SVT Lorraine > Géologie Lorraine > Circuit autour de Liverdun >

Circuit autour de Liverdun : 3. Description

Description des affleurements

Le site de Liverdun offre la possibilité de reconstituer la succession des terrains qui forment la Côte de Moselle, traversée à cette endroit par la Moselle, en amont de la confluence avec la Meurthe.
En effet, les falaises creusées par le cours d'eau, ainsi que celles aménagées par l'Homme lors de la construction du canal de la Marne au Rhin, présentent des affleurements qui permettent d'observer la quasi totalité des formations bajociennes du Jurassique moyen (fig.3).
 

Fig.3 : Position stratigraphique des terrains présentés (âges en millions d'années à gauche)

La description des sites et affleurements suit l'ordre stratigraphique, des terrains les plus anciens aux terrains les plus récents.
 
1. Ancien tunnel du canal de la Marne au Rhin (entrée amont - ouest)

La canal de la Marne au Rhin, aujourd'hui disparu, fut mis en service à partir de 1853 et utilisé jusque dans les années 1970. Il permettait de relier Paris et le Nord de la France à l'Alsace, le Rhin et l'Allemagne (Jacques 2005). A Liverdun, ville située sur le tracé du canal, la situation géographique (méandres de la Moselle et éperon rocheux) impose le passage souterrain du canal dans un tunnel long de 500 mètres, creusé à l'aplomb du promontoire de la cité. Les ouvertures de ce tunnel existent encore aujourd'hui bien que des grilles en interdisent l'entrée (fig.4). A l'intérieur, le canal, vidé de ses eaux, est toujours visible car il n'est pas remblayé à cet endroit. Des coquilles de moules de rivière ornent encore les piliers de l'ouvrage.
 
 
Fig.4 : Entrée amont (ouest) du tunnel (photographie de gauche); l'intérieur du tunnel avec l'ancien canal non remblayé et, au fond, la sortie en aval (photographie de droite)
 
L'entrée amont du tunnel se situe le long de la rue du Pisuy, à la sortie de Liverdun, quelques centaines de mètres après le site de l'ancienne usine de confitures Lerebourg. Au-dessus du mur bordant l'entrée du tunnel, on accède à la base d'une falaise où affleurent les formations situées au pied de la Côte de Moselle (fig.5). L'accès aux affleurements nécessite un passage sur une plate-forme étroite au sommet du mur qui ne comporte pas de garde-fou ; en cas de sortie en groupe, il faut donc veiller à une rotation avec un nombre limité de personnes.
 

Fig.5 : Les affleurements de la base du Bajocien à l'entrée du tunnel
 
Déjà présents le long de la route menant au tunnel, les terrains les plus anciens apparaissent, cachés par la végétation, un peu avant le mur d'entrée du tunnel. Ils correspondent à des calcaires fins, siliceux, non fossilifères, contenant des paillettes de micas, peu résistants à l'érosion (fig.6). Leur épaisseur à l'affleurement ne dépasse pas quelques mètres. Ce faciès caractérise la formation des Calcaires sableux de la base du Bajocien.
 

Fig.6 : Banc de calcaire sableux affleurant le long de la rue du Pisuy


Fig.7 : Transition entre les deux formations du Bajocien inférieur,
Calcaires sableux et Calcaire à entroques

Ces premières couches sont surmontées par des calcaires massifs de couleur rouille, disposés en bancs pluridécimétriques mais d'épaisseur variable. Des niveaux assez grossiers riches en entroques, de taille hétérogène (fig.7 et 8), alternent avec des niveaux plus fins. Des structures sédimentaires particulières, dégagées par l'érosion sont observables dans certaines strates de calcaire grossier (fig.9) : il s'agit de litages entrecroisés, parfois curvilignes (= mamelonnés), de type HCS (= hummocky cross-stratification). La base de ces niveaux est nette et présente une surface irrégulière. Le sommet est marqué par un passage progressif à des dépôts plus fins, similaire à ceux alternant avec ces épisodes grossiers.
 
