Les œuvres obligatoires inscrites au programme de langues et cultures de l’Antiquité de la classe terminale des séries générales et de la série technologique Techniques de la musique et de la danse pour les années scolaires 2017-2018 et 2018-2019 sont reconduites pour l’année scolaire 2019-2020.
Grec
Œuvre : Ménandre, Le Dyscolos.
Jusqu’au début du XXe siècle, la connaissance que l’on avait de la comédie grecque se limitait principalement aux pièces d’Aristophane et, pour ce qui concerne Ménandre (et ses contemporains), à des fragments et des témoignages indirects constitués notamment par les adaptations latines de Térence (l’Andrienne, l’Heautontimoroumenos, l’Eunuque et les Adelphes) et, d’une manière plus libre, de Plaute. Mais la découverte du Dyscolos, c’est-à-dire du Misanthrope, et sa publication princeps en 1958 par Victor Martin permirent de redécouvrir l’auteur et d’apprécier pleinement son art par le truchement d’une pièce parvenue, cette fois, de manière quasi complète. Le Dyscolos, œuvre de jeunesse de Ménandre, écrit en 317 av. J.-C. et représenté pour la première en 317 ou 316, nous donne à voir un vieillard hargneux et misanthrope, qui, sera, malgré son naturel atrabilaire, obligé de faire appel à ses semblables, sans pour autant, à la fin, se guérir de « son caractère de cochon » (cf. N. Boulic, infra). Loin du théâtre politique d’Aristophane, le théâtre de Ménandre se fait psychologique et l’auteur s’est attaché à y décrire des personnages variés où les types principaux (le vieillard, le jeune amoureux, l’esclave industrieux) ne sont jamais stéréotypés, mais bien au contraire tout en nuances et en finesse. Ainsi, si Cnémon est devenu à ce point misanthrope, c’est que, tout comme Alceste, épris d’une soif d’absolu et lassé du spectacle des bassesses coutumières de ses semblables, il en est venu à ne plus supporter leur société. L’étude des caractères trouvera donc une place importante dans la lecture de la pièce. Par ailleurs, l’amour, motif essentiel de la Comédie Nouvelle, ignoré de l’Ancienne et introduit à la période moyenne, trouve aussi dans la pièce de Ménandre une place de choix, car, même si la misanthropie est au centre de l’œuvre, c’est par de doubles épousailles de jeunes gens vertueux et bons que se terminera le Dyscolos. En plus de la peinture des caractères, l’étude de la pièce amènera aussi à s’intéresser à l’idéal humain de fraternité de Ménandre, idéal selon lequel les hommes doivent acquérir « le sens de la solidarité humaine » (cf. J. De Romilly, infra). Enfin, l’opposition entre la société rurale et le monde urbain, entre deux générations et deux classes sociales que tout oppose, pourra également être repérée et analysée.
Le succès et la postérité du prolifique Ménandre, à qui sont attribuées plus de cent pièces, fut considérable et durable comme l’attestent les imitations latines de Plaute et Térence ainsi que le théâtre classique et contemporain qui comptent aussi, dans leur répertoire, quelques Misanthropes. On ménagera donc des rapprochements avec les œuvres latines de Térence et de Plaute, mais aussi, notamment, avec Molière – qui a, pour sa pièce, repris l’exact titre de Ménandre, avec Shakespeare (Timon d’Athènes), Jean Anouilh (L’Hurluberlu ou le Réactionnaire amoureux) et Hugo von Hofmannsthal (L’Homme difficile).
Enfin, on réservera aussi une ouverture aux arts plastiques, par l’évocation des mosaïques de la maison du Ménandre à Mytilène (vers. 300 av. J.-C.) qui nous livrent de précieuses informations sur la mise en scène adoptée alors. La maison de Ménandre de Pompéi (contemporaine de celle de Mytilène), propriété de la famille de l’impératrice Poppée, qui nous a transmis un portrait du dramaturge, pourra également être citée.
Édition de référence : Ménandre, Le Dyscolos, texte établi et traduit par Jean-Marie Jacques, Paris, Les Belles Lettres, collection des Universités de France, 2003, 72 p.
