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Butte-témoin du Stromberg : 3. Description

Lecture de paysage depuis le Stromberg

Le point de vue de la butte du Stromberg se trouve à 300 mètres d'altitude, au pied de l'antenne-relais. En direction du sud, il offre un panorama sur l'extrémité nord-orientale du Bassin parisien qui s'étale au-delà de la Moselle coulant 150 mètres en contrebas. Dans cette partie de la Lorraine septentrionale, les premières (et plus anciennes) strates de la couverture mésozoïque (Trias) viennent en effet s'adosser, en discordance, sur les terrains déformés du socle varisque que l'érosion a mis à jour par endroits. Il s'agit alors d'imposants bancs de quartzites lie-de-vin, datés du Devonien, autrefois exploités en carrières à ciel ouvert (voir fiche de Sierck-les-Bains).

Comme partout ailleurs dans le Bassin parisien, la structure monoclinale des terrains du sous-sol et l'alternance d'unités lithologiques plus ou moins résistantes à l'érosion se manifestent par un relief de côtes en surface. Les fronts de côtes, dégagés par l'érosion et généralement tournés vers l'est, mettent en relief les terrains plus résistants (calcaires, grès, dolomies...). La surface structurale ou d'érosion des strates sommitales définit le revers de côte ou plateau qui descend en pente douce vers le pied de la côte suivante. Entre deux côtes, s'insère une plaine marneuse ou argileuse déprimée [1].

Dans ce contexte orographique, les rivières empruntent tantôt un cours orthoclinal globalement sud-nord en longeant les côtes (ex. : cours de la la Moselle suivant le tracé de la Côte de Moselle au-delà de Nancy), tantôt un cours cataclinal  perçant un front de côte d'est en ouest , ou encore un cours anaclinal traversant le front de côte, d'ouest en est (en sens opposé au pendage des couches)[1].

Les buttes-témoins constituent d'autres éléments récurrents du relief de côte : elles se situent en avant des côtes, vers l'est, et témoignent de l'extension passée du front de côte. La butte du Stromberg est un exemple de butte-témoin isolée à l'ouest de sa côte de rattachement - la Côte de Lorraine - par la Moselle (fig.3). Sa position inhabituelle à l'ouest, par rapport au front de côte, est liée à un contexte géostructural particulier : la couverture sédimentaire mésozoïque dans le secteur de Sierck-les-Bains est traversée par une série d'accidents cassants, orientés NE-NNE (fig.3).

Les composantes de la tectonique de cette partie septentrionale de la Lorraine s'inscrivent dans le cadre de l'histoire géologique du NE du Bassin parisien : la faille d'Illange-Kœnigsmacker (fig.3) appartient à un système de fractures majeures orientées NE-SO (failles de Metz, d'Hettange...), héritées de l'orogenèse varisque (ou hercynienne) du Carbonifère et affectant le socle pré-mésozoïque. Ces failles ont vraisemblablement rejoué dès le Trias (Keuper) dans un contexte distensif post-orogénique et synsédimentaire. Un deuxième épisode de rejeu en tectonique distensive, plus récent, synchrone de l'ouverture du Fossé rhénan à l'Oligocène (Tertiaire) et inhérent au cycle alpin, occasionne des rejets importants de ces accidents anciens (jusqu'à 400-500m par endroits pour la faille d'Illange-K.). Bordé par la faille d'Hettange (à l'ouest) et celle d'Illange-Kœenigsmacker (à l'est), le fossé tectonique de Thionville, dans lequel coule la Moselle jusqu'aux abords de Sierck-les-Bains, naît à cette époque [2].

Fig.3 : Cadre géomorphologique et structurale du Stromberg

lignes noires  = failles avec pour la faille d'Illange-Kœnigsmacker,"-" = compartiment abaissé ; "+" = compartiment surélevé (fond de carte © InfoTerre - BRGM) - cliquer pour agrandir

Autour de Contz, les mouvements verticaux à l'origine de ce réseau de failles ont des conséquences géomorphologiques. Elles se caractérisent :

  • ou par des inversions de relief : plateau et Côte de l'Infralias (calcaires du Jurassique inférieur) sur le compartiment affaissé (extrémité nord du fossé de Thionville), à l'ouest de la faille d'Illange-Kœnigsmacker (fig.3 à 5),
  • ou par un relief conforme : rehaussement occidental de la Côte de Lorraine (dolomies du Muschelkalk) sur le compartiment surélevé à l'est de la faille d'Illange-Kœnigsmacker (fig.3 à 5).

