Objet d’étude : Interrogations scientifiques – l’astronomie
Cet article présente la séance liminaire d’une séquence consacrée aux « Interrogations scientifiques : l’astronomie » en grec ancien ; il peut aisément être exploité aussi en latin, car il s’appuie sur plusieurs textes latins et grecs.
Il s’agit d’entrer dans l’univers des sciences grecques antiques grâce à un élément moderne prestigieux : la médaille Fields, qui récompense les plus grands mathématiciens du monde entier tous les quatre ans.
En s’appuyant sur l’iconographie et la numismatique, le lexique et la grammaire, les textes antiques et les savants des XXe et XXIe siècles, cette étude confronte le monde ancien et son rayonnement moderne, en soulignant la permanence des grandes questions scientifiques et l’intérêt des plus grands scientifiques de notre époque pour les Langues et Cultures de l’Antiquité.
But de la séance : Découvrir l’astronomie et les mathématiques grecques par le biais de la médaille Fields.
- Activité 1 : décrire et commenter l’avers de la médaille Fields (diffusée par vidéo projecteur) en la rapprochant des textes antiques.
- Activité 2 : décrire et commenter le revers de la médaille Fields.
- Activité 3 : confronter l’avers et le revers de la médaille pour en étudier les interrogations scientifiques.
Activité 1 : L’avers de la médaille.
Méthodologie : comment étudier la numismatique en classe ?
Questions posées aux élèves : Que signifie le terme « numismatique » ? Quelle en est l’étymologie ?
La numismatique est la science qui étudie les monnaies et médailles. C’est une science auxiliaire de l’histoire. Le terme vient du grec par le latin :
Numismatique < latin numisma < latin nomisma < grec νόμισμα (« ce qui est soumis à une règle ou à un usage, monnaie en cours, médaille ») < verbe grec νομίζω (« être en usage, être soumis à une règle ou à une loi »).
Etymologie comparée de monnaie et numismatique : cf. D. Gerin, C. Grandjean, M. Amandry & F. de Callataÿ, La monnaie grecque, p. 5 :
« Le terme « monnaie » a une origine anecdotique : il provient du fait que, à Rome, l’atelier monétaire était installé sur le Capitole dans ou à proximité du temple de Junon Moneta. La science des monnaies, qui est la numismatique, fournit une étymologie plus riche de sens, puisque le mot dérive de νόμος (nomos, d’où nomisma), qui signifie la loi, la convention, le contrat, rappelant par là le caractère fondamentalement contractuel et politique de l’institution monétaire. Aristote l’a posé nettement : « Elle [la monnaie] porte ce nom de nomisma car elle n’est pas un produit de la nature mais de la loi » (Ethique à Nicomaque, V, 5).
Quelle est la différence entre une pièce de monnaie et une médaille ?
La monnaie et la médaille sont des pièces de métal frappées ou coulées, mais la première sert de moyen de paiement, alors que la médaille sert à honorer une personne, une institution ou un événement.
Quelles sont les différentes parties d’une pièce ou médaille ?
(Source : http://www.numismativy.fr/dossier/generalites/vocabulaire/vocabulaire.html)
Les termes pertinents pour étudier la médaille Fields (donner la liste des notions et les définitions aux élèves) :
1) Bien distinguer les deux côtés de la médaille :
- a) L’avers (ou le droit, synonyme populaire : côté face) : côté portant l’effigie ou le motif principal.
b) Le revers (synonyme populaire : côté pile) : côté opposé à l’avers.
2) Description de l’avers :
- a) L’effigie : dessin majeur sur l’avers
b) La légende : lettres ou mots figurant sur une médaille
c) La signature : nom du sculpteur ou de l’émetteur
d) Le monogramme : emblème réunissant plusieurs lettres en un seul dessin
e) Le millésime : la date de fabrication de la médaille
f) Le champ : partie de la médaille laissée plate sur laquelle aucun motif n’a été gravé
g) Le type : motif principal en relief
h) La gravure : en relief ou en creux
3) Description du revers :
- a) Dessin
b) Inscription
4) La tranche : épaisseur de la médaille :
La contremarque : marque frappée postérieurement à la fabrication initiale (lettre, nom, inscription, valeur).
5) Le listel : rebord en relief sur tout le contour de la médaille, servant à la protéger contre l’usure par frottement.
6) La matière : l’or.
7) Le module : diamètre d’une monnaie.
8) Le tirage : nombre d’exemplaires d’une pièce ayant été frappée.
Description de l’avers :
(Source : article « Médaille Fields », Wikipédia)
L’effigie : Qui est représenté sur l’avers ?
Archimède, comme le prouve l’inscription grecque.
L’inscription : A quel cas est employé le terme ΑΡΧΙΜΗΔΟΥΣ ? Pourquoi ?
Distinguer l’emploi du nominatif et celui du génitif. ΑΡΧΙΜΗΔΟΥΣ est employé au génitif, exprimant la possession : c’est non seulement l’effigie d’Archimède, mais aussi sa pensée ou vision du monde (Weltanschauung) qui est exprimée sur l’avers, à savoir la citation de Manilius.
Que savez-vous sur la vie d’Archimède ?
Lire le document : Charles Mugler, dans : Archimède, tome premier, introduction, Paris, C.U.F., 1970, p. VII-VIII :
« La vie d’Archimède.
Archimède naquit à Syracuse en 287 avant J.-C. ; il était le fils de l’astronome Phidias, dont les travaux sur les rapports des diamètres du soleil et de la lune sont mentionnés dans l’Arénaire d’Archimède. Sans être riche, sa famille, liée d’amitié au tyran Hiéron II de Syracuse, avait suffisamment de ressources pour qu’Archimède pût consacrer tout son temps à ses travaux de recherche. Attiré par le rayonnement du grand centre de culture de ce temps, Alexandrie, il fit au moins un voyage en Égypte, et restera en correspondance avec des savants comme Dosithée, Conon de Samos et Ératosthène qui y continuaient la tradition d’Euclide.
Comme son voyage en Égypte, tous les traits de sa vie privée qu’une tradition souvent incertaine nous a conservés nous sont présentés dans un rapport étroit avec ses recherches scientifiques : la détection de la fraude commise par l’orfèvre chargé de confectionner pour le roi Hiéron un diadème en or pur ; la distraction d’Archimède qui lui fait oublier de se rhabiller après un bain pendant lequel il trouve la solution d’un problème qu’il s’était posé, et son cri de joie εὕρηκα, la défense de sa ville natale, contre l’armée et la flotte de Marcellus, par des machines balistiques d’une puissance extraordinaire ; enfin la mort d’Archimède, surpris dans ses méditations, au moment de la prise de Syracuse en 212, par un soldat romain qui tue le vieux savant parce qu’il ose lui défendre de toucher aux figures tracées par lui dans le fin sable de son abaque. »
Est-ce que l’effigie correspond vraiment avec cette image d’un savant rusé et génial, mais âgé, têtu et distrait ?