Suggestions bibliographiques (par ordre chronologique) :
– Martin V., Papyrus Bodmer. IV., Le Dyscolos, Cologny-Genève, Bibliotheca Bodmeriana, 1958, 174 p ;
– Photiadès P. J., « Le type du misanthrope dans la littérature grecque », Chronique d’Égypte, n° 34, 1959, pp. 305-326 ;
– Jacques J.-M., « La résurrection du Dyscolos de Ménandre : ses conséquences », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1959, pp. 200-215 ;
– Cavaignac C., « À propos du Dyskolos. La propriété foncière en Attique au IVe siècle », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1960, pp. 367-372 ;
– Preaux C., « Les fonctions du droit dans la comédie nouvelle. À propos du Dyscolos de Ménandre », Chronique d’Égypte, n° 35, 1960, pp. 222-239 ;
– Van Groningen B. A., Le Dyscolos de Ménandre : étude critique du texte, Amsterdam, N. V. Noord-Hollandsche Uitgevers Maatschappij, 1960, 160 p ;
– Bataille A., Le Dyscolos, comédie en cinq actes et un prologue adaptée à la scène française, Paris, N.R.F., 1962, 144 p ;
– Chantonidis S. et al., Les mosaïques de la maison du Ménandre à Mytilène, Bern, Francke Verlag, 1970, 110 p ;
– Turner E. G. (éd.), Ménandre : sept exposés suivis de discussions, Vandoeuvres-Genève, 26-31 août 1969, Vandoeuvres-Genève, Fondation Hardt, 1970, 266 p ;
– Méron É., « La paysannerie pauvre d’après Euripide et Ménandre : un même sujet, deux attitudes opposées », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1972, pp. 57-69 ;
– De Romilly J., Précis de littérature grecque, Paris, Presses Universitaires de France, 1980, chapitre IX, pp. 195-200 ;
– Blanchard A., Essai sur la composition des comédies de Ménandre, Paris, Les Belles Lettres, 1983, 453 p ;
– Hoffmann G., « L’espace théâtral et social du Dyscolos de Ménandre », Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens, n° 1, fasc. 2, 1986, pp. 269-290 ;
– Handley E. W., Hurst A. (eds), Relire Ménandre, Genève, Librairie Droz, 1990, 186 p ;
– Blanchard A., « Un schéma narratif virgilien pour comprendre la composition des comédies de Ménandre : l’exemple du Dyscolos », Pallas, n° 38, 1992, pp. 301-309 ;
– Csapo É, « Mise en scène théâtrale, scène de théâtre artisanale : les mosaïques de Ménandre à Mytilène, leur contexte social et leur tradition iconographique », Pallas, n° 47, 1997, pp. 165-182 ;
– Hoffmann G., « La richesse et les riches dans les comédies de Ménandre », Pallas, n° 48, 1998, pp. 135-144.
– Cusset C., Ménandre ou la comédie tragique, Paris, CNRS Éditions, 2003, 247 p ;
– Blanchard A., La comédie de Ménandre : politique, éthique, esthétique, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, 173 p ;
– Grall C. (éd.), La misanthropie au théâtre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 175 p ;
– Toudoire-Surlapierre F. (éd.), La Misanthropie au théâtre : Ménandre, Shakespeare, Molière, Hofmannsthal, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 159 p ;
– Vion-Dury J. (éd.), La Misanthropie au théâtre, Paris, Sedes, 2007, 240 p ;
– Weber A.-G., Cunin M., Cusset C., Duprat A., Giboux A., La misanthropie au théâtre – Ménandre, Le Bourru ; Shakespeare, Timon d’Athènes ; Molière, Le Misanthrope ; Hofmannsthal, L’Homme difficile, Neuilly, Atlande, 2007, 151 p ;
– Boulic N., « Le caractère de cochon se guérit-il ? La finale du Dyskolos de Ménandre, entre farce et thérapie », in Bernanoce M. (éd.), Théâtre et Didactique. Hommages à Anik Brillant-Hannequin, Recherches et Travaux – Université de Grenoble 3, Hors-série n° 17, 2009, pp. 21-34 ;
– David I., Lhostis N., Codes dramaturgiques et normes morales dans la Comédie Nouvelle de Ménandre et de Plaute, Paris, De Boccard, 2016, 131 p.
