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Argiles du Callovien supérieur à Ecrouves : 3. Description

Description des affleurements

Les Argiles de la Woëvre du Callovien (fig.2) sont peu accessibles à l'affleurement. Elles constituent le soubassement de la Côte de Meuse et sont généralement recouvertes par les éboulis au pied des côtes. Elles forment également le sous-sol de la Plaine de la Woëvre, entre Côte de Meuse à l'ouest et Côte de Moselle à l'est ; là, absence de relief et altération expliquent le manque d'affleurements.
 


Fig.2 : Position stratigraphique des terrains affleurant à Ecrouves
 
 
Plusieurs affleurements sont toutefois concentrés au pied de la Côte de Meuse ou de ses buttes-témoins (Côte Barine et Mont Saint-Michel) autour de la ville d'Ecrouves à l'ouest de Toul. Ecrouves est un bourg étiré (village-rue) le long de l'ancienne vallée qu'empruntait la Moselle lorsqu'elle s'écoulait vers la Meuse avant sa capture par la Meurthe. Aujourd'hui cette vallée est occupée par un ruisseau, l'Ingressin, et traversée par le Canal de l'Est (fig.1). L'absence de formations superficielles épaisses (alluvions et colluvions) et un relief un peu plus marqué qu'ailleurs créent un contexte géomorphologique favorable pour la mise à l'affleurement des Argiles de la Woëvre (l'activité humaine ayant fait le reste) dans le secteur d'Ecrouves.
Ces affleurements demeurent limités dans l'espace et dans le temps. Les roches argileuses tendres et imperméables constituent un milieu humide favorable pour l'installation prompte d'un peuplement végétal ; aussi en l'absence de défrichage régulier, ces affleurements disparaissent assez rapidement (quelques années) sous une dense couverture végétale.

- Le site n°1 situé à proximité du centre pénitentiaire était jusqu'en 2011 le plus accessible avec un groupe et le plus favorable à l'observation et à la collecte d'échantillons pétrographiques ou de fossiles pyritisés. Le long du talus qui descend depuis le terrain de football, affleurait sur 4 à 5 mètres d'épaisseur une série homogène de roches argileuses de couleur grise, parcourues de fentes de dessication en période sèche (fig.3). Par endroits, débris d'origine anthropique et graviers alluvionnaires sont mêlés aux argiles. Malheureusement, ce site est actuellement (fin 2012) entièrement végétalisé et il ne subsiste que de rares plaques d'argiles affleurantes.
 


Fig.3 : Affleurement des Argiles de la Woëvre près du centre de détention d'Ecrouves (site n°1)

Les fossiles pyriteux, de petite taille (plurimillimétriques à centimétriques) le plus souvent, sont relativement abondants. Ils apparaissent en surface, dégagés de leur gangue argileuse sous l'action du ruissellement des eaux de pluie (fig.4).
 
 
Fig.4: Fossiles pyritisés dégagés par les eaux de pluie
(noter également la présence de fentes de dessication dans le matériau argileux)

 

On trouve principalement des tours internes d'ammonites (fig.5: Hecticoceratinae (B), Kosmoceratidae (C), Perisphinctidae (D), Peltoceratinae (E), ...), bélemnites et bivalves divers dont Gryphaea aff. dilatata Sow. D'autres objets apparemment dépourvus de squelette minéral sont présents en assez grande quantité. Il s'agit d'éléments de deux types ressemblant soit à des structures hémi-cylindriques aplaties réticulées (fig.5 K et fig.10), soit à des sortes de pelotes d'aspect fibreux, en forme de tonneau, fixées ou enroulées autour une tige droite (fig.5 H à J et fig.11). Il pourrait s'agir de traces d'activité biologique (= ichnofossiles) laissées par les "griffes" d'organismes fouisseurs ou alors de fossiles incertae sedis (= position systématique incertaine).

 

La faune d'ammonites permet d'attribuer un âge Callovien supérieur (sommet de la zone à Athleta ?) à ce gisement (fig.6A et B).

A noter également, la présence de cristaux de gypse secondaire en amas pluricentimétriques, assez fréquents.

Les lavages d'argiles (échantillons des sites n°1 et de la zone commerciale) ont révélé une microfaune assez riche et assez bien diversifiée: foraminifères du genre Lenticulina, ostracodes (plusieurs genres dont Nophrecythere), gastéropodes, ossicules d'ophiures et radioles d'oursins. Ces organismes sont considérés comme vivant sur le fond (= benthos) et possédant, pour certains, un régime alimentaire nécrophage ou détritivore (Bignot 2001).

 


Fig.5: Fossiles récoltés dans les Argiles de la Woëvre (site n°1)
(A: bélemnite g. Hibolites; B à F: ammonites pyriteuses; G: bivalve (Limidé ind.); H à I: ichnofossiles ou fossiles incertae sedis ?)

