ANNEXE SCIENTIFIQUE – Le sel à l'intérieur des terres
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LE BASSIN INDUSTRIEL DE DOMBASLE-VARANGEVILLE

A- L'origine d'une industrie chimique dérivée du sel gemme.

1° Historique

C'est la découverte des couches de sel gemme en 1820, lors d'un forage à Rosières-aux-Salines qui marque le début de l'implantation d'une industrie salifère moderne à 20km au sud-est de Nancy au confluent de la Meurthe et du Sânon (Fig.1 et 5). Auparavant cette industrie était concentrée dans la vallée de la Seille, et en particulier à Dieuze, où le gisement est situé à faible profondeur. Cette découverte est à l'origine de l'ouverture de la mine de Varangéville en 1855 ainsi que de l'installation de nombreuses salines entre Einville, Rosières et Varangéville.
Une deuxième étape correspond à la mise au point de procédés industriels de fabrication de carbonate de sodium, en particulier le procédé à l'ammoniaque par E. Solvay à partir du sel gemme et du calcaire en 1861. C'est ainsi qu 'il installa sa première usine française sur le site de Dombasle-sur-Meurthe en 1873.


2° Les conditions géologiques et géographiques (Fig.5 et 6)

Entre Dombasle et Saint-Nicolas-de-Port, la Meurthe inscrit son cours fait de larges méandres dans les marnes irisées inférieures entre le plateau calcaire de Haraucourt au Nord et la bordure orientale du plateau du Vermois marquée par la côte du grès rhétien au Sud de St-Nicolas-de-Port.

Dans la vallée, le gisement de sel gemme est présent à une profondeur comprise entre 70 et 200m sous la forme de couches planes et étendues dont l'épaisseur permet une exploitation en galerie.
La voie ferrée et la route nationale 4 Paris-Strasbourg, ainsi que le canal de la Marne au Rhin, facilitent le transport des autres matières premières: carbonate de calcium des calcaires bajociens de la côte de Moselle toute proche et le coke nécessaires à la fabrication de la chaux pour les soudières.
Ainsi les conditions géologiques favorables (absence de dissolution en surface et faible profondeur), associées à la situation géographique expliquent le choix d'un tel site pour ces implantations industrielles.

B- Les différentes activités industrielles du bassin : aspects chimiques, économiques et écologiques.

1° les différentes sociétés et leurs implantations

La société Rhône-Poulenc à la Madeleine, entre St-Nicolas-de-Port et Nancy (Fig.1);
La Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est ( CSME) à Varangéville ;
La Société Solvay à Dombasle-sur-Meurthe.

2° Les différentes productions (Fig.7)

Les industries du sel gemme de la région ont une double vocation :
- La production de sel : le sel gemme brut extrait dans la mine (C.S.M.E.), et le sel raffiné dans des salines qui ont beaucoup évolué au cours du siècle, depuis l'époque des poêles à sel qui exigeaient un travail manuel pénible, jusqu'aux évaporateurs actuels pilotés par ordinateurs : C.S.M.E., et Salines du groupe Solvay.
- La production de carbonate de sodium et de nombreux dérivés chimiques dans des soudières, mais dont la productivité est en compétition sur le marché international avec des produits similaires extraits dans des carrières sur le continent américain : Rhône-Poulenc par le procédé Leblanc, et Solvay par le procédé à l'ammoniaque (Fig.8).
Une production électrolytique de chlore (Solvay) à partir de la saumure extraite par sondages a été fermée et détournée sur un autre site ; cette production nourrit en matières premières l'industrie des plastiques.



