Journée de la gastronomie durable

À l’occasion de la Journée de la gastronomie durable, rencontre avec Mauro Colagreco, chef triplement étoilé et ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO

Chaque 18 juin depuis 2017, les Nations Unies, l’UNESCO et la FAO, nous invitent à célébrer la Journée de la gastronomie durable, conformément à la résolution A/RES/71/246 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette journée met à l’honneur une alimentation respectueuse de l’environnement, des traditions locales et des communautés.

À cette occasion, Mauro Colagreco, chef d’origine argentine installé en France depuis près de deux décennies, évoque son parcours, son engagement pour la biodiversité, et sa vision d’une cuisine en harmonie avec la nature.

Récompensé dès 2009 par le Gault&Millau qui le désigne « Meilleur cuisinier de l’année », Mauro Colagreco s’impose sur la scène gastronomique mondiale avec le Mirazur, son restaurant situé à Menton, dans les Alpes-Maritimes. En 2019, le Mirazur est sacré « Meilleur restaurant au monde » par The World’s 50 Best Restaurants, et reçoit la prestigieuse troisième étoile au guide Michelin. En 2020, il obtient également une Étoile verte Michelin, qui distingue les engagements durables, ainsi que la certification « Plastic Free ». Deux ans plus tard, Mauro Colagreco est nommé Ambassadeur de bonne volonté pour la biodiversité par l’UNESCO.

©Mattéo Carassale
©UNESCO / Christelle ALIX

Avant d’aborder votre engagement en faveur de la gastronomie durable et de la biodiversité, pourquoi avoir choisi Menton pour y installer le Mirazur ?

Mon arrivée à Menton en 2006 est le fruit d’un hasard heureux, je cherchais à ouvrir mon propre restaurant mais n’avais pas d’argent et un ami m’a parlé de cet établissement abandonné depuis plusieurs années… lorsque j’ai mis un pied sur cette terre, j’ai été immédiatement séduit par sa beauté. C’est un territoire unique, entre mer et montagne, baigné par un microclimat exceptionnel, avec une biodiversité rare. Ce lien avec la nature, cette lumière, ces senteurs méditerranéennes m’ont profondément inspiré et rappelé ma terre natale argentine. Menton, c’est une terre de culture, de tradition, de mémoire, et elle m’a permis de construire un projet de vie et de cuisine en parfaite harmonie avec mon environnement.

©Mattéo Carassale

Le Mirazur, c’est bien plus qu’un restaurant étoilé. C’est aussi un lieu profondément connecté à la terre, notamment à travers ses jardins. Pouvez-vous nous en parler ?

©Mattéo Carassale

Les jardins du Mirazur sont le cœur battant du restaurant. Nous cultivons en permaculture et en biodynamie sur cinq hectares. Les jardins accueillent plus de 1 500 variétés, dont des espèces oubliées que nous cherchons à préserver. Ce sont des lieux de production, bien sûr, mais aussi de recherche, de transmission, d’inspiration. Ce lien direct avec la terre me permet de proposer avec mes équipes une cuisine profondément vivante, connectée aux cycles naturels.

L’un de vos projets les plus intrigants est sans doute la forêt comestible. De quoi s’agit-il exactement ?

La forêt comestible est un projet qui vise à imiter les écosystèmes naturels tout en produisant une abondance de nourriture. Elle s’inspire des strates naturelles des forêts pour intégrer différentes espèces — arbres fruitiers, plantes aromatiques, légumes grimpants, champignons, etc. Ce système, à la fois résilient et autonome, incarne parfaitement notre vision d’une gastronomie circulaire : produire sans détruire, régénérer les sols, favoriser la biodiversité, et créer un modèle d’agriculture durable.

Le 18 juin, nous célébrons la gastronomie durable. Comment la définiriez-vous ?

Pour moi, la gastronomie durable, c’est une manière de cuisiner qui respecte profondément la nature, les cycles de la vie et les communautés humaines. Elle se fonde sur des principes de circularité, de saisonnalité, de respect des écosystèmes. C’est une cuisine qui valorise les produits dans leur intégralité, qui évite le gaspillage, qui privilégie les circuits courts. C’est aussi une gastronomie qui éduque et transmet des valeurs.

Pensez-vous qu’il soit important de consacrer une journée mondiale à la gastronomie durable ?

Oui, absolument. Cette journée est essentielle pour sensibiliser le grand public à l’impact de notre alimentation sur l’environnement et la société. Elle permet de rassembler les acteurs de la filière alimentaire autour d’initiatives concrètes, et de rappeler que chaque geste compte. Je pense que c’est une manière de dire que cuisiner, manger, n’est pas anodin : c’est un acte politique, écologique et hautement culturel !

