Le bonus en Terminale C

Texte long ou court ? Traduction moderne ou ancienne ? Traduction littérale ou littéraire ? Comment choisir les extraits proposés aux candidats ? Et qu’attendre d’eux dans cette improvisation ?  Voilà le genre de questions que nous sommes bien obligés de nous poser avant d’aller interroger. Je vous propose aujourd’hui quelques unes de mes réponses, en espérant que vous aurez envie de partager les vôtres, de réagir, discuter, commenter.

Les consignes pour l’épreuve nous rappellent que « L’examinateur propose en outre deux à trois lignes ou vers extraits d’un texte non préparé pendant l’année, accompagné d’une traduction. Cet extrait relève de la même entrée du programme que le texte retenu initialement. Le candidat devra montrer comment il s’approprie le texte latin ou grec à l’aide de la traduction et faire les remarques qu’il juge nécessaires. On ne lui demande pas de traduire ce passage, mais d’émettre un bref commentaire argumenté de la traduction, ou un avis critique, ou encore une interrogation sur un ou des choix du traducteur. On demande au candidat de pointer quelques éléments du texte, qu’ils soient d’ordre grammatical, esthétique, stylistique, lexical … »

 

C’est pourquoi j’ai choisi par exemple les extraits suivants.

Entrée : Interrogations scientifiques

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre 20, chapitre 33.

 

« Brassicae laudes longum est exsequi, cum et Chrysippus medicus privatim volumen ei dicaverit, per singula membra hominis digestum et Dieuches, ante omnes autem Pythagoras, et Cato non parcius celebraverit. »

« Il serait long d’énumérer les mérites du chou ; le médecin Chrysippe lui a consacré un volume tout entier, divisé selon les différentes parties du corps ; Dieuchès en a fait tout autant ; mais Pythagore avant tous et Caton n’ont pas moins célébré cette plante. »

 

Cet extrait permet aux candidats de proposer plusieurs types d’observations :

 

– d’ordre grammatical :

 

le verbe « est » est à l’indicatif tandis que le traducteur choisit le conditionnel ; cette traduction est donc inexacte ; mais elle permet de rendre le texte français plus agréable (par une prétérition).

 

* le traducteur multiplie les points-virgules, alors que le texte latin n’en contient pas. Le candidat peut alors rappeler que cette ponctuation n’existait pas en latin classique,  que le latin utilise des subordonnants beaucoup plus facilement que le français : ces points-virgules correspondent à « cum ». Ils allègent la syntaxe française.

 

– d’ordre stylistique :

 

* la traduction se clôt sur la litote « n’ont pas moins célébré », qui traduit une litote en latin : « non parcius celebraverit ». Le traducteur s’est efforcé de garder cet effet de style.

 

* l’énumération est rendue en latin par une succession de coordonnants « et », que le français remplace élégamment par les points-virgules. Le candidat peut ainsi souligner que les deux langues obéissent chacune à leur système propre.

 

Entrée : Interrogations politiques et juridiques

Horace, Odes, IV , 4 (Traduction F. Villeneuve )

 

«  Carthagini  jam non ego nuntios

mittam superbos ; occidit, occidit

spes omnis et fortuna nostri

nominis Hasdrubale interempto. »

« Je n’enverrai plus à Carthage de messages orgueilleux ; elles sont, elles sont à bas, toutes nos espérances et la fortune de notre nom, maintenant qu’Hasdrubal n’est plus. »

 

Cet extrait permet aux candidats de proposer plusieurs types d’observations :

 

– d’ordre grammatical : l’ablatif absolu « Hasdrubale interempto » est traduit par une subordonnée de temps, ce qui donne l’occasion au candidat de rappeler ce qu’il sait de cette structure grammaticale.

 

– d’ordre esthétique : Horace a écrit un poème alors que la traduction est rédigée en prose : libre au candidat de critiquer ou d’approuver ce choix, pourvu qu’il émette un avis circonstancié.

