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D. Bulten, « Nommés en REP, comment font-ils ? Pratiques de professeurs d’école enseignant les mathématiques en REP : contradictions et cohérence. »
Article mis en ligne le 25 juin 2014

par CASNAV CAREP Nancy-Metz

Conférence de Denis Butlen, maître de conférences en didactique des mathématiques à l’IUFM de Créteil, 24 novembre 2004.

Texte intégral

Présentation du contexte de la recherche

Je vais préciser le contexte de la recherche que je vais évoquer ce matin, afin de lever toute ambiguïté. Je vais essayer de dresser un état des lieux le plus objectif possible sur la base d’une étude qualitative faite des pratiques d’enseignants, professeurs d’école, enseignant les mathématiques puisque je suis didacticien des mathématiques.
Je me suis intéressé à l’enseignement des mathématiques dans des ZEP et en particulier dans des écoles de ZEP particulièrement difficiles. J’attire l’attention sur le fait que ce sont effectivement des écoles très difficiles où il y a peu de tradition de travail pour l’équipe enseignante. C’est ce qu’on a l’habitude de désigner parfois, sous le terme un peu péjoratif, reprenant une expression mathématique, de ZEP au carré, les banlieues soit de la région parisienne, soit des grandes villes industrielles qui sont particulièrement difficiles. Je me suis intéressé également aux pratiques enseignantes dans le but d’essayer de comprendre certaines origines des difficultés des élèves. Ce ne sont pas tant les pratiques des enseignants en tant que chercheur qui m’intéressent que les difficultés des élèves des milieux populaires. Mais, pour analyser, interpréter certaines difficultés, il a été indispensable à un moment donné d’étudier les pratiques enseignantes.
L’annonce de la conférence reprend un titre de conférence que j’avais faite pour l’OZP. Ca n’a pas un caractère prescriptif. Je fais un état des lieux et j’interroge les institutions notamment les institutions de formation sur l’adéquation entre la formation dispensée et puis la réalité effective du travail des enseignants.
Ces précautions étant prises, c’est un travail d’équipe en particulier effectué par un certain nombre de chercheurs de l’équipe d’IDIREM de l’Université de Paris VII qui recouvre des chercheurs des IUFM de la région parisienne, Monique Bezard et Pascal Masselot et des chercheurs de l’IUFM de Rouen, en particulier Marylise Pelletier-Barbier et Bernadette Bonnot.

Voici rapidement le plan que je vais suivre pour cette présentation. Je vais revenir très rapidement sur la présentation de la recherche et sur la méthodologie employée, ensuite je dresserai une première catégorisation des pratiques enseignantes et enfin je m’intéresserai aux routines et gestes professionnels associés. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, les recherches qu’on a effectuées s’intéressent plus particulièrement à la problématique des liens entre enseignement et apprentissage dans le cas des mathématiques, mais on s’intéresse à l’enseignement des mathématiques par des professeurs polyvalents de l’école élémentaire dans des zones sensibles. Un élément qui me semble important dans notre approche : nous avons été amenés pour étudier les pratiques enseignantes à compléter l’approche habituelle des didacticiens qui regardent comment on enseigne certains contenus, en prenant en compte le fait ( et ce n’est pas l’habitude chez les chercheurs en didactique ou en science de l’éducation) que les enseignants exercent un métier pour lequel ils ont un salaire à la fin du mois et sont donc soumis à un certain nombre de contraintes qui sont liées à ce métier. Il me semble que c’est important de prendre en compte cet aspect professionnel pour étudier les pratiques. On peut expliquer ainsi un certain nombre de constats que l’on peut faire.

 

Présentation de la recherche et méthodologie employée

Je présente tout de suite les classes observées. On a étudié les pratiques d’enseignants de ZEP dans trois écoles, une dans l’académie de Rouen, deux dans l’académie de Créteil et on a essayé de baliser l’ensemble des niveaux de l’école élémentaire. Parmi les dix enseignants qui ont accepté de nous recevoir dans les classes, on a trois débutants, c’est à dire des collègues qui sont nommés directement à l’issue de l’IUFM dans ces classes et puis 7 enseignants qui sont plus anciens (de 5 à 7/8 ans d’ancienneté). Je précise que nous avons observé sur un temps long ces enseignants, plusieurs semaines, parfois nous restions une semaine de suite dans la classe, sur plusieurs années (au moins deux années) et nous les avons observés en mathématiques, mais aussi dans les autres disciplines, ce qui témoigne d’une volonté de ces enseignants de montrer les conditions quotidiennes de leur enseignement sans précaution. Je précise aussi un autre élément, puisque j’ai parlé de formation tout au début, tous les enseignants qu’ils soient anciens ou débutants ont reçu en mathématiques une formation que nous avons nous-mêmes dispensée. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’ils ont accepté de nous recevoir dans leur classe, c’est à dire que quelque part nous savons ce qui a été dit au moins en mathématique dans la formation et nous sommes conscients de ce fait là des éventuels décalages qui peuvent exister entre ce qui est privilégié en formation et ce qui est effectué sur le terrain. Les classes qui sont étudiées sont des classes particulièrement difficiles. Il y a une violence importante y compris à l’école élémentaire. Vous avez des élèves soit violents, soit particulièrement inhibés. Ce sont des élèves qui introduisent dans le champ scolaire des règles de vie et de comportement qui ne sont pas celles de l’école, mais des règles qui sont plutôt issues de ce qu’on pourrait appeler rapidement la rue. Vous avez aussi des conditions de vie de ces élèves qui sont souvent défavorables, contradictoires avec le métier d’élève. Par exemple : ils ne dorment pas beaucoup la nuit et vont dormir un peu le matin.
Je dis un mot de la méthodologie. C’est donc une analyse de type clinique, qualitative. Ce n’est en aucune façon une analyse statistique, mais nous pensons quand même, à partir des exemples choisis pouvoir émettre des hypothèses sur les pratiques plus générales des enseignants. L’observation s’est déroulée sur un temps long. Nous avons essayé de restituer la complexité des pratiques enseignantes en prenant cinq points de vue. On s’est intéressé à l’aspect cognitif de la question, à l’aspect médiatique, tout ce qui a trait à la gestion de la classe. On a interrogé les conceptions personnelles de ces enseignants et on a essayé d’identifier les contraintes sociales et institutionnelles. Il y a cinq entrées pour étudier les pratiques enseignantes. On a utilisé une double approche de l’activité du professeur. On s’est aperçu qu’il y avait un certain nombre de régularités qui apparaissait, soit de régularités intrapersonnelles – c’est à dire que les enseignants faisaient un peu tout le temps la même chose - soit des régularités interpersonnelles – c’est à dire que ces façons de faire étaient partagées par un groupe d’individus - De ce fait, on a essayé de caractériser les grands choix globaux et les stratégies des enseignants d’une part, et puis on a essayé de voir au quotidien de la classe, comment les enseignants mettaient en œuvre ces choix.