Fig.8 : Bancs de calcaire grossier du Calcaire à entroques
(dans les cercles : fragments de tige de crinoïde des genres
Isocrinus et/ou Pentacrinites)

Fig.9 : Structures de type HCS au sein d'une tempestite du Calcaire à entroques

Les structures de type HCS sont caractéristiques de dépôts de tempêtes (= tempestites) : elles traduisent un mode de mise en place en régime hydrodynamique élevé. Le contraste bien marqué entre la base d'une tempestite et le sommet du banc du dessous équivaut à une surface d'érosion. En arrivant près de la côte, les tempêtes venues du large entraînent la formation d'une colonne d'eau massive générant de puissants courants de fonds capables d'emporter des sédiments littoraux en direction du large. Les structures de type HCS se forment ainsi au sein de dépôts carbonatés créés par de tels courants, à des profondeurs situées en-dessous de la limite de la zone d'action des vagues de beau temps mais au-dessus de celle des vagues de tempête (offshore supérieur). Ici, les principaux éléments transportés correspondent à des restes de crinoïdes (= entroques), grains squelettiques fréquemment associés aux tempestites (Flügel 2004). Entre deux dépôts de tempestites la sédimentation s'opère dans un contexte plus calme favorable aux dépôts de calcaire fin de type wakestone.

Ces dépôts sont à rattacher à la formation du Calcaire à entroques du Bajocien inférieur. Le sommet de cette formation, dont la puissance avoisine une quinzaine de mètres dans la région de Nancy (Lathuilière et al. 2003), n'est pas accessible sur ce site. En théorie, le Calcaire à entroques est surmonté par une biocalcarénite oolithique de quelques mètres d'épaisseur, l'Oolithe à Clypeus angustiporum (Flageollet et al. 1985).
 
2. La rue sous Vignal et l'avenue de la Libération à Liverdun


La rue sous Vignal et l'avenue de la Libération sont deux rues de Liverdun-haut qui parcourent l'éperon rocheux sur lequel se dresse l'ancienne cité médiévale. Sous la forme d'affleurements épars entre les habitations, il est possible d'observer les formations géologiques qui constituent une partie du promontoire naturel de Liverdun.
La rue sous Vignal repose sur la moitié supérieure de la falaise qui surplombe l'entrée amont du tunnel du canal de la Marne au Rhin. Une lacune d'affleurements ou l'inaccessibilité de ceux-ci ne permet pas de suivre la continuité de la série depuis le Calcaire à entroques observé au pied de la falaise près du tunnel.

Les premiers pointements rocheux se situent à gauche de la chausssée en remontant, à mi-parcours, la rue sous Vignal.
Il s'agit de calcaires blancs à oolithes et bioclastes. Des calices de coraux sont parfois présents (fig.10).


Fig.10 : Calices de polypier (genre Isastrea) sur les affleurements de la rue sous Vignal
 
Le côté droit de la rue (dans le sens de la montée) est bordé par un muret qui domine la falaise et offre un point de vue sur la vallée de la Moselle (fig.2).

Les affleurements de calcaire blanc se succèdent jusqu'à l'embranchement de la rue sous Vignal avec l'avenue de la Libération passant au-dessus et menant vers la gendarmerie de Liverdun.
Au bas de l'avenue, les calcarénites oo-bioclastiques prennent un aspect grumeleux lorsqu'elles affleurent. A certains endroits ces roches présentent une patine rouge résultant de l'action du feu utilisé pour défricher les talus.

A hauteur du n°6 de l'avenue de la Libération, le faciès des roches change: ce sont des calcaires marneux, plus ou moins indurés, de couleur ocre à pseudo-oolites (= oncolites ou oncoïdes) fortement bioturbés (fig.11). Cette formation constitue l'essentiel des affleurements qui bordent l'avenue. Une pierre tombale (Veuve Bonnet) est érigée au pied d'un de ces affleurements.
 

Fig.11 : Les Marnes de Longwy (avenue de la Libération)

Au sommet de l'avenue de la Libération les affleurements sont de moindre qualité. On peut cependant observer quelques pointements de calcaire blanc oolitique.

