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Transgression crétacée : 3. Description

De la vallée de la Saulx au sud à l'Argonne au nord, l'ouest du département de la Meuse, offre la possibilité d'observer le passage des terrains du Jurassique supérieur (Tithonien inférieur) aux tout premiers dépôts du Crétacé dans la partie orientale du Bassin parisien.  À la fin du Jurassique se développent en Lorraine les faciès purbeckiens caractérisant une longue période d'émersion, d'altération et d'érosion sous climat chaud, suivie de périodes de sédimentation sporadiques et localisées (Fauvel et Petit, 1984). Cette phase d'émersion des marges du Bassin parisien est à mettre en relation avec une série de bouleversements tectoniques inhérents à l'épisode orogénique néo-cimmérien, à la transition Jurassique-Crétacé, et à ceux provoqués par l'ouverture de l'Atlantique nord / Golfe de Gasgogne et la convergence Europe-Afrique, au début du Crétacé (Laurain et al., 1998). La transgression enregistrée en Argonne au début du Crétacé survient donc sur un substratum jurassique érodé et karstifié. Les roches de l'Albien reposent ainsi en discordance sur les calcaires du Tithonien inférieur ou du Kimméridgien supérieur (fig.3a-b et 4).

Fig.3a: Stratigraphie des terrains discordants du Crétacé Inférieur. (© BRGM modifié)

Fig.3b : Discordances cartographiques des dépôts crétacés (c1) sur le Jurassique supérieur (j8 et j9) en Argonne (extrait de la carte géologique de Verdun © BRGM - InfoTerre) - cliquer sur la carte pour l'agrandir ou ICI pour visualiser les points triples autour de Montfaucon ou encore ICI pour ceux autour de Nantillois

Cette discordance, surtout cartographique (fig.3b), est par ailleurs observable (contact Valanginien-Tithonien - fig.4) plus au sud, dans la région de Bar-le-Duc et de la vallée de la Saulx, et décrite dans la fiche Ville-sur-Saulx.

Fig.4: Coupe géologique simplifiée à travers le Synclinal de Savonnières montrant la discordance infracrétacée en Lorraine occidentale (d'après Le Roux, 2014) - cliquer sur l'image pour l'agrandir

La caractérisation physique de cette discordance par observation directe est très difficile, voire impossible, sans rafraîchissement d'un front de taille à la faveur de travaux routiers par exemple. Elle peut par contre aisément être mise en évidence dans les labours par l'observation des variations de faciès puisque des fragments de calcaires sub-lithographiques gris-beige du Tithonien mêlés au sol, on passe directement à des faciès argileux et sableux verdâtres de l'Albien.

Il est alors nécéssaire d'utiliser les techniques classiques de détermination de terrain que sont : l'effervescence à HCl (acide chlorhydrique), la cohésion par résistance à l'effrittement et la dureté par rapport au verre.

Trois sites sont propices à ces observations de faciès et à la caractérisation de la transgression crétacée près de Cheppy (fig.5, 8 et 9).

Fig.5: Site n°1. Contact supposé Sables verts - calcaires tithoniens - talus de la route D 19 à proximité du Monument du Missouri (visible à droite en bas de la descente).

Sur ce site n°1, en raison d'affleurements partiels très végétalisés et de l'absence de contact direct observable, l'acide chlorhydrique HCl (fig.6 et 7) a été utilisé pour différencier les substrats carbonatés (Calcaires du Barrois jurassiques - voir fiche Aubréville) des substrats siliceux (Sables verts crétacés). L'effervescence avec HCl (dégagement de CO2) est caractéristique de la présence de carbonates (calcaire = carbonate de calcium ou CaCO3) et donc des Calcaires du Barrois jurassiques. Les sables siliceux ne font pas effervescence à l'acide. À la loupe binoculaire, des grains de quartz mêlés à la terre sont reconnaissables.

Fig.6: Calcaire sub-lithographique du Tithonien du site n°1 et sa réaction positive à HCl = présence de carbonates.

Fig.7: Terre sableuse du Crétacé inférieur du site n°1 ayant absorbé HCl et sa réaction négative (sans effervescence) = absence de carbonates.

