L’oral : « j’ai testé pour vous »

 Dans le rapport des IG sur la refondation de l’enseignement du latin et du grec est mis l’accent sur l’oralisation du latin en classe. J’ai tenté d’expérimenter cette proposition à partir de janvier 2014 dans une classe de seconde hétérogène, globalement peu encline au travail, et suis surprise de ses effets bénéfiques dont je peux vous dire quelques mots.

1. Les rituels :
J’ai commencé par instituer les rituels simples auxquels tout le monde pense :
Salve magistra / salvete discipulae (je n’avais que des filles et ça demande de la gymnastique cérébrale de toujours parler au féminin, nous n’en avons pas acquis le réflexe).
Hodie vobis sententiam do / Hodie vobis sententiam in tabula scribo /  Hodie vobis aenigma in tabula scribo / Hodie vobis aliqua verba in tabula scribo / Hodie vobis difficilia verba in tabula scribo (car j’accueille la classe, depuis le début de l’année, en écrivant un adage ou une énigme ou une famille de mots au tableau).
Quid novi ? Au début elles répondent en français puis les plus audacieuses tentent de toutes petites phrases et il faut les aider en leur donnant des mots simples, parfois en leur donnant tout et elles se contentent de répéter mais c’est essentiel car elles intègrent ainsi les formules. Si je ne suis pas capable de les aider, je le dis franchement : j’ai bien expliqué que le latin n’est pas une langue de communication, mais de culture ; simplement on peut aussi l’utiliser oralement, avec comme limites mes failles. Ca ne pose pas de problème aux élèves et ne remet pas en question mon autorité, car il y a bien d’autres situations où je maîtrise ce que j’ai à leur apprendre.
Quomodo valete ? / ut valete ? → bene ; optime ; satis bene.
Quae abest ? / Abestne aliquae ? / omnesne adsunt ? / adsuntne omnes ? → soit elles donnent les noms des absentes, soit elles répondent oui “ita”, soit “nemo”.
Quae vult folliolum ad portam ferre ? (en effet dans mon établissement on doit accrocher un billet d’absence à la porte) → volo / ego / ego volo
Variante  : Aurelia, visne folliolum ad portam ferre ? → volo / nolo
Variante : vultne aliquae folliolum ad portam ferre ? → Réponse = volo
Emma, tace, quaeso ! / Quaeso, tacete ! → gratias.
A chaque réponse juste, j’encourage beaucoup avec des « bene », « optime » ; au moins elles auront appris le superlatif de l’adverbe.
Ces questions permettent de travailler la conjugaison : pour répondre « oui », il faut reprendre le verbe de la question et le mettre à la première personne ; en outre c’est la première fois que j’arrive à obtenir que des élèves connaissent la conjugaison du verbe volo et maîtrisent le pronom interrogatif « ne ».
L’essentiel est de créer un rituel avec des formules répétitives, ce qui permet au bout de  3 ou 4 fois de commencer à changer une donnée, mais une seule à la fois. Si deux paramètres changent d’un coup, ça brise l’effet bénéfique de l’exercice qui a pour but de rassurer les élèves sur leurs capacités de compréhension et surtout d’expression.
Je m’efforce ensuite de donner mes consignes en latin pendant la classe ; il ne faut pas en avoir peur, car on se rend compte que rapidement ce sont toujours les mêmes formules ; il est important, là, de varier les formules comme on le ferait d’ailleurs en français ; en effet les élèves repèrent alors les mots clés qui ne varient pas d’une formulation à l’autre, ainsi que les structures récurrentes ; en s’y mettant à plusieurs, elles comprennent la consigne, que je finis toujours par traduire en français.

Voir des exemples de formules courantes sur les sites suivants :
Arrête ton char (ex-Latine loquere)
Rapport sur la rénovation pédagogique des LCA, rubrique « oraliser le latin », pages 12 à 14.
Via-neolatina présente la méthode de Claude Fiévet en fournissant un pdf avec des « locutiones-cotidianas ».