La succession des différents faciès permet d'identifier les formations auxquelles ils correspondent. Trois ensembles calcareo-marneux à oncolites sont connus dans le Bajocien supérieur : l'Oolithe cannabine, les Marnes de Longwy et l'Oolithe à Clypeus ploti (fig.3).
Celui qui affleure ici se situe au-dessus de calcaires oo-bioclastiques contenant des restes de coraux et en-dessous d'un calcaire oolitique.
La biocalcarénite à coraux sous-jacente (une quinzaine de mètres d'épaisseur ici) caractérise la formation du Calcaire à Polypiers Supérieur du Bajocien inférieur, alors que le Calcaire oolitique sommital (présent sur quelques mètres d'épaisseur seulement) peut être rattaché à l'Oolithe Miliaire Inférieure (ou Bâlin) du Bajocien supérieur. Les niveaux intermédiaires calcaréo-marneux à oncolites correspondent alors aux Marnes de Longwy présentes dans leur totalité (entre 5 et 10 mètres d'épaisseur) .

La partie terminale du Calcaire à Polypiers Supérieur ne semble pas affleurer sur ce site : l'observation de la surface de discontinuité (= discontinuité vésulienne) qui souligne le passage Bajocien inférieur-Bajocien supérieur ne serait donc malheureusement pas accessible.

Compte-tenu des observations précédentes, la lacune d'affleurement, entre le Calcaire à entroques à hauteur du tunnel et les premiers niveaux des Calcaires à Polypiers Supérieurs de la rue sous Vignal, affecterait donc trois formations du Bajocien inférieur : l'Oolithe à Clypeus angustiporum, le Calcaire à Polypiers Inférieur et l'Oolithe cannabine (soit une vingtaine de mètres d'épaisseur environ). Au bas de rue sous Vignal, on peut toutefois récolter, sous forme de pierres volantes mêlées à la terre des talus, quelques échantillons d'Oolithe cannabine (fig.12).
 

Fig.12 : Échantillon d'Oolithe cannabine - les grains sphériques correspondent
à des oncolites à nubéculaires

 
3. Le Saut du Cerf

Le Saut du Cerf est un site localisé sur la rive gauche de la Moselle, entre Liverdun et le barrage, le long de la route D191 qui mène à Villey-Saint-Etienne (fig.1). Une partie du site est protégé et géré par le Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine, en raison de la pelouse calcaire qui recouvre ce versant exposé au sud (fig.13). Outre différentes espèces d'orchidées, on y trouve également l'Aster amelle assez rare dans la région.
 

Fig.13 : Quelques pieds d'Aster amelle au Saut du Cerf (août 2010)

Le sous-sol affleure également le long de la route sous la forme de falaises naturelles ou de fronts de taille résultant de l'aménagement de la route ou des abords du canal de la Marne au Rhin creusé au XIXème siècle. Ce canal, aujourd'hui comblé, se situait en contrebas de la route, au niveau d'une zone laissée longtemps en friches et aujourd'hui aménagée d'un parcours de promenade et d'une piste cyclable.

L'affleurement le plus remarquable est constitué d'un front de taille vertical (30 m de long pour environ 15 m de haut) dominant la route, à quelques dizaines de mètres de la pelouse calcaire en se dirigeant vers le barrage. Les roches correspondantes sont des calcaires blancs à patine noire bien stratifiés. Il s'agit de calcaire grossier de type grainstone, à bioclastes (débris d'échinides, bivalves, gastéropodes, coraux...) roulés et enrobés, aux côtés desquels se sont développées des colonies de coraux. Les fossiles de polypiers sont le plus souvent recristallisés et les surfaces calicinales ne sont pas toujours observables pour une détermination (fig.14). Les colonies ont une morphologie lamellaire, en boule ou plus rarement branchue. Les constructions sont peu volumineuses (hauteur de quelques décimètres) mais peuvent parfois s'étaler latéralement pour former des biostromes. Un tel édifice forme un banc horizontal d'une trentaine de centimètres d'épaisseur visible à hauteur d'homme sur le front de taille (fig.14). Les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles.
(L'endroit étant particulièrement dangereux en raison de l'étroitesse des accotements et de la circulation routière, des mesures de sécurité idoines sont à prévoir en cas de sortie en groupe.)
 

Fig.14 : Front de taille dans le Calcaire à Polypiers Supérieur au Saut du Cerf

La base de cet ensemble où dominent les bioconstructions peut être observée à l'emplacement du virage de la route avant la pelouse calcaire (fig. 15A). A ce niveau, les calcaires massifs à polypiers reposent sur des bancs moins résistants à l'érosion constitués de calcaires à passées marneuses contenant exclusivement des oncolites à nubéculaires (= foraminifères encroûtants) de grande taille (fig.15B). Ce faciès est caractéristique de l'Oolithe cannabine (ou Oncolite cannabine), ce qui permet de rattacher les ensembles bioconstruits à la formation du Calcaire à Polypiers Supérieur (Bajocien inférieur).
 