Non, le sculpteur a manifestement embelli et idéalisé Archimède, en lui donnant des traits plus jeunes et typiquement grecs : nez grec, barbe du philosophe grec, ressemblance avec l’iconographie des stoïciens Sénèque (philosophe influencé par les Grecs) et Marc-Aurèle.
La signature et le monogramme : Qui est le sculpteur qui a gravé cette médaille ?
Comme la plupart des artistes, il a signé son œuvre : sa signature prend la forme du monogramme ajouté sur l’avers, derrière la nuque d’Archimède.
Quelles lettres reconnaissez-vous dans le monogramme ?
On identifie les lettres R et T, reliées par un M, initiales de Robert Tait McKenzie.
Qui est le sculpteur Robert Tait McKenzie ?
Robert Tait McKenzie (1867-1938) a rempli de multiples fonctions : il a été médecin, professeur, sculpteur et athlète canadien. Il a étudié la médecine à l’Université McGill à Montréal, où il enseigna l’anatomie et développa une école d’éducation physique. Il s’adonne aussi à l’art : pour réaliser ses masques appelés Effort violent, Essoufflement, Fatigue et épuisement, il a étudié les muscles faciaux soumis au stress et à l’émotion. Après sa première sculpture, Le sprinteur, il crée plus de 200 œuvres : figures athlétiques et militaires, bustes, masques, frises et médaillons ; il acquiert une renommée mondiale et il entre à la Royal Canadian Academy of Arts. En 1904, il devient Directeur du département d’éducation physique à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphia. Fervent admirateur des Jeux olympiques, il est chargé par le Comité olympique américain de réaliser une médaille pour les J.O. de Stockholm en 1912 : il crée la célèbre médaille La Joie de l’effort.
Quels sont les liens de Tait McKenzie avec les mathématiciens ?
En 1929, le mathématicien canadien John Charles Fields (1863-1932) commence à penser à une médaille pour récompenser les découvertes exceptionnelles en mathématiques, parce qu’il restait des fonds après le Congrès International des Mathématiciens qu’il avait organisé à Toronto en 1924. Il a l’accord unanime du Conseil de l’AMS (Société Mathématique Américaine) le 9 janvier 1931. Le 12 janvier 1932, Fields déclare que « la médaille devait être aussi internationale que possible et qu’à cette fin le nom d’aucune institution ou pays ne devait y être attaché ». Pour stimuler la recherche, la médaille ne devait être décernée qu’à des mathématiciens de moins de 40 ans. Les fonds de la médaille Fields sont administrés par l’Université de Toronto. Concernant la conception de la médaille, dans une lettre à R. G. D. Richardson, secrétaire de l’AMS, datée du 19 mars 1931, il précise sa pensée :
« Je serais très reconnaissant qu’on me fasse des suggestions […] à propos de la conception de la médaille, qui doit naturellement être examinée avec soin. Il semblerait que la langue employée dans toute inscription de la médaille devrait être internationale. Cela recommande le latin comme seule langue adéquate ou peut-être le latin sur une face et le grec sur l’autre ?
Je me suis demandé moi-même s’il serait approprié d’avoir sur une face un dessin qui ne représenterait pas d’une manière trop appuyée les côtes des demi-continents bordant l’Océan Atlantique et sur l’autre face un dessin similaire des côtes bordant le Pacifique ?
Existe-t-il des figures allégoriques caractérisant les Mathématiques ? Il n’y pas de Muse des Mathématiques, je crois. Comment serait-il possible de placer une couronne de laurier au-dessus de l’emplacement réservé au nom du récipiendaire de la médaille ? La couronne pourrait être représentée seule ou bien tenue au-dessus par une figure féminine avec une draperie flottant avec grâce. »
Le 8 avril 1931, Richardson lui répond :
« Je crains d’avoir très peu de suggestions à vous faire pour le dessin de la médaille. […] Je joins à ma lettre une gravure du sceau de la Société :
[Société Mathématique Américaine, fondée en 1888.
Inscription au-dessus de la porte de l’Académie de Platon :
ἀγεωμέτρητος μηδεὶς εἰσίτω μοῦ τὴν στέγην
« Que nul n’entre sous mon toit, s’il n’est géomètre »]
Ce dessin est plutôt conventionnel, mais peut fournir quelques suggestions. […]
Une main puissante tenant une torche ou passant cette torche à une autre main puissante pourrait produire un certain effet.
Bien sûr, D. E. Smith [David Eugen Smith (1860-1944), professeur de mathématiques à Teachers College à l’Université Columbia, Manhattan, NY, collectionneur d’objets mathématiques étonnants et auteur d’ouvrages sur les origines des mathématiques] serait la meilleure source pour avoir des informations et des suggestions, et vous prendrez certainement contact avec lui. Vos propres suggestions me semblent intéressantes. Je préférerais le latin pour les inscriptions.
[…] Nous avons eu un Congrès International de Mathématiques avant la guerre [la Première Guerre mondiale] et cette appellation pourrait servir pour la médaille. »
Le 31 mai 1931, pour fixer le choix du dessin, Fields répond à Richardson, en disant qu’il a correspondu avec D. E. Smith sur ce sujet et que, durant son prochain séjour en Europe, il passera voir « Sir Thomas Heath, qui pourra [lui] donner quelques tuyaux. J’ai l’intention de discuter de la médaille avec un bon nombre de mathématiciens d’outre-Atlantique ». En Europe, durant l’été 1931, Fields recherche des idées pour le dessin artistique ; il en discute avec des collègues et interviewe des artistes. De retour à Toronto, il écrit une lettre à Richardson le 27 décembre 1931 :
« La grande difficulté, c’est d’avoir un dessin approprié pour la médaille. Pendant que j’étais en Europe, j’ai vu plusieurs artistes qui dessinaient des médailles. […] Je préférerais quelque chose qui mette en évidence d’une manière plus suggestive le rôle dominant des mathématiques dans les conditions de vie modernes et dans notre vision philosophique [in our philosophic outlook]. »
Ainsi, dans ses discussions avec Richardson et d’autres mathématiciens, ce sont les décisions de Fields qui ont prévalu pour l’absence de toute identification nationale, institutionnelle ou personnelle et pour l’utilisation des lettres classiques. Mais Fields recherchait toujours un sculpteur. Le 12 janvier 1932, devant le Comité d’Organisation de Toronto, il prononce le discours suivant :
« Concernant la médaille elle-même, je peux dire qu’elle devrait contenir au moins une valeur en or de 200 dollars et être d’une bonne taille, peut-être 9 centimètres de diamètre. En raison de son caractère international, la langue à employer, semble-t-il, devrait être le latin ou le grec. Le dessin reste encore à fixer. Il devra être décidé par les artistes en concertation avec les mathématiciens. »
Au cours de l’été 1932, Fields commence à correspondre avec son compatriote canadien, le sculpteur Robert Tait McKenzie, au sujet des dessins possibles. Fields meurt le 9 août 1932 avant que McKenzie ait achevé son ouvrage, mais il en avait très certainement vu les esquisses. Les ultimes dispositions sont prises par le mathématicien irlandais John Lighton Synge (1897-1995), membre du Département de mathématiques à l’Université de Toronto, donc collègue de Fields. Vers la fin de 1932, Synge se rend à Philadelphia et New York pour rencontrer McKenzie. Le sculpteur se demandait comment il allait pouvoir représenter un mathématicien. Dans son autobiographie, Synge ne se souvient plus qui, de McKenzie ou de lui-même, a pensé le premier à Archimède (Riehm, p. 188).
