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Glissement de Sainte-Ruffine : 3. Description

Le site occupé par le village actuel de Sainte-Ruffine est habité depuis l'Antiquité comme en attestent les vestiges d'un temple, de thermes et d'un théâtre antique datant du IIème siècle de l'époque romaine[1].

Sainte-Ruffine est un village des Côtes-de Moselle installé sur une terrasse alluviale ancienne perchée[1][3] qui apparaît en inversion de relief, en rive gauche de la Moselle. Cette terrasse recouvre des sédiments marneux du Lias, les "Marnes à septarias" et les "Schistes-carton" du Toarcien (fig.4).

Fig.4 : Coupe géologique de la Côte de Moselle à Sainte-Ruffine - extrait de la carte géologique de Chambley à 1/50 000 (© BRGM) (N.B.: la terrasse alluviale perchée de Ste.-Ruffine n'est pas cartographiée sur la carte géologique)

Depuis des mouvements de terrain survenus au début des années 1980 (voir plus loin), les "Schistes-carton" affleurent sur un versant abrupt, en contre-bas de la rue de la Chapelle (fig.5). Les cicatrices d’arrachement, niches de décollements et bourrelets sont bien visibles. Les Schistes-carton sont très rarement observables à l'affleurement en Lorraine. Le nom de cette formation du Jurassique inférieur terminal de la région (fig.6) est trompeur : les roches qui la constituent ne sont pas des schistes, des roches d'origine métamorphique, mais des argilites gris-bleu compactées, feuilletées (rappelant la schistosité) d'origine sédimentaire, devenant brunâtres et friables, une fois altérées (ce qui les fait ressembler au carton). Sur l'affleurement, des galets siliceux, issus de la terrasse alluviale sus-jacente, se mêlent, en éboulis épars, à l'argilite toarcienne.

Fig.5 : Schistes-carton du Toarcien échantillonnés en aval de la Maison Mercy (MM sur les figures 2, 4 et 6) ; en A : affleurement principal montrant une niche d'arrachement ; B : aspect feuilleté des "Schistes-carton" (cliquer sur l'image pour zoomer) ; C : nodule calcaire (provenant probablement des Marnes à septarias sus-jacentes) contenant une petite ammonite en coupe transversale

 

Fig.6 : Position des Schistes-carton dans la colonne stratigraphique - à gauche, âges en millions d'années (© BRGM)

Des instabilités, des ruptures circulaires et des glissements de terrain circulaires régressifs, accompagnés parfois de coulées de boue, affectent régulièrement les formations marneuses du Toarcien et les Schistes-carton en particulier (fig.7), sur au moins 4 mètres d'épaisseur à Sainte-Ruffine. Il s'agit peut-être du meilleur endroit où l’on peut observer les mouvements de terrain qui affectent le Toarcien en Lorraine (voir aussi la fiche They-sous-Vaudémont ou, dans un autre contexte de risque naturel, le retrait-gonflement d'argiles, celle Sexey-aux-Forges en Meurthe-et-Moselle ou encore la fiche Château-Salins pour les marnes du Keuper en Moselle).

Fig.7 : Recencement sur le site InfoTerre des glissements de terrain dans le Toarcien du front de la Côte de Moselle et des versants de la Moselle autour de la commune de Sainte-Ruffine (cliquer sur l'image pour lire la fiche détaillée d'un événement)

Les glissements dans les formations argileuses sont habituellement facilités par une forte déclivité et une alimentation en eau importante suivant de fortes périodes de précipitations. Ces deux conditions sont réalisées à Ste.-Ruffine :

- apports d'eau d'infiltration soit depuis les sédiments détritiques de la terrasse alluviale ancienne qui recouvre les bancs marneux, soit depuis les Grès supraliasiques qui reposent sur les Marnes à septarias, ces formations étant recoupées de plusieurs failles qui servent alors de drains, soit encore problablement aussi, par les eaux usées et d'écoulement issues des puits perdus de la cité ;

- la déclivité importante (ici jusqu'à 40%) du versant abrupt érodé et surcreusé par la Moselle (ancien méandre concave).

