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Paléokarst sous-alluvial : 3. Description

  1. Lithostratigraphie et cadre géomorphologique général

Une des caractéristiques remarquables de la géomorphologie du Bassin de Paris et particulièrement de la Lorraine se manifeste dans l'expression d'un relief répétitif dit "de côtes" ou "de cuestas" (fig.5 et 6).

Fig. 5 : Cadre géomorphologique et géologique : schéma structural - en brun = formations alluvionnaires anciennes de la Meurthe ou de la Moselle; en orangé = formations alluvionnaires récentes de la Meuse, de la Moselle et de la Meurthe (© CDS54 / Losson et al. 2006 [1]) - cliquer sur la carte pour visualiser la lithostratigraphie régionale

Les côtes sont des "escaliers" dégagés par l'érosion et qui mettent en relief les terrains calcaires plus résistants. La surface d'érosion ou revers de la côte descend en plateau (pente douce de 0,5° environ) vers le pied de la côte suivante occupé par une plaine argileuse déprimée (fig.6).

Fig. 6 : Cadre géomorphologique et géologique : coupe interprétative schématique de la Meuse à la Meurthe, passant par Toul et Nancy. (© Jaillet 2003 [2] ) - noter les deux fronts de côtes de Meuse et de Moselle, correspondant aux deux grandes masses calcaires du Dogger et du Malm, et la surface d'érosion en pente douce recoupant les reliefs de Lorraine.

Dans ce contexte topographique, les rivières empruntent tantôt des cours orthoclinaux (fig.7) globalement sud-nord en longeant les côtes (cas de la Meuse avec la Côte de Meuse et de la Meurthe avec la Côte de Moselle - fig. 11 et 12), tantôt des percées est-ouest comme la Moselle qui traverse la Côte de Moselle dans un cours cataclinal  au sud de Nancy vers Toul puis une percée ouest-est dans un cours anaclinal plus au nord entre Toul et Frouard, modifiant ainsi son cours pour l'adapter dans le temps (fig.7 et 8).

Fig. 7 : Nomenclature utilisée pour désigner les cours des rivières (© Le Roux in Cordier et al., 2007 [3])

Ainsi, cette région a été affectée par une réorganisation majeure du réseau hydrographique lorsque la Haute Moselle (= nom de l'ancienne Moselle) issue du Massif Vosgien fut capturée, aux dépens de la Meuse, au profit de la Meurthe à hauteur de Pompey au nord de Nancy (fig.8). Cette capture, de nature complexe, a été entre autres favorisée et préparée par des diffluences (= détournements hydrographiques) karstiques dont les témoins ont été conservés dans les remplissages de cavités du secteur de Pierre-la-Treiche ou les formations alluviales superficelles des vallées autour de Toul [4]. En effet, dans l’Est du Bassin parisien, la karstification suit l’incision des vallées et le site de la vallée de la Moselle de Pierre-la-Treiche constitue un des sites karstiques majeurs de cette région.

Fig.8: Le cours actuel de la Moselle (flèche rouge) et son cours fossile (flèche rouge en pointillés) - bloc-diagramme © Harmand et Le Roux, 2006 [5] modifié

 

  1. Karstification en Lorraine

Nous nous intéressons à la karstification des calcaires du Plateau de Haye constituant le revers de la Côte de Moselle et ses interactions avec la rivière Moselle.

Les rappels fondamentaux sur le karst peuvent être consultés sur le site internet "Planet-Terre" de l'ENS de Lyon à travers l'article de M. Bakalowicz (2003) : "Karst et érosion karstique".

Dans l’Est du Bassin parisien et en Lorraine, deux dispositifs majeurs sont connus pour la mise en place du drainage du karst [6] (fig.9) :
  • soit au pourtour des couvertures sédimentaires argileuses subsistantes sur les plateaux, jouant ainsi le rôle de compresse humide favorable à la karstification (exemple du plateau du Barrois et de la vallée de la Saulx, ou du plateau de la Côte de Meuse et du réseau Hadès près de Neufchâteau) ;
  • soit au droit des grandes vallées, sous le talweg, et dans ce cas, ce sont les dépôts alluviaux rétenteurs d'eau qui jouent un rôle prépondérant (exemple du plateau de Haye et de la vallée de la Moselle).