Toutefois, nous [Th. Grandjean] pouvons conjecturer que c’est Fields qui a joué un rôle décisif dans le choix d’Archimède pour trois raisons :
1) Dans la lettre que Fields a reçue le 8 avril 1931, Richardson lui recommandait de consulter D. E. Smith, professeur de mathématiques à l’Université Columbia et auteur de travaux sur les origines des mathématiques ; or Fields et McKenzie ont parlé ensemble des dessins.
2) Synge et McKenzie se sont rencontrés à New York pour parler des illustrations. Or d’après le témoignage du sculpteur, il est certain que McKenzie a consulté les portraits d’Archimède dans les archives de l’Université Columbia. En effet, d’après une lettre de E. F. Brown à H. Tropp datée du 20 novembre 1974, le portrait d’Archimède conçu par McKenzie a son origine dans « plus de trente portraits collectionnées par le Professeur D. E. Smith, qui montre les idées de nombreux artistes. Le sculpteur suivit sa propre impression en lisant la vie et les œuvres d’Archimède » (Henry Tropp, « The Origins and History of the Fields Medal », p. 181). Par conséquent, McKenzie a suivi les recommandations de Richardson données à Fields, qui a transmis la piste de D. E. Smith soit directement à McKenzie soit à Synge, qui en a parlé ensuite au sculpteur. Il est beaucoup plus probable que Fields ait parlé directement de Smith à McKenzie, car il avait affaire à un artiste et connaissait la piste de Smith depuis 1931.
3) Enfin, dans sa lettre du 27 décembre à Richardson, Fields affirme clairement qu’il cherchait surtout à « mett[re] en évidence d’une manière plus suggestive le rôle des mathématiques dans les conditions de vie modernes et dans notre vision philosophique. » Or le savant Archimède, qui s’adonnait à la réflexion philosophique au péril même de sa vie, était un excellent modèle de sage mathématicien et un scientifique antique d’une éminente modernité, puisqu’il a combattu Marcellus, le conquérant romain, lors du siège de Sicile, comme les savants modernes avaient à redouter les funestes conséquences du traité de Versailles, qui avaient divisé les mathématiciens du XXe siècle (Riehm, Turbulent Times in Mathematics). Fields a donc été un jalon essentiel conduisant vers Archimède.
Quelle image d’Archimède le sculpteur Robert Tait McKenzie a-t-il voulu donner ?
Voici un extrait de la correspondance de Tait McKenzie :
« I feel a certain amount of complacency in having at last given to the mathematical world a version of Archimedes which is not decrepit, bald-headed, and myopic, but which has the fine presence and assured bearing of the man who defied the power of Rome. »
« Je me sens assez satisfait de moi-même d’avoir enfin donné au monde des Mathématiciens une version d’Archimède qui n’est pas décrépit, chauve et myope, mais qui a la belle prestance et la fière assurance de l’homme qui défia le pouvoir de Rome. »
C’est donc une image embellie et idéalisée que McKenzie a offerte aux savants : conscient de l’héritage scientifique et politico-militaire d’Archimède, le Mathématicien peut relever les défis du monde moderne.
Qui a choisi la citation latine servant de légende ?
La citation latine a été choisie par Gilbert Norwood (1880-1954). Professeur de lettres classiques à l’Université de Toronto (où Fields était Professeur) de 1922 à 1952, il a mené des recherches sur la tragédie grecque (Euripide) et la comédie grecque (Aristophane) et latine (Plaute et Térence).
Que signifie la citation latine de Manilius « Transire [s]uum pectus mundoque potiri » (Astronomica, IV 392) ?
« Dépasser / transcender [s]on intelligence et [s]e rendre maître du monde ». Cédric Villani, médaillé en 2010, traduit « S’élever au-dessus de soi-même et conquérir le monde » (Théorème vivant, p. 260).
pectus, pectoris, n. : poitrine, cœur, ici : siège de l’intelligence, de la pensée.
potior, iris, iri, potitus sum (+ ablatif) : prendre en son pouvoir, se rendre maître de, s’emparer de.
Le contexte de la citation : livre IV, vers 390-395 :
390 Quod quaeris, deus est : conaris scandere caelum
fataque fatali genitus cognoscere lege
et transire tuum pectus mundoque potiri.
pro pretio labor est nec sunt immunia tanta,
ne mirere uiae flexus rerumque catenas.
395 admitti potuisse sat est : sint cetera nostra. »
« Mais quel est l’objet de vos recherches ? la divinité même. Vous voulez vous élever jusqu’au ciel ; pénétrer le destin, dont les décrets font que vous existez ; reculer les bornes de votre intelligence; jouir de l’univers entier. Le travail doit être proportionné au bien que l’on espère; de si hautes connaissances ne s’acquièrent pas sans peine. Ne soyez pas étonné des détours et des obstacles qui s’offrent sur la route : c’est beaucoup que d’y être une fois engagé ; le reste ne doit dépendre que de nous. »
Qui est Manilius ?
Marcus Manilius est un poète et astrologue latin contemporain des empereurs Auguste et Tibère. Il a publié ses Astronomica vers 10 après J.-C. : au livre I (vers 898-900), il fait allusion au désastre de la bataille de Teutobourg (9 après J.-C.), remportée par le Germain Arminius sur les légions romaines de Varus.
Quel est l’objet de ses Astronomica ?
Ce poème didactique en cinq livres traite à la fois d’astronomie et d’astrologie : le livre I décrit le ciel, le livre II le zodiaque, le livre III aborde la manière d’établir l’horoscope à partir de l’observation du ciel, et l’influence des astres selon les âges ; le livre IV, dont est tirée cette citation, décrit la Terre et les différents peuples selon leur influence astrale ; enfin le livre V décrit l’influence des planètes.
Comment interpréter cette citation ?