Je vais tout de suite présenter quelques résultats. Nous avons identifié cinq grandes contradictions qui pèsent sur les pratiques des enseignants. Ces contradictions vont marquer profondément cette pratique et pour certaines de ces contradictions, leur dépassement conditionne la survie de ces enseignants dans les classes. J’emploie à juste titre le terme de survie. Je donne un exemple. Dans l’école que j’ai particulièrement suivie, fin janvier, début février, l’enseignant le plus ancien dans le grade le plus élevé de l’école était l’enseignant qui venait de sortir de l’IUFM. Non seulement c’était à ce moment là le seul titulaire : soit les autres titulaires n’étaient pas nommés dans cette école, soit ils étaient en stage. Ses collègues, y compris le directeur d’école étaient soit des PE2 stagiaires, soit des listes complémentaires.
- La première contradiction à laquelle sont assujettis ces enseignants est une contradiction entre une logique de socialisation et une logique d’apprentissage. Cette concurrence joue à deux niveaux. Elle met parfois en concurrence le projet d’éducation de l’enseignant — c’est à dire la manière dont il s’y prend pour faire respecter les règles de vie de l’école, pour éduquer le futur citoyen — et son autre mission qui consiste à transmettre des savoirs. Ces deux volants de l’activité de professeur d’école, ici, rentrent en compétition. L’enseignant est obligé de faire un choix, de décider ce qui va être prioritaire. Il va donc consacrer plus ou moins de temps, non pas dans toute l’année, ce n’est pas une question de répartition, mais à tout moment de l’activité, à l’une ou l’autre des logiques précédentes. Je précise tout de suite que tous les professeurs d’école sont soumis à cette tension entre éducation et instruction mais les caractéristiques propres aux élèves de ces écoles font que cette tension est particulièrement ténue.
- La deuxième contradiction, liée à la première, est une contradiction entre la logique de réussite immédiate et la logique des apprentissages. Pour maintenir les élèves dans une certaine forme de travail, tout se passe comme si certains de ces enseignants aplanissaient les difficultés, y compris par avance. Ils anticipent les difficultés. (Je tiens à préciser à nouveau qu’il n’y a en aucun cas un jugement des pratiques des enseignants. Je dresse un état des lieux. Ce que je vais dire ne met pas en question la volonté des enseignants, d’éduquer et d’instruire les élèves : Comme on observait des enseignants débutants pendant une année, sans leur apporter d’aide, on a demandé à l’IUFM que leur soient payées 30h de vacation. Ils ont utilisé une grosse partie de cet argent pour acheter du matériel pour leurs élèves. Ce qui veut bien dire que le constat que je fais n’est pas lié à l’investissement de ces enseignants mais il est lié à des choses beaucoup plus profondes). Il y a une simplification, une fragmentation des tâches proposées, une prédominance d’activités algorithmiques, un étayage très important et puis une valorisation systématique du travail effectué par les élèves dans le but de les encourager. C’est surtout là le nœud de la contradiction. Par exemple on leur donne soit des bonnes notes, soit des encouragements. On fait en sorte que tout travail soit valorisé. Cela a des effets sur le travail des élèves et de l’enseignant, notamment sur le travail des élèves. Il y a une espèce d’attitude d’attente qui s’installe. Les élèves attendent de l’aide de l’enseignant, ils attendent un modèle à imiter, ils se contentent souvent d’une prise d’indices de surface pour résoudre les tâches qui leur sont propres. Le maître s’installe davantage dans une logique de réussite à court terme que dans une logique d’apprentissage.
- Une autre contradiction qui pèse sur ces enseignants c’est une contradiction entre le temps de la classe et le temps des apprentissages. Tout se passe comme si le maître devait gérer le temps de manière nettement différente dans ces classes là. Ce n’est plus l’enseignant qui est maître du temps, ce sont les élèves. Ca veut dire que, à un moment donné, les élèves manifestent par un comportement agité la volonté que l’enseignant change d’activité. L’enseignant essaye de résister mais assez rapidement, il cède. Vous êtes confronté dans ces classes là à une situation qui ressemblerait à celle de l’école maternelle où, on change d’activité très vite, toutes les 10mn ou un quart d’heure. Il y a forcément un morcellement du travail, ce qui va renforcer ce que je disais tout à l’heure. Il y a une lassitude profonde manifestée par les élèves qui va s’accompagner d’une faible confiance des enseignants dans le travail et dans la durée de travail des élèves et en particulier dans le fait que ces élèves ne peuvent pas travailler à l’extérieur de l’école.
- Une quatrième contradiction qui pèse sur ces enseignants, c’est une contradiction entre une gestion individuelle publique et collective des apprentissages. Je vais essayer d’expliquer ce que j’entends par publique – individuelle, on voit bien , collective aussi mais publique… - C’est quelque chose qui m’a beaucoup intrigué quand j’ai été confronté à ce problème là. Je vais essayer de prendre une image pour expliquer : Vous êtes dans un aéroport et vous attendez votre avion. Vous ne savez pas à quelle porte il faut aller, où il faut aller pour enregistrer vos bagages. Vous avez un petit peu peur de rater l’avion. Dans l’aéroport, en tout cas c’est comme ça que je fonctionne, j’entends les hôtesses parler. J’écoute au début. Quand je m’aperçois que le vol n’est pas celui qui m’intéresse, je continue à entendre, mais je ne m’intéresse plus au discours. Et bien dans les phases de synthèse, il se passe la même chose pour les élèves… L’enseignant développe ou essaye de développer une synthèse des travaux réalisés par les élèves et puis les élèves, par petits groupes, sont plus ou moins concernés pendant un temps plus ou moins long par ce qui est développé par l’enseignant. Alors, comment cela se caractérise t-il ? On a souvent une gestion collective des phases de présentation des activités, ensuite un travail individuel à l’aide de fiches, on a une gestion individuelle ou publique des corrections d’exercice et on a finalement peu de phases de synthèse et très peu de phases d’institutionnalisation, c’est à dire de moment où l’enseignant dit à chaque élève que ce qu’il a fait en particulier est partagé par les autres élèves et que c’est ce qu’il faut retenir du travail… Ne pas retenir seulement le contexte mais l’aspect général de ce qui a été appris.
- Une dernière contradiction, c’est une contradiction entre une logique de projet et une logique d’apprentissage. Ces écoles fonctionnent de façon systématique en répondant à des injonctions institutionnelles sur la base de projet. Le projet, même quand c’est implicite a comme objectif prioritaire de socialiser et de motiver les élèves. Il n’est pas forcément élaboré, construit et mis en œuvre dans un but de transmission d’un certain nombre de contenus disciplinaires. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été fait. Ces projets sont très peu évalués. Quand ils sont évalués, ils ne sont pas évalués en termes d’apprentissage mais de projet réalisé. Ces projets ont une durée de vie très courte ou relativement courte. Comme il faut motiver les élèves, et bien il faut trouver souvent d’autres sources de motivation. On a une espèce de course à l’innovation, une recherche importante de nouveaux projets dans les écoles où nous étions. Un projet ne durait pas plus d’une année, parfois moins, les thèmes étant choisis parfois maladroitement dans le but de motiver les élèves : on passe de la piscine à l’astronomie.

