Marnes irisées inférieures (Keuper) : 3. Description
La butte des Marnes irisées inférieures (coupe simplifiée).
Le chemin rural qui monte vers l'affleurement A, depuis la rue des Forgerons, traverse plusieurs niveaux caractéristiques des Marnes irisées inférieures. Ils se remarquent au sein des espaces herbeux plus ou moins clairsemés par leur coloration tantôt grise, tantôt rouge ou violacée et par une épaisseur variant de un à quelques mètres. Une analyse sera d'abord menée à l'échelle globale de ces unités, puis on s'intéressera aux séquences visibles de l'affleurement A et pour finir, seront exposés quelques faciès de roches susceptibles d'être rencontrés. L'histoire sédimentaire sera traitée dans l'annexe 2.
1) A l'échelle du gisement.
Le talus de la N61, côté est, (avant les travaux de mise à 2x2 voies entre A4 et Woustviller 2014), montrait une succession de niveaux pluri-métriques appartenant aux Marnes irisées inférieures du Keuper. De la base au sommet on observe essentiellement des marnes gris-beige dolomitiques à dolomie en plaquettes et silts indurés, des marnes argileuses brun-rouge à nodules (anhydrite en grains), traversées par endroits de fissures colmatées par un matériel cristallisé et enfin, sous le sommet, des marnes et dolomies en plaquettes de couleur grise.
Le talus routier côté ouest avec au premier plan son accotement provisoire (avant travaux). L'ensemble est vu depuis le haut du talus est, au printemps 2010. On aperçoit, dans la partie droite du cliché, des strates préservées par la couverture végétale (affleurement A) et à l'extrême droite, le débouché du chemin rural en provenance de la rue des Forgerons.
Les Marnes irisées inférieures (Formation de Grabfeld ou Gipskeuper des auteurs allemands) comprennent des séries répétées de plusieurs mètres à décamètres d'épaisseur, qu'il est possible de suivre sur de grandes distances (forages). Elles correspondraient à des cycles de sédimentation liés aux modifications de l'orbite terrestre (paramètres de Milankovitch). Toutefois l'attribution d'une durée précise se heurte au manque de repères chronologiques : rareté des fossiles, existence de lacunes de dépôt. La formation date de la fin du Ladinien-début Carnien.
2) A l'échelle de l'affleurement A.
L'affleurement A, de taille modeste, environ 5 mètres sur 2 mètres, présente une alternance de bancs argileux ocres et violacés et de marnes dolomitiques claires, chaque unité étant épaisse de quelques décimètres. Alors que les niveaux clairs révèlent une stratification fine, les argiles ocres se présentent en masse plus compacte au premier abord.
Les cycles décrits précédemment sont formés d'un ensemble d'unités plus petites, qualifiées de cycles élémentaires de dépôt ou séquences événementielles, épaisses le plus souvent de quelques décimètres. Une telle séquence comprend deux phases de formation qui correspondent à la sédimentation dans un contexte de playa/sebkha. On entend par playa un bassin continental fermé de type lac, occupé par des eaux peu profondes, pendant un temps limité. Le climat aride à semi-aride favorise une évaporation intense et une circulation d'eaux capillaires sous la surface des dépôts. Le terme de sebkha s'applique à des lagunes de plaine côtière temporairement envahies par la mer.
La première phase correspond à la période où la playa/sebkha est remplie d'eaux saumâtres. Il peut s'agir d'eaux continentales ou d'eau marines, ce qui est souvent le cas à la base de la formation des Marnes irisées. Pour cette raison, le terme de sebkha sera utilisé par la suite.
La deuxième phase se déroule lors de l'asséchement de la lagune, c'est la sebkha sèche. L'eau présente un certain temps encore sous la surface va circuler par capillarité au sein des sédiments.
Vue rapprochée de la partie inférieure de l'affleurement : on remarquera dans le bas, une série où alternent des strates marneuses grises partiellement altérées et de fines lamines gypseuses. Elle est coiffée d'un niveau argileux violet. Une nouvelle série marno-gypseuse claire leur fait suite, surmontée à son tour par des argiles ocres. Le passage entre une unité claire et une unité sombre présente un ensemble de convolutions au niveau des colorations.