Manilius exhorte le lecteur en le persuadant qu’il vaut la peine de faire des efforts pour comprendre l’astrologie et l’astronomie : les astres se déguisent et l’esprit humain doit faire preuve de sagacité, car les plus hautes connaissances ne s’acquièrent pas sans peine. C’est donc un défi lancé à la sagesse humaine : il faut transcender son intelligence pour comprendre et dominer le monde.
Existe-t-il un lien entre cette citation de Manilius et Archimède ?
Cette citation latine n’est pas la traduction d’une citation d’Archimède. Mais elle a sans doute été choisie non seulement parce qu’elle lance un grand défi à l’humanité et stimule les énergies, mais aussi parce qu’elle rappelle une citation d’Archimède, connue grâce à Pappus d’Alexandrie, grand mathématicien du IVe siècle après J.-C. :
Δός μοι ποῦ στῶ καὶ κινῶ τὴν γῆν
« Donne-moi où je puisse me tenir ferme, et j’ébranlerai la terre »
(Pappus d’Alexandrie, Collection mathématique, livre VIII, chap. XI, traduction française de Paul Ver Eecke).
Le millésime : En quelle année le sculpteur a-t-il réalisé son œuvre ?
1933
Quelle erreur constatez-vous dans la datation MCNXXXIII ?
McKenzie a sculpté N au lieu de M
Quelle serait la date exacte ?
MCMXXXIII
Que s’est-il passé en 1933 dans le monde ?
Arrivée d’Hitler au pouvoir, mise en place de la dictature nazie et début du Troisième Reich, attaque contre les juifs, maison d’Einstein pillée par les nazis.
Peut-on découvrir une allusion politique sur cette médaille ?
Le savant doit tenir tête et sauver le monde.
En quelle matière cette médaille est-elle forgée ?
Selon les recommandations de John Charles Fields concernant la fabrication des médailles, « elles devraient contenir chacune au moins la valeur de 200 dollars d’or ». Cédric Villani précise : « en or massif » (Théorème vivant, p. 261).
Activité 2 : Le revers de la médaille
Revers de la médaille Fields
(source : article « Médaille Fields », Wikipédia)
Qui a écrit la phrase latine du revers ?
L’auteur en est très certainement un professeur de lettres classiques, selon toute vraisemblance Gilbert Norwood, qui a choisi la citation de Manilius pour l’avers de la médaille. Elle remplit les exigences de Richardson, secrétaire de l’AMS, qui, dans sa lettre du 8 avril 1931 adressée à Fields, souhaitait que la médaille porte l’appellation du « Congrès International de Mathématiques », d’où le latin « Congregati ex toto orbe Mathematici ».
Que signifie, sur le revers, la citation latine « Congregati ex toto orbe Mathematici ob scripta insignia tribuere » ?
« Les Mathématiciens du monde entier réunis en congrès ont décerné [cette médaille] pour [récompenser] de remarquables contributions ». Cédric Villani traduit : « Les mathématiciens rassemblés du monde entier ont récompensé pour des contributions exceptionnelles » (Théorème vivant, p. 260).
tribuere = tribuerunt (participe parfait actif, à la 3ème personne du pluriel).
La préposition ob + accusatif est particulièrement bien choisie : elle signifie : 1) devant ; 2) pour, à cause de, en raison de ; 3) pour, en échange de. Montrez que cette préposition peut revêtir ces trois significations dans le contexte de la remise de cette récompense.
Décrivez l’image en vous appuyant sur les cinq documents suivants : que symbolise la branche de laurier ? Pourquoi le sculpteur a-t-il représenté un cylindre et une sphère ?
Document 1 : description, historique et symbolique du laurier, article « laurus nobilis », Wikipédia :
« Description : Le laurier est un arbuste mesurant de 2 à 6 mètres et jusqu’à 15 mètres de haut, à tige droite et grise dans sa partie basse, verte dans le haut. Les feuilles de forme lancéolée, alternes, coriaces, à bord ondulé, sont vert foncé sur leur face supérieure et plus clair à la face inférieure. Elles dégagent une odeur aromatique quand on les froisse. Les fleurs, blanchâtres, groupées par 4 à 5 en petites ombelles, apparaissent en mars-avril. C’est une plante dioïque : les fleurs mâles et femelles sont sur des pieds séparés. Le fruit est une petite drupe ovoïde, noir violacé et nue.
Historique : Au Moyen Âge, on couronnait de laurier les savants distingués dans les universités. Dans les écoles de médecine, la couronne dont on entourait la tête des jeunes docteurs était faite de rameaux feuillés de laurier avec des baies, d’où le nom « baccalauréat » (bacca laurea : baie de laurier) donné encore de nos jours en France au diplôme qui sanctionne la fin des études secondaires. Symbolique : En Grèce, cet arbuste dédié à Apollon représentait l’immortalité acquise par la victoire, ainsi que les conditions mêmes de la victoire : la sagesse unie à l’héroïsme. D’où l’origine de la couronne de laurier qui ceignait la tête des héros, des génies et des sages. » Otto Wilhelm Thoré, Flora von Deutschland, Österreich und der Schweiz, Gera, 1885 (Wikipédia) |
Document 2 : Archimède, De la sphère et du cylindre, livre I, corollaire de la proposition 34 :
« [ΠΟΡΙΣΜΑ.]
Προδεδειγμένων δὲ τούτων φανερὸν ὅτι πᾶς κύλινδρος βάσιν μὲν ἔχων τὸν μέγιστον κύκλον τῶν ἐν τῇ σφαίρᾳ, ὕψος δὲ ἴσον τῇ διαμέτρῳ τῆς σφαίρας, ἡμιόλιός ἐστι τῆς σφαίρας καὶ ἡ ἐπιφάνεια αὐτοῦ μετὰ τῶν βάσεων ἡμιολία τῆς ἐπιφανείας τῆς σφαίρας.