 

Catégorisation des pratiques enseignantes

Nous avons essayé de dresser une première catégorisation des pratiques. Sur les 10 enseignants que nous avons observé, nous avons essayé de faire des paquets pour repérer des systèmes de réponses cohérents aux contradictions que je viens d’évoquer. Je précise qu’actuellement, après avoir établi cette première catégorisation, nous avons relancé une deuxième série d’observation et que cette deuxième série d’observation confirme sur un échantillon plus large, dans une large mesure, la première catégorisation.
Alors, une caractéristique : c’est que au-delà de la fragilité des pratiques, les pratiques sont cohérentes, cohésives et stables. Ca veut dire que si vous essayez de proposer des changements, il est très difficile pour ces enseignants là, compte tenu de l’équilibre auquel ils sont arrivés , compte tenu du compromis qu’ils ont passé entre diverses contraintes pour gérer les contradictions que je viens d’évoquer, de prendre en compte les changements que vous leur proposez parce que cela risque de les fragiliser pour certains. Pour d’autres, il y a quasiment rejet immédiat parce qu’ils disent que ce n’est pas possible pour un certain nombre de raisons. C’est un premier résultat.
Un deuxième résultat, c’est que très rapidement les débutants ressemblent aux anciens. Les nouveaux titulaires que nous avons observés – nous avons commencé à les observer au mois de janvier/février, trois mois après leur entrée en fonction – mettent en œuvre des stratégies qui ressemblent à celles de leurs aînés.
- On a distingué une première catégorisation de pratique. On a regardé plus particulièrement comment l’enseignant remplissait sa fonction d’instructeur, d’enseignant disciplinaire, comment en mathématiques, il gérait les injonctions données par les programmes officiels. C’est ce qu’on appelé les six genres pour lire un plan instructions. On constate qu’il y a trois catégories essentielles de genre. Elles sont définies par les grandes conceptions de ces enseignants sur les apprentissages disciplinaires. On a utilisé des indicateurs pour les identifier qui sont relatifs à l’enseignement des mathématiques. C’est à dire qu’on s’est intéressé au fait qu’ils proposaient ou non des problèmes aux élèves. On a regardé comment ils géraient les corrections de ces problèmes quand il y en avait, d’un point de vue individuel ou d’un point de vue collectif. On a regardé la place qu’ils laissaient à l’initiative des élèves dans la recherche de la solution et on a regardé les aides qu’ils apportaient aux élèves.
Le premier genre ne va pas être différent du deuxième genre, mais il se différencie sur un point donné. Il regroupe deux professeurs d’école sur les dix. Ce sont deux professeurs d’école confirmés, un de CM2 et un de CP. On peut légitimement penser que ce n’est pas le niveau qui est déterminant. Ils se caractérisent de la façon suivante : Si je regarde ce qui a trait au scénario proposé par ces enseignants, et bien on a des scénarios qui font une grande part à la résolution individuelle d’exercices d’application non précédé d’un travail sur la notion en jeu. C’est à dire que la première activité qui est proposée à l’élève, c’est d’appliquer quelque chose qu’il a déjà vu. C’est étrange, parce que quand il y a du nouveau, on a des séances qui sont organisées sur le schéma suivant. Il y a une présentation collective ou non de l’activité. Souvent cette présentation collective pour ces enseignants là n’existe pas. On propose directement la fiche. Dans la fiche, il y a souvent la solution au problème qui est proposé. Il y a une résolution individuelle avec une correction publique, celle dont je parlais tout à l’heure. Il y a une quasi absence de phase de synthèse. Il y a une absence – on n’en a jamais vu réellement- de phase d’institutionnalisation des savoirs. Et il y a une anticipation systématique sur les difficultés des élèves qui débouche sur une baisse des exigences. Si on regarde ce qui a trait à la gestion de la classe indépendamment des contenus, il y a un étayage consistant. C’est à dire que les enseignants se déplacent et aident individuellement tous les élèves, chaque élève en particulier. Cette individualisation ne se limite pas à l’enseignement des contenus disciplinaires, c’est aussi un traitement individualisé des comportements. L’enseignant s’adresse à l’élève en tant qu’individu pour lui dire que sa façon de se comporter n’est pas bien mais il ne fait pas pour autant référence à des règles collectives de sa classe.
Quand on regarde plutôt l’aspect institutionnel de ces pratiques, on voit que ces enseignants maîtrisent le temps contrairement à leurs collègues. Ce sont les seuls. Ils maîtrisent le temps dans la mesure où ce sont des classes où il n’y a jamais le moindre bruit. Dès que l’élève manifeste une certaine résistance, un traitement individuel le remet dans une situation conforme, situation qui est censée être une situation de travail. Il y a le silence, il y a le respect de la parole d’autrui, en particulier du maître. Ceci s’accompagne d’une mise en évidence d’une certaine forme de pédagogie différenciée évidemment puisque l’enseignement est individualisé. Il y a des groupes de niveau, il y a des tâches individualisées qui sont proposées aux élèves grâce à des fiches et des activités complémentaires. Le fait qu’il y ait cette mise en place, notamment de fiches individualisées et d’activités complémentaires interdit un traitement collectif. Les élèves ne sont jamais en train de faire la même chose tous en même temps, donc, les phases de synthèse sont difficiles à mettre en œuvre. Il y a une valorisation des élèves grâce à des bonnes notes en particulier, même quand ce n’est pas justifié.
- Le genre deux. Il regroupe sept des dix professeurs observés. C’est le genre largement majoritaire. Actuellement cette proportion est conservée. Sur les sept, on a cinq professeurs confirmés et deux débutants qui enseignent au CP.
Si on regarde ce qui relève de la composante cognitive, on a des scénarios où la distinction avec le genre précédent réside dans le fait qu’une phase collective existe. Cette phase collective précède l’activité des élèves et présente collectivement l’activité aux élèves. Pendant cette phase, le professeur montre, explique, dit comment faire, ce qu’il faut retenir et il demande une application ou plus raisonnablement parfois, l’exemple à reproduire par la suite. Cette phase collective semble jouer le rôle d’une institution à priori. Il y a un temps de résolution. Là, on retrouve les critères précédents des scénarios. Comme j’explicitais pour le genre précédent, on a un temps de résolution individuelle avec souvent la mise en place d’un tutorat, c’est à dire que les élèves s’aident entre eux, tutorat autonome ou organisé significatif de la mise en place d’habitudes de travail qui favorisent cette forme d’aide, une éventuelle correction publique individuelle, une quasi absence de phase de synthèse et une quasi absence de phase d’institutionnalisation. De même, une anticipation de la difficulté des élèves qui débouche sur une baisse des exigences. Après, c’est plus conforme au genre un. La différence entre le genre 1 et le genre 2 va porter sur d’autres points.
S’il y a de même, un traitement individualisé des comportements, il y a de même un étayage consistant relayé par un tutorat. Il y a une recherche et un entretien de la motivation par un recours à l’innovation. On fait beaucoup de jeux. (Je vous conseille d’ailleurs pour évaluer l’efficacité de ces jeux de lire dans l’ouvrage que nous avons rédigé avec Marylise Pelletier le chapitre sur la façon dont ces enseignants utilisent les jeux en mathématiques et l’efficacité de ces jeux qui reste à démontrer.) et puis on a un recours au projet scolaire.
Ce sont des enseignants qui ne maîtrisent pas le temps. Ce sont les élèves qui la plupart du temps décident de l’avancée des apprentissages. On a de même émis une forme de pédagogie différenciée qui est mise en œuvre dans la classe et qui a, à peu près, les mêmes caractéristiques que les précédentes. Et puis, une valorisation individuelle des élèves s’appuyant essentiellement sur les encouragements. Il y a peu d’évaluation avec des notes mais les élèves sont systématiquement encouragés.
- Le genre trois regroupe un seul professeur d’école sur dix. Actuellement nous en sommes à deux sur quatorze. Il y a un seul professeur d’école qui fonctionne de façon très différente de ses collègues. C’est un professeur d’école débutant affecté en première nomination dans ces ZEP. Il enseigne en CE. Je précise ceci parce que peut-être que tous ces éléments sont importants pour expliquer l’existence de genre.
Ce professeur, dans les choix généraux effectués ou dans les stratégies mises en œuvre, est conforme à ce qui est privilégié en formation en mathématiques. J’étais son enseignant, mais j’étais aussi l’enseignant des autres. Donc, ce n’est pas une question de formateur. Je sais au moins ce que je lui ai dit, mais je sais aussi ce que j’ai dit aux autres.
Il y a donc une présentation de situation-problème parfois complexe, (ils ne sont pas systématiquement complexes) un temps significatif laissé à la recherche sans trop de négociation à la baisse (je vais expliquer comment), des traces de formulation, de bilan des stratégies, et des phases d’institutionnalisation, des réinvestissements contextualisés et décontextualisés.
Si on regarde les aides, il y a une aide légère qui est apportée aux élèves en grande difficulté. Ces aides ne portent que sur les aspects techniques de la tâche, pas sur le sens. Elles sont sur les connaissances mobilisées quand elles sont fraîches. Il s’autorise à dire : « Tu as déjà fais cela. » Il y a un étayage très important au moment des phases de formulation. Il y a un traitement des comportements sur un mode plutôt collectif, contrairement à ses collègues, en s’appuyant sur de fréquentes références communes à des règles de la classe.
Si on regarde ce qui relève de l’aspect institutionnel des pratiques, il y a une valorisation individuelle des travaux des élèves dans le cadre d’un affichage public de leurs productions. C’est le seul qui reprend l’idée que je développe particulièrement à propos de l’enseignement en ZEP : (en général mais en ZEP en particulier) j’estime qu’il y a nécessité de rendre public par des affichages au mur les stratégies mises en œuvre par les élèves en mathématiques. Souvent, quand on regarde, les affichages dans une classe, ça se résume à la table de multiplication, à certains dessins géométriques, à certaines aides éventuelles, mais très peu souvent, on a une solution de problème produite individuellement par un élève, qui n’est pas un modèle et qui reste affichée plus longtemps que les dix minutes de la phase de synthèse. Lui, il va valoriser les élèves en reprenant cette idée là. Il affiche, il rend publiques les productions des élèves.
Il y a un entretien de la motivation, comme ses collègues, par des projets péri-scolaires.
Il y a un souci permanent de respecter le temps institutionnel, ça ne veut pas dire qu’il y arrive.
