SVT Lorraine > Géologie Lorraine > Oolithe de Jaumont >

Oolithe de Jaumont : 3. Description

L'ancienne carrière de Montois-la-Montagne, devenue site d'entrainement à l'escalade pour les membres du Club Alpin Français (CAF de Metz) est ouverte dans l'Oolithe de Jaumont. Celle-ci affleure le long d'un front de taille haut d'une dizaine de mètres et creusé en demi-cercle orienté face au sud (fig.3).

La Pierre de Jaumont est un calcaire à ooïdes - couramment nommés pseudo-oolithes - de couleur jaune (fig.5), couleur due à la présence d’oxydes de fer, constante dans les dépôts du Dogger (voir annexe 1).

De la région messine au Pays Haut, cette roche servit autrefois (de l'époque gallo-romaine au début du XXe siècle) à la construction de bâtiments, aux façades desquels elle donne cette teinte jaune doré si caractéristique (voir aussi fiche Jaumont-Malancourt-la-Montagne).

Fig.3 : Vue d'ensemble des fronts de taille du côté est de la carrière

L'Oolithe de Jaumont, d'une vingtaine à une trentaine de mètres d'épaisseur au total, est un équivalent latéral de l'Oolithe Miliaire inférieure (= Bâlin), un calcaire oolithique blanc qui affleure, plus au sud, dans la région de Nancy et jusqu'à Neufchâteau. L'âge attribué à ces formations correspond à la base du Bajocien supérieur dans le Jurassique moyen (fig.4). Cependant, à la lumière de données stratigraphiques nouvelles, issues d'une étude de la carrière de Jaumont à Roncourt (voir fig.1 - Erbland et al., 2019), la position de l'Oolithe de Jaumont est actuellement remise en question : cette formation se situerait en-dessous des Marnes de Longwy (et non au-dessus - fig.3), ce qui daterait ainsi cette unité lithostratigraphique du Bajocien inférieur.

Fig.4 : Place de l'Oolithe de Jaumont dans la série stratigraphique (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM)

D'un point de vue pétrographique, contrairement à l'Oolithe Miliaire contenant de vraies oolithes, sphériques et à structures concentriques, les grains arrondis (de 1 à 2 mm de diamètre au maximum) de l'Oolithe de Jaumont doivent être qualifiés de "pseudo-oolithes", à cause de leur forme allongée ou irrégulière et de leur cortex micritique diffus (Pautrot, 2006). Les bioclastes constituent les autres éléments de cette calcarénite ; il s'agit généralement de fragments de coquilles de mollusques (bivalves essentiellement). L'ensemble des grains est englobé et compacté dans un ciment de nature calcitique (= sparite). Selon la terminologie en usage pour les roches carbonatées (cf. annexes scientifiques), la Pierre de Jaumont peut donc être considérée comme une oobiosparite à texture grainstone, ce qui traduit une mise en place en milieu à hydrodynamisme élevé.

Fig.5 : Aspect de la surface d'un échantillon de Pierre de Jaumont ;
les minuscules grains arrondis correspondent à des pseudo-oolithes

Dans la partie est de l'ancienne carrière, la formation se présente sous la forme d'unités à litages obliques superposées. Un de ces faisceaux est visible, en coupe longitudinale, dans la totalité de son épaisseur (3 m environ): reposant sur un substratum stratifié horizontal, il constitue un édifice composé de plusieurs bancs, décimétriques en épaisseur, parallèles entre eux et inclinés d'une dizaine de degrés en direction du sud (fig.6 et 7). L'ensemble est tronqué à son sommet et couronné d'une unité comparable mais beaucoup plus modeste en épaisseur. La superposition de telles unités à litages obliques constitue des figures à stratifications entrecroisées ou cross-bedding (fig.9).

Fig.6 et 7 : Ancienne dune hydraulique à litages obliques dans la partie est de la carrière
(le sud se situe à droite sur les photos - photo du haut © BRGM)

Ces structures sédimentaires correspondent à d'anciennes dunes hydrauliques tidales (= shoals oolithiques) mises en place sous une faible tranche d'eau, dans un environnement de rampe carbonatée interne soumis à des courants de marées ou à l'action des vagues, c'est-à-dire l'avant-plage ou shoreface (fig.8).

Fig.8 : Coupe et bloc-diagramme schématiques d'un complexe de shoals oolithiques
de plate-forme carbonatée (d'ap. Handford, 1988 et Gonzalez & Eberli, 1997)

L'inclinaison des bancs à l'intérieur du faisceau permet de déterminer la polarité d'un courant dominant ayant contribué à l'élaboration de l'édifice : la partie aval du flot se situe dans le sens de la pente et la partie amont, à l'opposé (fig. 7 et 10). L'orientation du front de taille et le pendage apparent du litage oblique tendraient à indiquer un sens nord > sud pour la direction du courant. Cependant, rien ne permet d'affirmer que le front de taille recoupe ici l'ancienne dune, perpendiculairement à son axe d'allongement. Une autre section du faisceau, dans un autre plan, mais qui n'existe pas sur ce site, serait nécessaire afin de relever d'autres mesures du pendage du litage (inclinaison et orientation) pour connaître la véritable direction du courant.

