Les Roches de Saint-Mihiel : 3. Description
Ce site géologique s'inscrit dans le circuit Environnements coralliens de l'Oxfordien
Description des différentes Roches
Partie sud du site des Dames de Meuse - Roches du Calvaire à droite et du Banc des Amoureux en partie masquée par les arbres
Les falaises libres d'accès correspondent aux 6 premières Roches (n°1 à 6), décrites depuis le sud en se dirigeant vers le nord. Ces rochers sont tous constitués de calcaire construit corallien, d'âge oxfordien (Jurassique sup.). Sur les parois, les joints de stratifications sont peu visibles, ce qui donne un aspect homogène à l'ensemble. L'isolement des 7 Roches résulte vraisemblablement de l'existence de fractures verticales de direction est-ouest (Cartannaz, 2011).
- La Roche du Calvaire (ou du Gisant)
La masse rocheuse la plus méridionale ou Roche du Calvaire ou du Gisant est celle la plus facilement accessible à une observation géologique.
Des marches conduisent à une crypte (Saint Sépulcre / Christ au tombeau de Mangeot - 1772) et au sommet de la falaise (calvaire), d'où s'étend une vue panoramique sur la ville et la vallée de la Meuse. Un garde-fou sécurise l'endroit.
Des gerbes de coraux sont bien visibles au-dessus de l'entrée de la crypte et à 15 m au nord. Ils sont emballés dans une matrice bioclastique composée de calcirudites et de calcarénites.
La Roche du Calvaire ou du Gisant - A : rampe d'escaliers menant à la crypte ; B : gerbe de polypiers située au-dessus de l'entrée de la crypte ; C : le Gisant (sculpture de Mangeot)
Ici comme sur l'ensemble du site, avec un agencement en bouquets, les coraux coloniaux (Scléractiniaires) branchus, en position de vie, sont les plus remarquables. Ces organismes constructeurs appartiennent en grande majorité à l'espèce Thamnasteria dendroidea.
Il existe aussi quelques belles colonies massives ou lamellaires (une même espèce pouvant changer de morphologie selon les conditions du milieu). En tout, 25 espèces de coraux scléractiniaires ont été répertoriées en 1964, par Louis Beauvais, dans le cadre de son étude des récifs à madréporaires du Jurassique supérieur de l'est de la France.
Forme branchue du corail scléractiniaire Thamnasteria dendroidea - cliquer sur l'image pour visualiser les caractéristiques du genre
- La Petite Falaise ou Roche du Banc des Amoureux
Comme son nom - "la Petite Falaise" - le suggère, cette Roche, en forme de pinacle, n'est pas la plus imposante de toutes. Sa particularité réside en la présence d'un banc de pierre, le Banc des Amoureux, taillé à l'emplacement d'un rentrant de la falaise, à quelques mètres de hauteurs du sol. Atteindre l'endroit demande une certaine assurance, en raison de l'étroitesse des marches ou des aspérités de la paroi sur lesquelles il faut progresser pour y parvenir.
La Petite Falaise (A) et le Banc des Amoureux taillé dans la roche (B)
Une gerbe de coraux branchus de belle dimension orne la paroi extérieure et le plancher de l'abri où s'encastre le banc. Quelques squelettes recristallisés de polypiers en boule et des radioles d'oursins réguliers complètent l'inventaire des fossiles repérés sur ce site.
La Petite Falaise - A et C : Gerbes de coraux branchus (Thamnasteria dendroidea) et B: polypier massif en boule
- La Ronde Flèze ou Roche de la Vierge ou Grosse Roche
La Ronde Flèze rappelle la forme massive de la falaise (ou "flèze" selon une dérivation locale). L'allure bosselée ou horizontalement cannelée des parois peut s'expliquer soit par une érosion différentielle de la roche due à la résistance plus ou moins importante en fonction du faciès, soit par la cavité laissée par le détachement et la chute d'un bloc désolidarisé par une diaclase.