3° Les principaux problèmes d'environnement

Ils sont liés à l'exploitation souterraine du gisement et aux conséquences de la production, du stockage et du rejet des résidus du fonctionnement des salines et des soudières.
L'exploitation par sondages du sel gemme sur le plateau de Haraucourt, engendre la formation de cavités de dissolution ; ces cavités tendent à se rejoindre et dans certains cas leur toit s'effondre sous le poids des couches sus-jacentes. C'est ainsi que se forment des cratères d'effondrement (Fig.5) ; ces manifestations de surface sont généralement prévisibles et limitées aux périmètres des concessions .
Les saumures issues des sondages approvisionnent les salines et les soudières ; elles doivent être épurées de leurs argiles et du sulfate de calcium. D'autre part les soudières produisent du chlorure de calcium, un sous-produit n'offrant que très peu de débouchés commerciaux (fondant utilisé pour le dégivrage des routes) et dont la production est abandonnée par Solvay.
Ces sous-produits forment des boues qui sont stockées dans de larges bassins de décantation (Fig.5 et 9) jalonnant la Meurthe ; celle-ci reçoit en période de crue des effluents chlorés liquides qui s'ajoutent aux chlorures issus des dissolutions naturelles. La limite imposée par la convention de Bonn (200mg.l-1 dans le Rhin aux Pays-Bas,1976) et approuvée par la France en 1983 a obligé les sociétés Solvay et Rhône-Poulenc à mettre en place un système de gestion automatisé de leurs rejets associé à la surveillance des teneurs en chlorures de la Meurthe et de la Moselle.
Les normes européennes sont donc des contraintes à l'intensification de la production de ces usines en attendant une éventuelle valorisation des résidus industriels.


C- L'exploitation actuelle du gisement de sel gemme.

1° L'exploitation par la mine, et les utilisations du sel gemme

La mine de Saint-Nicolas à Varangéville est la seule mine de sel gemme encore en exploitation en France.
Son puits principal descend à une profondeur de 160 m qui permet d'extraire le sel gemme brut à la base d'une couche de 20m d'épaisseur (11ème couche ou "grande couche). La teneur moyenne en NaCl y est comprise entre 93 et 94% ; à toutes les échelles d'observation, la stratification plane et à très faible pendage (1%), est rendue visible par les variations de concentration des sédiments argileux dans le sel gemme.

L'exploitation se fait selon la méthode dite des "piliers abandonnés" (Fig.10) : des galeries horizontales sont creusées suivant un maillage régulier de galeries perpendiculaires et parallèles à une galerie principale de convoyage du minerai. La galerie a une hauteur de 4m50, et une largeur de 13m ; il reste donc une épaisseur moyenne de 15m50 au toit et des piliers abandonnés à base carrée de 29m de section pour assurer un soutènement et une stabilité de la structure tant en surface qu'au fond de la mine.
Cette méthode d'exploitation a l'avantage d'offrir un maximum de sécurité tout en réduisant les coûts d'exploitation, car la faible proportion de minerai extrait peut être compensée par l'importance du gisement pratiquement inépuisable.

L'abattage du minerai, entièrement mécanisé, est effectué en plusieurs phases (Fig.11) :
- le havage, ou sciage à la base du front de taille par une haveuse sur une profondeur de 4m50 ;
- la foration de 42 trous de 4m50 de profondeur et de 38mm de diamètre par un jumbo de foration suivant un schéma déterminé, et destinés à recevoir les charges explosives;
- Le tir déclenché sous la forme d'une série de petites explosions rapides permet l'abattage de 530 tonnes de sel.

Après l'opération de purgeage et de boulonnage du toit de la galerie, le sel gemme abattu est ensuite convoyé vers les sites de concassage et de criblage puis de stockage(galeries ayant jusqu'à 12m de hauteur).
La production moyenne annuelle de la mine est de 320000 tonnes pour un seul poste d'abattage.
Le sel gemme est utilisé sous la forme de blocs à lécher pour l'alimentation du bétail. Des granulats calibrés entre 0,65 et 3mm sont livrés à l'industrie des cuirs et peaux. Mais la plus grande partie de la production est utilisée pour le déneigement des routes dont les besoins sont saisonniers et très variables selon les rigueurs hivernales.
L'avenir de cette dernière exploitation minière est donc fortement compromis compte tenu de sa faible productivité actuelle et au regard des coûts d'exploitation qu'elle engendre, ...à moins qu'elle ne trouve une autre vocation.


2° L'exploitation du sel gemme par les sondages, et la production de sel raffiné.

