Les carrières d'entroquite d'Euville : 3. Description
Ce site géologique s'inscrit dans le circuit Environnements coralliens de l'Oxfordien (excursion du Congrès APBG Lorraine - juillet 1994)
Les carrières d'Euville montrent un système récifal de l’Oxfordien moyen, avec différents faciès calcaires : entroquite (pierre d’Euville), bioherme, calcaire crayeux et calcaires bioclastiques
On peut y voir différentes techniques d’exploitation de l’entroquite, comme pierre de taille.
Le village d'Euville était un important centre d'exploitation du calcaire dans la première moitié de ce siècle. On y extrayait la célèbre "Pierre d'Euville", une belle entroquite, dure, résistante au gel, utilisée dans la construction et la statuaire.
La Pierre d'Euville est intercalée dans la Formation récifale de Lorraine. Elle est supportée par des calcaires à Polypiers du complexe récifal inférieur et surmontée par des calcaires crayeux ou biodétritiques qui passent latéralement au véritable calcaire construit du complexe récifal supérieur.
Panorama de la carrière des Côtillons à Euville (Bernard Lathuilère 1993)
Cette succession est visible dans la carrière des Côtillons aujourd'hui abandonnée, mais qui a fourni la majorité des matériaux utilisés dans la construction de bâtiments historiques. (état de la carrière en 2020)
La « Pierre d'Euville » est actuellement exploitée dans la carrière voisine.
L'épopée de la Pierre d'Euville*.
Son emploi est resté longtemps régional : maisons de fermes, fortifications, basilique de St-Nicolas-de-Port, pont de Toul, puis au 18ème, palais et monuments de Nancy.
A partir de 1840, l'exploitation a connu un essor considérable. Deux facteurs y ont concouru. D'une part, le développement des communications (le canal de la Marne au Rhin et le chemin de fer Paris-Strasbourg) permit aux pierres meusiennes d'être utilisées en dehors des limites de la Lorraine. D'autre part, les grands chantiers de construction à Paris ayant un besoin croissant en pierres, les entrepreneurs parisiens trouvèrent un matériau de qualité dans la région de Commercy et à Euville en particulier.
Dès lors, cette pierre d'Euville acquit une renommée nationale et internationale. Quelques-unes de ses nombreuses utilisations en attestent : parapets du Pont-Neuf, statues du Palais de Chaillot et du Musée d'Art Moderne, Opéra et Palais des Champs Elysées à Paris, Lycée Corneille à Rouen, Théâtre de Francfort, Château Krupp à Essen, Théâtre et Hôtel des Postes à Bruxelles, Quai de l'Escaut à Anvers, Université de Gand, Cathédrales à New-York et Baltimore.
L'entroquite dans un mur de Nancy
Grâce à ce succès, la commune d'Euville, propriétaire des carrières, vit ses ressources augmenter considérablement permettant la construction de remarquables bâtiments communaux, et tout particulièrement d'un Hôtel de Ville, bel exemple de l'Art Nouveau.
Le mode traditionnel d'extraction, semblable à celui des mines, a peu évolué jusqu'à la fin du 19ème siècle ; l'amélioration essentielle ayant été l'usage de la poudre noire, comme explosif, à partir du 17ème. Le front de taille était divisé en chantiers attribués, chacun, à une équipe d'ouvriers payés à la tâche et dirigés par un chef de bloc qui traitait avec la société exploitante.
La nécessaire augmentation de la production liée à l'essor de la pierre conduisit à l'ouverture de nouvelles carrières et à l'embauche de centaines d'ouvriers, français et italiens pour la plupart.
A la fin du 19ème siècle, le souci d'amélioration des rendements amena les sociétés à mécaniser toutes les phases de l'extraction et à employer des méthodes nouvelles.
Les haveuses, les perforatrices, remplacèrent peu à peu la tranche, le tamponnoir, les coins et les pinces. Ces machines ont fonctionné d'abord à la vapeur, puis à l'air comprimé et enfin à l'électricité à partir de 1891.
L'installation de ponts-grues et de treuils mécanisés permit l'exploitation en gradins à partir de 1892.
L'extraction en souterrain apparut en 1918. La production atteignait 8 à 10 000 mètres cubes par an vers 1927. L'exportation se faisait par voie ferrée et par voie fluviale.
Exploitation au début du 20ème siécle (carte postale de 1904)
Exploitation vers le milieu du 20ème siécle (photo non datée)
Au début du 20ème siècle, neuf cents personnes travaillaient dans les carrières d'Euville ; plus de mille dans les années 1930. Un hameau se développa sur le site des carrières.
