Carrière de St-Germain-sur-Meuse : 3. Description
1. Présentation de l'exploitation
La carrière Solvay de St Germain-sur-Meuse, ouverte depuis 1984, a suppléé l'ancienne "carrière Solvay", exploitée de 1924 à 1984 sur le plateau au dessus de Maxéville, restée célèbre pour son convoyeur aérien à bennes. Cette nouvelle carrière a été ouverte à proximité de la carrière Novacarb de Pagny-sur-Meuse. Les deux carrières concurrentes exploitent le même calcaire oxfordien. Les réserves sont estimées à environ 50 années de production.
La carrière de St-Germain produit 1 000 000 tonnes/an de calcaire trié et criblé pour la soudière Solvay de Dombasle.
Avec le sel (NaCl), le carbonate de calcium constitue une matière première (voir annexe 1) pour, d'une part, la fabrication de carbonate de sodium utilisé comme fondant en verrerie ou comme composant des lessives, de la laine de verre, et, d'autre part, la synthèse de bicarbonate de soude, ingrédient de nombreux produits alimentaires et pharmaceutiques (médicaments effervescents).
Les sociétés Solvay et Novacarb se partagent le marché français de l'industrie des carbonates avec deux usines installées en Meurthe-et-Moselle et implantées à proximité des gisements de sel gemme de la région : usine de Dombasle (Solvay) et usine de Laneuveville-devant-nancy (Novacarb).
Le front de taille permet l'observation d'une coupe stratigraphique continue de plus de 100 m de puissance et 500 m de long (fig.2).
Fig. 2 : Vue du front de taille de la carrière Solvay de St.-Germain-sur-Meuse avec ses trois paliers n°1, n°2, n°3 et sa découverte, observés depuis la nouvelle colline progressivement recréée avec toutes les roches inutilisables issues de la découverte.
Le front de taille de la partie exploitée pour son calcaire très pur (98 à 99,5 % de CaCO3) a été découpé en trois paliers de 20 à 25 m de hauteur reliés par des rampes.
15 à 20 m de calcaire de même qualité mais situés plus bas sont noyés par la nappe phréatique de la Meuse et donc inexploitables.
Le palier n°1 à la base, qui débute juste au dessus du niveau de la nappe phréatique de la Meuse, montre des constructions récifales coralliennes, de dimensions décamétriques, qui perturbent la parfaite régularité des plans de stratification (fig.3).
Fig. 3 : Vue du front de taille à la base de la carrière avec des perturbations dans les plans de stratification.
Progressivement lorsqu'on s'éleve dans la carrière (palier n°2 puis n°3), on passe à des calcaires plus massifs, plus micritiques qui caractérisent un changement dans les conditions du milieu marqué par la disparition des récifs coralliens: milieux proximaux (plages ou lagons) moins ouverts, moins agités, mois oxygénés.
Fig. 4 : Abattage des front de taille à l'explosif observé depuis la colline de remblais stériles issus de la découverte.
Fig. 5: Tas de calcaire abattu après le tir de la Figure 6 prêt à être convoyé vers le concasseur (le boutefeu qui vérifie que chaque "mine" a explosé donne l'échelle) ; la hauteur et l'instabilité des fronts de taille illustrent la dangerosité du site.
L'exploitation (5000 à 10 000 tonnes environ à chaque tir) se fait par abattage des fronts de taille à l'explosif nitrate-fioul selon la technique des "mines verticales profondes" (fig.4 et 5) puis chargement et transport par des dumpers qui emportent 60 tonnes de calcaire à chaque voyage vers une fosse de concassage étanche et profonde de 26 m située au point le plus bas du site sous le niveau de la nappe phréatique de la Meuse (fig.6). Cette disposition permet d'importantes économies, les dumpers montant toujours à vide pour redescendre à charge.
Fig.6: Organisation de l'exploitation de la carrière (document Solvay)
Les blocs de calcaires sont débités par deux concasseurs à mâchoires calibrés à moins de 180 mm.
Le calcaire de St Germain étant très fragile, de nombreux petits fragments sont produits lors du concassage et un criblage est necéssaire, l'usine de Dombasle n'utilisant que des fragments supérieurs à 50 mm.
Ces petits fragments sont vendus pour des usages dans la sidérurgie, la cimenterie ou la production de chaux.
Le calcaire criblé destiné à la soudière est stocké dans un silo de 5000 tonnes soit une réserve qui permet de charger deux trains de 2200 tonnes. Chaque semaine dix trains quittent le site ; chaque train est constitué de 31 wagons chargés chacun de 70 tonnes de calcaire. Les wagons qui appartiennent à la Société Solvay sont tirés par des locomotives de la SNCF.
Un tir d'abattage alimente ainsi en moyenne 4 trains qui partiront vers la soudière Solvay de Dombasle-sur-Meurthe où le calcaire est recriblé. En effet le chargement, le transport et le déchargement ont généré de nouvelles fines. Ces dernières seront utilisées pour la construction des digues des bassins de décantation des soudières.
Des couches de calcaire marneux sans valeur économique, dont la puissance varie de 25 à 65 m et qui constituent la découverte de l'exploitation, doivent être déplacées pour pousuivre l'extraction des niveaux d'intérêt. La quantité de "stériles" extraite atteint 600 000 tonnes/an. Ces matériaux servent de remblais (fig. 2 et fig. 8) pour la reconstruction d'une nouvelle colline, un "terril" dont l'altitude par rapport à la colline préexistante aura été abaissée de plus de 70 m, le site devant progressivement être remis en état après exploitation comme le stipule le contrat de concession.