Latin
Œuvre : Pétrone, Le festin chez Trimalchion (Satiricon, XXVII-LXXVIII).
Le Satiricon de Pétrone, véritable roman picaresque et de mœurs, raconte avec une exagération assumée dont le caractère burlesque fait penser au Diable boiteux (1707) de Lesage, les aventures, en Italie méridionale, d’un petit groupe d’individus issus de milieux sociaux différents.
Dans cette succession assez lâche d’aventures, Encolpe, le narrateur, Ascylte, Giton et Agamemnon se rendent à un banquet. Tout au long de l’épisode, ils vont assister à un véritable spectacle. C’est à travers leur regard que le lecteur va vivre cette cena : ils ne participent pas véritablement au festin, ils sont présents sans être présents ; la fonction d’Encolpe est purement narrative : il est là pour raconter ce qu’il voit. Paul Veyne émet l’hypothèse que ce personnage serait ici « l’œil de l’auteur dans le récit » : pour dépeindre ce monde des affranchis, le personnage emprunte une attitude ironique, se moquant aussi bien des invités que de ses propres compagnons moqueurs.
Ce banquet se tient chez Trimalchion, qui, comme tous les invités, est un affranchi. Il a fait fortune ; il déroule le récit de sa « success story » dans un extrait (§ 75-77) qui témoigne, par ailleurs, de ce que sont les valeurs du monde des affranchis, à savoir l’argent et la capacité à faire des affaires.
L’épisode de la cena permet par ailleurs un travail sur la thématique du corps, et plus particulièrement du corps des affranchis. Ces anciens esclaves n’appartiennent pas à un ordo : leur réussite sociale est due au fait qu’ils ont été beaux, qu’ils ont été des pueri aimés du maître [« Tamen ad delicias ipsimi annos quattuordecim fui. Nec turpe est, quod dominus iubet », Satiricon, 75].
À travers eux se pose la question du corps sexué de l’esclave, de son impudicitia qui lui sert de promotion sociale [« Impudicitia in ingenuo crimen est, in seruo necessitas, in liberto officium », Sénèque le Rhéteur, Controv., IV, praef. 10.].
Ce passé d’esclave est visible dans la présentation de soi : c’est la présentation du corps qui le fait reconnaître socialement. Les affranchis n’ont pas les habitus que les enfants libres apprennent très tôt : ils n’ont pas des corps qui ont la rigueur, le pudor des Romains des classes supérieures. Et, de fait, de nombreux extraits de l’épisode nous renvoient à ce code social du corps :
– au cours de la scène aux bains (§27-28), les premières annotations descriptives sont consacrées au crâne chauve de Trimalchion, marque de son affranchissement, à son vêtement, son entraînement physique, au soulagement de sa vessie, à son corps frictionné et inondé de parfum ;
– au début du festin (§ 32), il est apporté comme un plat et s’exhibe en s’autorisant le geste indécent de montrer son bras ;
– au § 47, il nous livre une réflexion sur les mugissements de son ventre et la nécessité de se soulager, même en plein repas, etc.
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que l’auteur ait mélangé style noble et style bas en « un constant dialogue entre le prosaïsme et la fantaisie, la laideur et l’idéalisation » (cf. A. Michel, infra, p. 124). À la source de ce dialogue, on trouve l’hétéroglossie constituée du langage des affranchis s’opposant à la langue élégante du narrateur (cf. A. Michel, infra, p. 124). L’irruption de la langue parlée au sein d’un texte écrit est un élément original de cet épisode, occasion d’une réflexion porteuse sur les manières de la rendre en traduction.
Cet épisode a pu être lu comme un parfait exemple d’écriture réaliste (cf. E. Auerbach, infra, p. 36-60) ou bien, au contraire, comme une fantaisie voire une caricature, une « parodie vivante » selon les mots d’Alain Michel (cf. A. Michel, infra, p. 124). Il peut être également considéré comme une pure « fiction », celle d’un « affranchi, sans patronus, devenu richissime » (cf. P. Veyne, infra), qui « développe l’imaginaire romain sur les affranchis présents chez les ingenui » à partir duquel « Pétrone a fabriqué un monde clos » dont on ne peut sortir, qui ressemble aux Enfers (§ 72) [« Erras, inquit, si putas te exire hac posse, qua uenisti. Nemo unquam conuiuarum per eandem ianuam emissus est ; alia intrant, alia exeunt. », Satiricon, 72.] ou au labyrinthe du Minotaure (§ 70 et 73) [« Quid faciamus homines miserrimi et noui generi labyrintho inclusi », Satiricon, 73].