 

La visite du site n°1 peut être complétée par une observation du paysage de côtes depuis la table d'orientation du plateau d'Ecrouves. Juste au-dessus du parking, en direction du nord, à droite du chemin qui conduit au fort d'Ecrouves, le front de taille d'une ancienne carrière (presqu'entièrement comblée) permet d'observer les calcaires blancs coralliens de l'Oxfordien moyen qui constituent le sommet des Côtes de Toul. La transition avec les formations sous-jacentes, Terrains à Chailles de l'Oxfordien inférieur puis Argiles de la Woëvre du Callovien supérieur, n'est cependant pas observable le long de la route qui mène au sommet du plateau.

 

- Le site n°2 est actuellement sis sur un terrain communal. Cette zone constituait à l'origine une ancienne marnière qui fut par la suite transformée en décharge avant que les lieux ne soient réhabilités. Actuellement le site n°2 est presqu'entièrement végétalisé (friches et prairie) et son accès interdit au public (espace clôturé). Sa description est motivée par le caractère "historique" du site de l'ancienne marnière mentionnée et étudiée par d'illustres géologues régionaux (Nicklès 1898 ; Maubeuge 1950). Une sortie sur le site avec un groupe d'élèves ne se justifie pas en raison de la piètre qualité des affleurements.
C'est le long du talus, d'une hauteur de plus de 10 mètres, jouxtant la voie ferrée, que les Argiles de la Woëvre affleurent par "plaques", de plus en plus rares au fil des années, disséminées au sein de la végétation constituée principalement de ronces ou de roseaux. Seule une série argilo-marneuse est visible, sans contact avec d'autres formations. On observe deux "faciès" affleurant sur les cinq derniers mètres du sommet de la coupe :
 
1. des argiles marneuses de couleur rose ou vert-d'eau non fossilifères ;

2. des argiles grises, virant parfois au vert-olive, fossilifères, apparemment situées au-dessus des premières (les conditions d'affleurement ne permettent pas de suivre en continuité la lithostratigraphie).

Les fossiles récoltés en surface sont, pour la plupart, pyritisés et un peu différents de la faune du site n°1 (fig.5). Bien que plus diversifiée (petites ammonites sphaerocônes et genre Horioceras présents - fig.6), la faune d'ammonites indique un âge similaire, Callovien supérieur (présence des genres Kosmoceras et Peltoceras - fig. 7 et 8), mais peut-être un autre horizon pour ce gisement. Quelques spécimens d'ammonites généralement inféodées aux milieux profonds ouverts (type bassin) ont été récoltées: Phylloceratidae (ammonites caractéristiques du domaine téthysien) et Lytoceratidae (fig.9).
 

Fig.6 : Ammonite du genre Horioceras caractérisé par la présence
de deux rangées de tubercules latéraux épineux à proximité du bord ventral



Fig.7 : Ammonites du genre Kosmoceras (K. aff. spinosum) ornée de côtes sinueuses
et de plusieurs rangées de tubercules (2 spécimens)




Fig.8 : Tour interne d'un
Peltoceratinae,
à tubercules latéraux (morphe de type
Peltoceras athleta)
 
Fig. 9: Phylloceratidae et ses lignes de sutures caractéristiques (A) et Lytoceratidae (B)

 

 

- Le site n°3 est un talus en bordure de route (D908) et de chemin, situés sur le flanc ouest du Mont Saint-Michel, à la sortie d'Ecrouves en direction du village de Bruley. On trouve une coupe de 4 à 5 mètres d'épaisseur montrant des argiles de couleur kaki affleurant sous une végétation de plus en plus dense au cours du temps. Le chemin qui part en direction du Mont-Saint-Michel permet d'échantillonner sans danger, à l'abri de la circulation. La formation est peu fossilifère (un aptychus d'ammonite récolté - fig.10). En 2016, cet affleurement était complètement végétalisé.
 

 


Fig.10 : Aptychus, pièce calcaire paire formant une sorte d'opercule
sur l'ouverture de la coquille d'une ammonite (site n°2)

 

- Le dernier affleurement d'Argiles de la Woëvre décrit ici, localisé sur la zone commerciale d'Ecrouves, est un talus, de 5 à 10 mètres de haut, contournant le magasin de bricolage (fig.11). On y observe une série d'argiles bleues, brunes ou vert-olive sans figures sédimentaires remarquables. La formation argileuse est couronnée par des dépôts d'alluvions (galets et graviers) ou des remblais d'origine anthropique. Fin 2012, ce site constituait le meilleur affleurement d'Argiles de la Woëvre connu à Ecrouves. En 2018, les talus ont été en partie bâchés et les surfaces d'affleurements se sont considérablement réduites.

 


Fig.11 : Affleurement des Argiles de la Woëvre sur la zone commerciale d'Ecrouves
 
Des fossiles, le plus souvent pyritisés, sont répartis sur toute l'épaisseur de la coupe. Ce sont les mêmes que ceux trouvés sur le site n°1 : gryphées et autres bivalves, bélemnites, ammonites (peu nombreuses) dont un Horioceras, bois fossilisé et les ichnofossiles supposés (ou fossiles incertae sedis - fig.12 et 13). Des cristaux de gypse, vraisemblablement d'origine secondaire, sont également présents.

