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Roises de Lucey : 3. Description

Dans ce jardin situé à proximité de Lucey, des roises ont été conservées. Il s’agit de trous d’environ deux mètres de diamètre creusés dans les argiles calloviennes, remplis d’eau et dans lesquels on faisait rouir le chanvre. Cette opération consiste à immerger pendant une quinzaine de jours les gerbes de chanvre pour isoler les fibres de l’écorce de la tige, en décomposant la matière gommeuse. Chaque famille du village en possédait une. Le parcours est agrémenté de petites devinettes culturelles sur les arbres du parc (fig.4).


Fig.4: Un exemple de devinette jalonnant le parcours (photo BRGM)

La culture et l'utilisation du chanvre

Le chanvre est une plante arbustive annuelle, naturellement dioïque (pieds mâle et femelle distincts) de la famille des Cannabinacées ou Cannabacées. Le chanvre industriel cultivé en France est une variété rendue monoïque à l'issue d'une sélection génétique.

La famille des Cannabinacées comporte deux espèces. Le chanvre d'intérêt agricole appartient à l'espèce Cannabis sativa L. qui produit de grandes tiges dressées de plus de trois mètres de haut. Ses feuilles palmées dentées (fig.5) sont devenues une icône associée à l'autre espèce, Cannabis indica Lam. ou chanvre indien, connue pour ses effets psychotropes. Les deux espèces de cannabis diffèrent par leurs teneurs en substances actives hallucinogènes, le THC (tétrahydrocannabinol). Dans la variété autorisée à être cultivée, la teneur en THC ne peut excéder 0,2% (% de matière sèche) alors que dans le chanvre indien, dont la culture est interdite en France, cette teneur varie entre 10 et 20 %.


Fig.5: Pied de Cannabis sativa (© John Hilty - Illinois Wildflowers)

Le chanvre est une plante originaire d'Asie centrale. Il était probablement cultivé en Chine il y a 10000 ans (il s'agit d'une des plus anciennes plantes cultivées par l'Homme).

Traditionnellement, le chanvre est utilisé pour :
  • sa tige qui fournit des fibres textiles pour les cordages, des ficelles, des voiles, des vêtements, du linge de maison ou encore de la pâte à papier ;
  • ses feuilles pour se soigner ;
  • ses graines pour se nourrir.
Plus récemment, d'autres utilisations de la tige de chanvre ont vu le jour :
  • la chènevotte ou partie ligneuse de la tige constitue un matériau très absorbant utilisé pour le paillage en horticulture, la litière des chevaux et des petits animaux de compagnie ou encore comme isolant thermique ajouté dans certains bétons ;
  • les fibres formant la partie périphérique de la tige servent à la production de pâte à papiers spéciaux haut de gamme (papier monnaie ou de type "bible"), comme isolant dans le bâtiment ou encore en plasturgie, comme élément de matériaux composites thermoplastiques en remplacement de la fibre de verre pour l'industrie automobile par exemple ;
  • la poudre organique issue du défibrage possède également un pouvoir absorbant très important qui justifie son emploi comme litière pour chats et en agriculture comme poudre d'amendement organique et compost.
Les fruits de chanvre (fig.6), appelés chènevis, sont des akènes contenant des graines oléagineuses qui fournissent une nourriture pour oiseaux ou des appâts pour la pêche.
Ces graines sont également utilisées en cosmétique et pour l'alimentation humaine (huile riche en oméga 3).


Fig.6: Chènevis

La taille (3 à 4 mm) et la forme sphérique des graines de chanvre sont à l'origine du nom donné à une formation géologique du Bajocien en Lorraine : l'Oolithe Cannabine. La roche caractéristique de cette formation correspond à une rudite calcaire dont l'aspect des grains, des oncoïdes à nubéculaires, rappelle celui des fruits du chanvre.

En France, en raison des besoins de la marine (voilure des bateaux) et de l'industrie papetière, l'âge d'or de la production de chanvre se situe du XVIIIème siècle jusqu'au milieu du XIXème siècle : en 1840, 176 000 ha de terres sont consacrés à la culture de cette plante.

Avec la concurrence des fibres synthétiques et du coton, le déclin du chanvre s'amorce au cours du XXème siècle (700 ha cultivés dans les années 60). En Lorraine la culture chanvrière stoppe progressivement à la fin du XIXème siècle.

Malgré ce recul, la culture du chanvre ne disparaît pas complètement en France, elle reste notamment présente dans les départements de la Sarthe et de l'Aube.

De nouvelles utilisations des fibres ont permis une recrudescence de la culture du chanvre industriel depuis les années 70. En 2006, les surfaces en chanvre atteignaient 8 083 ha pour 1 056 producteurs (cultures industrielles et semences comprises), ce qui fait de la France, le premier producteur européen.

En Lorraine, le chanvre était cultivé sur des terres de bonne qualité spécialement réservées à cette pratique et désignées sous le nom de chènevières ou chanvrières.

Les semis étaient réalisés à la fin du mois de mai et les récoltes se faisaient en deux fois, deux à trois mois après (les pieds mâles mûrissant plus vite que les pieds femelles).