Fig.15A : Le contact Oolithe cannabine - Calcaire à Polypiers Supérieur
 

Fig.15B : Le contact Oolithe cannabine - Calcaire à Polypiers Supérieur au Saut du Cerf
(à droite : détail sur les oncolites de l'Oolithe cannabine)

D'autres affleurements des Polypiers Supérieurs sont accessibles sur le même site, juste avant le front de taille, le long d'un sentier perpendiculaire à la route, en remontant le lit d'un ruisseau (attention, terrain glissant !) dévalant les pentes du versant (fig.16). On peut y observer des constructions coralliennes polies par l'action des eaux de ruissellement (fig.16).
Les grottes du Trou des Fées, un peu plus loin à proximité du barrage, sont également creusées dans cette formation géologique (fig.17).
 

Fig.16 : Affleurement de Calcaire à Polypiers Supérieur le long du sentier arpentant le versant du Saut du Cerf (en encadré, les surfaces calicinales polygonales du polypier Isastrea)


Fig.17 : Entrées des grottes du Trou des Fées

Le sommet du Calcaire à Polypiers Supérieur bien qu'inaccessible, est visible un peu après le front de taille bordant la route, le long d'une falaise en retrait de la chaussée (fig.18). Depuis la route, on peut repérer l'ensemble massif formé par les calcaires coralliens (hauteur de 10 à 15 m). Celui-ci est surmonté par des niveaux marneux de couleur ocre traduisant un changement de faciès franc. Ces niveaux constituent un ensemble de cinq mètres d'épaisseur environ. Le haut de la falaise montre une succession de bancs calcaires plus durs assez bien stratifiés. Des échantillons récoltés in situ indiquent qu'il s'agit de calcaires grumeleux bioturbés auxquels succèdent des calcaires oolitiques. Ce faciès correspond à celui de l'Oolithe Miliaire Inférieure du Bajocien supérieur. Les niveaux marneux intermédiaires entre cette formation et le Calcaire à Polypiers Supérieur correspondent donc aux Marnes de Longwy, rencontrées précédemment dans les rues de Liverdun-haut. Le contact net entre Calcaire à Polypiers et Marnes de Longwy marque le passage du Bajocien inférieur au Bajocien supérieur, souligné par une surface d'érosion d'extension régionale, la discontinuité vésulienne. Sa position sur la falaise ne permet cependant pas de l'observer in situ.
 
Fig.18 : Le passage Bajocien inférieur - Bajocien supérieur et la discontinuité vésulienne
 
4. Ancienne carrière du stand de tir
 
Le stand de tir sportif du club de Liverdun se situe au sommet du versant du Saut du Cerf. Il est installé dans une ancienne carrière dans laquelle il est possible de venir observer les formations du Bajocien supérieur qui font suite à celles du Saut du Cerf (fig.19).
 

Fig.19 : Le stand de tir de Liverdun et le front de taille de l'ancienne carrière

Seul le bas du front de taille de cette ancienne carrière est accessible. Il montre une succession de bancs calcaires blancs oolitiques de type grainstone (au moins 15 m d'épaisseur), présentant des litages obliques. Il s'agit de l'Oolithe Miliaire Inférieure (ou Bâlin) dont la base affleure au Saut du Cerf au-dessus des Marnes de Longwy (fig.18).
Le sommet de la formation est une surface d'érosion qui tronque les derniers bancs à litages obliques (fig.20). Cette surface est interprétée comme une surface d'émersion (Lathuilière et al. 2003).
Au-dessus, un niveau marneux gris, difficilement accessible, de quelques mètres d'épaisseur annonce un changement de faciès qui s'observe jusqu'au sommet de la série, sous la forme d'une alternance de bancs calcaires et marneux de couleur ocre (10 m d'épaisseur). Des échantillons prélevés dans les éboulis indiquent qu'il s'agit de marno-calcaires à oncolites, caractérisant la formation de l'Oolithe à Clypeus ploti du Bajocien supérieur. Cette formation dessine une barre rocheuse ruiniforme orangé qui se repère facilement dans le paysage, au sommet des versants qui bordent la rive gauche de la Moselle, entre Liverdun et Aingeray.
 