Dans le premier cas, à la faveur d'émergences, l'eau infiltrée et circulant depuis la surface dans les massifs calcaires vient alimenter les cours d'eau des vallées (exsurgence). Dans le deuxième cas, l'eau des cours d'eau subit des pertes sous le talweg et pourvoit ainsi le réseau souterrain karstique - on parle alors d'endokarst sous-alluvial - puis alimente un cours d'eau (résurgence). C'est cette situation que l'on observe et qui perdure à Pierre-la-Treiche (fig.13 et 19). Au cours du temps et au fur et à mesure de l'incision de la vallée, le karst migre en profondeur, laissant au-dessus des drains plus anciens devenus inactifs.

Fig.9 : Différents types de mise en place et évolution du drainage de karst en Lorraine - n°1 (= plus vieux) à n°3 (= plus récent) : drains et réseaux karstiques (d'après Jaillet et al., 2002 [6])

 

  1. Description du site et localisation des cavités et affleurements

Les différentes entrées des grottes de Pierre-la-Treiche qui s'observent depuis le chemin de randonnée longeant la voie ferrée en rive droite de la Moselle, ont été répertoriées et localisées sur la carte interactive ci-après (fig.11). En rive droite, en progressant de l'ouest vers l'est, le parcours, qui suit une ligne de falaises de formations marno-calcaires du Bajocien (Jurassique moyen), permet de descendre dans la série stratigraphique (voir fig.5, 10 et 10bis) en raison du pendage des couches, plongeant et s'enfonçant vers l'ouest (fig.6) : les terrains les plus récents se situent à l'entrée du site (Oolithe Miliaire inférieure) et les plus anciens (Calcaire à Polypiers inférieur) se rencontrent en fin de trajet.


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OMiMLCPsFig. 10 : Lithostratigraphie locale et formations du Bajocien rencontrées à Pierre-la-Treiche - cliquer sur le nom des formations en gras pour découvrir le faciès correspondant.

En rive gauche de la Moselle, les falaises ou les anciens fronts de taille de carrières à l'abandon, recoupent essentiellement la formation du Calcaire à Polypiers inférieur (Bajocien inférieur). La lithologie correspond à un ensemble calcaréo-marneux assez fossilifère mais où les constructions récifales coralliennes sont peu représentées (cf. faciès de la fig.10).

Carte interactive

Fig.11 : Carte interactive de localisation des sites remarquables autour des Grottes de Pierre-la-Treiche
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  1. Karstification des calcaires bajociens : exploration de l'endokarst sous alluvial de la Moselle de Pierre-la-treiche

Les caractéristiques morphologiques et sédimentologiques des grottes de Pierre-la-Treiche attestent de l'origine mosellane des circulations d'eau qui ont créé ces cavités karstiques.

Ces cavités creusées dans les calcaires du Dogger (Jurassique Moyen - fig.10) possèdent des galeries qui sont généralement orientées sud-nord et qui mettent en évidence des paléo-écoulements rapides (9 à 10 cm/s mesurés à partir de la taille des "coups de gouges" dans la Grotte des Puits [7] - fig.12) et dirigés vers le nord (voir les nombreuses photos des autres traces laissées par ces écoulements = rigoles, siphons, canyons, cannelures, coupoles, cupules... dans la thèse de B. Losson - 2003 - premier volume pp.261-281 [7]).

Fig. 12: Traces laissées par les écoulements et dissolutions associées en coups de gouges dans la Grotte des Puits. (cliché © Losson 2003 [7])

La karstification s'est réalisée par soutirage karstique sous alluvial des eaux de la Moselle (fig.13 et 19) dans des cheminées verticales puis par des circulations dans un réseau de conduits reprenant vraisemblablement comme cela est habituel, le réseau des joints de stratification (horizontaux) et des diaclases (verticales) pré-existantes du massif calcaire. Ces discontinuités ont ensuite influencé l'organisation des vides dans le massif par exemple par anastomose et formation de galeries-diaclases.

Le karst est ainsi dénommé "infratalweg", compte tenu des paramètres d'infiltration (sous une vallée) générateurs de la spéléogenèse (= formation des grottes) [7].


Fig.13 : La Moselle à l'époque des soutirages par le karst sous alluvial (illustration © Losson ,2003 [7]).