Ὁ μὲν γὰρ κύλινδρος ὁ προειρημένος ἑξαπλάσιός ἐστι τοῦ κώνου τοῦ βάσιν μὲν ἔχοντος τὴν αὐτήν, ὕψος δὲ ἴσον τῇ ἐκ τοῦ κέντρου, ἡ δὲ σφαῖρα δέδεικται τοῦ αὐτοῦ κώνου τετραπλασία οὖσα· δῆλον οὖν ὅτι ὁ κύλινδρος ἡμιόλιός ἐστι τῆς σφαίρας. Πάλιν, ἐπεὶ ἡ ἐπιφάνεια τοῦ κυλίνδρου χωρὶς τῶν βάσεων ἴση δέδεικται κύκλῳ, οὗ ἡ ἐκ τοῦ κέντρου μέση ἀνάλογόν ἐστι τῆς τοῦ κυλίνδρου πλευρᾶς καὶ τῆς διαμέτρου τῆς βάσεως, τοῦ δὲ εἰρημένου κυλίνδρου τοῦ περὶ τὴν σφαῖραν ἡ πλευρὰ ἴση ἐστὶ τῇ διαμέτρῳ τῆς βάσεως [δῆλον ὅτι ἡ μέση αὐτῶν ἀνάλογον ἴση γίνεται τῇ διαμέτρῳ τῆς βάσεως], ὁ δὲ κύκλος ὁ τὴν ἐκ τοῦ κέντρου ἔχων ἴσην τῇ διαμέτρῳ τῆς βάσεως τετραπλάσιός ἐστι τῆς βάσεως, τουτέστι τοῦ μεγίστου κύκλου τῶν ἐν τῇ σφαίρᾳ, ἔσται ἄρα καὶ ἡ ἐπιφάνεια τοῦ κυλίνδρου χωρὶς τῶν βάσεων τετραπλασία τοῦ μεγίστου κύκλου· ὅλη ἄρα μετὰ τῶν βάσεων ἡ ἐπιφάνεια τοῦ κυλίνδρου ἑξαπλασία ἔσται τοῦ μεγίστου κύκλου. Ἔστιν δὲ καὶ ἡ τῆς σφαίρας ἐπιφάνεια τετραπλασία τοῦ μεγίστου κύκλου. Ὅλη ἄρα ἡ ἐπιφάνεια τοῦ κυλίνδρου ἡμιολία ἐστὶ τῆς ἐπιφανείας τῆς σφαίρας.
« Corollaire.
Ces propositions étant démontrées, il est évident que tout cylindre ayant pour base le grand cercle d’une sphère et une hauteur égale au diamètre de cette sphère est équivalent aux trois demis de la sphère et que sa surface, bases comprises, est équivalente aux trois demis de la surface de la sphère.
Le cylindre indiqué est en effet équivalent au sextuple du cône ayant la même base et une hauteur égale au rayon de la sphère alors que la sphère, comme nous l’avons démontré, est équivalente au quadruple du même cône. Il est donc évident que le cylindre est équivalent aux trois demis de la sphère. D’autre part, puisqu’on a démontré que la surface du cylindre, sans les bases, est équivalente à un cercle dont le rayon est la moyenne proportionnelle entre la génératrice du cylindre et le diamètre de la base, que la génératrice du cylindre indiqué, circonscrit à la sphère, est égale au diamètre de la base, ce qui est évident en vertu de l’égalité entre la moyenne proportionnelle de ces segments et le diamètre de la base, que le cercle dont le rayon est égal au diamètre de la base a une aire quadruple de celle de la base, c’est-à-dire quadruple du grand cercle de la sphère, la surface du cylindre sans les bases sera équivalente au quadruple du grand cercle. Il s’ensuit que la surface totale du cylindre, bases comprises, sera équivalente au sextuple du grand cercle. Mais la surface de la sphère est, elle aussi, équivalente au quadruple du grand cercle. La surface totale du cylindre est par conséquent égale au trois demis de la surface de la sphère. »
Archimède était tellement fier d’avoir découvert cette propriété de la sphère et du cylindre qu’il la mentionne au début de sa lettre à Dosithée, en tête de son ouvrage De la sphère et du cylindre.
Document 3 : Plutarque, Vies : Marcellus, XVII, 5-12 : La mort d’Archimède ; la sphère inscrite dans un cylindre sur son tombeau :
« [XVII] 5. Archimède avait un esprit si élevé et si profond et avait acquis un si riche trésor d’observations scientifiques que, sur les inventions qui lui ont valu le renom et la réputation d’une intelligence non pas humaine, mais divine, il ne voulut laisser aucun écrit ; 6. il tenait la mécanique et en général tous les arts qui touchent aux besoins de la vie pour de vils métiers manuels et il consacrait son zèle aux seuls objets dont la beauté et l’excellence ne sont mêlées d’aucune nécessité matérielle, 7 qui ne peuvent être comparés aux autres, et dans lesquels la démonstration rivalise avec le sujet, celui-ci fournissant la grandeur et la beauté, celle-là une exactitude et une puissance surnaturelles. 8 Il n’est pas possible de trouver dans la géométrie des propositions plus difficiles et plus abstraites, exposées suivants des principes plus simples et plus clairs. 9 Les uns attribuèrent ce résultat au génie naturel d’Archimède, les autres à un excès de labeur grâce à quoi chacun de ses travaux semble avoir été fait aisément et sans peine. 10 Cherchez la démonstration, vous ne la trouverez pas tout seul ; mais, dès que vous l’aurez apprise, vous penserez que vous auriez pu la trouver tout seul, tellement est unie et rapide la route par laquelle il vous conduit à la preuve. 11 On ne peut donc pas mettre en doute ce qu’on dit de lui, à savoir que, ensorcelé sans cesse par une sorte de sirène privée et domestique, il en oubliait de manger et négligeait le soin de sa personne ; souvent même, entraîné malgré lui au bain et au massage, il traçait des figures de géométrie sur les cendres du foyer et, sur son corps frotté d’huile, il tirait des lignes avec son doigt, car il était en proie à une extrême passion et vraiment possédé des Muses. 12 Autour de belles et nombreuses découvertes, il pria, dit-on, ses amis et ses parents de placer sur sa tombe, après sa mort, une sphère inscrite dans un cylindre et d’y indiquer la proportion entre les volumes de ces deux solides. »
Comme le précise Plutarque, c’est ce dessin de la sphère circonscrite dans le cylindre qu’il voulut voir sur son tombeau. L’expression « indiquer [sur sa tombe] la proportion entre les volumes de ces deux solides » révèle le lien entre le schéma et la découverte mathématique, donc toute la fierté d’Archimède pour cette invention, qui devait contribuer à son immortalité. De même, à l’époque moderne, les mathématiciens Carl Friedrich Gauss et Jacques Bernoulli ont souhaité que soient représentées sur leurs tombes les figures géométriques qui faisaient leur fierté, respectivement la figure du polygone régulier de 17 côtés et celle de la spirale logarithmique.
