Interview Astrid Lorenzen : Monuments Woman

Astrid Lorenzen

Astrid Lorenzen est restauratrice au Centre Pompidou depuis plus de 30 ans. De passage à Metz pour l’installation de l’exposition Phare 4, elle s’est confiée à nous le temps d’une soirée autour d’un sausbak et d’un verre de vinasse.

Pouvez-vous nous parlez de votre expérience, de votre formation, de la façon dont vous êtes arrivée au Centre Pompidou ? 

J’ai une formation de restauratrice de sculpture, on y étudie le moulage, la taille de pierres, la taille du bois, et après on apprend à connaître les matériaux utilisés pour la sculpture, comment les sculptures sont assemblées, comment les matériaux sont taillés, pour connaître la technique utilisée par les artistes. C’est plus orienté vers les techniques traditionnelles au départ : plâtre, pierre, bois polychrome, et après on apprend à connaître les altérations : comment une pierre va réagir à l’atmosphère extérieure, comment le métal va s’oxyder, comment une peinture sur bois va se décoller et se décolorer… Mais il y a 30 ans, je suis rentré à Beaubourg, et les matériaux là, il y avait de tout, du sucre, différents plastiques, les artistes qui se servaient de déchets pour faire des œuvres, au niveau des matériaux c’est beaucoup plus varié.

J’ai fait de la restauration des œuvres, une œuvre qui s’est altérée, par exemple, une œuvre en mousse de polyuréthane, la mousse des canapés, il y a des œuvres qui sont faites dans ces matériaux, au bout d’un moment l’œuvre s’effrite alors on doit réduire tout ça. L’œuvre a une certaine valeur qu’il faut protéger : d’une part on va regarder l’environnement : pas trop de lumière, emballée de telle manière, et si ce n’est pas suffisant on va essayer de prolonger la vie de la sculpture -parce que de toute façon tout fini un jour et se décompose-, trouver des solutions : des colles, des adhésifs, des consolidants, pour prolonger la vie de l’œuvre et donner une certaine densité à l’œuvre qui se dégrade.

Centre Pompidou

Une autre partie de mon métier c’est lorsque des œuvres sont demandées en prêt à Beaubourg, je regarde l’état de l’œuvre, est-ce qu’elle peut voyager, comment faut-il la présenter, est-ce qu’il faut l’accompagner et je dis si l’œuvre est prêtable ou non. Bon, souvent on me dit « on la prête quand même » (rire). Là par exemple je suis à Metz sur une grande expo de sculpture qui peuvent être très lourde, difficile à assembler, un peu de tout. Aujourd’hui on a installé le socle d’une grande sculpture qui pèse presque 1 tonne, des collègues ont dû sangler cette grosse structure, on la met sur son socle grâce à un système de repérages, il faut savoir comment soulever des poids très lourds… Ce n’est pas mon métier mais je suis là pour vérifier que rien n’est cassé.

Le panel d’œuvres est très différent et chaque fois un diagnostic est fait avant le prêt, regarder s’il faut les restaurer, assister à l’emballage, vérifier que l’œuvre ai bien voyagée, on va refaire un constat c’est assez long. Puis on va voir comment l’accrocher, prendre en compte la technique, comment faire au mieux pour éviter de la cogner lorsqu’on la soulève, c’est un côté très technique mais c’est assez passionnant car les situations sont variées, on peut avoir les Colonnes Sans Fin de Brancusi ou des mobiles de Bardera.

Il y a beaucoup de tâches d’accompagnement, surtout à Beaubourg, mais dans mon métier, généralement, c’est plus de la restauration, on prend les œuvres, on les nettoie…

Qu’êtes-vous venue faire au centre Pompidou Metz ?

