Paléoterrasse à galets cimentés : 3. Description
Contexte géologique et description des affleurements
La Seille est une rivière, affluent en rive droite de la Moselle qu'elle rejoint à Metz, après avoir traversé Nomeny et parcouru environ 138 km depuis sa source. L'étang (artificiel) de Lindre (voir Etang de Lindre), près de Dieuze, dans le département de la Moselle, est considéré comme le point d'origine de la rivière.
En amont de Nomeny, la rivière contourne le village d'Abaucourt, par le nord, à la faveur d'une boucle de méandre. Positionnée sur le bord convexe (en pente douce) et interne du méandre, l'ancienne terrasse de la Seille domine d'une dizaine de mètres, en rive gauche, la plaine alluviale actuelle de la rivière (fig.3). Le bord abrupt concave du méandre, en rive droite ici, est l'endroit où se poursuit l'action érosive de la rivière sur son encaissant calcaire (la formation du Calcaire à Gryphées du Jurassique inf.).
Fig.3 : Coupe topographique à travers le méandre de la Seille à Abaucourt dans son contexte géologique - cliquer sur la carte pour visualiser la série stratigraphique régionale
Les sédiments alluvionnaires charriés et déposés par la Seille se sont progressivement accumulés au cours du temps du côté convexe du méandre (alluvions récentes Fz et anciennes Fy sur la fig.3). L'ensemble constitue un système étagé de terrasses dont les plus anciennes (Fy) surmontent les plus récentes (Fz).
La nappe alluviale (Fy) qui constitue la paléoterrasse de la Seille a fait l'objet d'une exploitation anthropique dans le passé (fin des années 1940 ? - voir une vue aérienne ICI) dont il demeure les traces dans le paysage, sous la forme d'une excavation longiligne à travers une prairie, orientée est-ouest, d'environ 200 mètres de long pour une quarantaine de mètres de large (fig.4).
La roche, un poudingue polygénique, qui en a été extraite affleure encore en place, sporadiquement à divers endroits (fig.5).
Fig.4 : L'excavation creusée dans la nappe alluviale de la paléoterrasse de la Seille
À l'affleurement, une stratification grossière est parfois apparente et la roche se présente comme un matériau cohérent dans lequel les galets agglomérés sont aisément reconnaissables.
Fig.5 : Affleurement de poudingue polygénique (en partie recouvert de déblais rapportés - mars 2024)
Les éléments figurés de cette roche sédimentaire détritique sont jointifs et possèdent une taille plurimillimétrique (correspondant à des graviers) à pluricentimétrique (correspondant à des galets), ce qui, d'un point de vue granulométrique, caractérise une roche de la classe des rudites, et d'un point de vue pétrographique, un conglomérat.
Si beaucoup d'entre eux possèdent une forme arrondie, justifiant l'appellation pétrographique complémentaire de poudingue, certains de ces galets ont conservé des contours anguleux émoussés.
La grande majorité des débris rocheux, tout comme le ciment qui les unit, font effervescence à l'acide, ce qui traduit leur nature carbonatée. Les graviers et galets se distinguent entre eux par la patine d'altération qui revêt différentes teintes (noire, brune, ocre, beige...) soulignant la diversité de leur origine lithologique (différents calcaires des formations liasiques locales - cf. fig.3) et, ainsi, le caractère "polygénique" du poudingue de la Seille (fig.6).
Quelques éléments non carbonatés complètent l'inventaire des lithoclastes : de rares galets siliceux (issus des Grès rhétiens), des galets aplatis d'argilite rouge des Argiles de Levallois et des débris de concrétions de fer fort, d'âge crétacé et d'origine pédogénétique (voir la fiche sur la Borne de fer).
Le poudingue contient également des fossiles (fig.6), ceux-ci sont des représentants des faunes marines des formations du Jurassique inférieur de la région (Calcaire à gryphées notamment) : débris de coquilles (ou parfois valves entières) de gryphées (ou d'autres bivalves indéterminables), fragments de rostres de bélemnites, ou encore, plus rarement, articles de tige de crinoïdes (Pentacrinus basaltiformis).