Document 4 : Cicéron, Tusculanes, V, 64-67 : Cicéron découvre à Syracuse le tombeau d’Archimède :
« (64) Contentons-nous de la comparer [= la vie du tyran Denys de Syracuse] avec celle d’un homme assez obscur, et compatriote de Denys, mais qui a vécu longtemps après. Je parle d’Archimède, que je veux tout de nouveau tirer de la poussière, l’ayant déjà en quelque manière ressuscité autrefois. Car pendant que j’étais questeur en Sicile, je fus curieux de m’informer de son tombeau à Syracuse, où je trouvai qu’on le connaissait si peu, qu’on disait qu’il n’en restait aucun vestige ; mais je le cherchai avec tant de soin, que je le déterrai enfin sous des ronces et des épines. Je fis cette découverte à la faveur de quelques vers, que je savais avoir été gravés sur son monument, et qui portaient qu’on avait placé au-dessus une sphère et un cylindre. (65) M’étant donc transporté hors de l’une des portes de Syracuse, dans une campagne couverte d’un grand nombre de tombeaux, et regardant de toutes parts avec attention, je découvris sur une petite colonne qui s’élevait par-dessus les buissons, le cylindre et la sphère que je cherchais. Je dis aussitôt aux principaux Syracusains qui m’accompagnaient, que c’était sans doute le monument d’Archimède. En effet, sitôt qu’on eut fait venir des gens pour couper les buissons, et nous faire un passage, (66) nous nous approchâmes de la colonne, et lûmes sur la base l’inscription, dont les vers étaient encore à demi lisibles, le reste ayant été effacé par le temps. Et c’est ainsi qu’une des plus illustres cités de la Grèce, et qui a autrefois produit tant de savants, ignorerait encore où est le tombeau du plus ingénieux de ses citoyens, si un homme de la petite ville d’Arpinum n’était allé le lui apprendre.
Mais revenons à mon sujet. Quel est l’homme qui ait quelque commerce, je ne dis pas avec les Muses, mais avec des hommes tant soit peu doués d’humanité et d’érudition, qui n’aimât mieux être à la place du mathématicien qu’à celle du tyran ? Si vous considérez quelle a été leur vie, Archimède, continuellement appliqué à faire des observations et des recherches utiles, jouissait tranquillement de la satisfaction que donnent d’heureuses découvertes, la plus délicieuse nourriture de l’esprit pendant que Denys, occupé sans cesse de meurtres et de forfaits, passait les jours et les nuits dans d’éternelles alarmes. Que serait-ce, si nous lui comparions un Démocrite, un Pythagore, un Anaxagore ! Quels royaumes, quelles richesses peuvent valoir les charmes de leurs études ? (67) Tout ce qui peut le plus flatter l’homme, n’est-ce pas ce qui appartient à la plus noble portion de lui-même, et par conséquent à son intelligence ? »
Le témoignage de Cicéron prouve la célébrité de cette image gravée sur la tombe d’Archimède : outre la sphère et le cylindre, on y trouvait aussi des vers gravés, que l’Arpinate ne cite pas, mais qu’il affirme avoir reconnus.
Document 5 : Tableau de Pierre-Henri de Valenciennes, Cicéron découvrant le tombeau d’Archimède, huile sur toile, 119 x 162 cm, 1787. Toulouse, musée des Augustins inv. D 1962 1 :
Article de Wikipédia
Voir aussi la notice de la Base Joconde et le document réalisé par le service éducatif du musée des Augustins :
http://www.augustins.org/documents/10180/15597506/pana01s.pdf
Où se situe cette scène ?
Identifier le volcan – L’Etna – la mer – ionienne-, la cité – Syracuse.
Montrez que le peintre a voulu illustrer le passage des Tusculanes : comment Cicéron est-il habillé ?
D’une toge.
Qui sont les autres personnages ?
Des magistrats syracusains.
Que font les trois esclaves ?
Ils écartent et coupent des arbres pour libérer le passage.
Que symbolise la ruine ?
Elle symbolise l’oubli du tombeau du grand Archimède.
Montrez toute l’importance de la lumière.
Elle attire le regard sur le tombeau.
Décrivez le tombeau d’Archimède : quelles formes géométriques reconnaissez-vous ?
On reconnaît le cylindre, dont la base supérieure rappelle aussi la forme de la sphère.
Précision sur la tranche de la médaille :
Les concepteurs de la médaille ont-ils prévu une contremarque (marque frappée postérieurement à la fabrication initiale) ? Oui, le nom du récipiendaire est inscrit sur la tranche : selon Cédric Villani, « sur la tranche, le nom du lauréat et l’année de la distinction » (Théorème vivant, p. 261). Comme Fields l’avait souhaité, son propre nom n’apparaît pas sur la médaille, contrairement à celle du prix Nobel, dont l’effigie est celle d’Alfred Nobel (en outre, la médaille du prix Nobel rappelle les années de naissance et de mort de Nobel).
Activité 3 : Confrontation de l’avers et du revers de la médaille
Quelles questions scientifiques soulève le rapprochement entre Archimède et la dédicace des mathématiciens modernes ?
1) Quelles sont les relations entre l’Antiquité et les sciences modernes ?
Les sciences modernes sont largement tributaires des mathématiques antiques : pour la géométrie euclidienne, les mathématiciens antiques sont la référence incontournable. Quant à la géométrie non euclidienne, elle s’appuie encore sur tous les axiomes et postulats énoncés par Euclide dans les Eléments, sauf le postulat des parallèles (cinquième postulat) :
« Si une droite, tombant sur deux droites, fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces droites, prolongées à l’infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits. »
En 1902, le Nancéien Henri Poincaré, dans La Science et l’Hypothèse, a proposé un modèle où le cinquième postulat d’Euclide n’est pas valable. Mais la géométrie non euclidienne s’est développée dès le XIXe siècle, notamment avec Gauss (1813), puis Lobatchevski (1829) et Riemann (1867).
Néanmoins, les mathématiques antiques restent fondamentales. Témoins Pythagore, Thalès, Euclide, Archimède, constamment étudiés.
2) Quel est le lien entre l’astronomie et les mathématiques ? L’astronomie grecque s’appuie sur les mathématiques. Un des ouvrages d’Archimède le prouve remarquablement : dans L’arénaire, où le savant syracusain relève le défi de calculer les grains de sable contenus dans l’univers, il reprend la définition du cosmos donnée par les astronomes, qui, pour la plupart, décrivent le monde en termes géométriques : le cosmos est « la sphère ayant pour centre le centre de la terre et pour rayon la droite comprise entre le centre du soleil et le centre de la terre » (p. 135, éd. C.U.F.).
3) Archimède a-t-il été à la fois mathématicien et astronome ? Oui, en plus de ses travaux de mathématiques intitulés La sphère et le cylindre, La mesure du cercle, Sur les conoïdes et les sphéroïdes, Des spirales, De l’équilibre des figures planes, L’arénaire, La quadrature de la parabole, il a écrit un traité consacré à l’hydrostatique : Des corps flottants, et a examiné plusieurs questions d’astronomie : la mesure des diamètres apparents du soleil et de la lune, la distance de ces astres à la terre, la détermination de la longueur de l’année (cf. Hultsch, s. v. « Archimedes », P. W., RE, tome II, col. 507-539). On lui attribue aussi la machine d’Anticythère, mécanisme permettant de calculer des positions astronomiques (cf. Th. Grandjean, L’essentiel de la civilisation grecque, p. 114-115).