Fig.8: Couches sombres marno-calcaires des terrains de la découverte
1 600 000 tonnes de roches sont donc extraits de la carrière chaque année si l'on cumule les calcaires chimiques et les "stériles" !
2. Description géologique des terrains
La série oxfordienne (fig.9) observable à la carrière de St.-Germain commence dans les Calcaires coralliens supérieurs (palier 1 = Oxfordien moyen) et se termine au sommet de l'Oolithe de Saucourt / Marnes à serpules de Pagny (découverte = Oxfordien supérieur).
Fig. 9 : Place de la série carbonatée exploitée dans la stratigraphie de l'Oxfordien (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM).
Les terrains exploités à St.-Germain correspondent donc aux mêmes formations et aux mêmes faciès que ceux de la carrière du Revoi à Pagny-sur-Meuse (Carpentier, 2004). Bien qu''il n'ait pas été possible de vérifier directement in situ les limites de chaque formation, en tenant compte de la hauteur respective de chaque front de taille et de l'épaisseur des différentes formations, on peut supposer la répartition suivante (de bas en haut) :
- Calcaire corallien d'Euville et Craie de Sorcy (Oxfordien moyen - premier front de taille);
- Calcaire crayeux de Maxey (Oxfordien moyen - deuxième front de taille);
- Calcaires de Dainville (Oxfordien moyen - troisième front de taille);
- Série de l'Oxfordien supérieur - Oolithe de Saucourt inférieure -> Marnes à serpules de Pagny (découverte).
La description et l'interprétation sédimentologiques et paléontologiques de ces terrains (cf. références bibliographiques) ont été rédigées pour la la fiche de Pagny-sur-Meuse à laquelle le lecteur pourra se référer.
Quelques structures remarquables sont à noter sur le site de St.-Germain comme ce bioherme à coraux d'une dizaine de mètres de haut pour une trentaine de large au niveau du front de taille inférieur; cet édifice récifal des Calcaires coralliens d'Euville possède une forme en dôme bien repérable grâce à la déformation apparente des couches de sédiment péri-récifal adjacents, ayant épousé la morphologie de l'édifice construit (fig.10). Plusieurs biohermes de ce type sont observables sur le premier front de taille.
Fig.10 : Constructions coralliennes à la base de la carrière.
Les terrains de la découverte (Oxfordien supérieur) sont riches en fossiles (fig.11) et se reconnaissent à leur teinte sombre (fig.8) tranchant nettement avec la blancheur des formations sous-jacentes (Oxfordien moyen).
Fig.11: Faciès marno-calcaire oxfordien supérieur des terrains de la découverte (terriers, radioles de Cidaridés, serpules et huîtres exogyres, coraux ...)
Si l'Oxfordien moyen est caractérisé par un taux de sédimentation élevé et une production carbonatée intense (les coraux acquièrent une morphologie branchue traduisant une croissance rapide pour lutter contre l'enfouissement), l'Oxfordien supérieur est souligné par des dépôts enrichis en éléments dédritiques silicoclastiques (argile) expliquant la teinte sombre des roches. Ce bouleversement qui affecte la sédimentation oxfordienne, dans l'est du Bassin de Paris, est vraisemblablement en rapport avec un changement climatique assez brutal à la transition des deux sous-étages au cours du Jurassique supérieur : climat chaud et sec durant l'Oxfordien moyen puis climat plus froid et plus humide durant l'Oxfordien supérieur. Ces variations seraient dues à une modification de la circulation des courants océaniques à l'intérieur des eaux de la plate-forme lorraine. À l'Oxfordien supérieur, les courants chauds téthysiens venant du sud qui parcouraient jusqu'à lors les eaux de l'archipel ouest-européen, ne remonteraient plus jusqu'en Lorraine. La région étant alors soumise à l'influence dominante des courants boréaux venant du nord, le climat se refroidit et les conditions (température, turbidité de l'eau de mer) ne sont plus compatibles avec le développement des récifs coralliens.
Remerciements
Nous tenons à remercier le personnel de la Société SOLVAY et plus particulièrement M. Jean Louis Vautrin, chef de carrière, pour l'accueil qu'ils nous ont reservé lors de notre visite à la carrière de St.-Germain-sur-Meuse.
Bibliographie
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CARPENTIER C., LATHUILIÈRE B., FERRY S. et SAUSSE J. (2007) - Sequence stratigraphy and tectonosedimentary history of the Upper Jurassic of the Eastern Paris Basin (Lower and Middle Oxfordian, Northeastern France). Sedimentary Geology 197, pp.235-266.
CARPENTIER C., LATHUILIÈRE B. et FERRY S. (2010) - Sequential and climatic framework of the growth and demise of a carbonate platform: implications for the peritidal cycles (Late Jurassic, North-eastern France). Sedimentology 57, pp.985-1020.
LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Livret guide excursion Groupe français d’études du Jurassique, Nancy, 142 p.
OLIVIER N., CARPENTIER C., MARTIN-GARIN B., LATHUILIÈRE B., GAILLARD C., FERRY S., HANTZPERGUE P. et GEISTER J. (2004) - Coral-microbialite reefs in pure carbonate versus mixed carbonate-siliciclastic depositional environments: the example of the Pagny-sur-Meuse section (Upper Jurassic, northeastern France). Facies 50, pp. 229-255.
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 10/07/2013 - Dernière modification : 27/03/2024