Fig.8 : Glissement régressif (d'après Lebon, 1985)[2]

Un glissement circulaire fait référence au contour en forme d'arc de la masse de terrain déplacée ; le glissement régressif décrit un mouvement de propagation du glissement qui remonte la pente de proche en proche, partant de son point d'origine le plus bas (surcreusement par une rivière par ex.) pour affecter des zones de plus en plus hautes (fig.8).

Ces déformations (fig.9) perturbent les formations superficielles et les constructions humaines qu'elles supportent depuis au moins l'époque gallo-romaine [1] et sont responsables de la destruction d'une église au XVIIIème qui se situait à l'emplacement de l'actuelle chapelle Notre-Dame.

Fig.9 : Analyse des déformations du secteur en 1999 ; C =Chapelle, MM= Maison Mercy, MC = Maison Carl (© Rapport de présentation du PLU de Ste.-Ruffine du 21-09-2020) - cliquer sur l'image pour l'agrandir

Le glissement de terrain du début des années 1980 (fig.10) constitue un événement majeur qui a occasionné la destruction ou la mise en danger de plusieurs habitations construites sur le côteau sud de la commune, autour de la chapelle Notre-Dame. Cette catastrophe a remis au jour le risque naturel auquel le village était exposé et a entraîné une prise de conscience et la mise en place d'un plan de prévention du risque sur le territoire communal, dans les années qui ont suivi (voir plus loin).

Fig. 10 : Photographie aérienne du site réalisée après le mouvement de terrain de 1980 (MM=Maison Mercy, MC=Maison Carl, C=Chapelle ; le jardin Chatelat se situe à droite de la zone de glissement ici nettement visible ; la flèche indique le sens de déplacement par gravité vers le fond de la vallée) (© BRGM) - cliquer sur l'image pour visualiser le croquis d'interprétation du BRGM [3]

Les constructions (murets des jardins Chatelat et Maison Mercy en particulier) situées sur le rebord est de la terrasse (fig.9 et 10), au sommet de la pente très raide (près de 40%) qui constitue le flanc gauche du lit majeur de la Moselle actuelle, ont été fortement déformées voire disloquées (fig. 11 à 13)[2][3].

 

Fig.11 : Vue de l'état actuel de la Maison Mercy (côté aval). Cette maison en béton armé, à toit en terrasse, est totalement ruinée, les dalles en béton étant disloquées et effondrées (état en 2025)

 

Fig.12 : Vue de l'état actuel de la face arrière de la Maison Mercy (côté amont) et vue de la façade de la Maison traditionnelle Carl (côté aval), toutes deux en apparence demeurées intactes (état en 2025).

Fig.13 : Photo d'archive montrant les dégâts de la maison Mercy aux lendemains des mouvements de terrain du début des années 1980 (source : PPRN commune de Ste.-Ruffine 2005)

À la suite du glissement des années 1980, toute cette zone est devenue inhabitable et inconstructible, des terrains à vocation de jardin, et des maisons ont en particulier fait l'objet d'une interdiction d'habiter et ont dû être évacuées :

- la Maison Mercy, aujourd'hui totalement ruinée (fig.11 et 13) ;

- la Maison Carl, située plus en retrait, qui a pour l'instant été épargnée (fig.12) mais qui se situe dans la zone à risques.

Après ces événements et au regard des rapports d'expertise, un plan de prévention des risques naturels (PPRN) a été établi en 1990 puis actualisé en 2005, par la préfecture de Moselle pour la commune de Sainte-Ruffine[4]. Ce document peut être consulté depuis le site web de la préfecture de la Moselle ou depuis le site gouvernemental Géorisques pour une version synthétique et simplifiée (voir un exemple de fiche pour la rue de la Chapelle à Sainte-Ruffine).

