Rides de houle : 3. Description
Cette petite carrière, aujourd'hui abandonnée, est ouverte dans la formation des Calcaires à astartes de l'Oxfordien supérieur terminal (fig.2). Il s'agit d'une succession de strates calcaires micritiques décimétriques, assez pauvres en faune. Le front de taille ne dépasse pas quelques mètres de hauteur (env. 5 m) et une douzaine de bancs demeurent exploitables pour une observation in situ (fig.5).
Fig.2 : Positionnement des terrains de la carrière dans la série stratigraphique (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM).
L'intérêt géologique du site se porte principalement sur la présence de rides de houle ou ripple-marks au sommet de la surface structurale qui constitue le plancher de l'ancienne carrière (fig.3).
Ces structures sédimentaires symétriques résultent de l'action des vagues sur le fond, constitué ici d'une boue calcaire originelle. Il s'agit d'un milieu marin littoral de faible profondeur.
Fig.3 : Vues de la carrière de Saulvaux : surface structurale et rides au premier plan ; bancs des Calcaires à astartes oxfordiens au second plan.
Au-dessus de cette surface ondulée, les trois-quarts inférieurs de la hauteur du front de taille sont constitués de calcaires micritiques beiges sublithographiques. Les seules traces d'organismes vivants se limitent à la présence de terriers tubulaires d'orientations variées, de type Thalassinoides, dus à l'action de crustacés fouisseurs (fig.4). Ce type de bioturbation peut se rencontrer dans des milieux dysoxiques, c'est-à-dire pauvres en oxygène, ce qui expliquerait la rareté de la faune (et donc des fossiles) dans les niveaux correspondants.
Fig.4 : Terriers de type Thalassinoides dans les niveaux inférieurs du front de taille
À environ deux mètres de hauteur, la série de bancs calcaires sublithographiques est interrompue par un niveau bréchique plus sombre de couleur ocre, à semelle érosive, formé d'une accumulation de bioclastes (coquilles de la petite huître Nanogyra), de lithoclastes anguleux et de galets aplatis de calcaire micritique, comparable à celui des niveaux sous-jacents (fig.5). Il s'agit vraisemblablement d'une tempestite ou couche de tempête, dont plusieurs occurences sont signalées dans la même formation, sur d'autres sites de la région (par exemple Gudmont-Villiers en Haute-Marne ; Lathuilière et al., 2003). Lors d'une tempête, des débris rocheux arrachés à un substrat incomplètement consolidé, une boue calcaire ici, donnent naissance à des galets mous, de forme arrondie et aplatie, qui sont transportés par les courants avant de se déposer à nouveau sur le fond, mêlés à d'autres éléments du sédiment.
Fig.5 : Couche de tempête à galets mous
Après une lacune d'observation (présence d'éboulis), la moitié supérieure du front de taille est d'abord occupée par une série de quatre bancs calcaires sublithographiques bioturbés, similaires à ceux rencontrés plus bas. Au-dessus, on note un changement de faciès avec l'apparition de calcaires marneux, grumeleux et bioturbés, à la base desquels se situe une couche décimétrique de calcaire à oolites et bioclastes parfois ferrugineux dont le sommet, colonisé par des huîtres et perforé (= action du bivalve Lithophaga retrouvé en place), correspond à une surface durcie.
Une analyse plus détaillée de la coupe de la carrière a fait l'objet d'une publication de l'Observatoire Régional des Affleurements Géologiques (ORAGE - Okeowo et al., 2017).
Fig.6 : Coupe de la partie ouest de la carrière
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La formation des Calcaires à astartes (cf. fiches Gondrecourt-le-Château, Broussey-en-Blois et Ménil-La-Horgne) correspond à des dépôts lagonaires mis en place sur une plate-forme ennoyée, dans un environnement très abrité, peu agité et vraisemblablement peu oxygéné comme en témoigne la rareté de la faune. Les quelques couches de tempestites constituent des manifestations de l'influence du large dans cet environnment proximal très calme. Les derniers niveaux observés dans la carrière (calcaires marneux et oolitique) traduisent un approfondissement progressif du milieu en même temps qu'une agitation accrue des eaux (oolites), marquant peut-être la fin de l'isolement du lagon et/ou la proximité d'une barrière oolitique (voir aussi annexes scientifiques).