Centre Pompidou Metz

Alors, c’est une nouvelle exposition, on avait déjà eu Phare 1, 2, … là on arrive à Phare 4 et il y a une liste d’œuvres, surtout autour de la sculpture, sur des époques assez larges : des œuvres de Brancusi, Gonzalez, des œuvres des années 20-30, et des œuvres beaucoup plus contemporaines, autour de l’antiforme faite avec des matériaux mou du feutres découpés, du latex, du caoutchouc qui épouse la forme du mur ou d’un angle. C’est tout un travail autour des matériaux pour voir les propriétés et réaction. Comme je l’ai dit les structures sont très variés avec la structure en pierre dont j’ai parlé mais aussi une très grande structure en bois de Joseph Beuys. Il existe un roulement entre collègue, je reste une semaine puis ce sera autour d’un autre restaurateur du Beaubourg qui viendra installer certaines œuvres dont il a étudié les spécificités en amont. Il m’est déjà arrivé de venir pour d’autres accrochage.

 

Comment un tel projet est-il réalisable ?

Ce sont des projets qui sont réalisés avec le centre Pompidou, là c’est le directeur du Centre Pompidou Paris qui a travaillé avec le Centre Pompidou Metz pour faire cette sélection d’œuvres pour un accrochage autour de la sculpture. Et après on va regarder les listes, si les œuvres sont disponibles, par rapport aux salles et à l’espace disponible, la disposition en fonction des époques et des œuvres à présenter ensemble. Donc il faut voir la taille des œuvres, l’état des œuvres, les moyens qu’il faut pour acheminer certaines œuvres : on devrait avoir une importante sculpture d’un artiste allemand qui pèse plus de 4 Tonnes, pour amener une œuvre comme cela il faut des moyens énormes, le sol du musée doit la supporter, pouvoir la transporter jusqu’ici, avoir les équipes nécessaires : cela coûte cher. Certaines œuvres de la première liste vont être retirés en discutant avec les différentes équipes. La phase de décision de la liste d’œuvre peut prendre un an si ce n’est pas plus, parce qu’e l’on va également décider ou accrocher les œuvres, comment les disposer. Cependant tout ceci ne relève pas de mon métier, mon travail c’est de donner mon avis sur les œuvres qui sont proposer, mettre en évidence les difficultés, les œuvres à restaurer, les œuvres trop abimées, exposées trop longtemps, trop fragiles. Grâce à cela, peu à peu, la liste se précise et on finit par obtenir la liste finale de l’exposition. Avec la liste on va voir les sociétés de transport, faire un devis pour le nombre de caisse à transporter, le nombre d’employés, organiser tout le transport, chiffrer le tout. Une fois sur place, il faut définir l’ordre dans lequel on rentre les œuvres pour ne pas gêner la disposition, … C’est une logistique énorme !

Outre leur état, comment choisi-t-on les œuvres à exposer ?

Alors çà cela relève du conservateur ou le commissaire d’exposition, comme à l’exposition au Pompidou Metz sur Rebecca Horn qui est magnifique. Rebecca Horn c’est une artiste allemande de Hambourg il me semble, qui a travaillé sur le corps car elle avait eu des problèmes de santé dû à l’utilisation de certains produits, elle s’était brûlé les poumons et elle a passé deux ans dans un sanatorium. Ainsi, elle a travaillé sur cet enfermement autour son corps, des sortes de prolongations de partie du corps, elle a fait des films et c’est une exposition très étonnante mais c’est surtout une exposition sur une seule artiste : les thèmes qu’elle travaille, les choses qu’elle a abordés, cela peut être chronologique.

Et ça, c’est généralement fait en amont, il y a une programmation, des propositions d’expo sur plusieurs années et après on soumet au centre Pompidou des listes d’œuvres que l’on voudrait emprunter. La tout vient quasiment du Centre Pompidou Paris mais parfois on demande des œuvres qui proviennent d’autres musées car ici il n’y a pas de collection, c’est un centre qui expose seulement.

Pourquoi accompagnez-vous les œuvres ?