La présence des cheminées de soutirage en communication avec une terrasse fluviatile ancienne (formation résiduelle Fr4 ou F4 - fig.13 et 14), située à 234 m d'altitude (soit une trentaine de mètres au-dessus du lit actuel), et la correspondance pétrographique entre les galets siliceux de cette formation alluviale et ceux des remplissages endokarstiques montrent que les Grottes de Sainte-Reine (fig.14B) sont un cas de karstification générée par des infiltrations d'eaux issues d'une paléo-nappe alluviale mosellane sus-jacente, elle-même alimentée par l'eau de la rivière Moselle. Les alluvions du lit de la rivière jouaient le rôle de compresse humide et favorisaient la karstification des calcaires sous-jacents. Une partie de ces alluvions était emportée dans les cheminées et les galeries par gravité et par le courant généré par le soutirage siphonnant.

Fig.14 : A. Remplissage des galeries des Grottes de Sainte-Reine par les sédiments alluviaux soutirés (formation F4 ou Fr4) - 12 : encaissant calcaire (Bajocien) ; 13 : sédiments fins limoneux ; 14 : sédiments de taille moyenne sableux ; 15 sédiments grossiers caillouteux ; 16 : coupes ; B. Remplissage alluviaux de l'entrée E en coupe transversale - vue du sommet de la série D et de la moitié inférieure de la série E de la formation alluviale Fr4 ou F4 - voir aussi points 10a et 10b de la fig.11 et fig.19 (d'après Jaillet et al., 2002 [6] et Losson, 2003 [7]) - cliquer sur l'image pour l'agrandir

Les 3 principaux réseaux (Grottes de Sainte-Reine, des Puits et des 7 salles) sont étagés entre 235 m et 210 m d'altitude et résultent d'une karstification effectuée sous le lit de la Paléo-Haute-Moselle lorsque celle-ci s'écoulait donc à plus de 235 m d'altitude.

Ultérieurement, une nouvelle phase d'incision de la rivière a provoqué la formation d'autres galeries en contrebas des précédentes alors exondées et rendues hydrauliquement inactives.

Ces grottes prisées des spéléologues ont fourni, outre du matériel archéologique, de nombreuses informations sur la spéléogenèse (processus de karstification initial = creusement) et son évolution selon les conditions environnementales (circulations plus ou moins intenses, comblement par alluvionnement, concrétionnement...) mais surtout apporté des arguments permettant de valider l'hypothèse d'une capture, assistée par le karst, de la Moselle par la Meurthe [7] (voir §.5 ci-après).

L'intérêt de l'étude de ces conduits endokarstiques désactivés fossiles est donc extrêmement intéressante par le fait qu'en constituant d'anciennes structures de drainage, en enregistrant l'évolution géomorphologique régionale, ils permettent son décryptage et sa datation (fig.15) [6][7].

Fig.15 : Datations de certains épisodes de fonctionnement du karst sous-alluvial : (© Jaillet et al. 2002 [5]) - par les sondages dans les remplissages issus de Fr4 [7], par l'analyse pollinique des contenus des dépôts limoneux qui les recouvrent avec interprétation chronoclimatique [1] et par datations des concrétions ou spéléothèmes avec nom et âge(s) en ka BP obtenu(s) par datation U/Th [8].

Cette datation s'appuie sur la stratigraphie (chronologie relative - principe de superposition), la palynologie, la paléontologie et la radiochronologie (couple U/Th)[12]. Les corréaltions avec la datation isotopique (stades isotopiques de l'oxygène) permettent ensuite de connaître le contexte paléoclimatique dans lequel évoluait le karst au cours du temps (fig.16).

Fig.16 : Calage des dates U/Th obtenues dans les Grottes de Pierre-la-Treiche par rapport aux variations climatiques finiquaternaires. (© Losson et al. 2006 [1]) ; courbe noire d'après Bassinot et al., 1994 in Petit et al., 1999 [9] ; courbe grise d'après Petit et al., 1999 ; datations U/Th avec un intervalle de confiance d'un écart-type et un pictogramme par spéléothème [1].

Ainsi, les limons de surface des remplissages alluvionnaires ont livré des grains de pollen holocènes caractérisant l'installation de la flore de l'interglaciaire actuel (Holocène récent ou stade isotopique de l'oxygène 1 - fig.15 et 16).