En outre, Archimède a été un ingénieur talentueux : selon Tite-Live, Polybe et Anthémius de Tralles (documents 1 à 3), il a inventé différentes machines de guerre, notamment des miroirs ardents, qui incendièrent les navires ennemis grâce au rayonnement solaire.
Document 1 : Tite-Live, Ab Urbe condita (Histoire romaine), XXIV, 34, 1-13 :
« (1) Le succès n’eût pas manqué à une attaque menée avec tant de vigueur, sans la présence d’un seul homme, que possédait alors Syracuse ; (2) c’était Archimède, homme sans rival dans l’art d’observer les cieux et les astres, mais plus merveilleux encore par son habileté à inventer, à construire des machines de guerre, à l’aide desquelles, par un léger effort, il se jouait des ouvrages que l’ennemi avait tant de peine à faire agir. (3) Les murs s’étendaient sur des collines inégales en hauteur ; le terrain était presque partout fort élevé et d’un abord difficile ; mais il se rencontrait aussi quelques vallées plus basses et dont la surface plane offrait un accès facile. Selon la nature des lieux, Archimède fortifia ce mur par toute espèce d’ouvrages. (4) Marcellus, avec ses quinquérèmes, attaquait le mur de l’Achradine, baigné, comme nous l’avons déjà dit, par la mer. (5) Du haut des autres vaisseaux, les archers, les frondeurs et même les vélites, dont les traits ne peuvent être renvoyés par ceux qui n’en connaissent pas l’usage, ne permettaient à personne, pour ainsi dire, de séjourner impunément sur le mur. (6) Comme il faut de l’espace pour lancer ces traits, ces vaisseaux étaient assez éloignés des murailles. Aux quinquérèmes étaient attachés deux par deux d’autres vaisseaux dont on avait enlevé les rangs de rames de l’intérieur afin de les attacher bord à bord. (7) Ces appareils étaient conduits comme des vaisseaux ordinaires par les rangs de rames de l’extérieur; ils portaient des tours à plusieurs étages et d’autres machines destinées à battre les murailles. (8) À ces bâtiments ainsi préparés, Archimède opposa sur les remparts des machines de différentes grandeurs. Sur les vaisseaux qui étaient éloignés, il lançait des pierres d’un poids énorme ; ceux qui étaient plus proches, il les attaquait avec des projectiles plus légers, et par conséquent lancés en plus grand nombre. (9) Enfin, pour que les siens pussent sans être blessés accabler les ennemis de traits, il perça le mur depuis le haut jusqu’en bas d’ouvertures à peu près de la hauteur d’une coudée, et à l’aide de ces ouvertures, tout en restant à couvert eux-mêmes, ils attaquaient l’ennemi à coups de flèches et de scorpions de médiocre grandeur. (10) Si quelques vaisseaux s’approchaient pour être en deçà du jet des machines, un levier, établi au-dessus du mur, lançait sur la proue de ces vaisseaux une main de fer attachée à une forte chaîne. Un énorme contrepoids en plomb ramenait en arrière la main de fer qui, enlevant ainsi la proue, suspendait le vaisseau droit sur la poupe ; (11) puis par une secousse subite le rejetait, de telle sorte qu’il paraissait tomber du mur. Le vaisseau, à la grande épouvante des matelots, frappait l’onde avec tant de force que les flots y entraient toujours même quand il retombait droit. (12) Ainsi fut déjouée l’attaque du côté de la mer, et les Romains réunirent toutes leurs forces pour assiéger la ville par terre. (13) Mais de ce côté encore elle était fortifiée par toute espèce de machines, grâce aux soins, aux dépenses d’Hiéron pendant de longues années, grâce surtout à l’art merveilleux d’Archimède. »
Document 2 : Polybe, Histoires, VIII, 3-7 :
« [VIII.3.2] Ces généraux [Appius Claudius et Marcus Claudius], donc, installèrent leur camp à faible distance de la ville [Syracuse] et décidèrent d’attaquer d’une part avec les forces terrestres du côté des Hexapyles, d’autre part avec les forces navales du côté du portique dit des Cordonniers, sur l’Achradine, là où le rempart borde la mer en descendant jusqu’au quai. [VIII.3.3] Munis de mantelets, de projectiles, de tout ce qu’exige un siège, en cinq jours grâce à leur main-d’œuvre abondante, ils conçurent l’espoir de prendre l’adversaire de vitesse avec ces moyens, mais ils avaient compté sans la valeur d’Archimède et n’avaient pas prévu que dans certaines circonstances un seul cerveau est plus efficace que toute la main-d’œuvre du monde. D’ailleurs les faits eux-mêmes leur firent alors connaître ce dicton. »
« [VIII.7.7] Quelle grande, quelle admirable chose, on le voit, qu’un seul homme, un seul cerveau à la mesure de certaines situations ! [VIII.7.8] Les Romains en tout cas, avec toutes ces forces tant terrestres que navales, pouvaient espérer s’emparer de la ville sans délai si l’on supprimait un seul Syracusain, un vieillard ! [VIII.7.9] Mais tant qu’il restait avec ses concitoyens, les Romains n’osaient même pas lancer une attaque, du moins dans ce domaine dans lequel Archimède pouvait répliquer. »
Document 3 : Anthémius de Tralles, Paradoxes mécaniques, V, p. 54-55 (éd. Paul Ver Eecke) :
« Il est donc possible que l’inflammation à une distance donnée, et les autres choses que nous avons dites, se produisent au moyen de la construction des miroirs en question, c’est-à-dire des miroirs ardents. En effet, ceux qui se souviennent des constructions du divin Archimède, rapportent qu’il a enflammé, non pas au moyen d’un seul miroir ardent, mais de plusieurs, et nous croyons qu’il n’existe pas d’autre mode de combustion à cette distance (1). »
Note 1, page 55 : C’est-à-dire à la distance de plusieurs centaines de pas à laquelle se trouvaient les vaisseaux de Marcellus au siège de Syracuse.
4) Quelle image des mathématiques et des mathématiciens les concepteurs de la médaille Fields ont-ils voulu donner ? Les mathématiciens sont capables de relever des défis, de faire reculer les limites de la connaissance grâce à leurs efforts prométhéens et à leur réflexion novatrice. Ils sont aussi conscients qu’ils doivent beaucoup aux travaux des savants de l’Antiquité : leurs découvertes se situent dans la lignée « d’Archimède », leur père spirituel, dont ils prolongent les travaux. Les mathématiciens méritent eux aussi d’être reconnus par leurs pairs du monde entier (congregati ex toto orbe Mathematici) et appréciés pour leurs « écrits exceptionnels » (ob scripta insignia).