Dans une zone exposée, la définition du risque doit prendre en compte :

  • l'aléa considéré (= mouvements de terrain ici), son intensité et sa prévisibilité définies en fonction des événements passés ;
  • les enjeux du territoire (bâti, infrastructures, zones naturelles sensibles...).

Dans le cas présent, l'établissement du PPRN, lié aux mouvements de terrain, s'est appuyé en premier lieu sur les glissements connus et recensés sur le territoire de la commmune de Sainte-Ruffine puis sur les paramètres géologiques (lithologie, tectonique...) et topographiques (% de pente) locaux (fig.14), ce qui a permis de définir une cartographie de l'aléa (fig.15).

N.B. : sur les cartes ci-après (fig.14 à 17), l'étoile jaune et rouge indique la position de la chapelle Notre-Dame.

 

Fig.14 : Carte des mouvements de terrain établie pour le PPRN de la commune de Sainte-Ruffine [4] - cliquer sur la carte pour l'agrandir

Fig.15 : Carte de l'aléa "mouvement de terrain" établie pour le PPRN de la commune de Sainte-Ruffine [4] - cliquer sur la carte pour l'agrandir

Les enjeux ont également fait l'objet d'une cartographie appliquée à la commune (fig.16).

Fig.16 : Carte des enjeux établie pour le PPRN de la commune de Sainte-Ruffine [4] - cliquer sur la carte pour l'agrandir

La cartographie de l'aléa et des enjeux a ainsi permis de dresser la carte du risque, le PPRN proprement dit, et ses conséquences en termes de réglementation pour le plan d'occupation du sol, notamment l'interdiction de nouvelles constructions dans les zones du territoire communal où le risque de glissement de terrain est important ou avéré (fig.17). La commune de Ste.-Ruffine est aussi exposée au risque d'inondation pris spécifiquement en compte dans le PPRN.

Fig.17 : Carte des risques établie pour le PPRN de la commune de Sainte-Ruffine [4] - cliquer sur la carte pour l'agrandir

La friche actuelle de la zone sinistrée qui a colonisé les terrains laissés depuis 35 ans à l'abandon semble avoir temporairement stabilisé la zone de glissement, au moins en apparence lorsqu'on la traverse, grâce à l'action de l'emprise racinaire des arbres et buissons.

Des déformations en arc et des fractures dans les murs et murets montrent néanmoins que toute la zone continue de  se déformer activement (fig.18) et que les mesures de prévention, évacuation et mise en sécurité prises par les services de la préfecture de Moselle étaient bien une nécéssité.

 

Fig.18 : Fracturation des murs et murets au voisinage de la zone interdite. En haut, un muret récent supportant une grille, construit pour sécuriser le site et empêcher l'accès aux propriétés dégradées par les glissements ; en dessous les murs des jardins des propriétés situées plus en retrait et qui jouxtent de part et d'autre le chemin conduisant à la chapelle.

 

 

Éléments de bibliographie / sitographie:

(1) Ollivier L. (1997) - Sainte-Ruffine : Une petite agglomération à vocation cultuelle. In: Les agglomérations secondaires de la Lorraine romaine. Besançon : Université de Franche-Comté, pp. 363-366. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 647).

(2) Lebon P. (1985 et additif 1986) - DDE Moselle - Plan d'Exposition aux Risques Naturels Prévisibles. Commune de Sainte-Ruffine. Elaboration d'une carte d'aléas des mouvements de terrains : Note de présentation. BRGM 85 SGN 525 LOR, 29 pages.

(3) Rougieux L. (1990) - Commune de Sainte-Ruffine (57). Auscultation des mouvements de terrain affectant le versant Est de la commune: Evolution et prévisions d'évolution à moyen terme. Rapport BRGM  R 30734 LOR AS 90, 11 pages et 2 annexes.

(4) PPNR de la commune de Sainte-Ruffine (1990 et 2005) : site web de la préfecture de Moselle, lien de consultation (consulté le 22 aout 2025).


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 02/03/2025 - Dernière modification : 18/10/2025

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Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)