Jean Boillot : « Une politique très développée en direction de la jeunesse »

Après 10 ans de services à la tête du Centre Dramatique National de Thionville ou Nest Théâtre pour les initiés, Jean Boillot s’en va à la fin de son mandat en Décembre. Ainsi, nous l’avons rencontré pour parler de son métier de directeur de théâtre mais aussi de son influence et de ses projets pour l’avenir.

Est-ce que vous pourriez nous expliquer brièvement votre métier ?

Alors j’en ai plusieurs : je suis d’abord un metteur en scène et je suis en même temps directeur de théâtre. Un metteur en scène, c’est quelqu’un qui réunit une équipe autour d’un projet qu’il a, qui choisit des gens, qui réalise ce projet avec ces gens-là. Que ce soient des artistes, des techniciens, des personnels administratifs, que ce soit aussi d’autres partenaires comme des coproducteur des choses comme ça pour l’argent en particulier ou pour la diffusion des spectacles. Une fois que le spectacle est fait je l’accompagne. Un spectacle c’est quand même une œuvre d’art. Souvent, le point de départ pour moi dans la mise en scène c’est un texte, ou une idée, et alors je vais aller voir un auteur pour qu’il écrive le texte pour cette idée-là. Par exemple Rêve d’Occident, la création sur laquelle je travaille actuellement, l’idée c’était d’adapter La Tempête de Shakespeare. Ou bien Les Imposteur, autre mise en scène que j’ai fait récemment, c’était de partir des 2 acteurs permanents, qui sont Isabelle Ronayette et Régis Laroche, l’écrire avec eux, et pour eux, une petite pièce qui portait sur le thème de l’imposture, en direction d’un public de jeunes, de jeunes adultes, et d’adultes. Ça c’est mon premier métier : metteur en scène.

Ensuite le deuxième métier, que je vais arrêter bientôt puisque j’arrête de travailler fin décembre au Nest, c’est directeur de théâtre. Alors là c’est un peu plus large, c’est plus étoffé, c’est-à-dire que je réalise ce qu’on appelle un projet : je conçois et réalise un projet artistique et culturel. Un Centre Dramatique National c’est un lieu qui est dédié à la création dramatique, et donc outre mes projets de metteur en scène, j’essaye de rencontrer et de choisir des projets et d’autres directeur artistique metteur en scène où metteuse en scène pour soit les produire reçoit les co-produire soit les accueillir dans la saison. Puis de l’autre côté un Centre Dramatique à une mission de développement du public. C’est à dire d’essayer de proposer une programmation pour développer le public, programmation dans laquelle il y a des productions, co-production mais aussi des achats. Par exemple, tout ce qui est cirque on n’a jamais co-produit mais ça fait partie de la programmation. Ce n’est pas ma mission première de création mais je vais venir ces spectacles car, je considère, que c’est une super porte d’accès pour que les gens aiment le spectacle vivant et qu’il puisse après reverser, éventuellement, vers des formes plus difficiles, plus exigeantes, que peuvent-être certains spectacles théâtre. La formation du public compte également les stages, les ateliers, ce qu’on fait avec les amateurs, l’école des spectateurs, ce qu’on fait en direction des classes etc… Tout ça c’est un gros volet de notre activité que je dois un peu coordonner, même si ce n’est pas moi qui réalise, ce sont plutôt les relations avec le public et les artistes pour les stages, les ateliers, …

Et la dernière mission c’est la formation en direction des professionnels. C’est à dire des techniciens, des administratifs, mais surtout des artistes, essayer de faire en sorte qu’on amène des savoir-faire qui leur permettent d’être meilleur, d’être plus employable comme on dit. Voilà un peu mes métiers car s’en est plusieurs à la fois qui se nouent, qui se complète, qui, parfois, se confusionnent, s’empêchent, se dynamisent, selon les moments.

Comment devient-on directeur de programmation d’un centre dramatique national ?