5) Pourquoi les mathématiciens du XXe siècle ont-ils exploité l’iconographie antique et une citation de Manilius ? L’Antiquité leur permet de prendre du recul, de repenser l’héritage scientifique, de se représenter eux-mêmes comme des enfants d’Archimède, de trouver ce qui les réunit au sein de travaux de recherches fort divers, de renouer avec les idéaux humanistes et de stimuler la recherche mathématique moderne dans un élan prométhéen de dépassement de soi : telle est la conception du rôle des mathématiciens, sublimée par le recours à l’antique, selon Fields et ses collègues qui ont parachevé la création de la médaille.
6) Quelle est l’importance du latin et du grec pour les mathématiciens du XXe et du XXIe siècle ? Comme l’ont souhaité Fields, Richardson et leurs collègues, le latin et le grec sont utilisées sur la médaille parce que ce sont les langues du patrimoine mondial : ce sont les langues de l’humanisme, vecteur de la tradition ; comme le rappelle Cédric Villani, médaillé en 2010, Fields « choisit les inscriptions en latin, langue universelle qui refléterait l’universalité de la mathématique » (Théorème vivant, p. 260). De surcroît, le latin est une des langues officielles qui peuvent être utilisées dans les grands congrès mondiaux, en particulier au sein du Congrès International des Mathématiciens (avec l’anglais, le français, l’allemand et l’espagnol) ; le latin et le grec sont les langues savantes ; c’est en grec qu’ont été écrits les premiers traités mathématiques, notamment ceux d’Archimède, figure emblématique.
Evaluation sommative :
1) Comparez l’avers de la médaille Fields et le sceau de l’Association Mathématique Américaine : vous commenterez le choix des dessins, leur valeur symbolique, les légendes et les citations. Pourquoi la médaille Fields convient-elle mieux pour honorer des mathématiciens illustres du monde entier ?
2) Comparez la médaille Fields et la médaille récompensant les lauréats du prix Nobel :
Médaille récompensant les lauréats du prix Nobel de littérature
(source : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/about/medals/)
Avers : ALFR. NOBEL. NAT. MDCCCXXXIII. OB. MDCCCXCVI
Revers : INVENTAS VITAM IUVAT EXCOLUISSE PER ARTES
(« Il est utile d’embellir la vie en inventant les arts », d’après Virgile, Enéide, VI 663)
ACAD. SUEC. (ACADEMIA SUECA, « Académie de Suède »)
Contexte : Enée et la Sibylle sont aux Enfers. Le héros troyen vient de déposer le rameau d’or à l’entrée des Champs-Elysées et voit les bienheureux dans les prairies :
660 Hic manus ob patriam pugnando uolnera passi,
quique sacerdotes casti, dum uita manebat,
662 quique pii uates et Phoebo digna locuti,
inuentas aut qui uitam excoluere per artes,
664 quique sui memores alios fecere merendo,
omnibus his niuea cinguntur tempora uitta.
660 Voici la troupe de ceux qui furent blessés en combattant pour leur patrie,
et ceux qui, durant leur vie terrestre, furent des prêtres vertueux,
662 et les poètes pieux, dont les dires furent dignes de Phébus,
et ceux qui, en inventant les arts, ont embelli notre vie,
664 et ceux dont les mérites s’imprimèrent dans les mémoires des hommes :
tous ont leurs tempes ceintes d’un blanc bandeau de neige.
Virgile, Enéide, VI 660-665
La médaille représente un jeune poète assis sous un laurier, qui écoute et écrit le chant de la Muse.
Le nom du lauréat est inscrit dans le rectangle sous les personnages.
Perspectives ouvertes :
Travaux interdisciplinaires avec la philosophie (épistémologie) et les mathématiques (la quadrature de la parabole chez Archimède et les intégrales).
Bibliographie :
Auteurs anciens :
ANTHEMIUS DE TRALLES, fragment sur Les paradoxes mécaniques, dans : Les Opuscules mathématiques de Didyme, Diophante et Anthémius, suivis du Fragment mathématique de Bobbio, traduits du grec en français avec une introduction et des notes par Paul Ver Eecke, Paris / Bruges, 1940, p. 45-56.
ARCHIMEDE, tome premier : De la sphère et du cylindre. La mesure du cercle. Sur les conoïdes et les sphéroïdes, texte établi et traduit par Charles Mugler, Paris, C.U.F., 1970.
ARCHIMEDE, tome II : Des spirales. De l’équilibre des figures planes. L’arénaire. La quadrature de la parabole, texte établi et traduit par Charles Mugler, Paris, C.U.F., 1971.
ARCHIMEDE, Les Œuvres complètes d’Archimède suivies des commentaires d’Eutocius d’Ascalon, traduites du grec en français avec une introduction et des notes, par Paul Ver Eecke, tome I, Paris, 1960.
CICERON, Tusculanes, dans : Œuvres complètes de Cicéron, tome IV, Collection des auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard, Paris, 1841.
MANILIUS, Les Astronomiques, dans : Stace, Martial, Manilius, Lucilius junior, Rutilius, Gratius Faliscus, Némésianus et Calpurnius, Collection des auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard, Paris, 1878.
PAPPUS D’ALEXANDRIE, La Collection mathématique, traduite en français par Paul Ver Eecke, Bruges, 1953, tome II, p. 836.
PLUTARQUE, Vies, tome IV : Timoléon – Paul Émile. Pélopidas – Marcellus, texte établi et traduit par Robert Flacelière et Émile Chambry, Paris, C.U.F., 1966.
POLYBE, Histoires, livres VII-VIII et IX, texte établi et traduit par Raymond Weil, Paris, C.U.F., 1982.
TITE-LIVE, Histoire romaine, tome I, XXIV, dans : Œuvres de Tite-Live : Histoire romaine, tome I, Collection des auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard, Paris, 1864.
Etudes modernes :
ARCHIVAL COLLECTIONS, R. Tait McKenzie Papers (1880-1940), in : University of Pennsylvania : http://www.archives.upenn.edu/faids/upt/upt50/mckenzie_rt.html
GERIN Dominique, GRANDJEAN Catherine, AMANDRY Michel, de CALLATAY François, La monnaie grecque, Paris, 2001.
GEYMONAT Mario, Il grande Archimede, Roma, 2006.
GRANDJEAN Thierry, L’Essentiel de la civilisation grecque, Levallois-Perret, 2013.
HULTSCH, « Archimedes », dans Pauly-Wissova, RE, tome II, p. 507-539.
McGILL Jean S., The Joy of Effort : A Biography of R. Tait McKenzie, Oshawa, 1980.
NICOLET-PIERRE Hélène, Numismatique grecque, Paris, 2002.
POINCARE Henri, La Science et l’Hypothèse, Paris, 2014.
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RIEHM, Elaine McKINNON, HOFFMAN Frances, Turbulent Times in Mathematics. The Life of J. C. Fields and the History of the Fields Medal, Providence (Rhode Island), 2011.
THUILLIER Pierre, D’Archimède à Einstein : les faces cachées de l’invention scientifique, Paris, 1988.
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