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Le Jurassique supérieur près de Chaillon : 3. Description

Plusieurs affleurements, situés sur un territoire réparti entre les communes de Chaillon, Creuë et Varvinay, à l'ouest du lac de Madine, montrent une succession de roches argileuses ou marneuses et de roches calcaires fossilifères datées de l'Oxfordien inférieur-moyen, appartenant aux formations des Argiles de la Woëvre, des Terrains à Chailles et du "Corallien" (fig.2).



Fig.2 : Position stratigraphique des terrains affleurant
(colonne lithostratigraphique d'après Lathuilière in McCann 2008)

Le sommet des Argiles de la Woëvre (rarement accessibles à l'affleurement) est visible le long des talus en bordure de route : D901 entre Creuë et Chaillon (fig.3) ou D133 entre Chaillon et Heudicourt-sous-les-Côtes (fig.4).




Fig.3 : Les Argiles de la Woëvre sur le fond du fossé sud de la D901




Fig.4 : Les Argiles de la Woëvre sur le talus de la D133; en été, il faut chercher sous la végétation les strates affleurantes (un banc calcaire apparaît en gris clair sur le cliché de droite)

Il s'agit d'affleurements sporadiques qui, malheureusement, disparaissent progressivement sous la végétation au fil des années. Les roches recherchées apparaissent parfois sous la grouine calcaire (formation superficielle) et se présentent sous forme d'alternances marno-calcaires grises. Les bancs de calcaire marneux renferment une faune d'ammonites (Hecticoceratinae, Peltoceratinae et Cardioceratidae - fig.5) caractéristiques de la base de l'Oxfordien inférieur (zone à Mariae; Marchand D. communication orale). On trouve également des bivalves (Trigonia, Ostréidés, Mytilus, etc.), des rhynchonelles (genre Thurmanella) et quelques articles de crinoïdes. Les plus beaux affleurements sont ceux qui se trouvent le long du talus sud entre le pont de la ligne TGV et le village de Chaillon (fig.2), d'une part, et celui de la D133 (fig.3) où plusieurs strates sont visibles, d'autre part. Situés en bord de route, ces sites ne sont pas à recommander avec un grand groupe d'élèves (sauf prise de mesures de sécurité particulières).



Fig.5 : Une ammonite du gisement de la D133 (genre Cardioceras)

Les affleurements du Bois de la Grande Enceinte, situé sur le territoire des communes de Chaillon et de Varvinay, permettent de suivre, sur une distance de 3 à 4 km, le long d'un chemin de forêt, la série des formations du Jurassique supérieur (Oxfordien inférieur et moyen) qui succèdent aux Argiles de la Woëvre.
Le Bois de la Grande Enceinte recouvre une zone en relief constituant le revers des Côtes de Meuse qui domine les villages de Buxières et Heudicourt à l'est. Ce relief est entaillé par deux cours d'eau : le Criot (alt. 285) au nord et le ruisseau des Bons Prés (alt. 280) au sud. Le chemin forestier permet d'aller d'une vallée à l'autre en traversant la côte du nord au sud et en passant par son sommet (alt. 371).

En partant depuis le nord du Bois de la Grande Enceinte, au niveau du Moulin de Criot, les premières roches affleurent le long du chemin qui monte en direction de l'ouest-sud-ouest. Il s'agit d'alternances marno-calcaires (20 m d'épaisseur environ) parfois masquées par la terre ou la végétation (affleurements discontinus). Les bancs de calcaires sont généralement d'aspect noduleux (fig.6) et correspondent à une roche de couleur grise, compacte, très dure (dégageant une odeur de "grillé" lorsqu'on la martèle), souvent fossilifère et parfois fortement bioturbée (= terriers d'organismes endobiontes). Les fossiles, presque toujours silicifiés (cercles blancs concentriques sur les coquilles), sont bien diversifiés (fig.7) : huîtres (exogyres, gryphées, Lopha), bivalves divers (pectinidés, pholades, etc.), gastéropodes, serpules, brachiopodes (rhynchonelles, térébratules), crinoïdes. La présence de spicules d'éponges siliceuses, d'oursins et de crustacés est également signalée dans des niveaux équivalents ailleurs dans la région de Toul (Carpentier et al. 2007).