Des faunes mammaliennes (Ursus spelaeus, Crocuta (= Hyaena) crocuta spelaea, Rhinoceros tichorhinus, Rangifer tarandus, Bos primigenius, Arctomys marmotta ...) de climat tempéré à froid fini-pléistocènes (Saalien maximal - stade isotopique 8) ont également été trouvées dès le XIXe ainsi que des ossements d'animaux plus actuels (cerf, sanglier, loup, chevreuil...). Parmi ces ossements, certains (Rhinoceros tichorhinus et Rangifer tarandus) étaient recouverts par les concrétions [1].

Les alluvions et sédiments fins superficiels ont été scellés à certains endroits par des concrétions (fig.19). Les datations par la méthode U/Th ont permis de connaître les périodes de croissance des stalagmites, en rapport avec les stades et interstades climatiques du Quaternaire. Une bonne correspondance est apparue entre l’âge de formation des spéléothèmes et les époques tempérées (stades et sous-stades isotopiques impairs 6.5, 5.3, 3.3, 3.1 et 1) [1] [6] (fig.16).

Plusieurs datations effectuées sur les stalagmites de cavités basses des Grottes de Sainte-Reine et de la Grotte des Puits ont livré des âges très anciens, respectivement 170 000 ans et 270 000 ans BP pour Ste-Reine et entre 442 000 et 398 000 ans BP pour les Puits. Par ailleurs, les datations obtenues dans la Grotte des Puits s'avèrent plus anciennes que celles supposées de la capture de la Haute Moselle (formation F4 ante-capture la plus récente - voir plus bas) autour de 300ka (= stade isotopique SiO8) [3]. De tous les spéléothèmes analysés reposant sur des matériaux issus de la formation F4, le plus ancien – nommé Pui–GIO(II) – daté à 398-442 ka BP (Losson et Quinif, 2001[10]), fournit ainsi l’âge minimal de ces alluvions souterraines (fig.19) [1].

 

  1. Les grandes étapes de la capture de la Moselle (fig.17 - voir aussi la fiche "Val de l'Asne - Capture de la Moselle" sur ce site)
Avant le creusement des vallées actuelles, la Haute-Moselle et la Paléo-Meurthe s'écoulaient dans une région assez plane à une altitude de 410-420 m, plus haute que celle d'aujourd'hui (autour de 200 m). La Haute-Moselle traversait la Côte de Meuse (Oxfordien) en percée cataclinale au SE de Toul, tandis que dans la région de Dieulouard, la Paléo-Meurthe longeait cette même Côte de Meuse qui s'étendait encore à une vingtaine de kilomètres plus à l'est de sa position actuelle [4][5] (fig.8 et 17).

Les reculs successifs des niveaux structuraux à l'est du Bassin de Paris vont entraîner des modifications importantes du réseau hydrographique, favorisées par un soutirage karstique des eaux de la Haute-Moselle qui conduiront progressivement à sa capture par la Paléo-Meurthe via le lit de l’ancien Terrouin (fig.17), il y a 300.000 ans environ (= Saalien ou épisode glaciaire du Riss au Pléistocène).

Ces bouleversements hydrographiques ont été en partie enregistrés et datés grâce aux dépôts alluvionnaires de soutirage, préservés dans le réseau karstique de Pierre-la-Treiche.

Fig.17 : Blocs-diagrammes illustrant schématiquement les grandes étapes de la capture de la Moselle (illustration © Agence Folléa-Gautier Paysagistes-Urbanistes - Conseil Général 54 - modifiée)

Le détournement hydrographique de la Haute Moselle est dû essentiellement à la karstification liée aux pertes de cette même rivière, dans sa traversée de la partie méridionale du Plateau de Haye.[7]

Le soutirage karstique des eaux de ce réseau vers le Terrouin a ainsi précédé la véritable capture de la Haute-Moselle et favorisé cette dernière en diminuant son hydrodynamisme.[7]

Deux phénomènes se sont combinés :

- Le premier à l'entrée du système karstique par les soutirages d'eau à la Moselle (fig.13 et 18) dans sa traversée cataclinale du plateau de Haye. Une diminution de l'activité érosive et du creusement de la vallée (voire même un exhaussement du talweg lié aux dépôts de la charge transportée) et donc une importante sédimentation s'opéreront dès lors que l'énergie diminuera en amont dans la zone de soutirage (cf. diagramme de Hjülström, diminution du débit et de la vitesse du courant). Elle s'exprime très bien dans les importants dépôts de sédiments alluviaux, par ailleurs suffisants en épaisseur et quantité pour être exploités comme matériaux de construction ou de travaux publics, dans la région de Toul.