Une question qui se pose tout de suite c’est : comment les alternatives au genre majoritaire et pourquoi ces alternatives peuvent-elles exister ? Par exemple, pour essayer de comprendre les conceptions des enseignants et leur façon de fonctionner, on a fait passer des questionnaires plus ou moins (plutôt moins) directifs. On interrogeait les enseignants sur leur façon de faire. A partir de ce qu’on avait vu, en particulier, on leur a demandé : « Pourquoi tu ne fais pas de phase de synthèse ? » Puisqu’il n’y en avait pas beaucoup, on a même essayé d’introduire des perturbations. On a dit : « Tiens, si tu essayais de faire ce type de problème. Comment tu fais ? » Les enseignants prennent le livre, font le type de problème et ne font pas du tout ce qui est attendu. C’est quand même quelque chose qui intrigue parce que, je le répète, ce sont des enseignants motivés et soucieux des apprentissages de leurs élèves. Donc, on les a interrogés et la réponse qui est donnée : « Je ne peux pas le faire parce qu’ils sont incapables de maintenir leur attention. Une phase de synthèse qui se termine par une institutionnalisation, ça prend du temps, il faut qu’ils s’écoutent entre eux et pour s’écouter, il faudrait qu’ils en soient capables, mais ils sont tellement turbulents, tellement agités… Ils ne sont pas capables de maintenir leur attention de façon importante, ils ne se comprennent pas, donc je ne peux pas faire ça. » C’est l’argument qui revient comme un leitmotiv. Pourtant le membre du troisième genre fait des phases d’institutionnalisation et semble y arriver. J’ai quand même assisté longtemps à ses séances : ça a l’air de fonctionner et ça a un certain nombre d’effets sur les apprentissages des élèves. Nous nous sommes particulièrement intéressés à la façon dont cet enseignant mettait en œuvre sa stratégie et gérait les phases cognitives.
Je vais donner un exemple un peu détaillé pour montrer comment il fonctionne. Je vais déterminer deux routines. Il propose à des élèves de CE2 le problème suivant : « Les Dalton ont enlevé le chien de Lucky Luke. Ils demandent une rançon en pièces de 10F. Avrel demande 260F, Jack demande 860F, William demande 1500F Joe demande 2000F. Combien de pièces de 10F chaque Dalton aura-t-il ? » - C’est un problème de numération mais où celle-ci est cachée. En fait, pour le résoudre, un élève de CE2 doit suivre trois étapes : Il doit reconnaître un problème de numération, ce qui l’amène à considérer qu’une pièce de 10F est une dizaine à traiter. Il doit rechercher le nombre de dizaines dans 260, 860, 1500, 2000 et retraduire ce nombre de dizaine en pièces de 10F.- Le maître s’assure que la tâche est comprise par les élèves, pas la solution. Pour cela, il fait des choses traditionnelles : il fait répéter, il écrit au tableau, il lit le problème lui même, il ne fait pas lire, puis il laisse les élèves chercher par groupe de deux. Sur l’ensemble de la classe on obtient le résultat suivant : un binôme et un seul produit une solution proche de ce que je viens d’expliquer mettant en œuvre la numération. A côté de cela quatre binômes produisent la solution mais par des méthodes qui n’ont rien à voir avec la numération, ils font des additions réitérées, des produits sur la base des additions réitérées, des dessins représentant les dizaines, puis ils comptent. Les autres ne trouvent pas la solution mais amorcent, pour certains, les stratégies les moins expertes que je viens d’expliciter. Le maître doit gérer cet état de fait. Il a une classe, au mois de janvier, qui en terme de production n’est pas une classe particulièrement d’élite. Comment gère-t-il ces productions et comment gère-t-il la phase de synthèse ? Il va mettre en œuvre la routine suivante. (On l’a observé à la loupe, on l’a filmé, on a bien regardé ce qu’il faisait. Il y avait des magnétophones un peu partout pour voir ce qu’il disait en aparté aux élèves.) On s’aperçoit de la chose suivante : pendant que les élèves cherchent, cet enseignant va les observer, il aide un peu du point de vue technique, mais c’est vite réglé parce qu’il n’y a pas beaucoup de technique à mettre en œuvre, il les observe et hiérarchise très rapidement les procédures mises en œuvre par les élèves. Hiérarchiser, ça veut dire quoi ? Il les organise dans sa tête de la plus primitive à la plus experte. Il y a un ordre qu’il préétablit, il exclut volontairement de la phase de synthèse les élèves qui sont trop loin de la solution ou les élèves qui ont produit des erreurs, qui ne sont pas susceptibles de faire avancer la réflexion collective. Il ne va retenir qu’une seule erreur, qu’il va traiter très rapidement. Et puis, il va choisir pendant la phase d’observation, les élèves qu’il va interroger. (Il n’est pas du tout conscient de ça, c’est en voyant le film qu’il prend conscience qu’il fait ça. C’est automatisé pour lui et c’est implicite.) Il choisit les élèves pour qu’ils soient un peu capables d’expliquer aux autres ce qu’ils ont fait et il fait écrire par binôme les productions sur des affiches (chose classique qu’on explique en formation sans trop rentrer dans le problème de gestion, souvent). Pendant la phase de synthèse, il interroge donc les élèves, de la procédure la plus primitive à la procédure la plus experte (qui n’est pas la plus experte en l’occurrence dans la classe). Il est confronté à un problème : ces enfants là ont beaucoup de mal à s’exprimer. Il y a la trace écrite mais ils ne prononcent que quelques mots et ces mots là ne sont pas très cohérents et compréhensibles par les autres. Donc, il va prendre en charge la formulation des élèves d’une façon très fine. Il reformule pour les élèves au niveau où en sont les élèves pour que ce soit compréhensible par les autres. Ca demande une certaine dextérité. Il ne faut pas qu’il en dise trop, il faut qu’il dise juste ce qu’il faut à la place des élèves, avec les élèves, pour permettre que ce soit compris par les autres. Il y a cette reformulation, il y a l’organisation des procédures, et ça débouche sur la mise en évidence de la procédure la plus efficace pour lui, qui est celle de la numération. Tout se passe comme s’il trichait avec les élèves. J’emploie bien le terme « tricher » volontairement. Il construit une histoire fictive de la classe, une histoire collective de la classe par cette hiérarchisation des procédures accessible par tous parce qu’il aide à la formulation ce qui permet de faire croire aux élèves que leurs procédures sont effectivement toutes ces procédures là, mais que parmi toutes ces procédures, il y en a une ou deux qui sont meilleures que les autres. Il organise après coup une œuvre collective mais qui ne correspond pas aux œuvres individuelles puisque les élèves ne sont pas passés par la première procédure, puis par la deuxième, puis par la troisième. C’est une première routine, après il propose des exercices de réinvestissement.
Une deuxième routine porte sur la façon de gérer les interactions avec les élèves. Sa classe est une classe agitée, comme les autres classes, avec des élèves turbulents (je me rappelle notamment d’un élève qui pendant une demie heure tapait sur sa table pour manifester son refus de travailler mais aussi pour empêcher les autres de travailler). Il y a des problèmes de gestion. Il y a trois éléments qu’il va faire jouer quotidiennement : d’une part, il y a une sollicitation constante des élèves au moment où il donne la consigne et au moment où il met les élèves au travail. J’ai compté le nombre d’interventions individualisées suffisamment fortes pour que toute la classe entende ces interventions. En l’espace de trois à six minutes il va aller voir 22 des 26 élèves. Il lance des signaux aux élèves pour qu’ils se mettent au travail et donnent des petites aides qui portent sur la technique et pas sur le sens. C’est épuisant. Les autres enseignants font la même chose mais sur une heure.
Un troisième geste, c’est l’aide pour les formulations. Une question se pose à laquelle je n’ai toujours pas répondu : Pourquoi les élèves ne font-ils pas capoter la synthèse ? Pourquoi arrive-t-il à tenir le coup ? On a fait un travail que seul un chercheur peut faire. On a regardé toutes les phases de synthèse, on a retranscrit toutes les séances que nous avions observées et on a regardé à quel moment il faisait des rappels à l’ordre. Il y a des rappels à l’ordre de différents types. On les a comptés et on a mis en relation le moment où l’enseignant faisait les rappels à l’ordre et le type d’activité de la classe. On s’aperçoit de la chose suivante (c’est vrai pour les autres classes et en partie vrai pour les classes standards) : à chaque fois qu’il y avait un micro changement dans la tâche à effectuer ou dans le statut de la connaissance en jeu, ou dans le contrat passé entre l’enseignant et les élèves, les élèves s’en apercevaient et en profitaient pour avoir un comportement comme vous imaginez. D’un seul coup, on les voit, ça s’agite, ça parle, ça dit :« Je n’ai pas compris ». L’enseignant va immédiatement rappeler à l’ordre les élèves assez finement en fonction du type de connaissance ou du type de tâche à effectuer collectivement. C’est toutes les dix minutes, toutes les cinq minutes qu’il rappelle à l’ordre. A la limite si vous ne mettez pas en relation ce que font les élèves avec ses interventions, vous avez l’impression que c’est un enseignant particulièrement autoritaire. Mais, il s’adresse collectivement aux élèves pour les remettre au travail et on s’aperçoit que pendant les phases de synthèse, ça fonctionne parce que les moments où les élèves résistent se situent à la première intervention dans la synthèse, la moins importante. Pour l’institutionnalisation finale, les élèves n’écoutent plus trop. Alors, il remet au travail. Il installe une attitude d’écoute des élèves en faisant respecter… en rappelant. Les élèves résistent un peu ? Ca prend quelques secondes, une minute parfois deux, parfois ça peut être plus long parce qu’il y a des élèves qui sont durs mais après, ils sont dans une attitude d’écoute pour comprendre, au moins écouter le reste de l’institutionnalisation. Que font ses collègues ? Ils sont confrontés à la même question de façon implicite. Ils ne gèrent pas collectivement la résistance, ils vont gérer individuellement. Ils font le pari que en s’adressant individuellement à chaque élève, ils vont le mettre au travail individuellement. Ils prennent la décision de casser le groupe classe. Ca a une certaine efficacité parce qu’ils obtiennent parfois le silence. J’ai même repéré des conseils dans ce sens fortement prodigués par des conseillers pédagogiques aux collègues débutants en stage de responsabilité qui sont impliqués dans des classes turbulentes. En regardant les grands choix des enseignants et la façon dont ils fonctionnent individuellement, on peut relativement comprendre pourquoi il existe des alternatives.
Je dois dire quand même deux choses pour rajouter et être honnête. Ce collègue est un garçon (la deuxième collègue que nous avons repérée qui fonctionnait de la même façon est une fille), les deux ont une licence de mathématiques. Ca pose une question de formation. Je n’ai pas envie de poser la question de la polyvalence. Ce n’est pas mon problème. Mais pour faire ce que cet enseignant fait quand il étudie et hiérarchise en quelques minutes les productions des élèves, il faut avoir une connaissance, maîtriser les contenus. Nous faisons l’hypothèse que ce n’est pas forcément en ayant une licence de mathématiques que l’on peut arriver à faire cela, heureusement, parce qu’autrement on s’arrête. On peut penser que par l’expérience professionnelle et par une attitude réflexive initialisée en formation on peut atteindre le même degré de compétence mais c’est une hypothèse.