 

– d’ordre stylistique : la répétition du verbe « occidit » saute aux yeux et il est facile au candidat de voir que le traducteur use du même procédé en français ; à lui d’en apprécier la qualité. Il peut s’intéresser par exemple au niveau de langage de l’expression « elles sont à bas ».

 

– d’ordre lexical : le candidat peut repérer un mot connu comme « superbos », traduit par « orgueilleux », son sens premier, et montrer ainsi qu’il connaît le sens de cet adjectif.

Entrée : Interrogations philosophiques

Lucrèce, De Natura rerum, livre I vers 254-255 : Le ciel féconde la terre

Hinc alitur porro nostrum genus atque ferarum

Hinc laetas urbes pueris florere videmus.

De là tirent leur nourriture et l’espèce humaine et les espèces sauvages ; de là vient que nous voyons les villes prospères toutes florissantes d’enfants.

 

 

Voilà encore un court extrait qui permet au candidat de trouver rapidement des remarques (car nos élèves  restent parfois muets devant cet exercice improvisé).

 

– d’ordre stylistique : en espérant qu’il leur reste quelques souvenirs, nos élèves devraient identifier l’anaphore de l’adverbe « hinc » et être en mesure de la repérer en français, pour affirmer que le traducteur s’est efforcé de conserver une partie du style poétique de l’auteur.

 

– d’ordre esthétique : le candidat pourra aussi commenter le passage des vers à la prose ; il peut préciser que la phrase française semble plus longue : s’il a repéré au cours de ses études que la langue latine est plus économe que la langue française, ce n’est déjà pas mal !

 

– d’ordre grammatical : s’il a été entraîné à observer les verbes conjugués, notre candidat ne manquera pas de percevoir que le verbe « alitur », singulier, est traduit par le pluriel « tirent ».  Je ne suis pas sûre qu’il sache expliquer l’accord avec le sujet le plus proche en latin, mais s’il en est capable, il mérite les points du bonus.

 

– d’ordre lexical : le côté poétique du verbe « florere » peut attirer l’attention d’un élève ; il peut aussi commenter la traduction de « nostrum » par « humaine », choix qui a le mérite de clarifier la phrase.

Enfin une dernière proposition, qui réussit bien aux élèves :

Entrée : Interrogations politiques et juridiques (l’âge d’or)

Virgile, Bucoliques, IV

 

Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ;

Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo.

Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna.

Le voici venu, le dernier âge prédit par la prophétie de Cumes ; la grande série des siècles recommence. Voici que revient aussi la Vierge, que revient le règne de Saturne.

 

– d’ordre stylistique : là encore, la reprise anaphorique de l’adverbe « jam » puis du verbe « redit / redeunt » est facile à repérer, aussi bien en latin qu’en français. Ainsi le candidat peut apprécier la fidélité de la traduction.

 

– d’ordre grammatical : il est alors facile d’enchaîner sur une remarque grammaticale : le même verbe est répété, au singulier et au pluriel, alors qu’en français il est uniquement au singulier. C’est l’occasion de parler du pluriel poétique en latin (qui n’est pas transposable ici en français).

 

– d’ordre esthétique : ainsi le candidat peut déboucher sur une remarque générique : les vers latin deviennent de la prose en français ; à lui de juger si la qualité poétique est perdue ou non.

 

 

Personnellement, je n’attends pas que les candidats observent tous ces éléments ; mais j’essaie de proposer des extraits riches, où ils auront matière à commentaire. Et s’ils sont capables d’en relever deux, de raisonner, d’argumenter, je trouve qu’ils méritent les points du bonus.  Ce que je voudrais tester, c’est s’ils sont capables, au bout de six ans de latin, d’émettre un jugement, de montrer qu’ils ont appris (et retenu) quelque chose de la langue latine.

Reste que nous avons sans doute des pratiques différentes : qui souhaite les partager dans le prochain bulletin ?

Claire Jeandidier, Lycée Louis Lapicque, EPINAL

 

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