Le principe des sondages consiste à injecter au moyen d'un forage de l'eau douce à la base de la série salifère, puis à pomper la saumure résultant de la dissolution.
Ces sondages ayant pour but d'approvisionner une saline industrielle, les concessions attribuées pour l'exploitation du gisement par cette technique sont donc situées à l'écart des agglomérations et de l'exploitation minière, en particulier sur le plateau d'Haraucourt au Nord de Varangéville (Fig.6) et sur le plateau du Vermois à l'Ouest de St-Nicolas-de-port..De là, la saumure saturée à environ 300g/l, est acheminée par des conduites vers les installations de traitement.
Les techniques de sondages sont variables selon les sociétés exploitantes.

Dans la technique utilisée par la société Solvay sur les concessions de Haraucourt, des forages initiaux alignés (Fig.12) sont utilisés pour y introduire un double tubage permettant d'injecter l'eau douce et de soutirer la saumure. Les cavités de dissolution, créées sous plafond d'air, s'étalent et se rejoignent; on entreprend ensuite une exploitation sur l'ensemble de la piste ainsi formée, en injectant l'eau douce dans le puits amont, et en soutirant la saumure par le puits aval: c'est la technique des sondages en "pistes". L'eau douce effectue un lessivage du bas vers le haut des cavités, et il en résulte une exploitation intensive qui se traduit par l'effondrement du toit de ces cavités et la formation de cratères d'effondrement alignés entre les puits de sondages.

La technique utilisée par la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est (Fig.13) consiste à forer jusqu'à la base de la série salifère et à y injecter de l'eau sous forte pression pour créer une fracturation horizontale : c'est la technique "d'hydrofracturation" . La fracturation permet la mise en communication de différents puits, et lorsque celle-ci est établie, la circulation de l'eau est rétablie en basse pression.
L'exploitation est ensuite régulée à un débit correspondant aux besoins de fabrication. Un puits donné garde toujours la même fonction soit d'injection soit de pompage, et la dissolution ne s'intensifie qu'autour du puits d'injection.
L'injection est arrêtée avant que le toit de la cavité ne s'effondre grâce à une technique de surveillance. De même des piliers sont conservés entre les sondages voisins. Cette exploitation extensive conserve la stabilité des terrains sus-jacents mais exige un plus grand périmètre d'exploitation.

Depuis de nombreuses années, la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est utilise pour la prospection, pour l'exploitation et pour la surveillance des cavités de dissolution des techniques d'investigation variées : méthodes géophysiques, diagraphies électriques, soniques et nucléaire
Ainsi l'étude des cavités est réalisée à l'aide d'un appareil sonar descendu dans chaque puits dont les résultats (écho-logs) permettent d'étudier (Fig.14) :
- le fond de la cavité avec ses éboulis insolubles;
- le toit de la cavité, le développement de celle-ci dans toutes les directions et son orientation /Nord magnétique;
- le volume de la cavité.

Le traitement informatique de ces données conduit à reconstituer des images en 3D de ces cavités dans les différentes directions par rapport au Nord magnétique (Fig.15).



Ces campagnes d'investigation étant renouvelées chaque année, il est possible d'effectuer un suivi très précis des phénomènes de dissolution donc de valoriser au maximum l'exploitation tout en préservant l'environnement en surface.

La technique des sondages est beaucoup plus économique que l'extraction minière car elle exige moins de main d'oeuvre et moins d'énergie, et la saumure est en partie épurée de ses grosses particules argileuses par décantation dans les cavités de dissolution. En revanche, les sondages consomment beaucoup d'eau dont une partie peut être récupérée au cours du raffinage.
C'est donc uniquement à partir de cette saumure que sont fabriqués les sels raffinés aussi bien pour l'alimentation animale que pour l'alimentation humaine et pour les autres industries. Le produit fini est conditionné en fonction de la demande, aussi bien sous la forme poudreuse que sous des formes diverses : pastilles, granulés, blocs, en agglomérant les cristaux fins par compaction.
Cependant, la saumure étant encore chargée d'impuretés, surtout de sels de calcium et de magnésium, la saline produit des rejets qui contiennent encore une fraction d'ions chlorures. Comme pour les sous-produits des soudières, les saliniers édifient des bassins de rétention pour stocker leurs rejets afin de limiter au maximum la charge en ions des rivières.




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Auteur : Roger CHALOT
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