Je soulève quelques questions à propos de ces constats.

Je soulève quelques questions à propos de ces constats.
La première question est : Quels sont les savoirs minimums que la formation qu’elle soit continue ou initiale, ou autonome (l’autoformation des enseignants) doit apporter pour qu’il y ait une certaine possibilité d’existence dans ces classes là ? Quels gestes efficaces, pas forcément ceux-là, il peut y en avoir d’autres ?
Le deuxième point interroge les institutions. C’est le résultat d’un constat sur les pratiques et d’un constat sur les programmes ou plutôt les textes accompagnant les programmes, ou plutôt le discours institutionnel accompagnant les textes accompagnant les programmes. Il est louable, il est généreux, il est indispensable aussi de prendre en compte la différence entre les élèves, d’intégrer une forme de différenciation dans son enseignement. Ce n’est pas du tout cela que je remets en question. Mais il faut faire attention à la façon dont ça peut être perçu et réinterprété en fonction des contraintes très fortes qui existent dans ces classes là par des enseignants si on ne leur donne pas les moyens de faire autrement et si on n’attire pas leur attention. Ce que l’on constate en étudiant le discours officiel, c’est que les contraintes institutionnelles, c’est à dire les injonctions institutionnelles, pèsent moins fort dans les ZEP que les contraintes sociales. Il y a une certaine autonomie laissée au réseau, autonomie d’innovation. Si on ne prend pas en compte, et c’est un réel sujet de recherche et de réflexion collective de l’école dans son ensemble, le poids contrasté des contraintes sociales et institutionnelles, il peut y avoir des dérives malgré les enseignants. Ce ne sont pas les enseignants qui sont responsables. Ils sont confrontés à une situation. Il y a un vrai problème ici de ce que veut dire autonomie, individualisation, différenciation. Ce que ça veut dire quand on le contextualise dans ces écoles là. C’est une vrai question. Il faut tenir compte du fait que c’est un public particulier qui ne fonctionne pas comme les autres publics et qui ne partage pas forcément d’un point de vue culturel, les mêmes valeurs.
Une autre question est de savoir si les observations que nous avons faites en mathématiques sont valables dans les autres disciplines. Est-ce que ces enseignants là font la même chose dans les autres disciplines. Une recherche est actuellement en cours pour essayer de travailler cette question. C’est loin d’être simple. Par exemple, est-ce qu’ils font la même chose en français où il y a beaucoup plus de licences ? Est-ce qu’ils font la même chose en lettres, en sciences, en histoire ?
Quatrième élément : est-ce que ce que nous avons observé pour les ZEP peut se généraliser aux autres écoles ? Est-ce qu’il y a un effet de loupe ? Et puis après tout, tout le monde ne fonctionne pas de la même façon. On émet des doutes sur la réponse à cette question. Les contradictions (ce ne sont plus des tensions) à dépasser sont particulièrement fortes et conditionnent, je le répète, la survie de ces enseignants dans ces écoles. (On est quand même arrivé à un système étonnant pour les profs de collège quand on y réfléchit bien. On donne une prime en argent et en possibilité de points de mutation aux enseignants s’ils s’engagent à rester 4 ans. Au bout de 4 ans, ils peuvent partir. Ils ont des chances d’avoir un meilleur poste.. C’est étonnant comme réponse institutionnelle. Je ne critique pas. Le système ne peut certainement pas faire autrement mais pour avoir de la durée, on leur donne des points pour partir. J’attends les résultats. Il y a quand même des situations étonnantes.) Est-ce que cela fonctionne de la même façon dans les autres classes ?
Un autre point : Est-ce que ce que je repère pour les PE est spécifique aux PE ? Est-ce que ça s’étend aux professeurs de collège ? Rien n’est sûr.

* * *

J’ai terminé en précisant les caractéristiques du collègue qui fonctionnait autrement que ses autres collègues, celui du genre 3 et en précisant notamment - parce que ça nous a interrogés - qu’il était licencié en mathématiques, mais je répète ce que je disais à ce propos, l’hypothèse que nous avons actuellement n’est pas celle qui consisterait à dire qu’il faut pour être efficace en ZEP, être licencié en mathématiques pour enseigner les mathématiques. Je tiens à le dire parce que c’est quelque chose d’important, c’est important au niveau institutionnel dans le débat sur la polyvalence. Je n’ai pas envie de rentrer là-dedans. C’est une question essentielle de formation. Je pense que la piste à travailler c’est celle de faire en sorte que la formation initiale et continue fasse que l’expérience professionnelle des enseignants puisse compléter la formation initiale disciplinaire obtenue. Par exemple, c’est plus facile pour cet enseignant là de repérer les procédures des élèves mais surtout de les hiérarchiser. – Ce n’est pas tellement de les repérer, c’est dans la hiérarchie des procédures que se situe l’efficacité entre autre de l’enseignant - Si l’expérience professionnelle permettait aux enseignants de repérer les procédures, vous savez quand vous faites plusieurs fois la même chose, vous finissez par avoir une petite idée de la façon dont les élèves fonctionnent. C’est trivial, ce que je viens de dire, heureusement parce qu’on ne saurait plus comment fonctionner en tant qu’enseignant. Si la formation initiale comme la formation continue permettait aux enseignants de revenir sur cette expérience, sur les enseignements qu’ils en ont tirés à propos de leurs élèves, c’est à dire en les entraînant à avoir une certaine réflexion sur leur propre pratique, on peut espérer que cela leur permette de développer des compétences qui vont pallier à certaines difficultés liées au cursus universitaire qu’ils ont suivi. De toute façon, pour cet enseignant de mathématiques, la question va se poser en histoire, en géographie, en lettres…

 

Questions de la salle

Question : Pourquoi, on ne mutualise pas leur savoir-faire ?

La mutualisation, je crois que c’est lié. On ne sait pas beaucoup de choses sur la façon dont fonctionnent les enseignants. Il y a des témoignages qui sont facilement accessibles ou des personnes qui peuvent témoigner ou expliciter plus facilement leur façon de fonctionner. Dans ces classes là, je le répète, il y a peu de tradition de travail en équipe parce qu’il n’y a pas d’équipe. A chaque fois, l’enseignant est obligé de remettre en chantier. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mutualisation. La façon dont fonctionnent les enseignants n’est pas simplement qu’une réponse à des contraintes qui leur sont étrangères en terme de groupe. Ils tiennent compte du public, des contraintes institutionnelles mais il y a aussi une mutualisation des pratiques dans les réunions de réseau. Je vais donner un exemple. Ce n’est pas valable pour les tout débutants que nous avons observé (ceux qui était en première nomination) mais c’est plus vrai après trois ou quatre ans pour les collègues observés. Ils utilisent, pour mettre en œuvre une pédagogie différenciée, des fiches. Ces fiches, ils les ont obtenues dans des réunions de réseau. Ils en ont perdu la trace, la mémoire. Ils ont ces exercices, mais il ne savent plus trop d’où ça vient. Ca veut dire qu’ils n’ont pas le mode d’emploi entre autre. Si c’était un manuel, ils pourraient avoir comme référence le mode d’emploi. Là, c’est des documents qui se transmettent dans les réunions de réseau. Il y a une certaine mise en commun d’expériences mais cette mutualisation des expériences a plutôt tendance à renforcer les stratégies existantes qu’à en créer de nouvelles.
Les fiches, ce n’est qu’une partie. Il y a des tas de choses en amont. Ce n’est pas la mutualisation des objets mais les compétences mises en œuvre, y compris les compétences disciplinaires. C’est vrai que quand il y a de l’instabilité dans les équipes, c’est difficile, mais c’est possible.
Ca peut être un effet de discours. La situation est complexe et j’essaye de rendre compte de toute la complexité de la situation. On va essayer d’expliquer le phénomène. Si je me réfère au questionnaire que nous avons mené aux entretiens avec les deux collègues débutants qui s’inscrivent dans le genre 2. Ces collègues sont capables d’expliciter assez finement ce qu’il faudrait faire. Ils ont conscience qu’ils ne font pas ce qu’il faudrait faire et ils ont une idée de ce qu’il faudrait faire, mais en même temps ou à côté, (ce n’est pas forcément mis en relation) ils font autre chose parce qu’ils tiennent compte des conditions du public. Donc, ce n’est pas une question de représentation, sinon de représentation sur le public, mais ce n’est pas qu’une question de représentation sur les mathématiques parce que leur représentation n’est pas une représentation caricaturale. Ils ne disent pas pour enseigner les mathématiques, il faut appliquer, ne serait-ce que parce qu’ils se rappellent le discours de formation mais même plus, ils sont intimement convaincus qu’il y a un certain nombre d’activités qui sont propices aux apprentissages des mathématiques, mais ce n’est pas celles qu’ils mettent en œuvre. Ils disent qu’ils n’ont pas les moyens de les mettre en œuvre ou quand ils sont en situation ils font autre chose parce qu’ils ont des contraintes, parce qu’il y a des problèmes de gestion, parce qu’ils pensent que ça ne va pas marcher, parce que ça ne marche pas.
Je vais revenir sur un autre point qui me paraît assez important. Ca nous a rendus très modeste et conscient d’un certain nombre de lacunes, de manque propre à la formation initiale et dans une certaine mesure à la formation continue. Les situations mathématiques qui sont privilégiées en formation sont des situations mathématiques qui sont souvent inspirées de recherches ou d’innovations qui ont été menées dans des classes standards. Il y a assez peu de recherches qui portent sur les classes difficiles au sens où il y a beaucoup d’enfants en difficulté, des recherches qui se donnent les moyens d’évaluer la pertinence des situations proposées. Ces situations qui sont privilégiées en formation à notre avis sont proposées quel que soit le public. Il y a nécessité actuellement de penser à adapter au public d’élèves en difficulté en général, au public de milieux défavorisés en particulier un certain nombre de situations. Aller voir les pratiques effectives des maîtres renvoie à des questions à la fois de formation et de recherche. Je pense qu’il y a actuellement une illusion, mais c’est normal, on ne connaît pas beaucoup de choses sur la façon dont on enseigne. Il y a la volonté d’ignorer le problème de l’adaptation des situations à un public donné de la part des chercheurs et de l’idéologie de la formation parce que c’est compliqué. Ca ne veut pas dire que la question des difficultés n’est pas traitée en formation, mais elle n’est pas traitée dans son contexte.