Fig.6 : Calcaires siliceux des Terrains à Chailles à l'affleurement



Fig.7 : Quelques fossiles des Terrains à chailles

Les roches calcaires peuvent également présenter des passées ferrugineuses et des traces de calcédoine.
Les niveaux marneux n'affleurent qu'exceptionnellement (marnes vert-de-gris ou brunes).
Ces alternances de marnes et de calcaires siliceux caractérisent la formation des Terrains à Chailles.

Le haut de la série a livré une faune d'ammonites (Peltoceratinae essentiellement) marquant le sommet de l'Oxfordien inférieur (zone à Cordatum ; Enay et Boullier 1981; Poirot 1987).

Le toit des Terrains à Chailles est souligné par un banc de calcaire siliceux (40 cm d'épaisseur) dont le sommet présente une surface perforée et rubéfiée, situé environ 1 mètre au-dessous d'un banc calcaire à terriers non remplis (30 cm) facilement repérable. Ce banc bioturbé, également très fossilifère, fait partie d'un ensemble marno-calcaire, épais d'environ 2 mètres, caractérisé par la présence d'oolithes ferrugineuses (fig.8) et correspondant à la formation de l'Oolithe ferrugineuse de Senonville d'âge Oxfordien moyen (Maubeuge 1962 ; Humbert 1971). Ces niveaux peuvent contenir une faune diversifiée : rhynchonelles, térébratules, ostréidés, bivalves divers, serpules, gastéropodes, ammonites (Cardioceratidae et Perisphinctidae), bélemnites, échinides (genres Collyrites et Nucleolites), crinoïdes.


Fig.8 : Echantillon de calcaire à oolithes ferrugineuses (= grains marron)

Après 800 mètres de montée environ, une zone de "parking" située sur la gauche (= sud) jouxte un affleurement d'une hauteur de 5 mètres présentant un ensemble de roches blanches marquant les premiers niveaux du faciès corallien placés au-dessus de l'Oolithe ferrugineuse (contact visible quelques dizaines de mètres avant le parking : calcaire siliceux granuleux gris clair surmontant les niveaux ferrugineux). De gros blocs d'éboulis accumulés au pied de l'endroit dissuadent de s'en approcher de trop près. Les roches affleurantes forment une série de 4 ensembles stratifiés superposés (fig.9); de la base au sommet, au-dessus de la pente d'éboulis :
- calcaire siliceux grumeleux bioturbé à coraux lamellaires (env. 1m ; niveau 1 fig.9) ;
- calcaire compact siliceux à coraux lamellaires (30-40 cm ; niveau 2a fig.9) ;
- calcaire compact micritique à pellets (?) et entroques (30-40cm ; niveau 2b fig.9) ;
- calcaire massif très dur bioclastique à entroques (radioles d'oursins) formant une barre bien individualisée (1 m; niveau 3 fig.9) et dont le sommet présente une surface rubéfiée.
Les niveaux sus-jacents sont peu visibles et se présentent sous la forme de calcaires mal stratifiés mélangés à la terre du sol.


Fig.9 : Les premiers niveaux "coralliens"

En comparaison avec d'autres sites proches (nouvelle carrière de Senonville) ayant fait l'objet d'études récentes (Carpentier et al. 2007), ces niveaux constituent la base des formations récifales de l'Oxfordien moyen. Il pourrait s'agir d'équivalents latéraux des formations surmontant l'Oolithe ferrugineuse dans la carrière de Senonville : Oncolithe de Senonville (équivalent du Complexe récifal inférieur : Marnes et Calcaires à coraux de Foug) et Entroquite de Lérouville (absente ou non affleurante ici).