Les Calcaires à astartes font suite à la formation des Calcaires crayeux de Gudmont dont les derniers niveaux présentent des traces d'émersion (Lathuilière et al. 2003; Lefort 2012) : paléosol, débris de végétaux et structures de type bird-eyes, petits cristaux de calcite sparitique au sein d'un calcaire micritique, résultant du piégeage de bulles d'air dans un sédiment fréquemment émergé de la zone intertidale. Les Calcaires à astartes se mettent donc en place dans un contexte transgressif accompagné d'un approfondissement progressif du milieu qui atteindra son apogée au passage Oxfordien-Kimméridgien, avec la mise en place des dépôts plus marneux à faune pélagique des Calcaires rocailleux à ptérocères.
Au Jurassique supérieur, la Lorraine et la partie orientale du Bassin Parisien constituent une plate-forme installée dans une mer épicontinentale, bordée au nord et à l'est par des massifs insulaires émergés (massifs de Londres-Brabant, du Rhin et de Bohème) et, au sud, par le domaine océanique théthysien (fig.7). Durant cette période, le rejeu d'anciennes failles hercyniennes (failles de Vittel au sud et de Metz au nord), dans un contexte tectonique distensif (ouverture de l'Atlantique et du Golfe de Gasgogne), crée des conditions favorables pour la mise en place de cortèges sédimentaires importants en volume. À l'Oxfordien moyen, sous un climat chaud et aride, les conditions sont ainsi réunies pour permettre une production carbonatée intense assurée notamment par l'activité et le développement d'organismes constructeurs récifaux (Carpentier et al. 2010). En Lorraine, cette phase est soulignée par une succession d'épisodes d'édification de récifs coralliens (Calcaires à coraux de Foug, Calcaires de la Mésangère, Calcaires coralliens d'Euville, Calcaires à polypiers de Pagny). Malgré un contexte paléogéographique comparable, les dépôts des Calcaires à astartes de l'Oxfordien terminal (et ceux des Calcaires rocailleux à ptérocères du Kimméridgien inférieur) contrastent avec les précédents : ils marquent une nette diminution de la production carbonatée et une augmentation des apports terrigènes sur la plate-forme lorraine. Les organismes constructeurs de récifs et producteurs de carbonates, ne réapparaîtront plus par la suite en Lorraine. Ce changement dans la sédimentation serait à mettre en relation avec des variations climatiques (climat plus froid et plus humide), étayées par le delta 18O des isotopes de l'oxygène (mesures réalisées sur des coquilles de bivalves) indiquant une baisse de la température moyenne de l'eau de mer, passant de 22°C à 18°C entre la base et le sommet des Calcaires à astartes (Lefort 2012). Une modification de la direction des courants océaniques, à la fin de l'Oxfordien, expliquerait ce refroidissement des eaux recouvrant la plate-forme lorraine, à l'origine de cette "crise des carbonates" (cf. fiche Gondrecourt-le-Château).
Fig.7: Paléogéographie de l'Europe de l'Ouest à l'Oxfordien (d'ap. Carpentier et al. 2006)
Bibliographie
CARPENTIER C., MARTIN-GARIN B., LATHUILIÈRE B. et FERRY S. (2006) - Correlation of reefal Oxfordian episodes and climatic implications in the eastern Paris Basin (France). Terra Nova, 18, p.191- 201.
CARPENTIER C., LATHUILIÈRE B. et FERRY S. (2010) - Sequential and climatic framework of the growth and demise of a carbonate platform: implications for the peritidal cycles (Late Jurassic, North-eastern France). Sedimentology, 57, p.985-1020.
LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Livret guide excursion Groupe français d’études du Jurassique, Nancy, 142 p.
LEFORT A. (2012) - La limite Oxfordien-Kimméridgien: stratigraphie et paléoenvironnements dans les domaines téthysien (est et sud du Bassin de Paris, France) et boréal (Ile de Skye, Ecosse). Thèse de doctorat - Université Henri Poincaré, Nancy, 306 p.
OKEOWO O., TRUR A. et LATHUILIÈRE B. (2017). Saulvaux : carrière de Saulx-en-Barrois. Contribution ORAGE originale à la Banque de données du sous-sol n°11. p. 1- 7. PDF.
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 14/03/2013 - Dernière modification : 16/08/2013