Dans le paysage, les effets de cette tectonique cassante sont visbles depuis le sommet du Stromberg, ce sont (fig.3 à 5) :

  • le dédoublement*, vers l'ouest, de la Côte de Lorraine, accentué par l'encaissement de la Moselle, et dont le front fait face à celui de la Côte de l'Infralias, tourné vers l'est (au-delà de la vallée et de la rive gauche de la Moselle, en portant le regard vers les panaches de vapeur blanche des cheminées de la centrale de Cattenom - fig.4) ;
  • le rétrécissement de la plaine argileuse du Keuper séparant les deux côtes.

(* Ce dédoublement explique également la présence - inhabituelle en Lorraine - d'une butte-témoin, le Stromberg, à l'ouest - et non à l'est - du front de côte).

Par temps clair, barrant l'horizon, la Côte de Moselle complète le paysage observable depuis le point de vue (fig.4).

Fig.4 : La vue panoramique vers le sud depuis le sommet du Stromberg (flèches = mouvements relatifs de part et d'autre d'une faille) - image sensible au survol / cliquer pour agrandir

La prise en compte de la série lithostratigraphique locale et des éléments structuraux permettent ainsi une mise en relation entre relief et géologie, parachevée et illustrée ici sous la forme d'une coupe géologique interprétative du paysage (fig.5) :

Fig.5 : Coupe géologique simplifiée interprétative du paysage lorrain depuis le Stromberg (Regard vers le sud)

D'un point de vue hydrogéologique, les niveaux sommitaux dolomitiques de la Côte de Lorraine sont affectés par un réseau de failles et diaclases leur conférant une forte perméabilité au travers de fissures (karst). Reposant sur des niveaux marneux peu perméables du Muschelkalk moyen (voir fig.9 et [3]), cet ensemble constitue un réservoir aquifère conséquent dont les points d'émergence (= sources) sourdent à sa base, dans le front de côte (là où s'établirent de nombreux villages). Le même scénario se répète pour les calcaires du Jurassique inférieur de la Côte de l'Infralias (aquifère) et les marnes et argilites imperméables du Keuper sous-jacentes.

Enfin, l'occupation du sol se calque sur la nature du sous-sol : schématiquement, bois et forêts recouvrent les fronts de côtes alors que les prairies et cultures se déploient sur les plateaux, dans la plaine argileuse du Keuper ou celle alluviale de la Moselle.

Les anciennes carrières et la corniche du Stromberg

La plate-forme de l'observatoire du Stromberg se dresse au sommet d'une corniche visible de loin : les falaises de roches claires tranchent ainsi avec le vert de la végétation qui couvre les flancs de la butte (cf. fig.2 - § Localisation).

Des sentiers mènent au pied de cet édifice naturel, haut de plusieurs dizaines de mètres (fig.6). Les parois rocheuses fortement diaclasées se détachent en colonnes instables ou en paquets glissés. La roche de couleur jaunâtre, récoltée dans les éboulis, réagit très faiblement à l'acide : il s'agit d'une dolomie, exploitée autrefois sur ce site comme pierre à bâtir. En témoignent les entrées d'anciennes galeries souterraines, aujourd'hui à l'abandon et devenues dangereuses.

Fig.6 : La corniche et les falaises de Dolomie du Stromberg

Des fragments de coquilles (souvent indéterminables), des oolites et de minuscules grains de glauconie vert foncé (ou brunâtres si altérés) font partie des éléments communs de la dolomie (fig.7). Des niveaux plus fossilifères à entroques, à myophories (bivalves) ou à térébratules (Coenothyris vulgaris) sont également signalés et permettent de rattacher ces couches sédimentaires au Muschelkalk supérieur  (= étages Anisien pro parte et Ladinien) du Trias germanique moyen [4],[5].

Fig.7 : Un échantillon de dolomie du Stromberg

Dans la série stratigraphique lorraine type, de sa base au sommet, le Muschelkalk supérieur est respectivement représenté par le Calcaire à entroques, le Calcaire à cératites et le Calcaire à térébratules (pour une description détaillée des formations du Muschelkalk sup., voir les fiches de Marey, Lorquin, Héming, Birzberg, Sarreinsming). Dans la région de Sierck, l'ensemble de ces trois formations, puissant de 50 à 60 mètres, est dolomitique et constitue la Dolomie du Stromberg [6].

Dans les galeries souterraines creusées à la base de la corniche, ce sont les bancs de la base du Muschelkalk supérieur (équivalent du Calcaire à entroques) qui étaient exploités. Le faciès présente fréquemment des figures sédimentaires (fig.8) caractérisant l'action des courants, des vagues voire des tempêtes ou tsunamis sur la sédimentation, également reconnues ailleurs dans le Muschelkalk supérieur de la région [7],[8],[9] : litages obliques, laminations horizontales, surfaces ondulées (= rides d'oscillation) et/ou mamelonnées.