Des formations récifales construites (biohermes) se rencontrent près du sommet, peu après avoir commencé la descente du versant sud de la côte : un affleurement conséquent montre depuis la base, sur une épaisseur de 2-3 mètres des constructions coralliennes en forme de dômes, surmontées de bancs plus ou moins stratifiés de calcaire à coraux lamellaires (fig.10).
Il s'agit des niveaux les plus élevés et les plus récents rencontrés sur ce site. Ces faciès récifaux rappellent celui des calcaires construits coralliens du Complexe récifal supérieur d'âge Oxfordien moyen que l'on rencontre à Saint-Mihiel (cf. fiche correspondante ; Lathuilière et al. 1994).


Fig.10 : Récifs coralliens

Le long du chemin descendant le versant sud, on retrouve successivement la base des niveaux coralliens, l'Oolithe ferrugineuse puis les Terrains à Chailles. Les Argiles de la Woëvre n'affleurent pas sur ce versant.

Le chemin forestier débouche sur une prairie avec étangs et le ruisseau des Bons Prés puis rejoint la route D162 entre Varvinay et Savonnières-en-Woëvre.

Les paléoenvironnements correspondant aux formations rencontrées ont été proposés par Carpentier et al. (2007) :

- Les Argiles de la Woëvre forment une épaisse série (jusqu'à 200 m d'épaisseur) débutant au Callovien et s'achevant à l'Oxfordien inférieur. Elles recèlent une faune dominée par les organismes à mode de vie pélagique (ammonites). Bien qu'absents dans les niveaux étudiés, certains fossiles de cette formation sont parfois pyritisés (ammonites des gisements du Callovien supérieur d'Ecrouves près de Toul- cf. fiche correspondante). Ces caractéristiques et l'absence de structures sédimentaires traduisent un milieu de sédimentation profond, peu oxygéné et situé en-dessous du niveau des vagues de tempêtes (offshore inférieur).

- Les terrains à Chailles correspondent à des calcaires gris micritiques ayant subi une silicification diagénétique affectant la matrice micritique et les coquilles des fossiles. La faune benthique est prédominante et la bioturbation fréquente, ce qui traduit un milieu calme bien oxygéné. Les coquilles de bivalves peuvent parfois être dissociées et associées à des rides de vagues, indiquant l'existence d'épisodes hydrodynamiques agités (tempêtes). Le paléoenvironnement correspondant aux terrains à Chailles serait donc de type offshore supérieur.

- L'Oolithe ferrugineuse de Senonville est constituée d'oncoïdes ferrugineux d'origine biologique (cyanobactéries et nubéculaires). Le faciès peut être argileux ou calcaire à texture packstone/grainstone. Il s'agirait de dépôts formés soit au-dessus du niveau des vagues de beau temps (shoreface - dépôts calcaires), soit plus profond, au-dessus du niveau des vagues de tempêtes (offshore supérieur - dépôts argileux).

- Les faciès coralliens (Complexe récifal inférieur) surmontant l'Oolithe ferrugineuse sont peu développés et caractérisés par la présence de coraux lamellaires pionniers qui nécessitent généralement des conditions d'éclairement suffisantes. Le milieu de formation pourrait alors correspondre à un environnement situé en-dessous de la zone d'action des vagues de tempêtes (profondeur comprise entre -70 et -30 mètres suivant la turbidité des eaux ; Lathuilière et al. 2005).
Les constructions coralliennes récifales du sommet de la série (Complexe récifal supérieur) suggèrent un environnement encore moins profond (zone en-dessous du niveau des vagues de beau temps, à l'abri d'apports terrigènes).
Entre les deux formations, la Pierre d'Euville-Lérouville bien développée dans la carrière de Senonville, semble très réduite ici (niveau 3 fig.9 ?). La surface rubéfiée observée au sommet du banc à entroques (fig.9) pourrait marquer un des épisodes d'exondation qui affecte la plate-forme au cours de l'Oxfordien moyen, en conséquence d'une baisse du niveau marin relatif.

