Partie 2. Formation et évolution des arches
1) La formation des arêtes rocheuses (rochers en lames)
Les rochers en lames constituent le stade préalable à l’apparition éventuelle des arches. Lorsque l’ouverture d’une fenêtre ne se fait pas, des porches ou alcôves peuvent être adossés contre une paroi.
L’érosion très active lors des périodes froides (glaciations) a entaillé les ensembles de strates en dégageant des croupes digitées et toute une série de reliefs allongés coiffés ou non d’une crête résistante de grès en lame. Il faut y voir le résultat de l’action combinée de la tectonique (failles/diaclases), des facteurs climatiques (gel/dégel, abondance des précipitations et rareté du tapis végétal), des effets de la gravité (effondrements, glissements).
En période froide, l’eau introduite dans les fissures favorise leur élargissement sous l’effet du gel. Les fronts rocheux s’effondrent et reculent en alimentant à leur pied un manteau d’éboulis. Les eaux de fonte ou de précipitation emportent les matériaux accumulés sur les talus des interfluves et creusent le thalweg.La répétition de ces phénomènes finit par donner naissance à un paysage de type «western» caché actuellement par la végétation forestière.
2) le percement des arches
Des études récentes (expériences menées sur des maquettes, des modélisations numériques) ont montré que des discontinuités (fissures, changement de composition...) au sein de la masse rocheuse sont à l'origine de la formation des arches. Elles modifient la répartition des charges et pressions internes, déterminent les zones soumises à la gravité seule et à l'érosion ou celles qui seront conservées car comprimées (piliers).
Deux moteurs d’érosion ou processus de creusement parfois exclusifs mais souvent aussi concomitants peuvent être mis en évidence. Il s’agit de l’effondrement gravitaire et de l’altération-délitement.
Les arches formées par effondrement
- Cas des arches tectoniques
Elles atteignent souvent de grandes dimensions et possèdent à leur pied des amas d’éboulis provenant de leur façonnement. Les contours de ces arches de grandes dimensions ont un aspect irrégulier, comportant des portions planes (plans de fissures), des portions en cuiller (conchoïdales) en cas de rupture au sein de la masse
Dans ce cas, la gravité est le moteur principal de dégagement des ouvertures. Elle s’exerce sur des portions limitées des parois à la faveur des intersections de fractures, de l’existence de joints de stratification et de lentilles silteuses peu cimentées qui constituent des zones de rupture Le rôle non négligeable d’une augmentation de poids par imprégnation d’eau explique la survenue de certaines chutes de blocs après une période de pluie dans les zones en surplomb. Encore une fois, les actions répétées du grand froid fragilisent des portions de paroi qui finissent par se désolidariser et s’effondrer parfois par pans entiers. .
L’éboulement peut concerner toute l’épaisseur de la lame (effondrement par pans) ou se manifester par des chutes de blocs progressives sur les deux faces de la muraille.
- Percement unilatéral par rupture d’un pan
Fig 5) L’Erbsenfelsen. Vue partielle flanc SE. Deux familles de diaclases traversent le rocher. En vert, les diaclases verticales responsables de la segmentation de la lame de grès, en rouge des diaclases obliques responsables du décollement de panneau à l’origine de la cavité.
Cas observable : Felsentor à l’Erbsenfelsen, Lattenberg-est 1
- Percement par sous-cavage
Le Schierdorfelse fait figure d’arche en partie fossilisée comme l’atteste son enfouissement partiel par les formations de pente qui rendent impossible l’observation de sa base. Sa structure en voûte large aux parois usées fait penser à une arche d’effondrement ancienne. La présence côté montagne d’un entonnoir d’érosion et d’un ruisselet passant sous l’arche pourrait avoir provoqué un mode d’effondrement particulier, en alcôve. Ce type de formation naît là où les infiltrations d’eau se concentrent au niveau de discontinuités horizontales formées par une couche tendre (ici, Grès vosgien supérieur) recouvert d’une couche résistante (Conglomérat de Sainte Odile).
Fig 6) Face arrière du Schierdorfelse. Une série de diaclases (plans en vert et jaune) se recoupent à l’arrière de l’arche. Cette zone fragilisée, découpée en blocs est un site de collecte des eaux d’infiltration et des eaux de ruissellement. Ainsi, une poche d’accumulation d’eau a pu faciliter le sous cavage des grès et des assises de conglomérat gréseux provoquant par la suite l’effondrement d’une vaste calotte rocheuse.
Fig 7) Paroi de Conglomérat dans la partie sud de Graufthal. La présence d’un plan de fracture oblique combinée à une assise gréseuse sous jacente favorise le glissement de blocs en bord de falaise (voir également le panneau effondré à l’arrière). En C, la rupture au sein du conglomérat est à l’origine d’une alcôve. Un tel phénomène aurait pu être à l’origine de l’arche du Schierdorfelse.
- Percement par "écaillage biface"
Fig 8) Une arche « active » quelque part dans le massif (non localisée en raison des risques qu’elle représente). Sur cette portion d’arête de grès, photographiée en contre-plongée, on distingue en (1) un éperon passablement détruit avec un « œil » à la base. La partie haute témoigne-t-elle des restes d’une arche ? En (2), la paroi montre une alternance de bancs en creux et en relief, signatures d’arrachements récents. Des portions de plans de rupture plus anciens se manifestent sous forme de surfaces couvertes de lichens. A la base, une arche (3) et le cône d’éboulis colonisé par la forêt. En (4) un bloc effondré de dimensions respectables (3mx3mx5m).