Fig.9 : Stratifications entrecroisées dans l'Oolithe de Jaumont

En référence au modèle actualiste, l'édification d'une dune hydraulique se réalise de façon progradante dans le sens du courant (fig.10) : de fines couches obliques (= foresets) se déposent par avalanche à l'aval du courant, en progressant sur une semelle basale formée de particules déposées par décantation, en avant de la dune. Chaque lamine oblique est ensuite recouverte d'une pellicule de particules transportées depuis le versant amont de la dune. Une succession de lamines obliques d'épaisseur millimétrique constitue un lit d'épaisseur centimétrique à décimétrique. Litage et lamination résultent de changements dans la sédimentation tels que des variations de la granulométrie des sédiments, par exemple (Boulvain, 2014). Dans le cas des bancs oolithiques, les dunes prennent une forme allongée tabulaire d'un à une dizaine de mètres de haut (fig.8). Leur accumulation peut se faire sur des hectomètres voire des kilomètres en largeur et jusqu'à une dizaine de kilomètres en longueur. L'empilement de plusieurs barres sableuses, rendu possible par la subsidence, est à l'origine d'un complexe de shoals ooilithiques comme il en existe aujourd'hui aux Bahamas.

Fig.10 : Modèle de formation d'une dune hydraulique (d'ap. Reineck et Singh, 1980)

De telles structures sédimentaires sont également connues plus au sud, dans la région de Toul, au niveau des anciennes carrières d'Oolithe Miliaire supérieure de la fin du Bajocien supérieur à Bicqueley. Chaque petit banc incliné qui fait partie d'un faisceau, est interprété comme la résultante d'un dépôt sédimentaire effectué à l'issue d'une marée (Le Roux et Lathuilière, 2014 ; Lathuilière et al., 2003).

Au cours du Bajocien supérieur, la Lorraine constitue une vaste rampe carbonatée qui borde la partie orientale du Bassin parisien et qui s'étend entre le seuil de Bourgogne au sud et le massif ardennais émergé au nord. L'inclinaison de la rampe se fait vers le sud-ouest, en direction du domaine océanique de la Téthys (fig.11) : en témoigne la succession des faciès carbonatés de haute énergie (= shoals oolithiques) du nord et du centre de la Lorraine (Oolithe Miliaire et Oolithe de Jaumont) auxquels font suite des faciès de milieux de plus en plus ouverts de rampe moyenne puis interne (Marnes à Ostrea acuminata), rencontrés plus au sud, dans le département de la Haute-Marne (Brigaud et al., 2009).

Fig.11 : Reconstitution des paléoenvironnements de la rampe carbonatée de la bordure orientale
du Bassin parisien au Bajocien supérieur (d'ap. Brigaud
et al., 2009)

 

Bibliographie et sitographie

BOULVAIN F. (2014) - Une introduction aux processus sédimentaires - Département de Géologie - Faculté des Sciences - Université de Liège (site web).

BRIGAUD B., DURLET C., DECONINCK J.-F., VINCENT B., PUCÉAT E., THIERRY J. et TROUILLER A. (2009) - Facies and climate/environmental changes recorded on a carbonate ramp : a sedimentological and geochemical approach on Middle Jurassic carbonates (Paris Basin, France). Sedimentology Geology, n°222, p.181-206.

ERBLAND L., M’BENZE BOUITI A.Y.J. et LATHULIÈRE B. (2019) Roncourt : Carrière de Jaumont. Contribution ORAGE originale à la Banque de données du sous-sol n° 20, p. 1-13 - lien pdf

GONZALEZ R. et EBERLI G.P. (1997) - Sediment transport and sedimentary structures in a carbonate tidal inlet ; Lee Stocking Island, Exumas Islands, Bahamas. Sedimentology, vol.44, p.1015-1030 (voir aussi ce lien).

HANDFORD C.R. (1988) - Review of carbonate sand-belt deposition of ooid grainstones and application to Mississipian reservoir, Damne Field, southwestern Kansas. AAPG Bulletin, vol.72, p.1184-1199 (voir aussi ce lien).

LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Excursion Groupe Français d'Étude du Jurassique, livret guide, 2 vol., 113 p.

LE ROUX J. et LATHUILIÈRE B. (2014) - Le Jurassique moyen de l'est du Bassin parisien in GÉLY J.-P. et HANOT F. (dir.) - Le Bassin parisien - Un nouveau regard sur la géologie. Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, p.157.

PAUTROT C. (2006) - L'exploitation de la Pierre de Jaumont in LEXA-CHOMARD A. et PAUTROT C. (dir.) - Géologie et géographie de la Lorraine. Serpenoise éd., p.223-225.

REINECK H.-E. et SINGH I.B. (1980) - Depositional Sedimentary Environments. Springer-Verlag éd., Berlin. 549p.


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 01/11/2014 - Dernière modification : 26/06/2022

Suite Retourner à l'accueil Géologie de la Lorraine Suite Suite de la fiche Montois-la-Montagne (57) : 4. Activités réalisables

Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)