification périphérique. Plusieurs générations de biohermes se succèdent verticalement dans le front de taille et chacun de ces édifices est constitué d'une accumulation de polypiers, restés en position de vie, le plus souvent sous forme de masses lamellaires ou globulaires recristallisées. Des surfaces durcies perforées, affectant les colonies de polypiers, sont observables par endroits.
Depuis la plate-forme en surplomb, sur laquelle repose la butte du blokhaus, à l'endroit où le faciès construit est accessible en toute sécurité (éloigné des fronts de taille - voir fig.3), l'affleurement est en grande partie végétalisé. Des éboulis ont cependant permis de récolter ou d'observer une faune assez variée. Le calcaire est très dur et difficile à prélever (marteau de géologue indispensable). D'autre part, au vu de l'exigüité de l'affleurement (risque d'épuisement du gisement à court terme) et de la réglementation, la récolte des fossiles doit être évitée et restreinte à l'observation : de nombreux blocs présentent de beaux spécimens de coraux en lamelles en coupe (recristallisés) ou, plus rarement, montrant les surfaces calicinales (genres Thamnasteria, Periseris ou Isastrea). Sur le haut de l'affleurement, au sein des éboulis, des formes coralliennes branchues (genres Cladophyllia et Dendrarea) apparaissent également.
Fig.6 : Faciès construit à polypiers - cliquer sur l'image pour l'agrandir
- Entre les édifices construits (latéralement et verticalement - fig.7), le Calcaire à polypiers se présente sous la forme d'un calcaire bioclastique (texture packstone), compact, bien stratifié (couches d'épaisseur métrique). Le faciès bioclastique est une accumulation de coquilles brisées et d'éléments roulés et/ou encroûtés.
Fig.7 : Le contact entre faciès construit et faciès bioclastique dans le Calcaire à polypiers (clichés © B. Lathuilière) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
- Au pied du monticule où se dressent les ruines de l'ancienne casemate (fig.3), le plancher de la carrière présente la surface structurale d'un calcaire oolithique de type grainstone, se débitant en plaquettes, de couleur blanche à patine noire, constitué presque exclusivement d'ooïdes (= "oolites") avec quelques bioclastes, fragments ou empreintes de coquilles de bivalves, souvent indéterminables (voir une lame mince du type de roche : ICI). Ce calcaire passe progressivement et latéralement aux faciès construit et/ou bioclastique.
Reconstitution des paléoenvironnements
- Le Calcaire à entroques se serait mis en place dans un environnement de plate-forme carbonatée soumis à la houle de tempête (sédimentation périodique en contexte de haute énergie) expliquant la succession des nombreux bancs à surface mamelonnée ou ondulée (due à l'action des vagues) à l'intérieur de la formation ; lors des épisodes de sédimentation plus calme (zone située à une profondeur en-dessous de la limite des vagues de beau temps), la vie reprend et les dépôts enregistrent une bioturbation repérable par des changements de couleur dans la roche. Enfin, depuis la base vers le sommet de la formation, des oolites font progressivement leur apparition : on assisterait ainsi à une baisse régulière du niveau marin relatif (passage d'un milieu marin ouvert de plate-forme à un milieu proximal lagonaire, plus proche du littoral).
- Le Calcaire à polypiers inférieur présente des coraux, en position de vie, à morphologies caractéristiques de milieux de profondeur et d'éclairement moyens. Les formes coloniales, capables d'édifier des biohermes, appartiennent au groupe des Scléractiniaires dont les représentants actuels correspondent à des coraux vivant en symbiose avec des algues unicellulaires, les zooxanthelles. Cette association requiert des conditions environnementales permettant un apport de luminosité suffisant pour la photosynthèse (eaux peu turbides), une bonne oxygénation et une température clémente de l'eau (supérieure à 20°C toute l'année durant). Ces conditions sont celles d'un climat subtropical qui devaient donc prévaloir en Lorraine, à l'époque où se sont développées les colonies coralliennes du Calcaire à polypiers. Le développement des formes branchues au sommet des édifices construits illustrent vraisemblablement une réponse, favorisant la croissance verticale des coraux, à un taux de sédimentation accru.
Références bibliographiques et remerciements
- Carte géologique au 1:50 000 Chambley-Bussières
- Hilly J. et Haguenauer B. (1979) - Guide Géologique Régionaux - Lorraine Champagne - Masson éd.
- Lathuilière B. et al. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine - Livret Guide d'excursion. Groupe Français d'étude du Jurassique, Nancy. 115 p. 61 fig. : lien de consultation (site web ORAGE).
Des informations complémentaires et un historique de l'occupation du site de Lorry-Mardigny au fil des siècles et des décennies passés, peuvent être consultés sur les pages du site web dédié, réalisé par l'association Lorry-Mardigny Patrimoine : ICI.
D'autres informations utiles sont également disponibles sur le site internet du Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine : www.cen-lorraine.fr
Les auteurs remercient chaleureusement M. le Professeur Bernard Lathuilière de l'Université de Lorraine pour son expertise scientifique et son aide à l'interprétation des données de terrain.
Merci également au Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine, dans le cadre des échanges initiés et établis autour du projet de conception d'un panneau pédagogique sur la géologie du site.
Auteurs : Didier ZANY - Florent DUVERNIER - Date de création : 25/06/2007 - Dernière modification : 12/09/2022