Pendant la phase d'inondation du bassin et dans la période qui va suivre, vont sédimenter successivement sous une faible tranche d'eau, des argilites et silts, puis des dolomies argileuses et des dolomies sulfatées en fines lamines. A ce stade, un premier asséchement peut se produire dans la partie la moins profonde du lac, les saumures salées sont alors confinées dans les parties basses et pourront donner lieu à un dépôt de sel. Le sommet des sédiments de cette phase présente souvent des structures qui résultent de la fissuration d'une croûte en multiples polygones aux bords relevés ( figures appelées "tepees").
Pendant la phase d'émersion, les dépôts de particules argileuses restent possibles sous forme d'épandages fluviatiles temporaires et sous forme de matériel éolien provenant de la déflation de zones exposées. Ce matériel est soumis à l'oxydation. Sous l'effet de l'évaporation intense, les eaux souterraines remontant par capillarité, abandonnent leur charge minérale. Celle-ci précipite sous forme de concrétions, qui sont à l'origine de niveaux de nodules de sulfates et de paléosols à crôute carbonatée (aridisols). Avec le retour d'un stade d'inondation, le sommet de cette phase est souvent tronqué par la séquence suivante.
Vue rapprochée de la partie moyenne de l'affleurement : la série de marnes argileuses rouges est parcourue par un réseau de fissures remplies d'une fraction cristalline. Une première fissure est visible au centre, une autre sur la droite. Les plans de couleur brun-rouille correspondent à d'autres fissures orientées de façon approximativement perpendiculaire aux précédentes.
La série de marnes grises et sulfates montre de fins lits blancs d'anhydrite en voie de transformation en gypse. Au voisinage des fissures une légère voussure apparaît.
Au cours de l'ère secondaire, les Marnes irisées inférieures ont subi une pression de consolidation importante sous un ensemble sédimentaire épais d'environ 500 mètres. Cette étape a permis la transformation du gypse initial en anhydrite par déshydratation. Ramenées plus tard, dans des conditions voisines de la surface, ces roches subissent une décompression et une hydratation (gypsification accompagnée d'un gonflement) à l'origine de déformations. Les lamines de gypse peuvent alors prendre un aspect contourné. Des fissures apparaissent et subissent un remplissage de gypse lié à la circulation des fluides. Enfin, lorsque cette circulation est importante, dans les conditions proches de l'affleurement, le gypse est progressivement entrainé. Il en résulte une diminution de l'épaisseur globale de la série.
3 ) A l'échelle des échantillons.
Nodule de sulfates. En surface, au contact des marnes, le rognon présente un aspect caverneux. La section (à droite) présente des amas de grains blancs ou roses d'anhydrite cristallisée dans le faciès en grillage dit "chiken wire". Localement, des cavités tapissées de minuscules cristaux de gypse traduisent un début de dissolution.
Des nodules de gypse se forment au sein des marnes par percolation de saumures qui abandonnent leur charge minérale sous forme de croûte plus ou moins discontinue. Au cours de la diagenèse, des agrégats de grains résultent d'une phase de recristallisation du gypse sous forme d'anhydrite. Celle-ci repousse à son contact les éléments détritiques (argiles) créant une structure en "grillage" ou en mosaïque. La dissolution ultérieure des sulfates est responsable de l'apparition de cavités et de l'aspect cloisonné visible ici, en surface. Certaines figures ont conservé la forme des cristaux de gypse initial (pseudomorphoses).
L'élément caractéristique de la série des marnes iriséees inférieures est cependant constitué par les marnes à pseudomorphoses de sel. L'échantillon présente le moulage d'un cristal de forme cubique, ainsi que des arêtes et des sommets d'autres cristaux visibles en lumière rasante.
Les pseudomorphoses de sel désignent des reliefs cubiques de matériel détritique très fin, aux facettes souvent en creux, qui se développent le plus souvent à la base de lits silteux. Les cristaux de sel sont issus de l'évaporation par ascension capillaire de solutions salées à la surface de la sebkha asséchée. Avec le retour du stade de lagune, les cristaux sont recouverts par les sédiments puis dissous par les eaux plus diluées. Dans le même temps leur emplacement est occupé par des sédiments fins. Il s'agit donc d'une fossilisation.