La Roche de la Vierge - côté ouest (A) et face orientale à paroi cannelée (B)
- La Roche Plate
La base de la Roche Plate fut utilisée comme abri sous roche et/ou halte de chasse par la population locale pendant le Paléolithique supérieur (vers -13 000 ans B.P.). Ceci a été montré par les fouilles qui ont livré des restes d'animaux de steppes froides (bois et os de rennes, antilope saïga, lièvre siffleur, faune de micromammifères dominée par le lemming à collier), du charbon de bois et des objets et outils magdaléniens (Stocker et al., 2003 ; Hilly et Haguenauer, 1979).
La Roche Plate - face ouest (A) ; vue sur la vallée de la Meuse (B) ; site paléolthique (C) ; anémones pulsatiles (D) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Le sommet de la quatrième Roche constitue un belvédère sur la vallée de la Meuse et le méandre du fleuve qui enlace Saint-Mihiel. Une flore de pelouse calcicole (ex. : anémone pulsatile) colonise la plate-forme.
Les parois de ce rocher et celles de la falaise voisine (Roche de la Chouette) sont des sites de nidification d'espèces protégées (faucon pélerin, grand corbeau, hiboux...).
- La Roche de la Chouette ou le Four du Diable
Une grande fracture verticale orientée nord-sud parcourt toute la hauteur de la Roche de la Chouette. Des fossiles de polypiers de coraux lamellaires sont bien visibles dans les calcaires de la base de la paroi.
La Roche de la Chouette - face ouest (A) ; polypiers de coraux lamellaires (B) ; vue depuis l'est (C)
- La Roche de la Guinguette ou la Table du Diable
La Table du Diable était le nom donné à un rocher en forme de guéridon, sculpté par l'érosion, qui trônait au sommet de la Roche de la Guinguette. Cette curiosité géologique, aujourd'hui disparue, fut détruite par un obus lors de la Première Guerre Mondiale.
La Guinguette rappelle le lieu de distraction où l'on pouvait danser et consommer en plein air, jusqu'au début du XXème siècle. Les mortaises creusées dans les parois rocheuses maintiennent le souvenir des installations de cette époque.
La Roche de la Guinguette - vue panoramique depuis le sommet sur Saint-Mihiel et le méandre de la Meuse (A) ; face ouest de la falaise (B) ; fossile de crinoïde de type Apiocrinus (C) ; abri sous roche à flanc de falaise (D) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Une plaque apposée au pied de la falaise commémore la création du parc aménagé des Roches dans les années 1920, en mémoire des soldats américains tombés lors de la libération de Saint-Mihiel, à la fin de la Grande Guerre.
Une rampe taillée dans la paroi permet d'atteindre un abri sous roche à flanc de falaise. On y observe à nouveau des bouquets de coraux branchus. Ailleurs, en dehors des masses coralliennes construites, des fossiles d'échinodermes (radioles d'oursins et crinoïdes) sont repérables sur les pans verticaux de la falaise. Une large diaclase verticale affecte également la base de cet imposant rocher.
Avec une voie d'accès facilitée, le toit de la Roche de la Guinguette offre un autre point de vue sur la vallée et la cité encaissées dans le plateau de la Côte de Meuse.
Paléo-environnement et contexte paléogéographique de formation des Roches
Dans la série stratigraphique locale et régionale, les calcaires coralliens qui composent les Roches de Saint-Mihiel s’intègrent dans le Complexe récifal supérieur qui caractérise la fin du sous-étage de l’Oxfordien moyen (ex-Rauracien) dans le Jurassique supérieur.
Série lithostratigraphique régionale simplifiée de l'Oxfordien et position des constructions récifales de Saint-Mihiel (illustration © BRGM)
Le Complexe récifal supérieur regroupe en réalité une multitude de faciès, ayant valeur d’équivalents latéraux, correspondant à différents milieux de dépôt. Dans le secteur géographique de Saint-Mihiel, plusieurs ensembles sédimentaires distincts mais contemporains se côtoient : ce sont d’une part les Calcaires coralliens d’Euville auxquels se rattachent les constructions récifales sammielloises et, d’autre part, des calcaires crayeux (Calcaires de Creuë ou de Sorcy), bien développés au nord (jusqu’à Verdun) et au sud (région de Commercy) de St.-Mihiel, et qui constituent le sédiment inter-récifal (Carpentier, 2004).