Fig.8 : Site n°2. - Champ labouré près de la Croix de Mission située au carrefour de la D19C et de la Rue Basse à Cheppy. Un ancien four à chaux visible sur la ligne d'horizon sert à se repérer.

La discordance sur le site n°2 (fig.8) est plus difficile encore à mettre en évidence. Des travaux agricoles intensifs qui ont fragmenté et intimement mélangé les roches des différentes formations et des matériaux pierreux, issus de la maçonnerie d'un ancien four à chaux, compliquent ici la recherche du contact ; mais  il est possible de la trouver avec de la persévérance et en analysant les pierres volantes.

Fig.9 : Site n°3. - Champ labouré avec un travail plus grossier de la terre, à droite de la rue de Varennes reliant Cheppy à Varennes-en-Argonne.

C'est certainement sur ce site 3 (fig.9) qu'il sera le plus facile de mettre en évidence le passage des calcaires jurassiques tithoniens aux Sables verts crétacés de l'Albien. Les plaquettes calcaires sont encore bien visibles en champ au premier plan (plus sporadiquement le long du talus routier) et la teinte un peu plus sombre de la terre riche en agrégats de Sables verts apparait au second plan (fig.9).

 

Fig.10 : Les boulettes ou agrégats de Sables verts donnant une couleur plus foncée au sol des labours du site n°3.

Les Sables verts constituent des boulettes granuleuses très friables (à faible cohésion) de couleur brun-vert (fig.10)  qui peuvent être échantillonnées. Elles ne font pas effervescence avec HCl. Les grains de sable sont bien visibles à l'oeil nu et peuvent être déjà perçus par frottement entre les doigts.

Pour les distinguer des faciès calcaires et en complément de la mise en évidence des carbonates avec HCl, ainsi que de la cohésion, il est possible de caractériser leur dureté sur le terrain avec des plaquettes de verre (porte objet utilisé pour les préparations microscopiques). Lors d'un frottement, les grains de quartz qui les composent (fig.11) rayent les plaques de verre entre lesquelles ils sont intercallés.

Les Sables verts peuvent être fossilifères et contenir des restes de macrofaune (ammonites du genre Douvilleiceras notamment, os et dents de vertébrés) ou de macroflore (gymnospermes et quelques angiospermes - voir Fliche, 1895).

La base de la formation a également fourni des nodules phosphatés, appelés localement "coquins" ou "crottes du diable", à l'origine d'une intense exploitation locale (41 000 t en 1872 dans le département de la Meuse) pour la production d'engrais, principalement durant les dernières décennies du XIXème siècle (Buffetaut, 2006).

Un lavage est nécéssaire pour libérer les grains de sable siliceux des argiles brunes et de la terre qui les agglomèrent et les salissent.

Après lavage et tamisage, les Sables verts révèlent leur texture et leur minéralogie intime (fig.10). Le quartz est abondant (70% de la roche) et leur confère cet aspect granuleux. La morphoscopie des fractions granulométriques au-delà de 63 µm, montre le caractère émoussé luisant des grains de quartz, en accord avec un transport aquatique. La matrice fine à granulométrie argileuse (15% de la roche) est notamment constituée de glauconie, agglomérée en pelotes (fig.11), phyllosilicate complexe voisin des micas et des argiles, riches en Fe2+, qui donnent sa teinte verdâtre caractéristique à ce faciès. D'autres argiles de type smectites et illites complétent l'inventaire des minéraux terrigènes des Sables verts (Fauvel et Petit, 1984).

Fig.11: Observation d'une fraction lavée d'échantillon des Sables verts à la loupe binocculaire.

Lors de leur formation, ces faciès devaient être totalement verts, constitués de quartz transparent hérité et de glauconie verte néoformée (Odin, 1968; Douillet et Odin, 1968).

La glauconie est un minéral authigène qui se forme sur place, en milieu marin, à partir des ions Si4+, K+ et Fe2+ apportés par les eaux continentales transportant les produits d'altération.

Ces faciès se mettent habituellement en place dans des environnements épicontinentaux proximaux (abondants apports d'ions et de grains de quartz issus de l'altération de roches continentales), peu profonds (comme pour la Mer de la Craie par exemple) et dans des milieux réducteurs (présence d'ions Fe2+).