Après la récolte, on laissait le chanvre rouir, c'est-à-dire séjourner dans l'eau des rivières. A partir de 1738, un arrêté du Conseil Royal des Finances et du Commerce interdit cette pratique dans les rivières poissonneuses pour éviter toute contamination. Les habitants creusent alors des trous utilisés spécifiquement pour le rouissage: c'est l'origine des roises.
En raison des odeurs gênantes générées par la décomposition, ces trous étaient éloignés des habitations, à la sortie des villages. A Lucey, leur implantation sur les terrains argileux imperméables du Callovien (formation des Argiles de la Woëvre) permettait aux roises de rester constamment en eau. Bien que leur structure originelle ne soit plus visible aujourd'hui (fig.7), le fond de ces trous était pavé et un des côtés présentait une pente douce pour permettre le maniement du chanvre.


Fig.7: Les roises de Lucey (photo BRGM)

Le début de décomposition qui se produit lors du rouissage permet d'éliminer la gomme assurant la cohésion des fibres. Le chanvre devient ainsi possible à travailler.
Le chanvre roui, humide et noirci, est ensuite étendu puis séché au soleil.
Après plusieurs manipulations de broyage et de nettoyage, le chanvre pouvait être filé pour former des bobines, à l'aide d'un rouet.

En Lorraine, les roises de Lucey, sont, en superficie, les plus importantes qui soient conservées (fig.8).


Fig.8: Plan des roises de Lucey (document CAUE - Nancy)


Aujourd'hui, les roises de Lucey sont toujours remplies d'eau dans laquelle s'est progressivement installée une végétation aquatique (potamots, lentilles d'eau, etc. - fig.9). On trouve également d'importantes colonies de prêles installées aux abords.


Fig.9: Une roise colonisée par les lentilles d'eau (photo BRGM)


Les travertins de la source des roises


La Côte de Meuse, qui entoure le village de Lucey, est constituée de formations carbonatées oxfordiennes (calcaires récifaux au sommet et terrain à chailles sous-jacents) reposant sur les argiles calloviennes de la plaine de la Woëvre qui s'étendent vers l'est. Les terrains calcaires constituent des aquifères alimentant sources et cours d'eau qui naissent au pied de la Côte, au contact des Argiles de la Woëvre imperméables.

Dans ce contexte géologique, le site des roises est ainsi parcouru par un ruisseau dont la source se situe à une centaine de mètres en amont et en lisière de bois du côté sud de la route (fig.1).

La sortie à l'air libre de l'eau d'origine souterraine est soulignée par une petite arche en maçonnerie (fig.3). Les eaux du ru naissant à cet endroit, disparaissent ensuite progressivement par infiltration.
Une trentaine de mètres plus en aval, les eaux réapparaissent au niveau d'une résurgence. Celle-ci est matérialisée par une grille métallique verticale et un ouvrage en maçonnerie plus conséquent (fig.10A): l'eau se déverse ensuite dans une cuvette avant d'alimenter le ruisseau qui descend vers le site des roises (fig.10B).



Fig.10A: Sortie de l'eau à la résurgence de la source des roises


Fig.10B: Résurgence de la source des roises


La source des roises est une source pétrifiante, c'est-à-dire qu'à la sortie de l'eau se forment des roches carbonatées particulières appelées travertin ou tuf calcaire (bien que toujours utilisé, le terme de "tuf" devrait être proscrit puisque normalement réservé à des roches volcaniques).
Ces formations rocheuses sont bien visibles à l'emplacement de la résurgence.

Le travertin est un calcaire gris, beige ou rougeâtre, poreux et peu dense (fig.11). La surface d'un échantillon peut être parfois mamelonnée ou montrer des empreintes fossilisées de feuilles ou débris organiques divers.




Fig.11: Un échantillon de travertin des roises montrant son aspect poreux


Les travertins résultent d'une précipitation biochimique de carbonate de calcium qui s'opère lorsque des eaux souterraines enrichies en ions Ca2+ et HCO3- dissous se retrouvent à l'air libre.

Au cours de leur séjour dans le sol, les eaux d'infiltration se chargent en CO2 produit par les êtres vivants et l'activité microbienne édaphiques.

En terrain calcaire, comme c'est le cas du sous-sol de la Côte de Meuse autour de Lucey, l'enrichissement des eaux d'infiltration en CO2 est favorable à la dissolution des roches qu'elles traversent. La réaction suivante se produit alors:

CaCO3 (= roche carbonatée solide) + H2O (eau liquide) + CO2 (gaz) ----> Ca2+ + 2HCO3-

Cette dissolution est à l'origine de la minéralisation de l'eau qui se charge ainsi en ions calcium Ca2+ et hydrogénocarbonate HCO3-.