L'ensemble de la série étudiée permet d'illustrer trois faits marquants dans l'évolution des milieux de sédimentation au cours du temps, au début du Jurassique supérieur :

1. Après la mise en place des formations récifales et lagunaires sur la plate-forme carbonatée développée au Bajocien-Bathonien, la Lorraine enregistre un changement d'environnement à partir du Callovien : le dépôt des Argiles de la Woëvre marque un approfondissement du milieu accompagnant une transgression marine. Le remplissage progressif du bassin par les sédiments impose une tendance bathydécroissante au cours du temps jusqu'à la base de l'Oxfordien moyen (Oolithe ferrugineuse).

2. Un nouvel épisode transgressif lié à des mouvements tectoniques distensifs (réactivation de failles hercyniennes) est à l'origine d'un approfondissement du milieu au moment de la mise en place des premiers faciès coralliens qui annoncent la réinstallation d'une plate-forme carbonatée (Complexes récifaux inférieur et supérieur) pendant l'Oxfordien moyen.

Cependant, dans le secteur de Senonville, les effets de la transgression oxfordienne se font moins sentir (constructions récifales absentes ou d'importance modeste) qu'ailleurs plus au sud (Toul) ou plus au nord (Verdun) dans la région. La zone de Senonville constituait en effet un haut fond généré par la réactivation, au cours de l'Oxfordien, de failles satellites de la faille de Metz traversant la Woëvre à cet endroit (Carpentier et al. 2007). L'épaisseur limitée du Complexe récifal inférieur constatée ici semble concorder avec cette interprétation.

3. A l'issue de la mise en place du Complexe récifal inférieur, la plate-forme subit les conséquences d'une baisse du niveau marin marquée par le dépôt de dunes sableuses à très faible profondeur (Pierre d'Euville) comblant les dépressions topographiques, d'une part, et, la présence de hard grounds au sommet des bancs les plus proches de la surface, d'autre part.
Une nouvelle hausse du niveau marin est responsable d'une autre transgression favorable au retour des récifs coralliens (Complexe récifal supérieur) sur une plate-forme nivelée.

Bibliographie

Carpentier C., Lathuilière B., Ferry S. et Sausse J. (2007) - Sequence stratigraphy and tectonosedimentary history of the Upper Jurassic of the Eastern Paris Basin (Lower and Middle Oxfordian, Northeastern France). Sedimentary Geology 197, 235–266.

Enay, R., Boullier, A. (1981) - L'âge du complexe récifal des Côtes de Meuse entre Verdun et Commercy et la stratigraphie de l'Oxfordien dans l'est du Bassin de Paris. Geobios 14 (6), 727–771.

Humbert, L. (1971) - Recherches méthodologiques pour la restitution de l'histoire bio-sédimentaire d'un bassin ; L'ensemble carbonaté oxfordien de la partie orientale du bassin de Paris. Ph.D Thesis,
University of Nancy, France.

Lathuilière B. (2008) - Eastern Paris Basin in Pienkowski, G. & Schudack, M. E. et al.: Jurassic, p.823-922. in Mc Cann T. "The geology of central Europe. Vol. 2: Mesozoic and Cenozoic", Geological Society, London, 858-854.

Lathuilière B., Gaillard C., Habrand N., Bodeur Y., Boullier A., Enay R., Hanzo M., Marchand D., Thierry J. et Werner W. (2005) - Coral zonation of an Oxfordian reef tract in the northern French Jura. Facies 50, p. 545-559.

Lathuilière B., Geister J. et Chalot R. (1994) - Les environnements coralliens de l'Oxfordien en Lorraine. Congrès Lorraine APBG. Livret d'excursion.

Maubeuge, P.L. (1962) - Carte géologique de la France, feuille de St-Mihiel. BRGM, Orléans.

Poirot, E. (1987) - Le Terrain à chailles (Oxfordien inf. et moyen) du Toulois (Lorraine). DES Thesis, University Henri Poincaré, Nancy, France.



Auteur : Didier ZANY - Date de création : 17/07/2009

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