Fig 9) Arche active. Vue sous la voûte. Les sections de grès rose attestent la fraîcheur des chutes de blocs
La comparaison de photographies prises à quelques années d’intervalle montre que le phénomène est en cours. Sur ses deux faces (flèches) séparées par une arête (S) sinueuse, des blocs se détachent en écailles bombées à la manière des éclats sur un outil de type biface. La présence de lentilles de grès fin (plaquettes) fragilise l’édifice et accélère le phénomène.
Cas observable : Speckfelsen (Baerenthal)
Des arches d’altération, à façonnement lent
Dans ce cas, l’érosion se fait progressivement par détachement de grains ou par délitement / effritement de petits fragments de roche. Ce mode est favorisé par les alternances gel/dégel au sein des grès plus poreux, des grès peu cimentés à matrice argileuse. Les parties de banc en question s’inscrivent en creux et lorsqu’une fissure traverse la série, elle sert de couloir pour porter la fragmentation au sein de l’édifice. Les formes des cavités sont plus arrondies et seules les lamines résistantes font ressaut. Par ce sous cavage, le phénomène précédent peut être activé et donner lieu à des chutes de blocs.
Fig 10) Falaise de l’Altschlossfelsen en période de grand froid. Les eaux de précipitation absorbées par la roche percolent vers les niveaux inférieurs. Une partie suinte hors du niveau conglomératique (Cg) moins poreux et mieux cimenté que le grès de Karlstal (CK) sous-jacent. Elle gèle en surface sans occasionner de dégats. L’autre partie de l’eau infiltrée gagne les grès de Karlstal (CK) qu’elle imprègne sur son parcours. Le gel fait éclater les liaisons entre les grains de grès. Ainsi ce dernier s’érode superficiellement et sur tout son pourtour à la faveur des fissures. Les formes d’érosion résultantes sont des cavités (a) à piliers (p) qui finissent par s’élargir en formant des arches (A) aux contours arrondis et rebords usés.
Cas observable : Altschlossfelsen, Erbsenberg arcades, Lattenberg-est fenêtre en demi-lune
3) la maturité ou l’équilibre semi-stationnaire
Longtemps délaissée, la géomorphologie des grès connait des développements récents. Les études faites par Jiri Bruthans* ont montré que l’évolution des arches résulte d’un état d’équilibre entre l’érosion et les contraintes architecturales imposées par la structure en voûte. L’érosion évacue le matériel mais n’est pas responsable de la forme. Le maintien dans la durée résulte des tensions exercées sur les piliers qui se rigidifient par un resserrement des pores entre grains avec pour effet une limitation de l’érosion (effet feed-back).
* Bruthans, J., Soukup, J., Vaculikova, J. et al. Sandstone landforms shaped by negative feedback between stress and erosion. Nature Geosci 7, 597–601 (2014). https://doi.org/10.1038/ngeo2209
4) La fin des arches
L’évolution des arches de grès aboutit à des arcs, véritables œuvres d’art, visibles dans certaines contrées (ex Le parc national des Arches dans l’Utah). Ce type d’architecture est pratiquement inexistant dans les Vosges et ne se manifeste que sur certains piliers à l’entrée des abris sous roche.
Quoiqu’il en soit, les arches ont une fin et finissent par s’écrouler (même dans l’Utah !). Des chaos de blocs entre deux pans de murailles, des éperons rocheux avec surplomb sont-ils des signes de l’écroulement d’une arche sur les crêtes vosgiennes ? Voir Fig arche active en 1
Des chutes de blocs se produisent assez régulièrement dans le massif. Certains événements* sont relatés dans la presse locale lorsqu’ils interfèrent avec les activités humaines (habitations, voies de passage). D’autres passent inaperçus sauf pour le randonneur averti.
* Quelques dates / événements
17 déc. 2019 - Haspelschiedt effondrement de l'arche du rocher polissoir (Haspelschiedt)
22 février 2018 - Eboulement au flanc nord-est du Falkenberg (Zinswiller NO),
4 juin 2016 - affaissement d'un rocher de 16 mètres contre une maison (Graufthal)
3 juin 2000 - chute d’un bloc 3x3m au Grand Steinberg (Philippsbourg)
5) Age / durée
L’évolution des arches étant un phénomène continu qui détruit au fur et à mesure les marques-repères de leur origine, la datation est rendue difficile. Si on admet que les glaciations ont façonné de manière vigoureuse les reliefs en lames, alors les arches se seraient formées avec le retour aux conditions climatiques interglaciaires.
La présence de polissoirs sous forme de rainures laissées dans le grès à proximité ou sous certaines arches laisse entrevoir que certaines d’entre elles existaient dès le Néolithique.
Conclusion
Les arches de grès visibles dans les Basses Vosges du nord constituent un mode d’érosion des grès du Buntsandstein. Elles naissent au sein de lames ou murailles de grès isolées par le jeu des fissurations et de l’érosion et livrées à l’action de la gravité et de l’altération. Rarement, elles atteignent un stade très évolué en raison certainement de leur « jeunesse » (?), de l’existence de discontinuités multiples au sein des masses gréseuses. Elles sont les héritières de climats post-glaciaires et témoins pour certaines de l’occupation des lieux par nos lointains ancêtres.
Tableau récapitulatif des caractéristiques des arches visitées
Documentation
Sandstone arches form under their own stress : https://www.nature.com/articles/nature.2014.15590
The force forming the sandstone monuments : https://www.natur.cuni.cz/eng/aktuality/archive-2014/the-force-forming-the-sandstone-monuments