2. La méthode Orberg ; la méthode audio-orale de Claude Fiévet.
Pour aller plus loin j’ai voulu tester une de ces deux méthodes.
a/ Celle de Claude Fiévet semble passionnante, elle est française et pratiquée à l’université, donc parfaite…. sauf que je n’y ai pas eu accès car elle n’est pas publiée. Mme Gallego, qui en est responsable à l’Université de Pau, vient de la rendre publique en juillet 2014 : vous pouvez consulter l’adresse suivante :
http://dep-lettres.univ-pau.fr/live/Manuel_latin_audio-oral_Fievet
En outre le site via-neolatina en offre une vision déjà développée : http://www.via-neolatina.fr
Et surtout il faut écouter en ligne la conférence de Mme Gallego qui présente cette méthode de façon dynamique et alléchante au cours des Rencontres « Langues anciennes et mondes modernes, refonder l’enseignement du latin et du grec » (31 janvier et 1er février 2012) :
http://videos.education.fr/MENESR/eduscol.education.fr/2012/Langues_et_cultures_de_l-humanite/LCA-2012_Julie_Gallego.mp3
b/ En attendant la mise en ligne de cette méthode française, j’ai décidé de pratiquer la méthode de Hans H. Orberg, Danois qui publie aux Etats-Unis. Le titre du livre est le suivant : « Lingua Latina per se illustrata – pars I : Familia Romana », distribué par « focus publishing ». Je l’ai expérimentée pendant la période entre les vacances d’hiver et de printemps et ai pu faire quatre leçons du livre.
Ce livre ne contient donc pas un seul mot de français, ni d’anglais d’ailleurs. Les leçons sont fondées sur le principe de la répétition, ce qui est bien sûr pédagogique : à force d’entendre la même formule, elle finit par rentrer. Tous les mots nouveaux sont listés dans la marge, avec des petits dessins explicatifs, ou bien des synonymes ou antonymes déjà vus.
Il s’agit de la vie quotidienne, et cela répond au thème de la famille dans le programme de seconde.
Le livre est accompagné d’un CD-Rom où tous les textes sont lus. Cela fait hurler de rire les élèves au début, puis elles s’amusent à lire à haute voix en même temps : résultat, elles mettent l’accentuation sans s’en rendre compte et celles qui sont douées pour les langues ont conservé cette manière de lire pendant le reste de l’année.
Chaque leçon se finit par trois exercices : le pensum A porte sur la morphologie, le pensum B sur le vocabulaire, et le pensum C incite à répondre à des questions dont les réponses sont toujours telles quelles dans le texte. Les élèves qui ne les ont pas retenues par cœur vont les chercher dans le texte, de fort bonne volonté en général, et l’essentiel est qu’elles fassent du latin : ce qui m’a plu dans ce travail c’est que nous ne parlons pas français. Nous pratiquons un latin très basique, mais c’est du latin.
En outre pour la première fois depuis des années mes élèves ont retenu (en quatre leçons) comment on pose des questions et comment on y répond : quis, quae, quid, cur (→quia), ubi (→in), -ne, num.
La démarche grammaticale est différente de ce que j’ai toujours pratiqué : on ne cherche pas à apprendre les règles dans l’ordre où les grammaires les classent, mais dans l’ordre où on en a besoin pour dialoguer. Ce qui a enthousiasmé les élèves, c’était de pouvoir parler, échanger. La méthode progresse cependant de façon attendue : on apprend tout de suite le nominatif puis le génitif, le verbe « est » puis d’autres verbes à la 3ème personne ; mais d’emblée on apprend aussi à poser des questions et à y répondre, ainsi que tout un vocabulaire lié à la famille et à la domus. On voit ensuite rapidement d’autres champs lexicaux ; cette méthode pousse à apprendre beaucoup de vocabulaire. Toute la grammaire vue dans le chapitre ainsi que tout le vocabulaire nouveau sont récapitulés en fin de chapitre. A la fin du livre figurent les tableaux de morphologie.
Ce travail oral a débouché de façon naturelle sur une expression écrite donnée en bonus d’un devoir ; j’ai simplement demandé : Quae es ? (Quis es ? s’il y a des garçons). Le vocabulaire de la famille et les structures apprises pouvaient être réinvesties en disant « je », puisque mes élèves, en seconde, savent conjuguer un verbe à la première personne, et elles étaient ravies de pouvoir parler d’elles-mêmes.
Cette façon de pratiquer l’oral m’a enthousiasmée parce que les élèves ont retrouvé le goût d’apprendre et que cela leur a semblé moins ardu que ce que je leur propose d’habitude. Cette méthode ne saurait remplacer entièrement les autres travaux que nous donnons aux élèves, et elle ne permet pas de transmettre toute la civilisation latine dans laquelle nous sommes chargés de les faire entrer. Mais pour ma part je vais tâcher de faire une place à cette méthode car elle a de grands intérêts.
La limite que je lui trouve, c’est qu’elle me semble aller trop vite pour des collégiens : elle a convenu à mes élèves de seconde car elles ont pu réinvestir beaucoup de leurs acquis du collège, mais j’aurais peur que ce soit trop difficile tel quel pour les collégiens. Néanmoins il est peut-être possible de l’aménager pour la rendre plus accessible à des plus jeunes car cette manière de faire est vraiment porteuse. Ou bien elle est peut-être utile en troisième pour redynamiser l’apprentissage et réviser beaucoup de bases.
Cette pratique de l’oral est nouvelle pour moi et pour corriger mes enthousiasmes et mes naïvetés, je serais contente de pouvoir dialoguer avec des collègues qui ont déjà pratiqué ces façons de faire et qui auraient des expériences à échanger.

Claire Jeandidier, Lycée Lapicque – Epinal
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