Un Centre Dramatique est forcément dirigé par un artiste. C’est ce qui les distingue des Scènes Nationales, qui est un autre label, qui ne sont pas forcément eux dirigés par des artistes, mais plutôt par, ce qu’on appelle, des ingénieurs culturels. Mais déjà la première des missions, ce qu’il faut bien comprendre, c’est la création. Donc, c’est à dire qu’on doit fabriquer, de A jusqu’à Z, des spectacles qui sortent de nos ateliers. Aussi bien en termes de décor que de spectacle proprement dit ; et qu’après on va jouer et on va vendre à d’autres collègues théâtre etc… L’artiste est porteur d’un projet artistique et donc pour recruter il y a un concours à chaque nouveau mandat. Un centre dramatique ces 3 mandats de 3 ans plus 1 an ça fait 10 ans en tout ; à chaque fois à la fin d’un mandat, il y a un appel à candidature qui lancé par l’état, puisque c’est une structure nationale, et qui dit « on cherche un directeur ou une directrice pour le Nest voilà ce qu’on ce qu’on attend ». Là, par exemple, sur le Nest il y avait dimension jeune public, que nous avons mis en place sous ma direction, et qui n’existait pas avant, en direction des adolescents en particulier avec la semaine extra. Il y a des gens qui envoient des lettres de motivation et puis la première sélection, 2e sélection, 3e sélection avec oral, écrit et tout le bazar.  Donc c’est un vrai gros investissement, ; moi j’ai vu ça il y a 10 ans, un peu plus maintenant, et voilà j’avais écrit ce projet que j’ai réalisé à peu de chose près, en développant un axe adolescent, un axe théâtre et musique, un axe qui était très sur le transfrontalier, le dialogue avec le Luxembourg, la Belgique, et l’Allemagne mais aussi avec toute l’Europe car on avait cette place particulière dans cette partie de la France qui est particulièrement étonnante. Et ici ça marche contrairement à d’autres endroits qui sont aussi eux proche de frontières et où c’est plus compliqué. J’ai mis ça dans mon projet, j’ai défendu et puis j’ai été nommé. Voilà ça c’est le projet artistique qui répond aux 3 missions de prioritaires qui sont : la création, le développement du public, et la formation professionnelle. Le dialogue du théâtre de la musique, le jeune public, les ados, la forme brève aussi, avec le festival court toujours et puis le transfrontalier, l’art et la culture transfrontalière c’étaient les actes de mon projet artistique que j’ai mis en œuvre par la suite.

Est-ce que vous estimez avoir une influence sur la Nest et si oui qu’elle a été votre influence ?

Qu’est ce qui a changé ? Beaucoup et pas grand-chose en même temps. C’est-à-dire aussi lorsque Laurent Guttman m’a donné les clés de ce Centre Dramatique National il avait déjà une très belle élégance, c’est lui qui avait déjà engagé la dimension transfrontalière. En revanche il n’avait pas du tout engagé la dimension sur le jeune public, ni sur la forme brève, ni d’ailleurs sur le théâtre et la musique. Lui était sur des texte avec des grands poètes de la scène. Par exemple, il a fait venir très souvent Joël Pommerat qui est l’un des grands maîtres du théâtre aujourd’hui en France. Je peux considérer qu’il a contribué à faire en sorte que Pommerat s’épanouisse et devienne un artiste aussi important qu’il est aujourd’hui. C’est ça l’essentiel du Centre Dramatique, c’est de donner la chance à des artistes, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, confirmés ou moins confirmés, connus ou moins connus. La chance de pouvoir construire une œuvre et accompagner cette œuvre pour qu’elle puisse développer. Nous, on s’est concentré plutôt sur des jeunes gens, souvent issus du territoire, comme par exemple Cécile Arthus, qui était artiste associée pendant 3 ans, et qui est devenue une compagnie importante sur le plan national maintenant. C’est avec elle que j’ai en quelque sorte inventé la semaine extra, au départ, et puis après ce sont les autres artistes associés que sont Isabelle Ronayette et Régis Laroche qui ont pris le relais et qui l’ont développé chacun à leur manière. La seconde chose importante, c’est l’ouverture à l’adolescence, on a fait mener une étude du public, on s’est interrogé sur qui vient au Nest aujourd’hui, et on s’est aperçu que depuis 10 ans le public s’est énormément renouvelé ; d’abord parce que les gens vieillissent et qu’il y en a d’autres qui arrivent, c’est normal, mais aussi parce qu’on a mené une politique très développée en direction de la jeunesse. Avec non seulement la semaine extra, une programmation pour et avec les jeunes avec les jeunes gens en particulier des partenariats très étroits avec des cités scolaires, des lycées autour du Nest, et pas seulement qu’à Thionville. Et puis on s’est aperçu que les jeunes qui venaient eux tout d’abord sous forme de groupe dans les classes petit à petit s’affranchissaient de ça et venaient par leurs propres moyens. Il y a pas mal de jeunes maintenant qui vienne spontanément, avec ou sans leurs parents, et pour ça on a mis en place des outils que sont les passeurs ou même le JugendClub, qui est une troupe de théâtre de théâtre éphémère pour les jeunes, qui fabrique un spectacle dans des conditions professionnelles chaque année. On a mis ça en place et ça marche parce que du coup ça fidélise. Le public de théâtre ce n’est pas un public éphémère, c’est quelqu’un qui vient et qui revient ; et c’est la chose la plus difficile pour les gens qui travaillent dans ce métier :  essayer de faire revenir les gens. Faire venir les gens par curiosité en général c’est facile mais faire revenir, leur donner un peu le virus du spectacle, de ce goût de l’aventure, parce que souvent quand tu viens tu sais pas trop ce que tu vas voir ; et d’avoir un peu l’esprit ouvert pour, justement, ne pas découvrir ce que tu sais qu’il va te plaire mais ce qui pourrait, éventuellement, te plaire le conditionnel est super important de se dire : « Nous, on fait un métier ou on ne va pas aller chercher des stars parce qu’on sait d’emblée que ça va plaire et que ça va marcher, non. Notre mission à nous c’est de développer le public un endroit du pari, de l’aventure, de l’esprit d’aventure. C’est la création. Donc on ne sait pas ce que c’est, mais on a assez confiance et on trouve les artistes et les équipes géniaux. Donc venez nous voir et je suis sûr que vous ne serez jamais déçu ». Et c’est ce qui s’est passé. On a quasiment doublé le public, c’est une vraie transformation et puis on a on a amené ces jeunes et on a renouvelé fondamentalement la génération du Centre Dramatique grâce à cette chose-là.