Question : Ça pose le problème de fichiers de maths . Est-ce que c’est l’enseignant de ZEP qui s’appuie sur un fichier d’élève ou est-ce qu’il doit faire preuve d’innovation pédagogique ?

A propos du fichier, on a évidemment demandé aux enseignants de nous dire, de nous signaler (ce n’est pas toujours facile à obtenir) les ressources pédagogiques utilisées. Les enseignants plus anciens n’utilisent plus tellement les manuels, que ce soient des fichiers ou des manuels. Ils utilisent des documents qui viennent du réseau. Ca ne veut pas dire que dans les classes il n’y a pas forcément de manuel, mais ce n’est pas forcément le manuel qui donne la ligne directrice et la programmation des situations qu’ils vont proposer. Les débutants utilisent des fichiers, (le fichier le plus répandu actuellement pour les deux collègues de CP : j’apprends les maths). Ils ne l’utilisent plus l’année suivante. Ils ressemblent à leurs collègues qui vont utiliser d’autres fiches. Ils se sont fait une espèce de ressource personnelle. C’est un problème compliqué. On leur a demandé pourquoi ils utilisaient ce fichier là. Un autre enseignant utilise le fichier associé au Ermel. (Ce ne sont pas des fichiers du même type quand même.) Sans à priori péjoratif sur la question, ce n’est pas la même logique d’enseignement qui est développée dans les deux types de fichier. Ils utilisent le fichier « J’apprends les maths » parce qu’ils ont l’impression que ce fichier va les aider non pas dans la programmation mais dans la mise en place d’un certain nombre d’habitudes de travail dans la classe. Si on analyse le fichier « J’apprends les maths », une des qualités de l’auteur, c’est d’avoir mi en mots, en manuel des gestes professionnels classiques d’enseignement. Il sait faire cela et très bien le faire, même presque trop bien. Cet aspect là les a amené à prendre cette qualité du manuel, de les amener à se référer à ce fichier là. Mais quand on regarde la façon dont ils le mettent en œuvre, il y a de gros trous. Souvent, tout ce qui est lié aux situations problèmes un peu consistantes est évacué. Il ne reste du fichier que les gestes professionnels naturalisés dont je viens de parler. Je ne sais pas si le fichier favorise ce genre de chose, sans doute, mais c’est aussi la manière dont les enseignants s’approprient l’outil qui est interrogé. Je ne sais pas si je réponds en partie à la question. Quand, en formation continue, on me pose la question de l’usage des manuels, je trouve que globalement ils sont assez bien faits si on les compare à d’autres disciplines. En particulier, ça peut permettre à un enseignant de faire confiance à la programmation parce qu’il y a parfois, là, les moyens de mettre en œuvre implicitement. Seulement, la question est de savoir jusqu’à quel point c’est mis en œuvre. Je ne sais pas si je me fais comprendre. C’est un héritage, à mon avis, de la réforme des maths modernes. Il y a eu à ce moment là, une importante réflexion menée par les formateurs dans le cadre des IREM, dans les écoles normales sur les outils qu’on pouvait mettre à disposition des enseignants et de ce fait, les pratiques pêchent dans la qualité des outils qui sont proposés. Quand vous avez un manuel qui ne vous dit rien, il faut que vous inventiez, quand vous avez un manuel qui vous dit trop de choses, il faut que vous interprétiez, que vous triiez, c’est autre chose.

Question : La manière d’adapter aux enseignements (suite inaudible)

Pour répondre à cette question, je peux parler d’une autre recherche que j’ai menée avec ma collègue Monique Bézard sur l’enseignement aux élèves en difficulté, des classes particulièrement en difficulté. Nous avons travaillé essentiellement sur le calcul mental et sur les liens qu’entretiennent l’apprentissage des techniques opératoires qu’elles soient écrites ou non écrites, standards ou non et la résolution de problèmes.
On a entraîné des classes tout public mais comportant quand même dans un premier temps un certain nombre d’enfants en difficulté au calcul mental. On leur proposait beaucoup d’activités de calcul mental avec l’idée qu’on allait travailler un certain nombre d’automatismes à mettre en place, mais aussi l’adaptabilité des élèves aux calculs proposés. On essayait de s’arranger pour que les élèves aient des modules de calcul plus ou moins automatisés, mais les mobilise au bon moment en fonction des nombres et des propriétés des opérations. Je ne rentre pas dans les détails. En gros, on entraîne pendant l’année des élèves de CE2 au CM2 puis 6e et 5e. Puis pour les CM2, on a dressé la liste de 24 problèmes qui nous semblent être des problèmes standards, c’est à dire dont l’énoncé ne présente pas de difficulté de décodage mais qui mobilisent des opérations. Puis on propose ces problèmes à nos classes entraînées, à des classes qui ont à peu près le même profil sociologique et à des classes très bonnes constituées d’enfants issus d’un milieu aisé (on sait en regardant les évaluations nationales que cette école là a de très bons résultats). On constate la chose suivante : les élèves entraînés en calcul mental pour un certain type de problèmes (des problèmes qui ne sont pas trop familiers mais pas trop nouveaux, c’est à dire dont la reconnaissance de l’opération n’a pas été automatisée) reconnaissent mieux l’opération que les autres. Non seulement, ils font moins d’erreurs de calcul, ce qu’on avait supposé, mais l’entraînement au calcul mental automatise, accélère le processus d’automatisation de la reconnaissance de l’opération. Ce n’est pas trivial comme résultat, loin de là. Ca va à l’encontre d’une certaine doxa. A un moment donné, dans les instituts de formation, certains chercheurs disaient que ce qui était premier c’était le sens et pas la technique. Là, il y a rapport dialectique entre sens et technique. Vous entraînez à la technique – pas n’importe comment – et vous obtenez des effets sur le sens et réciproquement. Je ne dis pas qu’il y a un premier, je dis qu’il faut faire attention à ce qu’on dit.
On étudie finement les classes entraînées au calcul mental et on regarde quels sont les élèves qui bénéficient le plus de cet entraînement. On s’aperçoit que ce ne sont pas les élèves en difficulté importante mais les élèves en difficulté moyenne. On se dit qu’on va essayer de chercher les leviers pour atteindre les élèves en difficulté importante. On va aller dans des classes de milieu populaire, on les choisit de façon à ce qu’il y ait une masse importante d’enfants en difficulté en regardant les évaluations puis on va travailler la chose suivante. On fait l’hypothèse que pour que l’adaptabilité fonctionne et que le réinvestissement fonctionne, il faut que les élèves en situation de classe comprennent les enjeux de ce qui est dit par le professeur. Je vais prendre un exemple concret. Il faut que l’enfant comprenne à un moment donné que quand il doit multiplier un nombre par 9, il faut qu’il multiplie par 10 et qu’il enlève ce nombre sauf quand ce nombre est 100. Dans ce cas là, on applique la règle des 0. Faire comprendre les limites de l’automatisation à des élèves nécessite que l’élève comprenne à la fois ce que le professeur est en train d’expliquer et les limites de ce qu’il en train d’expliquer. C’est une attitude très secondarisée. C’est compliqué et vous ne pouvez pas dire à l’élève : « Fais attention à ce que je dis c’est important » parce que pour lui tout est important ou rien. Pour essayer d’apprendre cela aux enseignants on a mis en œuvre la situation suivante. Dans une classe suivie du CE2 à la 5e, on a essayé d’apprendre à l’enfant à évaluer les enjeux d’apprentissage parce qu’il ne sait pas le faire. Socialement, on a constaté ( ça recoupe des lectures, par exemple les travaux de Bernard Lahire) que les enfants des classes populaires sont plutôt défavorisés pour effectuer ce travail parce qu’on ne leur apprend pas hors de l’école à le faire. (Je caricature, c’est beaucoup plus compliqué que cela). On va donc créer des situations qui vont essayer de combler ce manque. On propose aux enfants la situation suivante : Tous les quinze jours, deux élèves de la classes, désignés par l’enseignant vont devoir rédiger un texte entre cinq et dix lignes résumant tout ce qu’il est important de retenir et d’apprendre en mathématiques. On leur demande de passer par l’écrit et de dire ce qu’ils ont appris et pourquoi. Ce n’est pas triste. Les élèves vous restituent ce qu’ils jugent important et en général ce qu’ils restituent, c’est de l’action ou des prescriptions. Ils disent : « On a fait tel problème », puis ils décrivent le problème ou bien ils disent le maître ou la maîtresse m’a fait faire des multiplications. On constate une évolution au cours de l’année. J’ai oublié de préciser que le texte proposé est soumis au débat de la classe. La classe peut l’amender et après cela il redevient un élément de la mémoire collective de la classe, il est écrit dans un cahier etc… L’enseignant n’intervient pas sur la pertinence de ce qui est proposé, il intervient quand c’est faux, éventuellement sur des questions de formulation mais seulement quand la formulation n’a pas trait au fond (ce qui n’est pas toujours simple à gérer d’ailleurs). Il ne propose pas ce qu’il y a à retenir aux élèves, à la place des élèves.
On s’aperçoit que quand on travaille cette question là, il y a des effets sur les apprentissages et sur le rapport au savoir des élèves à moyen terme. Il faut plusieurs mois dans un CM, il faut plus d’un an dans un collège. C’est plus facile à l’école élémentaire parce que le prof de maths est aussi le prof de français. Au collège, le prof de maths n’est plus celui de français, alors faire une rédaction en maths, ils n’aiment pas. Et puis, il y a d’autres éléments. En travaillant ce genre de situation, on a des effets sur l’attitude qu’ont les élèves face à la résolution de problèmes. C’est à dire qu’ils sont amenés à revenir sur les situations qui sont fréquentées et donc à apprendre à juger ce qu’ils viennent d’apprendre d’important. On s’aperçoit de choses étonnantes. Par exemple, ils vont se créer des formulations à eux, des écrits intermédiaires pour décrire les règles à retenir souvent faisant appel à un exemple générique qu’ils inventent pour l’occasion et qui illustre la règle, qui la justifie ou bien ils vont se donner des outils heuristiques temporaires. Je donne un exemple : les élèves confrontés à un problème s’autorisent à changer les nombres du problème pour le simplifier. C’est un sacré travail quand un élève s’autorise à changer les nombres pour trouver l’opération qu’il faut faire. D’une part, c’est une prise de distance énorme par rapport à l’énoncé et d’autre part c’est presque la mise en œuvre d’un raisonnement pré-algébrique puisqu’il fait l’hypothèse que ça peut varier sans changer les relations en jeu. Vous avez des éléments qui apparaissent ainsi qui ne concernent pas complètement tous les élèves en difficulté importante. Ca serait trop beau si ça marchait pour tous mais c’est un exemple d’adaptation. Il y a des adaptations qui sont peut être plus simples à effectuer. Il n’est pas impossible qu’il faille réfléchir sur la durée des situations, sur le type d’aide à proposer, sur jusqu’où on simplifie sans faire le travail à la place de l’élève. Vous verrez dans les textes qu’on a publiés, on donne un certain nombre d’exemples de ce type là mais c’est un travail encore à effectuer. On donne des exemples sur ce qu’on connaît bien. Le travail d’adaptation est un travail qui reste encore pour une large part à faire et qu’on ne peut pas laisser à la seule tâche des enseignants. Ils sont dans l’action, c’est dur, ils n’ont pas le temps, forcément.

