Une Marmite « à la romaine » au Lycée Poincaré de Bar le Duc


27 et 28 mai 2010

•    Cadre du projet.

C’est dans  la dynamique des journées Langues anciennes organisées au Lycée pour  la période des Saturnales, en décembre 2009, qu’a jailli l’envie – depuis longtemps mûrie  – de monter, avec les élèves du Club théâtre, la fameuse  Marmite (Aulularia)  de Plaute. C’était l’année ou jamais : l’Avare, mis en scène par  Nicolas Liautard,  était justement programmé au théâtre de Bar le Duc en avril.

Le club théâtre a fêté l’an dernier ses 10 ans d’existence. Il est ouvert à tous les lycéens volontaires, de toute classe et de toute série, qui s’engagent par écrit au mois d’octobre à participer à toutes les répétitions, soit 1H30 hebdomadaire le mardi soir et cinq mercredis après-midi, jusqu’à la présentation d’un spectacle au public, à la fin du mois de mai. Ces élèves, 16 au total cette année,  ne sont donc pas latinistes, pour la plupart d’entre eux. Certains ont déjà fait du théâtre, notamment quelques anciens des années passées, d’autres jamais. Les personnalités, comme toujours, sont riches et diverses ; certains élèves sont très scolaires, d’autres beaucoup moins, qui cherchent clairement au club un « espace d’expression » et acceptent mal les contraintes, plus ou moins sensibles par nature aux exigences d’un travail collectif.

Le projet est financé comme tous les ans par le Foyer Socio Educatif (décor, costumes, location de projecteurs…), et exceptionnellement cette année par les fonds du budget participatif, grâce auxquels nous avons pu faire intervenir deux artistes professionnels.

•    Modalités de travail

Les adolescents se sont assez vite laissé convaincre du potentiel jubilatoire du projet, que nous leur avons présenté au mois de septembre. Il ne s’agira pas de jouer en toge, fût-elle palliata : nous ne prétendons pas à la «reconstitution». En revanche, par une série de jeux et d’exercices d’improvisation proposés aux élèves durant les mois de septembre et d’octobre, nous les sensibilisons à la dimension « totale » et purement théâtrale de la comédie romaine, au principe d’alternance entre parties parlées-jouées (diverbia) et parties musicales dansées (cantica), à celui de la codification des personnages, de leur gestuelle, de leur démarche, de leur diction,  aux effets de rupture de rythme, de dissociation entre la mimique et le chant.

Au mois de novembre, nous leur faisons découvrir le texte, dans la traduction de Florence Dupont, à la fois très méticuleuse en terme de découpage diverbia /cantica, abondamment commentée par la chercheuse, et suffisamment truculente et haute en couleur pour séduire d’entrée les plus provocateurs de nos jeunes acteurs.

    Un stage de 4 heures, un mercredi après-midi, animé  par Sophie Wilhelm, une conteuse professionnelle de la compagnie Les Mots du Vent, spécialisée dans le travail de mime, avec laquelle nous avons travaillé en amont sur le texte et l’esprit du spectacle, permet aux élèves de choisir leur rôle, en fonction de la gestuelle et des mimiques codifiées que nous mettons en place : quatre élèves se partageront le rôle du vieil Euclion bourru, acariâtre et méfiant, deux celui de son voisin Mégadore, plus affable mais tout aussi vieillard…. chacun trouve perruque à sa tête, qu’il s’agisse d’Eunomie, la marieuse mondaine, de son pleutre de fils Lyconide, du rusé Strobile, le servus currens affublé pour l’occasion d’une paire de rollers, des deux cuisiniers aux nez rouge, Congrion et Anthrax, et bien sûr de la vieille Staphyla, traînant la pantoufle et son ivrognerie. La conteuse reviendra au mois de février lors du premier filage pour préciser certains mouvements , fixer la « danse «  de chaque personnage, et travailler quelques scènes mimées.

Tout au long de l’année, nous travaillons de concert avec Nicolas Pourkat,  professeur d’éducation musicale à l’IUFM, flûtiste de formation, avec lequel nous préparons chaque séance. Il intervient à deux niveaux, celui des personnages et de leur codification musicale, celui du travail du rythme  dans les chœurs.