Fig.6 : Échantillon de poudingue polygénique de la Seille (encadré : valve gauche de gryphée dans le conglomérat ; article de crinoïde - cliché © BRGM 2009).
D'un point de vue pétrogénétique, la mise en place d'un conglomérat correspond à une phase de sédimentation (fluviatile ici) qui suit ou coïncide avec un épisode d'érosion de relief naissant ou d'affleurement rocheux soumis à l'altération continentale et au démantèlement, et dont les produits alimentent les apports. L'origine (lithoclastes issus des formations géologiques locales), les propriétés (faible résistance des calcaires au transport) et la morphologie parfois encore anguleuse des galets vont dans le sens d'un transport par un agent (cours d'eau), certes vigoureux, mais limité dans le temps et l'espace.
Malgré l'absence de marqueurs de datation, il est probable que la nappe alluviale de la paléoterrasse de la Seille se soit mise en place au cours du Pléistocène moyen ou supérieur, période du Quaternaire durant laquelle, mu par le soulèvement d'origine tectonique (mouvements / bourrelets alpins) du Bassin parisien, l'encaissement des vallées s'accélère. De cet enfoncement progressif des cours d'eau, résulte l'étagement ou l'emboîtement des terrasses fluviatiles. Chaque terrasse correspond à un cycle glaciaire-interglaciaire (voir la fig.16 de la fiche Bainville-aux-Miroirs) : le cycle débute par une phase d'érosion suivie par une phase de sédimentation grossière (enregistrée ici à Abaucourt) en période froide puis par des dépôts plus fins de plaine alluviale et de limons (lœss et paléosol), en période interglaciaire de fin de cycle (Wyns, 2014).
Lecture de paysage
Le promontoire naturel que constitue la terrasse alluviale de la Seille offre une vue d'est en ouest via le nord et l'occasion d'une lecture géomorphologique du paysage de côte local (fig.7).
Au premier plan : la plaine alluviale de la Seille dont le tracé à travers la prairie se devine grâce à la ripisylve. Au pied de la terrasse, la source de la fontaine Kelner déverse ses eaux dans un ruisseau, au cours intermittent, qui s'écoule vers l'ouest pour rejoindre la Seille toute proche.
En arrière de la Seille, s'étend la plaine argileuse (terrains du Lias) du Saulnois et du Pays messin dont la planéité est interrompue à l'est par une modeste ligne de relief, orientée N-S. Cet "éperon" dans le paysage occupe le centre d'un fossé tectonique limité par deux failles normales, reportées sur la carte géologique (fig.3). Il constitue donc un compartiment effondré, chapeauté par des calcaires carixiens, apparaissant en inversion de relief (fig.7).
Barrant l'horizon au levant, la Côte de Delme (altitude 404 m - voir la fiche éponyme) est une butte témoin de la Côte de Moselle (calcaires bajociens du Jurassique moyen) dont elle est éloignée d'une vingtaine de kilomètres, une distance conséquente plutôt inhabituelle (Abaucourt se situant entre la côte et la butte). L'isolement de cette butte-témoin a été généré à la faveur d'un jeu de failles qui a abaissé, d'une centaine de mètres, le compartiment sur lequel se positionne cet élément remarquable du relief de côte, le préservant ainsi et aussi de l'érosion.
Fig.7 : Paysage observé depuis la paléoterrasse de la Seille (vue vers le NE) - cliquer sur l'image pour obtenir une interprétation
Bibliographie
Maubeuge P.-L. (1973) - Notice de la carte géologique de Nomeny à 1/50 000, 12 pages.
Wyns R. (2014) - Le Bassin parisien du Tertiaire à l'Actuel, in Le Bassin parisien, un nouveau regard sur la géologie ; Gély J.-P. et Hanot F. (dir.). Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, p.85-93.
Auteurs : Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 10/03/2024 - Dernière modification : 18/07/2024