Question : Y compris dans la formation, il y a peu de temps. Parce que quand on a des stagiaires dans nos classes, on a le sentiment qu’ils demandent des réponses et pas des questions. Alors que nous, souvent, on propose plutôt une relation aux questions y compris pour la différenciation, l’émergence des erreurs, l’archéologie des erreurs pour travailler quel type de réponse on peut amener pour cet élève qui n’est pas passé par le même itinéraire, qui n’a pas la même procédure, sur la lecture des procédures. On est aussi sur la prise de conscience que tout est un peu précipité, y compris dans la formation, y compris dans le lien terrain – formation. Je fais écho à ce que vous dites. On dit qu’il y a une question de durée. Il faut faire durer un certain nombre de choses et peut-être que l’élément fondateur c’est la formation en sachant bien qu’on ne peut pas poser toutes les questions parce que c’est le terrain, évidemment, qui va alimenter un certain nombre de réflexions.

Je suis conscient des contraintes qui existent en formation. Je suis formateur depuis 1980 en école normale. Ca fait un certain temps. J’ai été confronté à un certain nombre de contraintes. Je ne suis pas complètement convaincu que ce n’est qu’un problème de temps. Ca joue, qu’on s’entende bien. Je ne suis pas en train de dire qu’on peut faire la formation en moitié moins de temps (parce qu’il y a des choses à la mode en ce moment, je me méfie) mais c’est aussi une question de contenu de formation. Je ne pense pas, par exemple, que l’on puisse éviter de donner des recettes aux PE. Il faut les donner dans leur contexte avec le mode d’emploi. On ne peut pas les laisser désarmés en formation initiale mais aussi en formation continue. Ils ne peuvent pas réinventer l’eau chaude, ils n’ont pas le temps et puis c’est inutile. Ceci étant dit, il faut pouvoir arriver à donner le contexte dans lequel ces situations sont susceptibles de fonctionner et puis il faut permettre à l’enseignant de s’approprier et donc d’adapter dans une certaine mesure les situations proposées. Ca passe sans doute par des détours, par des types de situations particulières. Je pense aux situations qui sont plutôt développées actuellement d’analyse de pratique réflexive, quelque chose de ce type là. Je ne pense pas qu’on puisse seulement donner le mode d’emploi, ce n’est pas possible. Il y a aussi des questions qui ne peuvent pas être complètement posées en formation initiale. Par exemple, j’ai proposé à ces étudiants là en formation les adaptations que je viens rapidement de décrire, ça ne reste pas. Il y a la nécessité d’être confronté au terrain et à ce type d’élèves pour prendre conscience des problèmes qui existent et, ça, ce n’est pas possible en formation, c’est plus dans les premières années de formation. Ca ne veut pas dire que ça ne peut pas être initialisé.

Question : Si je résume ce que vous avez dit dans la matinée. Vous avez décrit deux manières de travailler, deux pratiques différentes. Une pratique qui consiste à essayer de gérer le brouhaha dans la classe et essayer de s’en sortir en proposant des activités qui vont occuper les élèves d’une certaine manière, d’une manière individuelle et d’éviter les situations de travail collectif, mise en commun, donc on va faire appel à des fiches et moi je pense qu’en situation de classe moins en difficulté on va faire appel à des manuels et à des fichiers. L’autre type de pratique que vous décrivez, c’est plutôt une pratique qui s’appuie sur une proposition de situation–problème à des élèves mais avec la prise de risque d’avoir un brouhaha monstrueux et de ne pas gérer le temps, une prise de risque, mais j’hallucine, il s’en sort cet homme qui a une licence de mathématiques.

Il y a une femme aussi.

Suite de la question : Je me demande ce que je vais en ressortir à la fin de la matinée dans ma pratique. Ce que j’ai retenu, c’est que si on veut faire cette proposition de situation-problème, il faut qu’on s’appuie sur une bonne observation des élèves, sur la manière dont ils vont essayer de trouver des solutions pour choisir des solutions qui sont organisées pour être faciles à mettre en commun. C’est à peu près ce que j’ai retenu. La difficulté en fait, c’est comment le faire sur le terrain. Je suis sorti de l’IUFM, il y a cinq ans. A L’IUFM on a beaucoup parlé de proposer des situations-problèmes aux élèves, mais quand je me suis retrouvé dans une classe, il y avait beaucoup de fichiers et pas beaucoup de situations-problèmes parce que c’est un peu ce que vous décriviez, pour pouvoir proposer des situations-problèmes et avancer comme ça avec des élèves… Est-ce que de travailler sur la hiérarchisation des procédures, ça va être suffisant pour que j’arrive à m’en sortir sans que la classe me pète à la figure. Vous comprenez ma question ?