Fig.20 : La série du Bajocien supérieur affleurant au stand de tir

Les niveaux marneux gris et les premiers niveaux de la base de cette formation correspondent peut-être au Complexe à bancs gréseux cités par les auteurs (Flageollet et al. 1985; Maubeuge 1953, Fliche et Bleicher 1881). Malheureusement, l'échantillonnage de cette formation n'a pas été possible en raison de sa position élevée au niveau du front de taille. Ce complexe à bancs gréseux est une variation locale de faciès (observée entre Toul et Pont-à-Mousson), marquée par la présence d'interbancs sableux et quartzeux contenant des débris de végétaux.

Interprétation et reconstitution des paléoenvironnements
 
Les travaux récents de synthèse par une approche pluridisciplinaire (Guillocheau et al. 2002, Lathuilière 2008, Brigaud et al. 2009) ont permis d'affiner et de préciser le contexte paléoenvironnemental dans lequel les dépôts du Jurassique moyen se sont mis en place en Lorraine.

Durant tout le Jurassique, la latitude du Bassin de Paris (autour de N25°) et le faible volume de terres émergées (pénéplanation de la Chaîne Hercynienne) sont favorables au développement de plates-formes carbonatées.
Ainsi, au Dogger, au niveau de la Lorraine, se développe une rampe carbonatée de plate-forme qui borde le Bassin Parisien sur son côté oriental et le Bassin Souabe sur son flanc occidental (fig.21 et 22).
 


Fig.21 : Paléogéographie de l'Europe de l'Ouest au Jurassique moyen
(d'ap. Brigaud
et al. 2009)

Fig.22 : Modèle de rampe carbonatée de plate-forme (d'après Flügel 2004 et Boulvain 2011)
LABVT: limite d'action des vagues de beau temps; LAVT: limite d'action des vagues de tempête

Au début du Bajocien, le secteur étudié, autour de Liverdun, est situé dans une zone bombée et surélevée, encadrée par deux failles majeures : la faille de Metz au nord et celle de Vittel au sud. Cette paléotopographie résulte de mouvements tectoniques engendrés par l'ouverture de la Mer du Nord à la fin du Lias et l'expansion de la Téthys au sud (Leroux 1980). Une telle configuration impose deux directions de pente de rampes carbonatées vers où se développeront les faciès de domaine marin les plus ouverts : une vers le nord-est en direction de la faille de Metz, une autre vers le sud-ouest en direction de la faille de Vittel.

Pour les formations du Bajocien observées à Liverdun, les reconstitutions paléoenvironnementales (fig.23) s'appuient sur les interprétations proposées par les auteurs cités précédemment.

Le Calcaire à entroques de la base du Bajocien indique un milieu de dépôt soumis aux tempêtes (présence de tempestites) correspondant à un environnement marin ouvert (présence d'échinodermes en grande quantité et absence d'ooïdes) sur la rampe moyenne, au niveau de l'offshore supérieur, c'est-à-dire à une profondeur comprise entre la limite d'action des vagues de beau temps et celle des vagues de tempêtes.

Les formations qui succèdent au Calcaire à entroques, Oolithe à Clypeus angustiporus et Calcaire à Polypiers Inférieur, ne sont pas visibles à Liverdun. Celles-ci ont cependant été décrites à la faveur de la rédaction d'une autre fiche sur la carrière de Viterne, à laquelle on pourra se référer. Ces deux formations traduisent des conditions de dépôt bathydécroissantes, dans un contexte marin moins ouvert, soumis à l'action des vagues de beau temps et/ou des courants de marée. Dans cet environnement, se développent bancs ou shoals oolitiques (Oolithe à C. angustiporus) puis s'installent des récifs coralliens (Calcaire à Polypiers). Le cycle se termine par une surface d'arrêt de sédimentation vraisemblablement liée à une émersion au sommet du Calcaire à Polypiers Inférieur.

