Paléoterrasse de Saint-Gorgon : 3. Description
1. Situation générale
Plusieurs terrasses étagées ont été décrites près de Saint-Gorgon (1) mais nous ne nous intéresserons ici qu'aux dépôts les plus anciens constituant la terrasse la plus élevée (fig.3).
Fig.3: Réseau hydrographique actuel et situation des épandages (© Occhietti et Kulinicz 2009)(4)
Le site est une ancienne carrière de granulats ouverte dans les vestiges de cette haute terrasse. L'ancien site d'exploitation et toute la terrasse sont actuellement couverts par les bois de Saint-Gorgon (Bois de la Chambre) au nord et la forêt domaniale de Sainte-Hélène au sud.
Ce vaste épandage se dégage en inversion de relief sur la rive gauche de la Mortagne et la rive droite de l'Arentèle (4) (fig.4).
Fig.4: Origine d'une inversion de relief (d'ap. Graveline et Debaisieux, 2002, modifié)
Les altitudes des dépôts varient de 370 m au sud à 335 m au nord, soit une altitude relative moyenne par rapport à la Mortagne actuelle de plus de +45 m (4). L'épaisseur maximale des dépôts constituant cette haute terrasse pourrait atteindre 10 à 20 m au sud dans la forêt domaniale de Sainte-Hélène (1) mais au nord, dans les bois de Saint-Gorgon (Bois de la Chambre), son épaisseur variable reste toujours largement inférieure à 10 m (fig.5).
2. Description de la terrasse
Les dépôts correspondent à une accumulation de sédiments détritiques meubles et mal classés (1)(2)(3) apparentés à ce qui est communément qualifié et décrit comme étant du matériel fluvio-glaciaire.
Fig.5: Schéma d'une coupe réalisée dans la terrasse de Saint-Gorgon (© Kulinicz 2007)(1)
Fig.6 Vue du sommet de la terrasse en place avec son sol
La stratification est grossière. Les galets et graviers sont pour la plupart constitués de quartz et de quartzites (95% de tous les galets), éléments du Conglomérat Principal (Buntsandstein vosgien) remaniés. De très rares galets de grès, de lydiennes ou de roches filoniennes ont aussi été observés (3)(4). Tous ces éléments grossiers sont inclus dans une abondante matrice sableuse, silteuse et argileuse rouge-orangée (fig.6 et 7).
La taille moyenne des galets (autour de 5 cm, maximum de 14 cm) est comparable, comme le sont aussi la couleur du liant, la lithologie et la granulométrie, avec ceux d'une autre ancienne terrasse de la Vezouse à Tanconville en Meurthe-et-Moselle (3).
Fig.7: Le matériel détritque mal classé de la terrasse.
3. Âge de la terrasse
L'âge de cette terrasse est encore discuté. Il a été attribué par certains auteurs (5) au Pléistocène Moyen (-781 000 à -127 000 ans).
Pour d'autres auteurs (4)(6), une fourchette avec un âge minimal retenu qui serait Elstérien (-475 000 à - 410 000 ans) et un âge maximal estimé qui serait Cromérien (-860 000 - 475 000 ans). L'âge supposé pourrait finalement être compris entre 610 000 et 650 000 ans (fig.8).
A noter que des terrasses fluviatiles bien plus anciennes encore, existent à des altitudes relatives également plus élevées en Lorraine (+174 m pour la Moselle à Toul par exemple)(1)(6)(7).
Fig.8: Âge supposé de la paléo-terrasse de Saint-Gorgon sur l'échelle chronologique des principaux épisodes glaciaires et inter-glaciaires et courbes SPECMAP lissées du δ 18O océanique (projet de la National Science Foundation : Mapping Spectral Variability in Global Climate). Les stades isotopiques (OIS = Oxygen Isotopic Stade), sont numérotés par ordre croissant à droite de la courbe du δ 18O (voir par exemple Martinson et al., 1987)(8) - pour une explication des courbes SPECMAP, voir sur ce site, la fiche Vallée glaciaire du Val d'Ajol.
4. Origine de la terrasse
La terrasse, de par son importance, a nécessairement été mise en place par un ou des cours d'eau, une paléo-Mortagne-paléo-Arentèle, extrêmement puissants (1).
La taille démesurée des vallées de l'Arentèle et de la Mortagne n'est pas en rapport avec la taille des cours d'eau actuels et pose question (4).
L'alignement des cours de la Haute-Vologne, de l'Arentèle et de la Mortagne, comme le coude brutal formé par la Vologne à Bruyères, ainsi que l'importance des vallées de l'Arentèle et de la Mortagne (fig.9 et 10), laissent suggérer l'existence d'un ancien axe de drainage de la Haute-Vologne vers la Mortagne. Une paléo-Vologne ou ce qui pourrait s'y rattacher s'écoulait donc vers le nord-ouest avant une capture ultérieure de cette rivière par la Moselle ?