- Le second à la sortie du système karstique par les restitutions de l'eau soutirée à la vallée anaclinale du Terrouin et le bassin versant de la Paléo-Meurthe (fig.18). Au contraire, une érosion régressive s'exercera en parallèle (cf. diagramme de Hjülström, augmentation du débit et de la vitesse du courant) dans la zone de restitution d'eau soutirée, dans la vallée qui la drainera, à savoir la vallée du Terrouin en l'occurrence (fig.17).

Fig.18 : Lit de la Moselle à l'époque des soutirages par le karst sous-alluvial et surimposition du lit actuel (© Losson et al., 2006  [1]) - 1 : chenal ; 2 : formation alluviale mosellane ; 3 : calcaires bajociens indifférenciés ; 4 : réseaux spéléologiques = coupes développées, hors remplissage) - voir aussi panneau pédagogique du Comité Départemental de Spéléologie à l'entrée du site

Les répercussions d'une désorganisation du réseau hydrographique de surface, ici par les pertes, peuvent ainsi avoir été enregistrées par le réseau karstique au travers du piégeage de sédiments détritiques siliceux (alluvions entrainées dans le karst)... Mais également avoir des conséquences ultérieures sur son fonctionnement lors de l'enfoncement du niveau de base de la rivière avec inactivation partielle ou totale du karst sous-fluvial, devenu épigé, et qui ne fonctionne alors plus que comme un karst "ordinaire" de plateau calcaire hors zone fluviale (fig.9) avec dissolutions par l'eau météorique, décarbonatation des calcaires en partie marneux et libération d'argiles, élargissement des joints de stratification, des diaclases, apparition de dolines, gouffres... et concrétionnement par précipitation des carbonates.

Un assèchement complet de la vallée de la Moselle sur de longues périodes semble difficile à imaginer mais des périodes d'asséchement total saisonnier, comme c'est le cas pour la Meuse entre Bazoilles-sur-Meuse et Neufchâteau par exemple (la Meuse se perd totalement dans son karst sous-alluvial en été lorsque son débit est trop faible pour le saturer ; voir pertes de la Meuse sur ce site), sont par contre probables [7].

Les modifications géomorphologiques postcapture ont certainement joué un  rôle majeur sur les différentes entités karstiques du plateau de Haye et du plateau Lorrain en général, entrainant en cascade une accélération des phénomènes associés (1) à la capture de l'Aroffe au travers d'une activation du fonctionnement du système Aroffe-Chahalot-Bouvade, (2) du système Ar-Arot, ou encore (3) du fonctionnement des Fontaines Sainte-Anne-Sainte-Claire à Sexey-aux-Forges [1] (voir paragraphe localisation).

Fig.19 : Le karst de Pierre-la-Treiche et ses remplissages alluviaux anciens - localisation des spéléothèmes scellant les derniers dépôts anté-capture et prélevés pour datation U-Th (d'après Jaillet et al., 2002 [6] ; clichés © Losson et Quinif, 2001[10]) - cliquer sur l'image pour l'agrandir.

D'autre part, en termes de dépôts sédimentaires, les alluvions ante-capture (F4 à CF2 - fig.22) et post-capture (F0 à F3 - fig.19) accumulées dans les grottes de Pierre-la-Treiche (ou aux abords) se distinguent par des différences pétrographiques qui permettent de corréler ces dépôts avec ceux enregistrés dans les terrasses fluviatiles "à l'air libre" de la Haute-Moselle ou de la Meurthe, réparties autour de Toul. Ainsi les dépôts F4 ou Fr4 (Grottes de Sainte-Reine et des Puits) précédant la capture, coïncident avec les alluvions (notées Fx2 sur les cartes géologiques [4]) de la moyenne terrasse inférieure (n°5 et 6 en bleu sur la carte). Alluvions que l'on trouve dans la vallée de la Moselle au nord de Pierre-la-Treiche, en amont de Toul ou encore dans la vallée de l'Ingressin ou du Val de l'Âne, ces dernières constituant l'ancienne vallée de la Haute-Moselle, filant vers l'ouest en direction de son ancienne confluence avec la Meuse. Les dépôts F3 post-capture peuvent être corrélés avec les alluvions (Fx3) de la basse terrasse supérieure (n°7 en vert sur la carte), reposant sur les Argiles de la Woëvre à l'est de Toul, et celles de la basse terrasse supérieure de la Meurthe dans l'agglomération nancéienne : la Haute-Moselle devenue Moselle suit désormais la direction de sa nouvelle et toujours actuelle confluence. [4][11]