La formation de l'Oolithe cannabine qui surmonte la Calcaire à Polypiers Inférieur, contient essentiellement des oncoïdes à nubéculaires. L'élaboration de ces structures biogéniques (auxquelles participent également des algues) peut s'effectuer dans des environnements de plate-forme variés : depuis un domaine marin ouvert (offshore) jusqu'aux lagons. L'absence d'oolites suggère un environnement calme ; la rareté des organismes pélagiques (ammonites par ex.) ou d'organismes d'eau peu profonde suppose une zone située à la transition entre le large et l'avant-côte (= shoreface), à des profondeurs comprises entre 30 et 50 mètres (offshore supérieur), au niveau de la rampe moyenne.

Le Calcaire à Polypiers Supérieur est caractérisé par les bioconstructions coralliennes récifales de dimensions modestes (= patch reefs). Les édifices construits semblent le fait d'une principale espèce de polypier dominante qui peut prendre des morphologies variées : Isastrea sp. La mise en place de ces récifs caractérise un environnement peu profond de rampe interne (= shoreface) soumis à un régime hydrodynamique élevé (comme en témoignent les nombreux bioclastes brisés et roulés) sous l'action permanente des vagues de beau temps.

Le sommet des Calcaires à Polypiers Supérieurs est affecté par une surface indurée et perforée, marquant un arrêt de sédimentation, qui ne semble pas lié à une émersion (période de haut niveau marin). Cette discontinuité, qui correspond au passage Bajocien inférieur - supérieur, connaît une vaste extension géographique dans toute l'Europe de l'Ouest. Elle est connue sous le nom de discontinuité vésulienne.
Cet épisode marque également la transition entre une phase de développement des récifs coralliens au Bajocien inférieur et une phase de sédimentation alternativement terrigène et carbonatée oolitique qui prévaut sur la plate-forme de l'est du Bassin Parisien au Bajocien supérieur.

Les Marnes de Longwy qui s'installent au-dessus de la discontinuité vésulienne correspondent à des dépôts terrigènes distaux de mer ouverte (rampe externe à médiane). Cette interprétation est justifiée par la présence d'une bioturbation intense ainsi que par la présence de fossiles caractéristiques d'un tel milieu : ammonites, bélemnites, échinides, bivalves et brachiopodes. Les fossiles sont habituellement bien conservés et de toute taille, répartis uniformément au sein d'un sédiment bioturbé en permanence. Ces observations traduisent des conditions de dépôts en milieu calme, à l'abri de l'action des vagues de beau temps et de tempête, à une profondeur probablement supérieure à 50 mètres (= offshore inférieur).

L'Oolithe Miliaire Inférieure est un calcaire oolitique bien trié, à texture grainstone, avec litages entrecroisés. Ce faciès est caractéristique d'un environnement peu profond (shoreface) de rampe interne et correspond à des dépôts de shoal (= dune sous-marine) soumis à l'action permanente des courants de marée et des vagues.

Une surface durcie ferruginisée affecte le sommet de cette formation. Les niveaux à plantes terrestres sus-jacents du Complexe à bancs siliceux laissent à penser que cette surface est peut-être liée à une phase d'émersion.

L'Oolithe à Clypeus ploti qui est la dernière formation du Bajocien supérieur rencontrée sur le site de Liverdun présente un faciès comparable à celui des Marnes de Longwy. Le milieu de dépôt est donc similaire : milieu marin ouvert (offshore inférieur) de rampe externe ou moyenne.
 
Fig.23 : Paléoenvironnements proposés pour les formations du Bajocien de Liverdun
(d'après Brigaud
et al. 2009 et Guillocheau et al. 2002)

Des analyses isotopiques (delta 18O, delta 13C) apportent une explication aux changements de sédimentation au passage Bajocien inférieur-supérieur ( Brigaud et al. 2009).

Les rapports isotopiques du carbone mesurés à partir de coquilles de mollusques présentent de relativement faibles valeurs au début du Bajocien (passage Lias-Dogger) alors qu'une oscillation positive est enregistrée à la fin du Bajocien inférieur. Ces variations indiquent une perturbation du cycle du carbone : les plus faibles valeurs correspondent à une augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère, alors qu'une oscillation positive, à une diminution du dioxyde de carbone atmosphérique. L'enrichissement constaté au tout début du Jurassique moyen, résulterait de l'intensification de l'activité volcanique liée à la subduction sur le pourtour du Pacifique, durant le Bajocien inférieur. Cet accroissement du taux de CO2 atmosphérique aurait eu pour conséquence une diminution du pH des eaux marines, peu favorable à une précipitation physico-chimique du carbonate de calcium. Ceci expliquerait la rareté des formations de dépôts d'ooïdes à cette époque.

