(à propos du bicentenaire de la naissance d’Hector Berlioz 1803-1869)
Toute sa vie Berlioz manifestera le désir d’écrire un opéra dans lequel il pourrait pleinement exprimer sa passion pour le poète latin et son œuvre maîtresse l’Enéide. Le résultat en sera l’opéra Les Troyens (1863).
L’œuvre est formée de 2 parties : la Prise de Troie (quatre tableaux) et les Troyens à Carthage (cinq tableaux). C’est Berlioz lui-même qui est l’auteur du livret d’après l’Enéide (livre II pour la prise de Troie, la fin du livre I et le livre IV pour les Troyens à Carthage).
Berlioz ne vit malheureusement jamais représenter cette grande fresque épique qui reste mal aimée du public français. Des scènes comme la prédiction de Cassandre, la symphonie descriptive de la chasse, situent l’œuvre au sommet de l’art berliozien. La dernière scène, la mort de Didon, est bouleversante, « une scène de mort où la folie du désespoir amoureux se résout dans la suprême dignité d’un suicide ». Une œuvre à connaître et à faire connaître.
Un extrait des Mémoires de Berlioz
At regina graui iamdudum saucia cura,
j’arrivais tant bien que mal à la péripétie du drame ; mais lorsque j’en fus à la scène où Didon expire sur son bûcher entourée des présents que lui fit Enée, des armes du perfide, et versant sur ce lit, hélas ! bien connu, les flots de son sang courroucé, obligé que j’étais de répéter les expressions désespérées de la mourante, trois fois se levant appuyée sur son coude et trois fois retombant, de décrire sa blessure et son mortel amour frémissant au fond de sa poitrine, et les cris de sa sœur, de sa nourrice, de ses femmes éperdues, et cette agonie pénible dont les dieux mêmes émus envoient Iris abréger la durée, les lèvres me tremblèrent, les paroles en sortaient à peine et inintelligibles ; enfin au vers
Quaesiuit caelo lucem ingemuitque reperta,
à cette image sublime de Didon qui cherche aux cieux la lumière et gémit en la retrouvant, je fus pris d’un frissonnement nerveux, et, dans l’impossibilité de continuer, je m’arrêtai court.
Ce fut une des occasions où j’appréciai le mieux l’ineffable bonté de mon père. Voyant combien j’étais embarrassé et confus d’une telle émotion, il feignit de ne la point apercevoir, et, se levant tout à coup, il ferma le livre en disant : » Assez, mon enfant, je suis fatigué ! » Et je courus, loin de tous les yeux, me livrer à mon chagrin virgilien. »
Fammarion, Mille et une pages, 1991.
Pierre de Cortone, Vénus en chasseresse apparaît à Énée,
huile sur toile, 127 x 176 cm., 1631, musée du Louvre
Michel Printz