Surtout les œuvres qui ont une certaine fragilité, certaines sont en plusieurs éléments, d’autres sont délicates à sortir de leurs emballages, il faut savoir les manipuler, les assembler. Par exemple il y a cette œuvre de Bruce Nauman, deux grands cercles en plâtres et chaque élément à 16 éléments, tout est superposé cela s’appelle des Smoke rings, cela tient avec difficultés et là on a travaillé ensemble pour trouver comment les faire tenir ensemble ; c’est extrêmement délicat et c’est toujours un peu en train de tomber. C’est pour cela qu’on accompagne. Il y a d’autres œuvres comme celle de Serra qui sont en mauvaise état et il y a des systèmes de socle qui ont été fait car l’œuvres ne pouvait plus tenir toute seule. C’est surtout pour les œuvres complexe que sont employés les restaurateurs du centre Pompidou. Certaines œuvres n’ont pas besoin d’être accompagnés, la plupart des tableaux sont déjà encadrer avec une protection, un verre devant, un plexi, …

Comment les œuvres sont acheminés jusqu’ici ?

Ce sont des sociétés de transport qui sont spécialisé dans le transport d’art et avec ces personnes on va faire ce qu’on appelle des « aller-voir ». Lors de ces rencontres on va leur dire : « sur telle œuvre on veut telle sorte de caisse », « là c’est fragile », « il ne faut pas mettre telle matériaux en contact ». Et nos emballeurs du centre Pompidou vont parfois fabriquer des caisses spécifiques avec des systèmes de suspensions, des chemins de roulement pour les transporter avec des transpalettes. Il faut tenir l’œuvres avec des bans, on les cale avec différents systèmes, on regarde ensemble comment on peut transporter au mieux les œuvres pour qu’elles arrivent dans les meilleures conditions ici, ils chiffrent, et ils nous disent « voila pour telle caisse cela va coûter tant, tant de personne qui vont venir travailler », un devis est fait et on accepte ou pas.

Certaines œuvres sont-elles donc parfois trop compliquées à transporter ? Comme cette structure de 4 Tonnes dont vous me parliez.

Bien sûr, parfois nous n’avons pas les moyens de mettre en place le transport requis, cela peut aussi être une question de taille mais aussi de budget.

Je pense également à certains tableaux qu’on avait pu voir dans des expositions précédentes occupant tout un pan de mur.

Là ce sont des tableaux qui sont roulés, car trop grand à transporter sur un cadre, puis monté sur un châssis pour l’exposition. Et là aussi, c’est uniquement faisable si la peinture est suffisamment souple, si elle commence à se craqueler et à devenir dure avec le temps on ne peut pas faire cette opération régulièrement car cela risque de l’abimer. Dans ce cas soit on restaure et on refixe la peinture, soit-on ne les déplace plus.

Cependant la tendance est à prêter de plus en plus car cela fait partie d’une politique française de rayonnement à l’étranger. Par exemple la France est présente à Abu Dhabi avec le Louvres Abu Dhabi, c’est le Soft Power. Le Louvres, comme l’on fait d’autres musée à l’image du Guggenheim, ouvre d’autres institutions à l’étranger.

Mais cela ne pose pas de problème à Abu Dhabi ? Notamment pour les conditions climatiques.

*lève les yeux au ciel et rit jaune* ils ont construit un musée qui est super-climatisé, ils ont pris des équipes France Museum, des restaurateurs spécialistes qui ont dû développer tout un système de socle antisismique car l’émirat est sur une faille tectonique. Ils ont des grands moyens. Mais c’est dans le désert donc même si à l’intérieur tout est climatisé, contrôlé, à l’extérieur il y a des problèmes de chaleur, de poussière, de sable, c’est à proximité de la Mer donc humidité. Les caisses sont isolées, on attend avant d’ouvrir, c’est très très compliqué mais c’est un marché très important.

Tanguy M.

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