Depuis quelque temps que je raconte ça et que nous racontons ça avec nos collègues, on essaye de me faire dire quelque chose que je ne veux pas dire. Alors, je vais dire ce que je ne veux pas dire. Je ne sais pas si le genre trois est généralisable, ce que je sais, ce que je pense, c’est que les pratiques du genre deux et du genre un sont susceptibles de renforcer les difficultés. Je ne sais même pas, parce que je n’ai pas les moyens en tant que chercheur, j’ai l’honnêteté de le reconnaître, si à moyen terme les pratiques du genre trois sont efficaces. On sait aussi peu de choses que ça sur les pratiques enseignantes. Je suis honnête jusqu’au bout. Je peux faire l’hypothèse suivante : les mathématiques proposées par cet enseignant là sont sans doute plus riches que celles proposées par les autres collègues. Que les élèves s’approprient ces mathématiques là, je n’ai pas de moyens, sauf à court terme, en regardant ce qu’ils savent au bout de trois mois, je n’ai pas les moyens de savoir, ce qu’ils savent au bout d’un an ou deux ans. C’est quelque chose qu’il est important de dire. Je ne propose pas un modèle de fonctionnement par contre ce que je peux constater, c’est que cet enseignant là a pour une large part réglé les problèmes. Je ne sais pas si c’est uniquement sa façon de fonctionner dans les séances de mathématiques, mais il a pour une large part pour lui, réglé les problèmes concrètement de gestion de classe et de chahut. Il est même devenu la référence pour l’école. Ce n’était pas trop dur remarquez parce que…je suis désolé, mais il y une situation qui interroge quand les enseignants titulaires ne sont plus dans ces écoles là… Je connais très peu de conseillers pédagogiques qui enseignent longtemps dans ces écoles. Il y a une vraie question qui est posée. C’est un phénomène d’abandon..
Cet enseignant là a au moins réglé ces problèmes. Ca ne veut pas dire que les enfants apprennent. Au moins, il a réglé ces problèmes là en laissant aux enfants la possibilité d’apprendre. Ca ne veut pas dire qu’il n’est pas sur le qui-vive. Il dit lui même : « Je suis épuisé, je suis fatigué. » Il y a une telle dépense d’énergie et puis ce n’est jamais complètement gagné. Je précise quand même que le genre un a réglé aussi les problèmes de chahut. C’est le genre deux qui ne règle pas les problèmes comportementaux. Maintenant ce qui me semble important dans ce que je décrivais tout à l’heure, c’était la façon de hiérarchiser les procédures d’une part, de gérer en même temps les résistances des élèves et d’aider sans trop aider. C’est un ensemble. Ce n’est pas simplement : hiérarchisez les procédures, apprenez à regarder comment font les élèves, vous allez vous en tirer ; c’est aussi d’inventer en fonction de ce qu’ont produit les élèves, le niveau de ce que l’on peut obtenir en fin de synthèse. Il n’institutionnalise pas, pour la situation que j’ai proposée, la solution la plus experte. Il institutionnalise la règle des 0. Il y a à tout moment des adaptations à faire. Il propose ensuite un travail de réinvestissement dans un contexte qui est presque le même. Après, il va travailler sur des nombres sans grandeur, sans que ce soit de l’argent. C’est cet ensemble de gestes qui est susceptible de changer la nature des mathématiques proposées.
Dans le livre qu’on a écrit : « Dur d’enseigner » (on nous a fait assez de reproches sur le titre. Dur pour les élèves, dur pour les enseignants, dur d’enseigner en ZEP), on essaye d’expliquer comment fonctionnent ces enseignants-là et de décrire finement les gestes qui sont mis en œuvre. Mais je ne dirai jamais dans l’état actuel des choses (peut-être que je le dirai plus tard) c’est ça qu’il faut faire. Je serais trop au niveau de la recette, par contre, j’essaye d’expliquer comment cet enseignant là fonctionne et ça a l’air d’être efficace. C’est compliqué. Il y a des choses qu’on ne sait pas encore. Par exemple, on ne sait pas si ne pas enseigner quelque chose c’est grave. On sait que certaines choses qui ne sont pas enseignées, c’est grave pour les élèves, mais on ne sait pas si systématiquement c’est grave. Il y a certainement des choses à regarder dans la façon de fonctionner de ces enseignants là et visiblement c’est quelque chose qui a l’air d’être performant puisque c’est repris par d’autres. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que nous avons regardé des classes particulièrement difficiles. Je ne sais pas encore jusqu’à quel point ça peut être généralisable dans une classe lambda. En tout cas, ça permet à cet enseignant de rester dans cette école.

Pour combien de temps ?

Pour le moment, il reste, ça fait quand même quelques années. Il ne demande pas sa mutation. Ca n’est pas parce qu’il ne l’obtient pas. Il est devenu un élément de référence pour l’école. Il y a un vrai problème dans ces écoles là du fait qu’il n’y a pas d’équipe pédagogique stable, de référent que ce soit en terme de comportement ou en terme d’apprentissage. Lui, il est devenu rapidement une ressource de ses collègues qui lui demandaient, y compris dans la cour, de régler les problèmes.

Question : Je voudrais revenir sur la question de la formation. Il y a forcément des choses à revoir si on s’en réfère aux questions qui émergent après votre présentation. Vous disiez qu’une des questions c’est : quels sont les éléments fondateurs ou fondamentaux ou minimums d’une formation précise ?

On a essayé de progresser sur cette question là. D’abord, on a continué par d’autres recherches qualitatives à évaluer la formation standard. En gros, la formation semble intervenir sur les pratiques de façon plus différenciée qu’on ne le croit, qu’on l’espérait (même dans les classes standards). On a un type de situation qui nous semble susceptible de provoquer chez les futurs formés cette acquisition future de gestes professionnels efficaces. C’est la situation suivante. On le fait à la fois en formation initiale et en formation T1 et T2. Un groupe de stagiaires construit un projet de trois séances d’enseignement sur un thème qu’on leur donne ou sur un thème qu’ils veulent. Ils font appel à toutes les aides, ils peuvent nous questionner jusqu’où ils veulent sur le scénario. Quand ils nous demandent comment faire, on donne des idées aussi précises que ce qu’ils demandent. Ce n’est pas toujours facile à faire. Un de ces stagiaires va dans une classe de ce type là, met en œuvre la séance, est filmé pendant cette séance. Il y a d’abord un travail à chaud sur ce qui s’est passé, on revient à l’IUFM et on travaille sur le document vidéo. On adapte ensuite, la suite des séances sur la base de ce qui a été observé. On reproduit ça plusieurs fois pour un même groupe de stagiaires ou de collègues, plusieurs fois parce qu’on s’est aperçu de la chose suivante : c’est que sur la base d’un document vidéo, des stagiaires – y compris n’ayant pas beaucoup d’expérience de terrain – sont capables en regardant le document de faire des analyses particulièrement pertinentes sur les « maladresses » que l’on peut observer et pourtant quand ils sont confrontés à la même situation, ils font autre chose. On va faire fonctionner plusieurs fois ce déroulement pour essayer de travailler l’acquisition des gestes professionnels dont je parlais tout à l’heure. Ce n’est pas quelque chose de facile à faire du tout parce que nous nous interdisons de travailler sur la personne elle même, sur l’individu. Ce qu’on veut travailler c’est des gestes qui sont partagés par plusieurs individus, on ne veut pas travailler le style de la personne, on ne veut pas travailler sur le charisme de la personne, on ne veut pas travailler sur sa façon de parler, sur ses qualités personnelles. Ce n’est pas toujours facile à faire d’autant que se montrer à ses collègues n’est pas du tout une tradition française quel que soit le métier et en particulier dans l’enseignement. Ca se comprend d’ailleurs, quelque chose qui me plaît dans le métier d’enseignant, c’est que à certain moment dans ma classe, je suis tout seul et je n’ai pas de compte à rendre. Bien sûr, je fais ce qu’il faut, mais je suis quand même tout seul. Là, je vais à l’encontre de ça. Ce type de situation, ce type d’analyse réflexive sur la base d’un enseignement de contenus bien déterminés et les gestes associés à ces contenus nous semblent pouvoir initialiser et renforcer l’apprentissage. C’est une des solutions qu’on a trouvée, solution qui a le mérite de travailler dans ces classes là.

Quels types de référence ?

On a publié un ouvrage qui récapitule l’ensemble des analyses de pratiques effectuées par les collègues de mon équipe qui est coordonné par Marylise Pelletier. C’est elle qui s’occupait des écoles de Rouen, qui résume ce que j’ai raconté et d’autres analyses de pratiques évaluant la formation. Ca s’appelle « Dur d’enseigner en ZEP » aux Editions La Pensée sauvage. Il y a à côté des documents actuellement accessibles sur le calcul mental et les techniques opératoires. Il y a d’une part une brochure à l’IREM de Paris VII qui s’appelle « Le calcul mental, une expérimentation du CP au CM2 » que j’ai écrit avec Monique Bézard et d’autre part, une autre brochure qui s’appelle le cahier d’IDIREM N°27 toujours diffusé par l’IREM de Paris VII qui parle des situations de bilan de savoir. Devrait paraître dans le courant de l’année prochaine un ouvrage qui est une synthèse de tous ces travaux à la même édition.
Sur les situations de formation un article est paru dans le numéro 44 de Recherche et Formation que j’ai écrit avec Monique Bézard et Pascal Masselot. Il y aussi un article de Marylise Pelletier–Barbier sur les situations d’accompagnement d’enseignants titulaires.

 

Pour aller plus loin, un ouvrage collectif dans lequel on trouvera exposés les travaux de recherche de Denis Butlen :
- PELTIER-BARBIER, Marie-Lise (dir.). Dur d’enseigner en ZEP : analyse des pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques en réseaux d’éducation prioritaire. Grenoble :La pensée sauvage éditions, 2004.