Tous ces dépôts synchrones reposent sur une formation plus ancienne, la Calcarénite d’Haudainville, elle-même recouvrant localement la célèbre entroquite Pierre d’Euville-Lérouville.
Découpage lithostratigraphique détaillé de l'Oxfordien de Lorraine et position des constructions récifales de Saint-Mihiel (d'après Carpentier, 2004) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Les Calcaires coralliens d’Euville correspondent à un faciès bioconstruit marqué par une grande abondance de coraux lamellaires associés à des formes branchues et des formes massives dont la fréquence augmente vers le sommet de la formation (Carpentier, 2004), ce que l’on observe à Saint-Mihiel. Ces constructions récifales se rencontrent également au nord (Dugny, Haudainville, Haudiomont) et surtout au sud de Saint-Mihiel (Euville, Lérouville, Sorcy, Pagny-sur-Meuse, Saint-Germain...). Au sein des récifs, le sédiment qui enrobe les structures coralliennes est généralement grossier (texture wakestone à grainstone voire rudstone ou floatstone) et peut contenir les fossiles d’une faune assez diversifiée : radioles d’échinides, entroques, lamellibranches, brachiopodes, éponges calcaires et gastéropodes. Bioclastes mis à part, des péloïdes constituent l’essentiel du sédiment (Humbert, 1971; Geister et Lathuilière, 1991 ; Carpentier, 2004).
Outre les éléments cités, la matrice bioclastique des biohermes des Roches de Saint-Mihiel contient de nombreux coraux brisés souvent recristallisés et se caractérise par l’absence de boue micritique. Ceci implique un dépôt en eaux agitées, la majorité des bioclastes provenant du démantèlement des parties inertes du récif, lors de tempêtes notamment.
Matrice bioclastique des biohermes - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Nérinées (Gastéropodes) et Diceras (Rudistes), autres macrofossiles associés aux récifs, sont particulièrement abondants à Saint-Mihiel. Leur récolte est assez aisée dans les labours du plateau qui jouxte le sommet des Roches.
La fréquence des formes branchues chez les scléractiniaires (= coraux constructeurs de récifs) rencontrés à Saint-Mihiel signifie également que ces organismes ont pu évoluer dans de très bonnes conditions de luminosité, favorisant la croissance verticale des colonies et des bioconstructions. La lumière est par ailleurs un élément indispensable pour la survie des coraux scléractiniaires dont les espèces actuelles vivent en symbiose avec des algues unicellulaires photosynthétiques, les zooxanthelles, hébergées dans leurs tissus.
En termes de profondeur ou de bathymétrie, de telles conditions d’hydrodynamisme et d’éclairement se rencontrent dans un environnement marin de type offshore supérieur, situé entre la zone d’action des vagues de beau temps et au-dessus de la zone d’action des vagues de tempêtes (Insalaco et al.,1997 ; Carpentier, 2004).
Si l'on s'en réfère aux exigences écologiques des représentants des scléractiniaires actuels, les récifs coralliens s'installent dans les eaux chaudes, ayant des températures supérieures à 18°C avec un optimum se situant entre 25°C et 29°C. Ces températures élevées sont nécessaires à la croissance des colonies en intervenant notamment dans la synthèse du squelette calcaire (= polypier) des individus. Une bonne oxygénation (entretenue par l'agitation des eaux), une faible turbidité (favorisant la luminosité) et une salinité moyenne (autour de 35 g.L-1) constituent les autres facteurs limitants à l'établissement des récifs coralliens, inféodés aux mers de la zone tropicale (voir une carte de la répartition des récifs coralliens actuels ICI).