 



Fig.12 : Ichnofossile indéterminé (ou fossile incertae sedis ?), formé d'un tube creux ou hémi-cylindre aplati, fréquent dans les argiles calloviennes d'Ecrouves (site n°3)


 
Fig.13: Autre ichnofossile indéterminé (ou fossile incertae sedis?) du site n°3 en forme de pelote, fixée autour d'une tige centrale (= terrier ?) - même spécimen vu de dessus / dessous (clichés latéraux) et en vue latérale (cliché central)


Paléoenvironnements et contexte paléogéographique

La totalité de la formation des Argiles de la Woëvre correspond à une épaisse série à dominante argileuse (jusqu'à 250 m de puissance ; Pautrot et al. 2006), d'âge Callovien-Oxfordien inférieur, qui s'étend en Lorraine centrale depuis les Ardennes au nord jusqu'à Neufchâteau au sud. Dans la région de Toul, leur épaisseur varie de 140 à 160 m (Flageollet et al. 1985).

La présence de sédiments fins (argiles) et d'organismes marins pélagiques (ammonites et bélemnites), l'absence de structures sédimentaires particulières et le bon état de conservation des fossiles suggèrent un milieu de dépôt profond, calme et situé en-dessous du niveau d'action des vagues de tempête (= offshore inférieur; Carpentier et al. 2007). L'absence d'endofaune et la pyritisation constatée de certains fossiles indiquent des conditions réductrices à l'intérieur du sédiment. La présence d'organismes à mode de vie benthique (microfaune) laisse cependant supposer une oxygénation suffisante, au moins épisodiquement, des eaux juste au-dessus du fond marin.

Cette phase de sédimentation argileuse marque la fin de la période d'expansion et la disparition des plates-formes carbonatées qui s'étaient développées dans la région au cours du Jurassique moyen (Bajocien et Bathonien).
L'approfondissement du milieu lors du dépôt des Argiles de la Woëvre au Callovien est vraisemblablement à mettre en relation avec une subsidence accrue résultant de la réactivation de failles hercyniennes anciennes (faille de Vittel notamment), elle-même provoquée par des mouvements tectoniques générés lors de la phase de rifting de l'océan Ligure (= Alpin) téthysien méridional (Collin 2000 ; Vincent 2001 et Thierry 2006).

 

 

Bibliographie

Bignot G. (2001) - Introduction à la micropaléontologie. Bordas éd., Coll. Géosciences; 258 p.

Carpentier C., Lathuilière B., Ferry S. et Sausse J. (2007) - Sequence stratigraphy and tectonosedimentary history of the Upper Jurassic of the Eastern Paris Basin (Lower and Middle Oxfordian, Northeastern France). - Sedimentary Geology, n°197, p. 235-266.

Collin P.Y. (2000) - Environnements, géochimie et processus de formation des séries condensées au Callovo-Oxfordien : du bassin de Paris à des considérations globales. Thèse, Université de Bourgogne, Dijon, France.

Flageollet J.-C., Le Roux J. et Vincent P.-L. (1985) - Notice explicative de la feuille de Toul à 1/50 000. BRGM éd.

Lathuilière B. (2008) - Eastern Paris Basin in Pienkowski, G. & Schudack, M. E. et al. : Jurassic, p.823-922. in Mc Cann T. "The geology of central Europe. Vol. 2: Mesozoic and Cenozoic", Geological Society, London, 858-854.

Maubeuge P.-L. (1950) - Etude géologique sur la partie occidentale de la feuille de Toul au 1/50.000. Bull. Serv. Carte géol. Fr., n°231, t.XLVIII, p.77-83.

Nicklès R. (1898) - Sur le Callovien de la Woëvre. C.R. Acad. Sc., t.126, n°1, p. 362-364.

Pautrot C., Le Roux J. et Buffetaut E. (2006) - La plate-forme carbonatée du Jurassique moyen. in: Lexa-Chomard A. et Pautrot C. - Géologie et géographie de la Lorraine. Serpenoise éd., p. 112-117.

Thierry J. (2006) - Middle Callovian (157-155 Ma). in: Dercourt J., Gaetani M., Vrielynck B., Barrier E., Biju-Duval B., Brunet M.-F., Cadet J.-P., Crasquin S., Sandulescu M. e(eds.), Atlas Peri-Tethys, Commission de la Carte Géologique du Monde, Paris, p. 71-83.

Vincent B. (2001) - Sédimentologie et géochimie de la diagenèse des carbonates. Application au Malm de la bordure Est du Bassin de Paris. Thèse Université de Bourgogne, Dijon, France.
 
Voir aussi la contribution ORAGE (Observatoire régional des affleurements géologiques) :
A.S. PUTRA, I.S. SOUARE, B. LATHUILIERE (2015) - Ecrouves : Carrière de la Côte, Contribution ORAGE originale à la Banque de données du sous-sol  n°5.


 


Auteur : Didier ZANY - Date de création : 02/08/2009

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