Les argiles brunes proviennent de l'altération météorique de la glauconie par oxydation du Fe2+ (ion ferreux) de couleur verte en Fe3+ (ion ferrique) de couleur brun-rouge (couleur de la rouille - voir la formation des ocres sur la lithothèque Aix-Marseille par exemple).

Durant le Crétacé, l'Argonne se situe effectivement au débouché du sillon marin Eifel-Luxembourg, un drain alimenté en ions et matériel terrigène issus de l'altération continentale des roches magmatiques des massifs paléozoïques émergés de l'Ardenne et du Hunsrück (= Massif rhéno-ardennais - fig.12) situés un peu plus à l'est (Le Roux et al., 2006). Cette altération fournit des grains de quartz détritiques en abondance ainsi que des ions  nécéssaires à la néoformation de la glauconie.

Fig.12: Paléogéographiqe de l'Europe de l'ouest au Crétacé inférieur (d'après Vrielynck, 2014)

D'autres faciès actuels identiques sont décrits à faible profondeur dans les contourites (Odin et Matter, 1981) et les phénomènes de "hard-grounds" (= surfaces durcies) sur et en marge des plateaux continentaux (Wiewiora et Lacka, 1985).

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Les auteurs tiennent particulièrement à remercier Véronique et Thiérry Freytag, Professeurs au Lycée de Stenay, pour leur aide précieuse sur le site.

 

Bibliographie:

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DOUILLET Ph. et ODIN G.S. (1968) - Etude chimique et minéralogique des grains de glauconie provenant des formations crétacées et tertiaires du bassin de Paris. Bulletin du Groupe Français des Argiles, 20-1, pp. 13-24.

FAUVEL P.J. et PETIT G. (1984) - Sédimentation argilo-carbonatée du Crétacé moyen de Champagne (France). Note présentée au 5ème Congrès Européen de Sédimentologie, Marseille, page 166.

FLICHE P. (1895) - Études sur la flore fossile de l'Argonne, Albien-Cénomanien. Bull. Séances Soc. Sci. Nancy, France, vol.14, n°30, p.114-395, lien de consultation.

HARMAND D. et LEROUX J. (2015) - Argonne : frontière naturelle ou lieu de passage ? In "Hommes et paysages", dir. Cazin N., Jalabert L., actes des XXXIXe journées d'études meusiennes, Varennes-en-Argonne, Cheppy, 1er octobre 2011. Éd. Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, p.3-28.

LAURAIN M., MENILLET F. et PLUCHERY. E. avec la collaboration de DUERMAEL G., FAUVEL P.J. et THEVENIN S. (1998) - Notice de la carte géologique au 1/50 000 n° 134 feuille de Monthois. BRGM éd. 56p

LE ROUX J., PAUTROT C. et BUFFETAUT E. (2006) - in LEXA-CHAUMART A. et PAUTROT C. - Géologie et géographie de la Lorraine; pp. 126-130, Serpenoise éd.

LE ROUX J. (2014) - La discordance du Crétacé sur le Jurassique à l'est du Bassin parisien. In "Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie". Gély J.-P. et Hanot F. (dir.). Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, p.170.

ODIN G. S. (1968) - Glauconie, glauconite et phyllosilicates verts. Bulletin du Groupe Français des Argiles, 20-1, pp. 11-12.

ODIN G.S. et MATTER A. (1981) - De glauconarium origine. Sedimentology, 28, pp. 611-641.

TABORELLI P., HARMAND D., BRÉNOT J., EMBRY M., DEVOS A. ET DESFOSSÉS Y. (2018) - De l'Aisne à l'Aire : la Grande Guerre sur la Gaize d'Argonne. In "14-18, la Terre et le Feu. Géologie et géologues sur le front occidental". Bergeat F. (dir.), co-édition AGBP-COFRIHIGÉO - SGN , Mém. hors-série n°10 de l'AGBP, p.198-209.

VRIELYNCK B. (2014) - Géodynamique du Bassin parisien dans le contexte de la plaque eurasienne. In "Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie". Gély J.-P. et Hanot F. (dir.). Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, p.44-93.

WIEWIORA A. et LACKA B. (1985). Aspects de la minéralogenèse des glauconies. Sci. Géol., Bull. 38-4, pp. 323-335.


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 24/08/2022 - Dernière modification : 27/01/2023

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