En marge d’un anniversaire : George Sand (1804-2004)

 

George Sand dont nous célébrons cette année le bicentenaire a eu avec la langue latine des rapports fort mouvementés ; la lecture de sa correspondance est très éclairante à ce sujet. Voici le jugement pour le moins mitigé qu’elle porte sur le latin dans une lettre à son éditeur de l’heure, Jules Hetzel, en décembre 1848 .

« J’ai une autre passion pour le quart d’heure, c’est d’apprendre le latin et je ne me le fourre dans la tête qu’en apprenant des vers par cœur. Je divertis Maurice (1) en lui cornant aux oreilles tu, patulae, recubans (2) etc. Le Pôtu (3), qui est mon magister, est furieux de la rapidité avec laquelle je le pousse. Entre nous soit dit, c’est une langue qui n’a pas le sens commun, une langue, illogique, une langue de rhéteurs et qui n’apprend rien aux malheureux enfants condamnés à ne pas même l’apprendre pendant 8 ou 10 ans. Je prétends bien, en trois mois, en savoir autant que ceux qui ont fait leurs classes d’une manière ordinaire, vu que c’est une langue que personne ne sait jamais, puisqu’elle embrasse tant de siècles et se modifie pendant toute l’histoire de l’humanité. Le jeu n’en vaudrait pas la chandelle s’il ne s’agissait pour moi que de connaître les coquetteries ou la pompe des poètes. Mais j’ai été gênée toute ma vie pour lire des ouvrages du Moyen Age et de la Renaissance qui ne sont pas traduits ou qui le sont fort mal, et je veux me débarrasser de cet obstacle. En résumé, c’est toujours très amusant d’apprendre quelque chose. Cela rafraîchit le vieux cerveau. »

Lettres d’une vie
Folio classique 2004, p. 600 sq. (4)

1. Maurice : le fils de George Sand
2. On a reconnu le premier vers des Bucoliques de Virgile
3. Le Pôtu : Victor Borie journaliste républicain
4. Les lecteurs intéressés par George Sand trouveront dans Histoire de ma vie (édition Garnier Flammarion III13-14, pages 594 à 602) une réécriture émouvante appliquée à sa propre expérience d’un épisode central des Confessions de saint Augustin, le récit de sa conversion « Tolle, lege », prends, lis (III, 12). Il s’agit d’une des plus célèbres scènes de conversion avec celle de saint Paul sur le chemin de Damas (« Cur me persequeris ?» Pourquoi me persécutes-tu ?) à laquelle Sand fait également allusion dans le même passage.

Michel Pintz
Lycée Saint-Exupéry, Fameck
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