Une fois son trajet souterrain achevé, l'eau qui arrive à l'air libre, à l'emplacement d'une source, est plus riche en CO2 que l'air atmosphérique. Le CO2 est alors expulsé dans l'atmosphère jusqu'à ce que eau et air soient en équilibre. Ce dégazage de CO2 conduit à une inversion de la réaction précédente :

Ca2+ + 2HCO3- ----> CaCO3 (= roche carbonatée solide) + H2O (eau liquide) + CO2 (gaz)

Il en résulte une précipitation de carbonate de calcium sous la forme de dépôts "encroûtants" à l'origine des travertins.

Ces dépôts sont favorisés à des endroits où le prélèvement du CO2 de l'eau est particulièrement actif :
  • là où l'agitation de l'eau est importante comme au niveau d'une cascade (fig.12) ;
  • là où se développent des organismes tels que végétaux chlorophylliens hygrophiles (mousses et algues) ou cyanobactéries, dont l'activité biologique est consommatrice de CO2.


Fig.12: Petite "cascade" résultant d'un embâcle provoqué par une branche morte et sur laquelle se sont accumulés des dépôts carbonatés

Au cours du temps, lorsqu'elles ne sont pas détruites par l'érosion, ces formations carbonatées fragiles s'accumulent et peuvent édifier de véritables terrasses de travertins. Un de ces édifices (de taille modeste) est visible à l'emplacement de la résurgence de la source des roises.

Les dépôts de travertins forment des concrétions qui moulent les supports sur lesquels ils se sont mis en place. Lorsqu'il s'agit de mousses (fig.13), la décomposition post-mortem du végétal laisse place à des cavités résiduelles : c'est l'origine de la porosité caractéristique des travertins (fig.14).


Fig.13: Mousses
(espèce indéterminée) recouvertes de dépôts carbonatés


Fig.14: Des mousses installées sur un travertin formé à l'emplacement de colonies plus anciennes aujourd'hui disparues.

Les dépôts encroûtants dus à l'activité des cyanobactéries conservent souvent la forme des objets moulés dont on peut ainsi reconnaître l'origine : brindille, feuille d'arbre, coquille de noix ou d'escargot (fig.15 à 17)... Lorsqu'ils sont suffisamment anciens, les encroûtements élaborés par les cyanobactéries se distinguent par leur structure laminée et concentrique comparable à celle des stromatolithes et/ou des oncolites.
On peut récolter ce type de concrétions sur le fond du ruisseau là où l'agitation de l'eau est moindre.


Fig.15: Brindilles et leur gangue carbonatée résultant d'une activité microbienne (cyanobactéries)


Fig.16: Début d'encroûtement carbonaté d'une feuille de saule


Fig.17: Début d'encroûtement carbonaté d'une coquille d'escargot (genre Discus ?)


Références documentaires
  • Sur le chanvre:
Site du Conseil des Musées de Poitou-Charentes : http://www.alienor.org/ARTICLES/cordes/index.htm - dossier "du chanvre à la corde".

Site commercial de la Chanvrière de l'Aube : http://www.chanvre.oxatis.com - dossier sur les diverses utilisations du chanvre industriel.

Site d'un organisme indépendant de professionnels du bâtiment CenC (Construire en Chanvre): http://www.construction-chanvre.asso.fr/ - informations sur l'utilisation du chanvre dans le bâtiment.

Site Encyclopedia of Life : http://www.eol.org/pages/72695 - données biologiques et images libres de droit pour le genre Cannabis.

Site de l'INRA : http://www.inra.fr/presse/plastiques_composites - informations sur l'utilisation du chanvre en plasturgie.

Site de l'Institut Technique du Chanvre (organisation interprofessionnelle) : http://www.institutduchanvre.org/accueil - informations essentielles, animations, documents à télécharger sur la filière chanvre.

Site de la Maison de la Polyculture de Lucey : http://www.maisondelapolyculture.fr - liste des activités proposées et présentation du Jardin d'eau des Roises.

Site du Conseil Général de la Sarthe : http://www.sarthe.com/chanvre/epopee1.htm - dossier sur l'historique de la culture du chanvre en France

Site de l'Université Pierre et Marie Curie de Paris - UFR des Sciences de la Vie : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/textiles/11-chanvre-historique.html - un dossier scientifique sur les textiles d'origine végétale (y compris le chanvre).

Parc Naturel Régional de Lorraine et Maison de la Polyculture (1998) - Gestes et Métiers dans le Toulois - Dossier pour l'enseignant - 26 p. + annexes.

Rapport sur le rouissage de Lavoisier (1788) : http://www.lavoisier.cnrs.fr/ice/ice_page_detail.php?lang=fr&type=text&bdd=lavosier&table=Lavoisier&bookId=390&typeofbookDes=Memoires&pageOrder=1&facsimile=off&search=no

  • Sur les travertins :
Site Hydroval en collaboration avec l'Université de Provence et la Réserve Géologique de Haute-Provence: http://hydroval.free.fr/ - présentation d'une étude hydrogéologique de la source pétrifiante St-Benoît et de sa valorisation pédagogique.

Site "Planète Terre" de l'Ecole Nationale Supérieure de Lyon: http://planet-terre.ens-lyon.fr


Auteur : Didier ZANY - Date de création : 26/10/2010

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