Enfin, en suivant l’ouvrage de Florence Dupont, Le plaisir et la loi, on pourra lire ce festin en référence au Banquet de Platon : elle y présente la cena comme un « banquet désarticulé », un « anti-banquet » où la parole libre, celle du logos sympotikos, est rendue impossible par la présence tyrannique de Trimalchion qui dirige tout.
Édition de référence : Pétrone, Satiricon, texte établi et traduit par Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres,
« Classiques en poche », 2001.
Suggestions bibliographiques (par ordre chronologique) :
– Auerbach E., Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, partie II, « Fortunata », Paris, Gallimard, Tel, 1946 ;
– Perrochat P., Pétrone : le festin de Trimalcion : commentaire exégétique et critique, Paris, Presses universitaires de France, 1962, 179 p ;
– Rogier A. É, « « Matauitatau » ou : Sur un mot de Pétrone », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1983, fasc. 3, pp. 309-310 ;
– Thomas J., Le dépassement du quotidien dans l’Énéide de Virgile, le Satyricon de Pétrone et les Métamorphoses d’Apulée, Paris, Les Belles Lettres, 1986, 210 p ;
– Giardina A. (éd.), L’homme romain, Paris, Seuil, 1992, 477 p. (voir notamment le chapitre écrit par J. Andreau « L’affranchi », pp. 219-246) ;
– Michel A., La parole et la beauté : rhétorique et esthétique dans la tradition occidentale, Paris, Albin Michel, 1994 ;
– Galland-Hallyn P. (éd.), Le Satiricon, Pétrone, Paris, Le Livre de Poche, 1995, 180 p ;
– Martin R., Le « Satyricon », Pétrone, Paris, Ellipses, 1999, 174 p ;
– Puccini G. (éd.), Pétrone, Satiricon, Paris, Arléa, 1999, 249 p ;
– Wolff É., « Le mélange, idéal esthétique et social dans le Satiricon de Pétrone », Vita Latina, n° 155, fasc. 1, pp. 19-25 ;
– Daviault A., « Est-il encore possible de remettre en question la datation néronienne du « Satyricon » de Pétrone ? », Phoenix. Journal of Classical Association of Canada, n° 55, fasc. 3-4, 2001, pp. 327-342 ;
– Dupont F., Le plaisir et la loi. Du « Banquet » de Platon au « Satiricon », Paris, La Découverte, 2002, 202 p ;
– Badel Chr., « Ivresse et ivrognerie à Rome (IIe s av. J.-C.- IIIe s ap. J.-C.) », Food and Drink. Revue de l’Institut Européen d’Histoire de l’Alimentation, 2006, n° 4, fasc. 2, pp. 75-89 ;
– Gonzales A., « Quid faciant leges, ubi sola pecunia regnat. Affranchis contre pauvres dans le Satiricon de Pétrone ? », Actes des colloques du Groupe de recherche sur l’esclavage dans l’antiquité, 2008, n° 30, fasc. 1, pp. 273-281 ;
– Grosdemouge F., « L’accession à la richesse chez Pétrone », Actes des colloques du Groupe de recherche sur l’esclavage dans l’antiquité, 2008, n° 30, fasc. 1, pp. 241-250 ;
– Martin R., « Petronius Arbiter et le Satyricon : quelques pistes de réflexion », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009, fasc. 1, pp. 143-168 ;
– Van Mal-Maeder D., « Les beaux principes : Du discours à l’action dans le Satyricon de Pétrone », Ancient Narrative, 2012, pp. 1-16 ;
– Reuter Y., Introduction à l’analyse du roman, Malakoff, Armand Colin, 4e édition revue et corrigée, 2016, 199 p ;
– Veyne P., La société romaine, Paris, Seuil, 1991, 341 p. (voir notamment le chapitre « Vie de Trimalcion », pp. 13-56.
Le directeur général de l’enseignement scolaire,
Jean-Marc Huart