La Perte du Bois de Parfondevaux

En hydrogéologie, une perte est "un lieu et phénomène d'absorption parfaitement localisée d'un écoulement de surface. L'absorption peut être totale ou partielle, pérenne ou temporaire, mais sans morphologie, sauf trou impénétrable" (soucre : http://ikare.loterr.univ-lorraine.fr).

La perte de Parfondevaux est une perte temporaire qui se situe à l'extrémité d'un vallon creusé dans le Bois de Parfondevaux. Le vallon (fig.2) qui entaille la série basale des Argiles de la Woëvre (Callovien Inférieur) se termine par un petit gouffre qui s'ouvre entre deux strates calcaires au toit de la Dalle d'Etain. Cette dernière formation de 30 à 40 mètres de puissance est formée de calcaires oolithiques et micritiques fracturés du Bathonien moyen à supérieur (fig.3) ; la série présente un léger pendage vers le sud-ouest.

Des chablis, une exploitation récente de la forêt, la solifluxtion et de longs épisodes d'assèchement récents ont profondément modifié l'aspect du vallon (fig.2 - clichés de droite). L'entrée de la perte est maintenant masquée par un phénomène classique de "bouchage" temporaire lié à des transports et à une accumulation d'argile, de bois et de débris végétaux divers ou autres matériaux solides issus de la surface.

Fig.2 : Vallon et entrée de la perte sous la roche encore bien identifiables en 2009 sur les photos de gauche (© BRGM) mais paysage difficilement reconnaissable en 2023 après exploitation d'une partie de la forêt sur les photos de droite.

Fig.3 : Position de la zone étudiée et des formations sédimentaires impliquées dans la série stratigraphique locale du Jurassique moy.-sup. - âges en M.a. à gauche (illustration © BRGM)

La résurgence de l'eau perdue par ce ruisseau temporaire se ferait à la doline-émergence appelée "Source de la Cuve" (fig.4). Ce puits noyé de 10 mètres de diamètre est situé à quelques kilomètres au sud-ouest de la perte entre Merles-sur-Loison et Dombras dans le Bois Morimont (fig.4).

Fig.4 : Source de la Cuve, fontaine vauclusienne et résurgence (© Julien Tournois 2019)^[4].

L'alimentation de cette doline-émergence, qui est une exsurgence permanente (= fontaine vauclusienne) doublée d'une résurgence^[3][4], se fait insidieusement par infiltration sur tout le plateau calcaire fracturé, mais aussi ouvertement par divers gouffres et pertes (dont ceux du Bois de Parfondevaux) qui sont alimentés après de fortes pluies et un drainage des forêts qui dominent les vallées de l'Othain et du Loison (Bois de Grand-Failly et Bois de Parfondevaux - fig.5).

Un autre système karstique sensiblement équivalent existe un peu plus à l'ouest près de Delut (fig.5 - voir plus loin).

Fig.5 : Localisation de la perte ("gouffre") dans le Bois de Parfondevaux (triangle blanc à contour noir) et de la résurgence (doline-émergence) du Bois de Morimont entre Merles-sur-Loison et Dombras (disque blanc cerclé de bleu)(© IKARE) - cliquer sur la carte pour l'agrandir.

Légende : disque blanc cerclé de rouge = doline-perte ; disque blanc cerclé de bleu = doline-émergence ; disque blanc cerclé de noir = doline ; triangle blanc à bordure noire = gouffre ; triangle blanc à bordure rouge = gouffre-perte ; triangle blanc à bordure marron = gouffre-regard ; triangle blanc barré verticalement = gouffre-diaclase ; disque bleu = sources ; Tunnel blanc bordé de rouge = grotte-perte ; demi-lune concave marron = travertin ; X = disparu  (© IKARE).

Le karst local occupe l'interfluve entre l'Othain et le Loison qui sont deux affluents en rive gauche de la Chiers (fig.5). Le fonctionnement de ce système karstique est expliqué de façon simplifiée et synthétique sur la figure 6 ^[2].

Fig.6 : Coupe géologique simplifiée de l'interfluve Othain-Loison près de Delut
(© Gamez et al. 1979)^[2].

L'eau s'écoule sur les argiles imperméables ou source au niveau des interbancs calcaires fracturés de la formation des Argiles de la Woëvre^[2]. Elle pénètre ensuite dans le karst existant creusé dans la Dalle d'Etain sous-jacente. L'eau perdue et drainée dans le karst réapparait au niveau d'émergences pérennes (fontaines vauclusiennes) comme la "Source de la Cuve" dans le Bois de Morimont entre Merles-sur-Othain et Dombras ou la "Source de la Damusse ou du Lavoir" à Delut, ou encore par des résurgences locales temporaires lors d'épisodes spectaculaires, les "Bouillons" de Delut (fig.6 et 7).

Les "Bouillons de Delut"

Des phénomènes remarquables appelés "Bouillons de Delut" sont historiquement connus dans le village voisin de Delut (55). Ils correspondent à des résurgences temporaires et spectaculaires survenant en plein coeur du village après un fort épisode pluvieux (fig.7 - voir aussi les résurgences de l'Aroffe et la fiche de Moutrot sur ce site). Des orifices permettant la sortie de l'eau ont été maintenant prédisposés afin de prévenir la détérioration des chaussées du village.

L'eau peut jaillir de quelques centimètres jusqu'à 2 m de haut. Des colorations ont montré la relation de ces résurgences avec les pertes et le collecteur de rivière souterraine du Failly^[1].

Fig.6 : Le phénomène spectaculaire des "Bouillons" à Delut en 2009 (© Goutorbe et tournois 2019 ^[3]  et © Blog de Roger Demeyere).

Bibliographie:

[1] Gamez P. (1977) - Etude géomorphologique d'un bassin-versant karstique : les Bouillons de Delut (Meuse). Mémoire de Maîtrise en Géographie, Université de Metz, 64 pages.

[2] Gamez P., Gras F. et Sary M. (1979) - Le revers de la Dalle d'Etain en Lorraine Septentrionale : Un exemple de l'influence du karst sur la géodynamique externe. Annales de la Société Géologique de Belgique, Tome 102, pp. 47-52.

[3] Goutorbe J.M. et Tournois J. (2017) - (GSERM - Groupe Etudes et de Recherches Spéléologique Meusien) - Base de données pour les spéléologues et pour alimenter le Projet IKARE, 50 pages. Inventaire des résurgences du département de la Meuse (voir page 13 "Bouillons de Delut" et page 29 "La Cuve").

[4] Tournois J. (2019) - (CEPS - Commission Est de Plongée Souterraine) - Compte-Rendu d'Activités de la Commission 5, 22 pages. (Voir page 7 La Cuve).

Site du Projet IKARE: IKARE