Emergence de Rupt-aux-Nonains : 3. Description
L'émergence du Moulin (dite aussi du Moulinet) (fig.4, 5 et 7 pour une vue historique) de Rupt-aux-Nonains est une importante source par son débit. Elle se déverse dans la Saulx en rive gauche dans le village de Rupt-aux-Nonains. Cette émergence a été explorée en plongée sur 20m ; elle est impénétrable au-delà mais représente l'exutoire d'un réseau karstique important et complexe. Et même si le parcours de l'eau est inconnu (d'où le terme générique "émergence" utilisé pour cette source), la source permanente du Moulin a révélé quelques-uns des mystères qui couraient à son encontre de génération en génération dans les histoires locales.
Le karst du Barrois est très actif avec des drains verticaux (gouffres, puits) et horizontaux, en attestent les nombreux niveaux d'émergences de sources dans les vallées (2).
La source du Moulin est à débit karstique donc extrémement variable (selon les précipitations, les variations de débit vont de de 1 à 1000 et ce débit peut atteindre 4m3/s en période de hautes eaux) (1). Comme la turbidité et le débit de l'eau varient très rapidement, il est admis qu'un écoulement en grand est supposé exister dans un karst ouvert et en partie noyé derrière l'exutoire impénétrable.
Fig.3: Positionnement des Calcaires de Dommartin (= Calcaires argileux à débris) dans
la série stratigraphique (données chiffrées = âges donnés en millions d'années - © BRGM).
Origine de l'eau à la source de Rupt aux Nonains :
L'eau est issue d'une nappe située à la base des Calcaires tithoniens de Dommartin (puissance 34m) (fig.3), alternance de bancs calcaires à débris et de niveaux marneux à exogyres. Le niveau imperméable dit de la "Pierre Châline" situé juste au-dessous sert de niveau repère (1) ; c'est un calcaire lumachellique avec des intercalations de Marnes à exogyres.
Fig.4: La source du Moulin durant l'été 2016 (le mur de l'ancien moulin est bien visible à droite)
Fig.5: Le porche de l'émergence de Rupt-aux-Nonains à la source du Moulin en hiver
(© GERMS Groupe d'Etudes et de Recherches Spéléologiques Meusien)
La circulation de l'eau est complexe dans tout le bassin de la Saulx dont le cours est suspendu dans le département de la Meuse au-dessus du niveau imperméable que constitue l'Oolithe de Bure. Là où cette dernière est absente ou fracturée, les rivières perdent de l'eau dans des karsts traversant les calcaires de Dommartin (fig.3). Cette eau perdue réapparait au moins en partie à Rupt-aux-Nonains comme nous allons le mettre en évidence plus loin.
Une autre partie de l'eau qui réapparaît à la source du Moulin provient de l'eau infiltrée dans les calcaires tithoniens du plateau karstifié du Barrois. En effet, la faible couverture argileuse dans cette partie de la Meuse facilite l'inflitration des eaux météoriques.
La source du Moulin fonctionne donc:
- en partie comme une ex(s)urgence ou comme exutoire de l'eau de pluie infiltrée sur le plateau calcaire barrois, collectée et drainée jusqu'ici ;
- et en partie comme une résurgence ou comme exutoire de l'eau perdue par la Saulx et l'Orge plus en amont et qui réapparaît en aval dans la vallée de Saulx elle-même.
Ces hypothèses ont pu être validées par des expériences de coloration. Une de ces expériences a eu lieu sur le plateau calcaire dans la cascade au fond du Gouffre de la Sonnette à Savonnières-en-Perthois le 26 février 1969 (fig.6) (1). L'eau colorée est ressortie le lendemain 27 février à la source du Moulin. La distance à vol d'oiseau parcourue par l'eau était d'environ 6 km.
Fig.6: Carte des parcours supposés des eaux souterraines établis à partir des expériences
de coloration (1) © Geoportail.gouv.fr (bleu clair = coloration du 4 mars 1970 ;
bleu moyen = coloration du 28 septembre 1953 ; bleu foncé = coloration du 26 février 1969)
Une autre expérience a été menée le 4 mars 1970 dans le vieux puits de Couvertpuis en bordure de l'Orge (fig.6) (1). L'eau est ressortie colorée à Rupt-aux-Nonains le 6 mars. La distance à vol d'oiseau parcourue par l'eau était ici d'environ 18 km. L'Orge perd donc de l'eau et cette eau ressort au moins en partie à Rupt-aux-Nonains.
D'autres colorations ont aussi bien mis en évidence que la source de Rupt-aux-Nonains était alimentée par une partie des eaux perdues par la Saulx dans un karst noyé situé sous le lit de la rivière dans son cours amont. Celle du 28 septembre 1953 réalisée à hauteur du gouffre de Morley (fig6) ouvert au fond du lit de la Saulx a vu l'eau colorée ressortir à Rupt-aux-Nonains le 1er octobre (1). La distance à vol d'oiseau parcourue par l'eau était là d'environ 14 km.
En résumé, cette émergence ou source du Moulin est l'exutoire d'un réseau karstique qui draine donc, à la fois une partie de l'eau de la Saulx perdue dans un karst noyé ainsi qu'une partie de l'eau de l'Orge également perdue (= elle fonctionne en résurgence = modèle de "la Loue"), mais également une partie de l'eau provenant des infiltrations sur le plateau calcaire tithonien constituant l'interfluve Marne-Saulx (2)(3) (= elle fonctionne en ex(s)urgence = modèle de "la Fontaine de Vaucluse").
Fig. 7: Le moulin de Rupt-aux-Nonains en 1900 (Carte postale ancienne).
Eléments de bibliographie
(1) GUILLAUME M., MAIAUX C. et PIERSON G (1971) - Géologie et hydrogéologie de la vallée de la Saulx (étude préliminaire), réf. 71 SGN 89 NS, BRGM Ed., 43 pages.
(2) JAILLET S. (2001) - Un karst couvert de bas-plateau : le Barrois (Lorraine/Champagne France) : Structure, fonctionnement, évolution, Revue Géographique de l'Est, vol. 41, 4.
(3) JAILLET S. (2005) - Le Barrois et son karst ouvert, Karstologia Mémoires, n° 12, 336 pages
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 21/07/2016 - Dernière modification : 28/12/2023