Au passage Bajocien inférieur-supérieur, la hausse des rapports isotopiques du carbone est à mettre en relation avec une diminution du taux de CO2 atmosphérique, favorable à une sursaturation en carbonate de calcium des eaux de mer. En milieu peu profond, la précipitation du CaCO3 est ainsi favorisée et expliquerait l'abondance des dépôts physico-chimiques oolitiques sur la plate-forme lorraine durant cette période.

Par ailleurs, les résultats des analyses des isotopes de l'oxygène, ainsi que ceux pour la minéralogie des argiles, mettent en évidence des changements climatiques au passage Bajocien inférieur-supérieur. La température de l'eau de mer subit, au Bajocien supérieur, une baisse significative enregistrée dans toute l'Europe de l'Ouest. Dans l'est du Bassin de Paris, on note également un changement drastique dans la composition minéralogique des dépôts argileux d'origine terrigène : la kaolinite, argile des sols tropicaux, dominante au Bajocien inférieur est remplacée par la smectite (caractéristique des sols mal drainés) au Bajocien supérieur. Ces changements traduisent un refroidissement relatif général : le Bajocien inférieur correspondant à une période plus chaude et plus humide alors qu'au Bajocien supérieur, le climat devient plus froid et plus aride. Ces variations climatiques s'accordent bien avec l'évolution du taux de CO2 atmosphérique suggérée par les analyses des rapports isotopiques du carbone.

Bibliographie

BOULVAIN F. (2011) - Eléments de sédimentologie et pétrologie sédimentaire. Univ. Liège, Faculté des Sciences, dépt. Géologie. http://www2.ulg.ac.be/geolsed/sedim/sedimentologie.htm

BRIGAUD B., DURLET C., DECONINCK J.-F., VINCENT B., PUCEAT E., THIERRY J. ET TROUILLER A. (2009) - Facies and climate/environmental changes recorded on a carbonate ramp: a sedimentological and geochemical approach on Middle Jurassic carbonates (Paris Basin, France). - Sedimentary Geology, n°222, p. 181-206.

FLAGEOLLET J.-C., LE ROUX J. et VINCENT P.-L. (1985) - Notice explicative de la carte géologique de la France à 1/50 000 - Toul n°229. B.R.G.M. éd.

FLICHE P. & BLEICHER M.G. (1881) - Etude sur la flore de l'Oolithe inférieure aux environs de Nancy. Bull. Soc. sc. Nancy, série III, t. VI, fasc. XIII, p. 54-107.

FLÜGEL E. (2004) - Microfacies of Carbonate Rocks - Analysis, Interpretation, applications. Springer éd. 978 p.

GUILLOCHEAU F., ROBIN C., METTRAUX M., DAGALLIER G., ROBIN F.-X. ET LE SOLLEUZ A. (2002) - Le Jurassique de l'Est du bassin de Paris. Bulletin inf. Bass. Paris, vol. 39, n°3, p.23-47.

JACQUES D. (2005) - De Toul à Nancy par les canaux de l'Est et de la Marne au Rhin. Etudes Touloises, édition 115, p.17-21.

LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRE G, DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. & NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Excursion Groupe Français d'Etudes du Jurassique, livret-guide.

LATHUILIERE B. (2008) - Eastern Paris Basin in Pienkowski, G. & Schudack, M. E. et al.: Jurassic, p.823-922. in Mc CANN, T. The geology of central Europe. Vol. 2: Mesozoic and Cenozoic, Geological Society, London, p. 858-854.

LE ROUX (1980) - La tectonique de l'auréole orientale du bassin de Paris, ses relations avec la sédimentation. Bull. Soc. géol. Fr., t. XII, n°4, p. 655-662.

MAUBEUGE P.-L. (1953) - Observations géologiques dans l'Est du bassin de Paris. Thèse Univ. Nancy, 2 vol., 1082 p.
 

Auteur : Didier ZANY - Date de création : 25/08/2011 - Dernière modification : 04/10/2022

Suite Retourner à l'accueil Géologie de la Lorraine Suite Suite de la fiche Liverdun (54) : 4. Activités réalisables

Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)