    Nous mettons à contribution les talents très éclectiques de nos élèves pour attribuer à chaque personnage  son code musical. Du côté de chez Euclion, on joue de l’accordéon, de l’harmonica, et on chante – ou on braille – dans la veine populaire de la chanson française. Chez Mégadore, c’est la famille des cordes, violon pour le vieux beau et sa soeur, guitare pour le neveu, et le répertoire se veut lyrique. Chez les esclaves enfin, on rappe et on slamme, à grands renforts de boîte à rythme vocale…  Chaque personnage a sa mélodie d’entrée de rôle, son « jingle » de présentation. Bien entendu, nous avons, au préalable, sélectionné dans les parties dites « cantica » quelques répliques ou échanges de répliques susceptibles d’être assez facilement chantées et mimées pour ne pas alourdir à la fois le travail de répétition – le temps nous est compté –  et le résultat final. Dans ces passages, nous travaillons donc à dédoubler les rôles : chanteurs et musiciens visibles par le public,  devant des pupitres, prêtent leur voix aux acteurs qui miment, plus exactement dansent, sur le plateau. C’est sans doute la partie la plus délicate du travail, très déconcertante pour les élèves, et très difficile à réaliser techniquement.

D’autre part, fidèles à l’esprit de notre club théâtre plus qu’aux spécificités de la comédie romaine, nous mettons en place un travail de chœur , qui permet d’impliquer tous les élèves dans l’ensemble du projet. Le long prologue du Dieu Lare, le monologue d’Euclion « fini, fichu, foutu » seront montés sous forme de chœurs parlés. D’autre part, le professeur de musique entreprend avec les élèves un travail de longue haleine sur le rythme, grâce auquel on animera  à la fois les scènes dites de « duel », mais aussi la scène d’entrée de Strobile et sa clique de cuisiniers et autres joueuses de flûtes – qui donnera lieu à une tonitruante  scène de « batterie de cuisine ». Au fur et à mesure que nous montons la pièce, nous découvrons que tout un bestiaire occupe l’imaginaire des personnages, qu’on se  parle basse-cour, âne, bœuf, sauterelle, mouton, occasion de mettre en place d’amusantes interventions vocales ou instrumentales.

•    Mise en scène et en espace

Nous avons la chance relative, au lycée, de disposer d’un lieu censé accueillir conférences, expositions et spectacles, en l’occurrence une chapelle désacralisée et entièrement rénovée, assez bien équipée, mais dont l’acoustique demeure très médiocre pour des spectacles de théâtre. Nous décidons comme souvent de jouer dans la croisée du transept, mais au sol, et d’utiliser les palettes du praticable qui nous sert d’habitude d’estrade pour installer des gradins dans le chœur et les deux absides, formant une espèce d’hémicycle. L’entrée du public se fait par la nef, le long de laquelle nous installons deux zones de coulisses . Ce dispositif nous permet de rappeler, grâce au double rideau tendu entre la nef et la croisée, le frons scaenae,  et de figurer les deux maisons voisines, à la manière antique. Les chanteurs et musiciens sont installés en deux demi-cercles, aux deux angles opposés du plateau, face aux deux portes, en fonction des familles musicales.

    Un double changement de décor fait passer ponctuellement le public de Plaute des maisons des deux vieillards aux temples où Euclion entreprend de cacher sa marmite : un système de pancartes pivotantes permet de résoudre simplement cette difficulté, qui en fait, en a soulevé une autre : prenant le parti de « moderniser » les personnages dans les costumes ou les choix musicaux, qu’allions-nous faire de toutes ces allusions aux dieux, devenant pour le moins anachroniques ? Que faire de ce Dieu Lare du début de la pièce ? Rapidement, il devint un banquier cravaté, démultiplié en un chœur d’employés fantomatiques venant hanter Euclion lors de son monologue désespéré ; une banque « Bonne Foi » vit alors le jour, ainsi que sa concurrente, le « Crédit Agreste » ; quant aux dieux, ils se manifestèrent ostensiblement sur les téléphones portables de nos personnages, souvent fébriles à les consulter en cas de doutes.

    Chaque scène fait l’objet d’un travail chorégraphique en fonction de la gestuelle de chaque personnage. Certains marchent en ligne droite, d’autres suivent des courbes ; certains ont l’esprit et la marche en diagonales, d’autres sont adeptes du cercle. Parfois, un personnage veut prendre le rôle de l’autre, ce que trahit immédiatement sa façon de marcher ou de chanter. C’est ainsi que le gros cuisinier Congrion tentera vainement, et à son corps défendant, d’endosser le rôle du virevoltant Strobile….  en chaussant ses rollers.

    Les élèves ont donné deux fois leur spectacle dans  une chapelle comble –  mais devant un  public sans doute beaucoup plus discipliné et attentif que les spectateurs romains !

Claire Tardioli-Jougnot, et Edith Petitfour, responsables et animatrices du club théâtre.
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