En résumé, les alluvions souterraines d’origine mosellane ont été chassées dans les galeries de Pierre-la-Treiche lors d’une période glaciaire du Pléistocène moyen (antérieure à 300 ka BP), qui comprend au moins deux interstades climatiques, précédant et contribuant à l'épisode de capture de la Moselle. Les sédiments argileux superficiels, couronnant les formations alluviales, remontent probablement à des périodes froides et tempérées du Pléistocène supérieur. Enfin, les concrétions se sont développées au cours de différentes périodes d'intermède tempéré du Pléistocène moyen et supérieur (voir plus haut) [1].

Les grottes de Pierre-la-Treiche correspondent à un karst sous-alluvial, recoupé ultérieurement par encaissement de la vallée de la Moselle. Ce karst a eu un rôle plus ou moins prépondérant dans le phénomène de capture de la Moselle.
 
  1. Conséquences de l'encaissement de la vallée de la Moselle

Une des principales conséquences de l'encaissement de la vallée de la Moselle transparaît au travers d'importantes modifications du drainage du plateau lorrain. Les systèmes de l'Ar-Arot et de l'Aroffe-Chahalot-Bouvade, évoqués en annexe I, en sont l'illustration.

Il convient donc de distinguer la partie du karst de de Pierre-la-Treiche qui est rattachée au fonctionnement du système Moselle-Terrouin-Meurthe et qui doit être associée à la capture historique de la Moselle par la Meurthe, du système de résurgences en particulier celui à rattacher au système Aroffe-Bouvade-Moselle et qui doit être associé au système en cours de future capture de l'Aroffe par la Moselle au détriment de la Meuse.

Certaines parties du karst qui s'ouvrent en rive gauche de la Moselle dans la région de Pierre-la-Treiche appartiennent donc à un autre système, un karst qui existe entre l'Aroffe, la Bouvade, le Chahalot et la Moselle. La source de la Rochotte à Pierre-la-Treiche est une résurgence de l'Aroffe. Pour accéder aux données concernant cet autre système actif, voir la fiche Pertes de l'Aroffe à Gémonville (88) et les autres fiches qui lui sont associées, "Tertres d'Autreville", "Inversac de la deuille de Crézilles" et "Inversac du Trou des Glanes à Moutrot".

Le phénomène de karstification consécutif au captage des eaux d'une rivière par une autre qui possède un niveau d'équilibre plus bas se reproduit aujourd'hui tel que celui qui existait par le passé entre la Moselle, le Terrouin et la Meurthe et qui est décrit dans cette fiche.

Dans l'avenir, à la suite d'un nouvel abaissement de niveau, la Moselle trouvera un nouvel équilibre dans un cours orthoclinal, grandement simplifié et plus adapté, en étant cette fois capturée bien plus au sud par la Meurthe en amont de Nancy (fig.20) [8].

Fig. 20: Position supposée de la future capture de la Moselle par la Meurthe. La flèche bleue indique la position de la future capture [8]. (bloc-diagramme © Harmand et Le Roux, 2006 [5] - modifié)

En toute fin de compte, les eaux de la Moselle ancien affluent de la Haute Moselle-Meuse et les eaux de l'Aroffe affluent actuel mais seulement temporaire de la Meuse, finiront dans le cours de la Moselle actuelle qui elle-même finira par rejoindre le cours de la Meurthe.

D'autres phénomènes hydrologiques et karstiques remarquables du Toulois sont présentés en annexe 1.

Remerciements

Les auteurs tiennent tout particulièrement à remercier Christophe Prévot, président du club de spéléologie de l'USAN, pour sa disponibilité, son accueil lors de la visite des grottes sur le site de Pierre-la-Treiche et ses précieuses remarques apportées lors de la relecture de cette fiche.