Concrètement, comment s’exprime votre engagement au quotidien pour une cuisine plus durable ?

Au restaurant Mirazur:

  • Nous avons supprimé tout plastique à usage unique depuis 2022 — ce qui nous a valu d’être le premier restaurant au monde certifié “Plastic-Free”. Cette suppression totale nous a pris presque 3 ans, un très long processus tant le plastique est partout…
  • Nos jardins produisent jusqu’à 80 % des ingrédients selon les saisons. Ils sont en biodynamie donc nous n’utilisons aucun intran chimique (pas de pollution de la terre)
  • Nous travaillons exclusivement avec des producteurs, éleveurs et pêcheurs locaux engagés.
  • Nous avons créé une équipe de recherche et développement pour aller plus loin dans notre démarche et notamment pour réduire le gaspillage en utilisant ou reutilisant. Par exemple pour utiliser les surplus de production, nous avons créé une marque d’épicerie fine : Noyau
  • Nous trions, compostons et recyclons
  • Nous veillons à nos consommations énergétiques (eau, électricité…)
  • Nous n’utilisons plus non plus de détergeant car nous avons un processus ingénieux qui transforme l’eau en désinfectant par osonation !
  • Nous compensons notre empreinte carbone.
  • Et nous formons nos équipes à ces enjeux, car la sensibilisation est essentielle.

Nous avons déjà de nombreuses initiatives en place mais nous sommes toujours en train de trouver de nouvelles solutions pour améliorer notre système. Nous avons d’ailleurs un collaborateur dont c’est le métier a plein temps !

La gastronomie durable fait écho à l’Objectif de développement durable n°12, relatif à la consommation et à la production responsables. Pensez-vous que la cuisine puisse jouer un rôle dans l’atteinte de l’Agenda 2030 ?

Évidemment. La cuisine touche tout le monde, chaque jour. Elle est donc un levier puissant pour transformer nos modes de production et de consommation. En valorisant les produits locaux, en bannissant les déchets, en restaurant le lien à la terre, nous pouvons transformer nos systèmes alimentaires. C’est une responsabilité, mais aussi une immense opportunité de faire évoluer notre société vers plus de justice et d’harmonie avec la nature.

En 2020, le guide Michelin introduit une nouvelle distinction : l’Étoile verte, saluant les démarches écoresponsables. Vous l’avez obtenue dès sa première année. Était-ce un objectif pour vous ?

Recevoir l’Étoile verte a été une reconnaissance importante de notre engagement et nous en sommes encore très fiers. Mais ce n’était pas un objectif en soi : notre démarche est avant tout sincère et guidée par la conviction que nous devons réconcilier la cuisine avec le vivant. L’Étoile verte, comme le label B Corp obtenu en septembre 2024, viennent saluer des années de travail de toute une équipe engagée. Chaque collaborateur qui passe par le Mirazur pourra ensuite enseigner ce qu’il ou elle a appris ; nous souhaitons créer une grande chaîne de valeurs vertueuse.

Depuis novembre 2022, vous êtes Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO pour la biodiversité. Quel est le sens de ce rôle pour vous ?

C’est un immense honneur, mais surtout une grande responsabilité. Être Ambassadeur de la biodiversité, c’est donner une voix à tous les vivants — ceux que nous voyons et ceux que nous oublions. C’est sensibiliser aux enjeux de la préservation des écosystèmes, défendre les savoir-faire agricoles traditionnels, lutter contre l’uniformisation des goûts et des cultures. C’est, en somme, rappeler que notre alimentation est indissociable de notre lien au vivant.

Vous avez participé à la COP16 sur la biodiversité. Un souvenir en particulier vous a-t-il marqué lors de cette conférence ?

Participer à cette COP a été une expérience formidable ! Je me souviens d’un moment fort : une table ronde avec des représentants de peuples autochtones. Leur vision du monde, leur lien sacré à la terre, leur sagesse millénaire m’ont profondément ému. Cela m’a rappelé que, malgré tous nos progrès technologiques, nous avons beaucoup à apprendre de ceux qui vivent en harmonie avec la nature.

Enfin, quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes, qu’ils aspirent ou non à devenir cuisiniers ?

Je leur dirais : soyez curieux, soyez sensibles à ce qui vous entoure, engagez-vous. Chacun de vos choix, même le plus petit, a un impact. “En choisissant ce que nous mangeons, nous choisissons le monde dans lequel nous voulons vivre.” Et surtout, ne jamais avoir peur de rêver. La planète a besoin de vous, de vos rêves, de vos idées, de votre énergie.


L’interview a été réalisée par Romain et Albin


Pour en savoir plus, rendez-vous sur la page de la journée de la gastronomie durable sur le site des Nations Unies.