Fig.8a : Rides d'oscillation et litages obliques dans un banc dolomitique

Fig.8b : Empreinte de la surface mamelonnée (figures synsédimentaires ?) d'un banc de dolomie au toit d'une ancienne galerie souterraine

Plus bas dans la série stratigraphique, côté luxembourgeois, au nord-est de la butte, un niveau lenticulaire à gypse (fig.9) a également fait l'objet d'une exploitation minière au cours de la première moitié du XXème siècle. Les galeries abandonnées non remblayées sont à l'origine d'effondrements souterrains (fontis), causant l'enfoncement des couches sus-jacentes et expliquant leur forte inclinaison par endroits [10].

La série dolomitique du Stromberg repose sur les grès du Buntsandstein (Trias inférieur - fig.9) qui peuvent affleurer (Grès à Voltzia) le long de talus sur les berges de la Moselle, au pied de la butte [4]. Des sondages réalisés dans la région [10],[11] ont révélé une lacune du Grès vosgien, du Conglomérat principal et des Couches intermédiaires (Buntsandstein inf.) : le Grès à Voltzia recouvrant directement le socle varisque déformé et métamorphisé (Quartzites de Sierck datés du Dévonien inférieur - voir fiche Sierck-les-Bains). Ce hiatus sédimentaire trouve son explication dans la paléotopographie héritée de l'orogenèse varisque (Carbonifère) : la région de Sierck et du Stromberg se situe dans le prolongement méridional de l'anticlinal du Hünsruck et devait constituer un paléorelief émergé, de type inselberg, au début du Trias (voir une carte paléogéographique : ICI). Au Muschelkalk supérieur, lors des épisodes de transgression vers l'ouest de la Mer Germanique, le seuil de Sierck forme un haut fond favorisant le confinement et la genèse d'un faciès dolomitique dans un tel environnement de dépôt.

Fig.9 : Coupe géologique schématique et log stratigraphique simplifié de la série du Stromberg (modifié d'après © Lehrpfad Naturschutzgebiet "Strombierg" 2006) [10] - cliquer sur l'image pour agrandir

 

Bibliographie:

[1] LE ROUX J. et HARMAND D. (2014) - Le relief de côte de l'est du bassin parisien. In : Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie. Gély P.-J. et Hanot F. dir. Bull. Inf. Géol. Bass. Paris. Mém. hors-série n°9 - 228 pages, 1 planche.

[2] BARDELLI A. (1997) - Contribution à l'appréciation de l'impact d'une centrale électronucléaire dans une région transfrontalière en crise à travers le cas de Cattenom - Thèse - UFR Lettres et Sciences humaines - Univ. Metz, 248 pages. - lien de consultation.

[3] BABOT Y. et GERVAISE C. (1991) - Amélioration de l'alimentation en eau du canton de Sierck-les-Bains (57) - Rapport BRGM - 4S / Lor 91/29, 160 pages. - lien de consultation.

[4] HILLY J. et HAGUENAUER B. (1979) - Guides géologiques régionaux - Lorraine - Champagne. Masson éd., 215 pages.

[5] DURAND M. (2014) - Le Muschelkalk de l'est du Bassin parisien. In : Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie. Gély P.-J. et Hanot F. dir. Bull. Inf. Géol. Bass. Paris. Mém. hors-série n°9 - 228 pages, 1 planche.

[6] MINOUX G. (1949) - Les gisements de dolomie de l'Est de la France (Lorraine et Alsace). Premier rapport. Rapport BRGM, A179.

[7] DURINGER P. (1984) - Tempêtes et tsunamis: les dépôts de vagues de haute énergie intermittente dans le Muschelkalk supérieur (Trias germanique de l'Est de la France). Bull. Soc. géol. Fr., Paris, 7, t.XXVI, n°6, pp.1177-1185.

[8] DURINGER P. & HAGDORN H. (1987) - La zonation par cératites du Muschelkalk supérieur lorrain (Trias, Est de la France). Diachronisme des faciès et migration vers l'ouest du dispositif sédimentaire. Bull. Soc. géol. Fr., (8), t.III, n°3, pp.601-609.

[9] MÉNILLET F., DURAND M., LE ROUX J., CORDIER S. HANOT F. & CHARNET F. (2005) - Notice explicative de la feuille Lunéville à 1/50 000 - 2ème édition. BRGM éd., 73 pages. - lien de consultation.

[10] Lehrpfad Naturschutzgebiet « Strombierg » (2006), Ed. Direction des Eaux et Forêts, Service de l’Aménagement des Bois, 16, rue Eugène Ruppert L - 2453 Luxembourg, 78 pages. - lien de consultation.

[11] COUREL L. coord. (1980) - Trias. In : Synthèse géologique du Bassin de Paris - volume 1 - Stratigraphie et paléogéographie. Mégnien Cl. dir. Mém. BRGM n°101.

 


Auteurs : Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 26/06/2021 - Dernière modification : 26/07/2023

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