Et puis enfin je pense qu’on a certainement influencé le paysage, mais c’était déjà le cas avant. Laurent Gutmann avait fait venir le théâtre en bois, qui étaient, si je ne me trompe pas, à cette époque au Havre ; il a fait racheter le théâtre en bois par la ville parce que le grand théâtre municipal aller fermer pour travaux, donc du coup on aurait plus de lieux pour travailler, et en fait c’est devenu le lieu du Centre Dramatique. Et ce lieu du centre dramatique, en 2013, j’ai proposé qu’on y associe une zone d’accueil pour le public. C’est maintenant le barnum qui est si agréable avec la grande baie vitrée, les meubles anciens, et on y mange bien, où c’est agréable, c’est chaleureux. Le public de Thionville vient en partie car c’est un théâtre en bois et qu’il y a le barnum, il existe cette dimension très attachée à ça. Et bientôt, va surgir de terre, ce sera Alexandra Tobelaim qui va me succéder qui le verra, qui va l’accompagner tout au moins, on a lancé, on a mis sur les rails, un projet de construction d’un nouveau théâtre avec les tutelles c’est à dire la mairie de Thionville, la région grand-est et avec l’Etat tous ces 3 la vont cofinancer un nouveau théâtre pour le Centre Dramatique

Et il sera où ?

Eh bien on ne sait pas trop mais à priori au même endroit.

Qu’avez-vous tiré de votre expérience de directeur au Nest ?

Énormément de plaisir. L’élargissement de ma manière de voir le monde. C’est-à-dire que quand on est artiste, on est très tourné vers son nombril, c’est normal, on créé à partir de ce qu’on est, de nos désirs, on cherche à nous même pour trouver quelque chose, on doit être ce premier ce spectateur. Cette dimension là est très importante dans le geste artistique et quand on devient directeur de théâtre ce n’est plus possible car on programme pour les autres. Pour le public et pour élargir le public. La mission d’ouvrir aux autres le théâtre, d’abord aussi à d’autres artistes que nous même mais aussi aux spectateurs au sens le plus large possible, ça nous obligé à nous décentrer. Ça m’a beaucoup ouvert l’esprit, ça m’a déplacé, j’ai programmé des choses que je n’ai pas forcément aimé par exemple. On ne programme pas pour ce soit, on programme pour que les autres puissent aimer et puisse éventuellement développer, trouver des chemins vers des choses qui seraient plus proche d’eux, et puis j’ai aussi appris à travailler avec des gens que je ne connaissais pas bien avant, qui est le monde politique, les responsables. C’est très important d’établir des dialogues sur le plan artistique et culturel avec le maire d’une ville avec les adjoints avec évidemment en tête l’adjoint à la culture, des administratifs qui sont tout autour des politiques, que ce soit au conseil régional, à la mairie ou à l’état. Et puis dialoguer avec le public pour voir ce qu’il aime, ce qu’il aime moins, essayer de réajuster le tir, mais pas trop non plus parce qu’il ne faut pas complètement trahir les lignes qui ont été les nôtres. Voilà ça m’a vraiment beaucoup appris à travailler sur un territoire selon les possibles du territoire c’est à dire de Thionville et d’alentour.

Est-ce que vous avez des projets pour la suite ?

Alors là j’ai le projet, d’après avoir dirigé ce Centre Dramatique, de remonter une compagnie de théâtre. C’est à dire qui va promouvoir mon travail artistique quelque part, pour l’instant je ne sais pas trop où. Et puis voilà, j’aimerais beaucoup plus tard rediriger un théâtre mais pour le moment je repasse par cette case se concentrer sur son travail artistique. C’est à dire la case compagnie. Mon ancienne compagnie s’appelait La Spirale, je suis en train de lui chercher un nom mais je peux pas le dire pour l’instant.

 

Tanguy M.

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