Les auteurs remercient également chaleureusement Benoît Losson (LOTERR - Université de Lorraine) pour la relecture et l'aide précieuse apportées à ce travail.

Bibliographie et sitographie

[1] LOSSON B., CORBONNOIS J., ARGANT J., BRULHET J., PONS-BRANCHU E. et QUINIF Y. Y. (2006) - Interprétation paléoclimatique des remplissages endokarstiques de la vallée de la Moselle à Pierre-la-Treiche (Lorraine, France) Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol.12, n°1, pp. 37-48.

[2] JAILLET S. (2003) - Aperçu géomorphologique des côtes de Meuse et de la capture de la Moselle. Etudes touloises. p. 7-11.

[3] CORDIER S., HARMAND D. et OCHIETTI S. (2007) - Vallées de la Moselle, de la Sarre et de la Meurthe - Vosges : piémont et témoins glaciaires. Livret-guide d'excursion. A.F.E.Q.

[4] HARMAND D., WEISROCK A., GAMEZ P., LE ROUX J., OCHIETTI S., DESHAIES M., BONNEFONT J.-C. et SARY M. (1995) - Nouvelles données relatives à la capture de la Moselle. In: Revue Géographique de l'Est. Tome 35, N°3-4. La capture de la Moselle. A propos du centenaire de l'article de W.M. Davis, 1895-1995. pp. 321-343.

[5] HARMAND D. & LE ROUX J. (2006) - La Lorraine géographique. In: Géologie et Géographie de la Lorraine, LEXA-CHOMARD A. et PAUTROT C. dir. - éditions Serpenoise, 286p.

[6] JAILLET S., LOSSON B., BRULHET J., CORBONNOIS J., HAMELIN B., PONS-BRANCHU E. et QUINIF Y.  (2002) - Apport des datations U/Th de spéléothèmes à la connaissance de l’incision du réseauhydrographique de l’Est du Bassin parisien. Revue géographique de l’Est, Nancy, XLII, 4, 185-195.

[7] LOSSON B. (2003) - Karstification et capture de la Moselle (Lorraine, France) : vers une identification des interactions. Thèse de l’université de Metz, 3 volumes, 825 p.

[8] HARMAND D., LE ROUX J., LOSSON B. et CORDIER S. (2007) - La capture de la Haute Moselle: Bilan des connaissances. In: Livret Guide: Vallées de la Moselle, de la Sarre et de la Meurthe. Vosges: Piémont et témoins glaciaires, AFEQ, Centre d’Etude et de Recherche sur les Paysages, Département de Géographie, Université Nancy 2. Article n°4, pp. 53-66.

[9] PETITJ.R., JOUZEL J., RAYNAUD D., BARKOV N.I., BARNOLA J.-M., BASILE I., BENDER M., CHAPELLAZ J., DAVIS M., DELAYGUE G., DELMOTTE M., KOTLYAKOV V.M., LEGRAND M., LIPENKOV V.Y., LORIUS C., PÉPIN L., RITZ C., SALTZMAN E. et STIEVENARD M. (1999). — Climate and atmospheric history of the past 420,000 years from the Vostok ice core, Antarctica. Nature, 399, 429-436.

[10] LOSSON B. & QUINIF Y. (2001) - La capture de la Moselle. Nouvelles données chronologiques par datations U/Th sur spéléothèmes. Karstologia, 37, p.29-40.

[11] CORDIER S., HARMAND D., LOSSON B., BEINER M. (2004) - Alluviation in the Meurthe and Moselle valleys (Eastern Paris Basin, France): Lithological contribution to the study of the Moselle capture and Pleistocene climatic fluctuations. In: Quaternaire - Volume 15 - Numéro 1-2 - 2004. pp. 65-76.

[12] QUINIF Y. (2007) - Annexe 5 - Datations U/Th des stalagmites. In: Collection EDYTEM. Cahiers de géographie, numéro 5, 2007. L’aven d’Orgnac, Valorisation touristique, apports scientifiques. pp. 162-163.

Lien vers le site du club de spéléologie local USAN (Union Spéléologique de l'Agglomération Nancéenne): ICI

Lien vers le site du Comité de Spéléologie de Meurthe et Moselle CDS54 : ICI

Lien vers le site de la Ligue Grand Est de spéléologie : ICI


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Anne THERNIER - Date de création : 30/01/2012 - Dernière modification : 14/08/2022

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Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)