Anciennes carrières de Bicqueley : 3. Description
Site n°1 : Ancienne carrière de Bicqueley (la Croix Fiscale) dite aussi de Pierre-la-Treiche.
La carrière présente plusieurs fronts de taille dans la formation de l'Oolithe Miliaire Supérieure datée du Bajocien supérieur (fig.2). Le passage au Bathonien inférieur (Caillasse à Anabacia) est visible sur ce site au sommet de la carrière en lisère de la forêt. Le plancher de l'ancienne exploitation repose sur le toit d'une formation marno-calcaire fossilifère: l'Oolithe à Clypeus ploti.
Figure 2: Position stratigraphique des terrains rencontrés à Bicqueley (illustration © BRGM)
Plusieurs fronts de taille peuvent être étudiés facilement même si la vagétation recolonisent progressivement le milieu:
1°. Au fond de la carrière, un premier front de taille (fig.3), long d'une centaine de mètres, est orienté est-ouest (FT1), avant de former un coude et de prendre une orientation nord-sud (FT2 - non visible sur la fig.3) à son extrémité est.
La hauteur est d'environ 8 - 10 mètres.
2°. A l'est du précédent (à droite en entrant dans la carrière - fig.4) et de dimensions comparables, un deuxième front de taille coudé présente deux plans verticaux perpendiculaires orientés NE-SO (FT3) et NO-SE (FT4).
Figure 4 : Fronts de taille 3 et 4 (FT3 et FT4)
L'Oolithe Miliaire Supérieure se présente sous forme de bancs décimétriques constitués de calcaire oolitique blanc (oosparite - fig.5). Les oolites sont de taille, de couleur et de forme variables : inframillimétriques, blanches et sphériques ou millimétriques à plurimillimétriques, beiges et de forme irrégulière.
Fossiles et bioclastes sont rares.
Figure 5: Lame mince de calcaire oolitique au microscope polarisant (LPA) - © planet-terre.ens-lyon.fr
Dans une strate, les oolites se disposent en lits de granulométries différentes (fig.6). Parfois une organisation en deux parties est visible : dépôts de rides ondulés, à la base de la strate, surmontés de dépôts d'avalanche horizontaux (structure de type "bundle" d'après Ledit 1985).
Les strates constituent de grands faisceaux correspondant à des corps sédimentaires à litages obliques ou foresets.
Sur le côté est du premier front de taille, deux faisceaux d'une épaisseur de 4 mètres environ chacun, se superposent (fig.7).
Ces faisceaux présentent une organisation comparable, avec un pendage d'environ 20° des bancs vers l'est au niveau de FT1 et une inclinaison vers le nord au niveau de FT2. A l'emplacement du coude entre FT1 et FT2, les couches apparaissent horizontales (fig.8). Ces observations permettent de déterminer un pendage général du faisceau inférieur en direction du NE (un peu plus vers le N pour le faisceau supérieur).
Au centre du front de taille principal (FT1), un ensemble de fractures affecte les roches: un léger affaissement du compartiment ouest semble s'observer à ce niveau.
Un seul faisceau (4 à 5 mètres d'épaisseur), à la base de la série, est visible au niveau des fronts de taille 3 et 4 (fig.9). Il est ensuite surmonté par un ensemble de strates horizontales. Dans ce faisceau, les strates sont inclinées vers le NE (FT3) ou vers le SE (FT4) et se présentent horizontalement au niveau du coude et de la jonction des plans du front de taille. Le pendage général de ce faisceau s'effectuerait donc en direction de l'est.
L'intérieur du faisceau est également marqué par la présence de surfaces d'érosion (ou de réactivation) bombées recoupant en biseau la stratification interne.
D'après Lathuillière et al. (2003), des fractures synsédimentaires (imprégnées d'oxydes de fer) affectant l'Oolithe Miliaire Supérieure sont aussi observables au niveau de FT3 (extrémité SO): elles parcourent le faisceau inférieur et s'estompent dans l'ensemble de strates horizontales sus-jacent.
Les formations décrites précédemment correspondent à des unités d'une barrière oolithique sous-marine (type Bahamas). Les grands faisceaux à litages obliques évoquent des lobes d'épandage progradant dans le sens d'inclinaison des bundles, sous une faible tranche d'eau et sous l'action des courants de marées, en direction de la mer ouverte (Lathuilière et al. 2003) qui devait donc se situer dans un quart NE ici.