Actuellement, une seule carrière est encore exploitée (par la société Rocamat). Dix carriers y travaillent. L'exploitation se fait par "sciage de masse au fil diamanté" et un centre d'usinage programmable permet d'effectuer des moulures diverses.
Vue d'ensemble de l'exploitation actuelle
Les traces des anciennes méthodes d'extraction sont visibles dans la carrière des Côtillons. Les carrières voisines, à l'Est, montrent les techniques modernes d'extraction et de spectaculaires témoins de l'exploitation souterraine : seize galeries de 10 mètres de large et de 14 mètres de haut.
Entrée des anciennes galeries d'exploitation
* Cet historique est tiré de documents réalisés par l'association Pierres Lorraines et le Parc Régional de Lorraine (L'épopée de la Pierre P.Briot et J.P. Streiff 1991 ; Classes du Patrimoine J.P. Streiff, H. Sidert, P. Briot)
La carrière des Côtillons.
- Le complexe récifal inférieur.
Les ondulations du plancher de la carrière correspondent à la morphologie sous-marine originelle formée de récifs et de dépressions interrécifales qui furent recouverts par des dunes hydrauliques géantes de calcaire crinoïdique.
En comparaison à l'affleurement précédent de Foug, il y a une étonnante différence d'altitude d'au moins 20 m entre la crête récifale et les dépressions interrécifales. Une telle pente est mesurable sur une centaine de mètres au toit du complexe récifal inférieur.
Les roches du plancher de la carrière sont principalement constituées :
- de quantités considérables de débris coralliens sur la pente du récif;
- de la véritable structure récifale localement, vers le sommet des crêtes topographiques.
Le sommet du complexe inférieur est marqué par une surface durcie bien développée localement.
Près du mur vertical NNO de la carrière, la roche est charpentée par une structure dense de scléractiniaires aplatis qui s'élève rapidement (30° sur 7 m) vers le calcaire crinoïdique du front de taille. C'est une paléotopographie récifale, exhumée par les travaux d'exploitation.
Au bas de ce relief, la pente du fond marin originel était plus douce, s'abaissant de 10 m sur une distance de 100 m vers le centre de la carrière.
A l'origine, le fond marin sableux était jonché de débris, surtout de coraux, d'échinodermes et de mollusques, glissant le long de la pente du récif en croissance active.
Les surfaces du récif et des dépôts de pente sont toutes deux percées par des organismes perforants indiquant la formation d'une surface durcie avant l'enfouissement sous la dune sableuse crinoïdique.
- L'entroquite (Pierre d'Euville)
Le calcaire crinoïdique ou entroquite est largement exposé dans les fronts de taille de la carrière. A l'intérieur de la carrière, son épaisseur varie de 6 à 13 m, qui correspondent aux crêtes et creux de la dune sableuse mais aussi à la topographie sous-marine antérieure.
Les deux crêtes visibles à l'affleurement sont séparées de 150 m. Les particules constituant la roche sont principalement des ossicules grossiers de crinoïdes, les particules plus fines ayant été balayées. D'après Humbert (1971), la carte des isopaques de la Pierre d'Euville montre une dune géante de 2,5 km de long, d'axe longitudinal orienté approximativement Est-Ouest. La largeur de la dune est de 600m et son épaisseur maximum atteint 20 m. La pente est dirigée vers le Nord.
Au sommet, l'entroquite est elle aussi tronquée par une surface durcie comme l'indiquent les perforations et les huîtres encroûtantes.
- Le complexe récifal supérieur.
Le complexe récifal supérieur peut être observé dans le front de taille au-dessus de l'entroquite mais n'est pas facilement accessible.
L'épaisseur observable sous la grouine quaternaire sus-jacente est d'environ 10 m. La roche est crayeuse à biodétritique, localement, avec des gerbes de coraux branchus, des débris de coraux branchus resédimentés et des structures à coraux lamellaires. Une formation construite à microsolénidés lamellaires peut être suivie dans le mur NO de la carrière sur une distance de 80 m ; elle atteint une épaisseur de 5 m ou plus.
L'existence de chenaux dans les boues crayeuses atteste de la présence temporaire de courants érosifs. Les chenaux ont été remplis et recolonisés par des coraux branchus qui furent par la suite ensevelis in situ. Parmi les coraux resédimentés, une belle colonie de Dendraraea racemosa peut être observée.
Le calcaire crayeux au dessus de l'entroquite
Références bibliographiques : Humbert (1971), Hilly et Haguenauer (1979)