Deux hypothèses peuvent alors être envisagées pour la formation de ces terrasses (4):
1 - la mise en place par un réseau hydrographique anté-capture, constitué par une paléo-Vologne se dirigeant vers le nord-nord-ouest (et non vers le sud-ouest comme aujourd'hui) en traversant une zone de piémont, à l'emplacement actuel (mais à plus haute altitude) des vallées de la Mortagne et de l'Arentèle (fig.10);
2 - un déversement fluvio-glaciaire de piémont, en contre-bas des seuils de Bruyères - il y a 3 seuils qui dominent de plus de 40 m le cours actuel de la Vologne - lors d'un débordement temporaire des eaux de fonte ou de solifluxion, en contexte de marge glaciaire (fig.9 et 10).
Fig.9: Hypothèse de déversement actuellement retenue via les seuils de Bruyères.
Les limites glaciaires en blanc sur le fond topographique sont celles de Vincent et al. 1985 (9).
Le lobe glaciaire de la Haute Vologne (= Paléo-Vologne) a été ajouté à titre d’hypothèse.
Il est également possible qu’un lobe issu de la Basse Vologne ait existé. (© Occhietti et Kulinicz 2009)(4)
La seconde hypothèse semble la plus plausible pour expliquer l'origine de la haute terrasse de Saint-Gorgon, d'une part parce que le cours actuel de la Vologne entre le coude formé à Bruyères et sa confluence avec la Moselle à Jarménil entaille profondément le socle et doit donc être ancien, et d'autre part, parce qu'il n'existe pas de vestiges de terrasses équivalentes à celle de Saint-Gorgon en aval de Rambervillers dans la vallée de la Mortagne jusqu'à sa jonction avec la Meurthe (4). Les dépôts sont donc concentrés en périphérie de la zone de débordement (= cônes de déjection).
Au moment du débordement, le fond de la vallée de la paléo-Vologne et de son affluent le Neuné, devaient être moins profonds et plus proche de l'altitude des seuils de Bruyères ce qui aurait facilité le débordement (4).
Ainsi les épandages de piémont que constituent les dépôts de la haute terrasse de Saint-Gorgon pourraient correspondre à d'anciens cônes de déjection proglaciaires (4).
Quels que soient l'hypothèse retenue ou les processus invoqués, les épandages de piémont de St.-Gorgon impliquent de profonds changements du réseau hydrographique au cours du Pléistocène (4).
Fig.10: Géomorphologie actuelle des vallées de la Mortagne-Arentèle au sud de St.-Gorgon
et hypothèses d'interprétation paléohydrographique (fond de carte © IGN-Géoportail)
Bibliographie
(1) KILINICZ E. (2007) - Les alluvions anciennes antérieures au Riss à la périphérie Nord-Ouest des Vosges. Mémoire de Master 2 Géographie Recherche. Université de Nancy 2, 158 p.
(2) MARCHAND E. (1984) - Les terrasses alluviales de la Mortagne et de l'Arentèle en amont de Rambervillers. Mémoire de Maitrise. Université de Nancy 2, 83p.
(3) MANTILARO A. (2005) - Les alluvions anciennes dans la Région de Sarrebourg et leur signification géomorphologique. Mémoire de Maîtrise. Université de Nancy 2, 115 p.
(4) OCCHIETTI S. et KULINICZ E. (2009) - Terrasses et épandages alluviaux antérieurs au Riss/Saalien, à la périphérie Nord-Ouest des Vosges, France. Quaternaire, 20, (1), p. 93 - 116.
(5) MENILLET F., DURAND M., LE ROUX J. et CORDIER S. (2005) - Notice explicative de la Carte géologique de la France au 1/50 000è, Feuille de Lunéville n° 259, BRGM ed. Orléans.
(6) HARMAND D. (2004) - Genèse et évolution du réseau hydrographique (creusement des vallées et captures) dans les régions de moyenne latitude : exemple de l'Est du Bassin de Paris. Mémoire d'habilitation. Université de Nancy 2, 271 p.
(7) CORDIER S. (2004) - Les niveaux alluviaux quaternaires de la Meurthe et de la Moselle entre Baccarat et Coblence: étude morphosédimentaire et chronostratigraphique, incidences climatiques et tectoniques. Thèse de Doctorat de 3è cycle, Université de Paris XII, 288 p.
(8) MARTINSON D.G., PISIAS N.G., HAYS J.D., IMBRIE J., MOORE T.C. & SHACKLETON N.J. (1987) - Age dating and the Orbital Theory of the Ice Ages: Development of a High-Resolution 0 to 300,000-year Chronostratigraphy. Quaternary Research, 27, 1-29.
(9) VINCENT P.L., FLAGEOLET J.C. et DURAND M. (1985) - Formations superficielles et Cadre géomorphologique. In Notice explicative de la Carte géologique de la France au 1/50 000ème, Feuille de Bruyères n° 340, BRGM ed. Orléans.
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 28/12/2015 - Dernière modification : 29/08/2023