Figure 10a: Interprétation du corps sédimentaire du front de taille 3 (d'après Ledit, 1985)
Fig.10b: Formation d'une barre sableuse tidale actuelle sous l'action des courants de marées de mortes-eaux et de vives-eaux (= cycle semi-lunaire - d'après Yang et Nio, 1985)
Une étude détaillée des bundles (fig.10a) a également permis de mettre en évidence leur rythmicité et des séquences de dépôts comparables à celles observées pour les barres ou mégarides tidales actuelles (fig.10b): des bundles épais et à granulométrie grossière sont précédés et suivis par d'autres plus minces et à granulométrie plus fine. Il s'agirait respectivement de dépôts de vives-eaux et de dépôts de mortes-eaux, soit un épisode de sédimentation correspondant à la durée d'un cycle semi-lunaire (14 jours). Trois séquences de ce type ont été identifiées à Bicqueley (FT3), ce qui signifie que l'édifice progradant du front de taille 3 correspondrait à un corps sédimentaire déposé en moins de deux mois!
Les fractures synsédimentaires subverticales suivent des directions (NNO-SSE) parallèles au petit fossé tectonique de Bicqueley situé à proximité (fig.11). Ces failles (fig.9), qui n'affectent pas la Caillasse à Anabacia sus-jacente, traduisent une fracturation précoce au cours du Bajocien terminal en Lorraine (Ledit 1985; Lathuilière et al. 2003).
Ces structures sont vraisemblablement liées à une réactivation de failles profondes (socle hercynien) sous la couverture sédimentaire mésozoïque, et associées au phénomène de subsidence. Cette fracturation donnera ensuite naissance à de petits fossés tectoniques comme ceux de Bicqueley et de Colombey-les-Belles.
A la sortie de la carrière, lorsqu'on emprunte le chemin qui mène à Bicqueley (en direction du réservoir d'eau), un beau panorama sur la Côte de Meuse (Côtes de Toul et butte-témoin) mérite d'être signalé.
Le chemin est également recoupé perpendiculairement par une faille qui sépare deux compartiments chapeautés d'Oolithe Miliaire (compartiment est surélevé) d'une part, et de Marnes à Rhynchonelles du Bathonien (compartiment ouest affaissé), d'autre part (fig.11). Les faciès correspondant aux deux formations sont nettement distincts dans les champs (lorsqu'ils ne sont pas plantés) bordant le chemin: les fossiles de rhynchonelles (Rhynchonelloidella alemanica Rollier) se récoltent en abondance et contrastent avec les pierres volantes de calcaires blancs oolitiques de l'Oolithe Miliaire. Cette faille délimite la bordure orientale du petit fossé tectonique de Bicqueley.
Figure 11: Extrait de la carte géologique de Toul à 1 / 50 000 montrant le passage de la faille
(cliquer sur la carte pour voir une photo de la faille)
Site n°2 : Ancienne carrière en bordure de D904
Ce site, aujourd'hui remblayé, permettait de compléter les observations précédentes puisqu'il offrait une coupe depuis le sommet de la formation de la Caillasse à Anabacia (Bathonien inférieur) jusqu'à sa base et le contact avec le toit de l'Oolithe Miliaire Supérieure (Bajocien supérieur - fig.12).
La Caillasse à Anabacia est une formation marno-calcaire bioturbée dans laquelle la stratification est peu visible (aspect de "calcaire rognoneux"). Les fossiles sont abondants: le corail Anabacia = Chomatoseris orbulites en forme de bouton de guêtre (fig.13), bivalves divers, etc.
Comme à Villey-St.-Etienne, le passage Oolithe Miliaire Supérieure - Caillasse à Anabacia est marqué par une surface d'érosion rubéfiée qui était facilement repérable à mi-pente sur le chemin descendant le long de la zone de déblais.
Le toit de la Caillasse à Anabacia, souligné par le passage à des marnes kaki à rhynchonelles, était aussi visible à l'affleurement le long d'un fossé à l'entrée du site.
Remerciements: Nous tenons à remercier M. le Pr. Bernard Lathuilière (Laboratoire G2R - Université de Nancy) de sa généreuse et précieuse collaboration au cours de la rédaction et de la relecture de cette fiche.
Bibliographie
- DURAND M. et al. (1989) - Excursion en Lorraine (livret guide) - Univ. Nancy I, Labo. GES.
- FLAGEOLLET J.-C. (1985) - Notice explicative de la feuille de Toul à 1/50 000 - BRGM.
- LATHUILIERE B. et al. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine - G2R, CR 54, Groupe Français d'Etude du Jurassique, pdf.
- LEDIT D. (1985) - Etude sédimentologique de l'Oolithe Miliaire Supérieure (Bajocien terminal) de Pierre-la-Treiche (54): structures sédimentaires d'origine tidale et fracturation synsédimentaire - Rapport de DEA, Univ. Nancy I.
- YANG, C.S., and S.D. NIO (1985) - The estimation of palaeohydrodynamic processes from subtidal deposits using time series analysis methods. Sedimentology 32:41–57.