L’imposante hauteur atteinte par certains édifices (jusqu’à 15 m) est aussi la preuve d’un développement dans un contexte de transgression marine et d’élévation du niveau marin où l’accommodation et la création d’espace disponible devaient être continues.
Dans un cadre paléo-environnemental plus large, les récifs des Calcaires coralliens d'Euville colonisent une plate-forme carbonatée établie sur la Lorraine au cours du Jurassique supérieur.
Carte paléogéographique de l’Europe occidentale à l’Oxfordien - la plate-forme lorraine et le Bassin Parisien se situent entre 25° et 30° de latitude N (d'après Carpentier, 2004)
Sur cette plate-forme, les gradients topographiques semblent peu marqués. Cependant, des phénomènes tectoniques liés à l’activité de la faille de Metz (héritée de l’orogène hercynien, orientée NE-SO et passant - pour sa branche occidentale - au nord de Saint-Mihiel) engendrent un système de barrière récifale (incorporant les édifices des Dames de Meuse) sur le compartiment surélevé et de sillon profond (offshore inférieur), plus subsident dans le secteur de Senonville, au niveau du compartiment affaissé, où se déposent les futurs Calcaires de Creuë, riches en faune pélagique (ammonites notamment ; Carpentier 2004). À l’approche des Ardennes (terres émergées à l’époque), les calcaires coralliens laissent place à une sédimentation de shoal oolithique, marquant la bordure proximale de la plate-forme. Au sud de Saint-Mihiel et jusqu’en bordure distale de plate-forme, soulignée par la faille de Vittel, les conditions d’un environnement de type offshore supérieur prévalent, propices à l’installation de biohermes et de zones de sédimentation inter-récifale.
Reconstitution de la plate-forme carbonatée lorraine et des paléo-environnements au moment de la formation des Calcaires coralliens d'Euville et de ses équivalents latéraux (adapté d'après Carpentier, 2004) - LAVBT : limite d'action des vagues de beau temps ; LAVT : limite d'action des vagues de tempêtes ; les flèches grises horizontales représentent les courants dominants - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Références bibliographiques et sitographiques
BEAUVAIS L. (1964) - Etude stratigraphique et paléontologique des formations à madréporaires du Jurassique supérieur du Jura et de l’Est du Bassin de Paris. Société géologique de France, Mém 100, 287 p.
CARPENTIER C. (2004) - Géométries et environnements de dépôt de l’Oxfordien de l’Est du Bassin de Paris. Minéralogie. Université Henri Poincaré - Nancy I, 2004.
CATANNAZ C. (2011) - Avis sur les chutes de blocs aux rochers de Saint-Mihiel - Meuse. BRGM-RP-60254
GEISTER J. & LATHULIÈRE B. (1991) - Jurassic Coral Reefs of the northeastern Paris Basin (Luxembourg and Lorraine). International Symposium on Fossil Cnidaria including Archhaeocyatha and Porifera, Münster, International Symposium on Fossil Cnidaria including Archhaeocyatha and Porifera, Excursion A3 guidebook, 1-112.
HILLY J. et HAGUENAUER B. coord. (1979) - Guide géologique régional: Lorraine - Champagne - Masson éd.
HUMBERT L. (1971) - Recherches méthodologiques pour la restitution de l’histoire bio-sédimentaire d’un bassin. L’ensemble carbonaté oxfordien de la partie orientale du bassin de Paris. Thèse de Doctorat, Université de Nancy, 364 p.
INSALACO E., HALLAM A. & ROSEN B. (1997): Oxfordian (Upper Jurassic) coral reefs in Western Europe: reef types and conceptual depositional model. Sedimentology, 44, 707-734
LATHUILIÈRE B., GEISTER J. et CHALOT R. (1994) - Les environnements coralliens de l’Oxfordien de Lorraine » – livret guide d’excursion du Congrès Lorraine de l’APBG.
STOCKER C., CORDY J.-M., PATOU-MATHIS M. et THÉVENIN A. (2003) - Le gisement magdalénien de la Roche Plate à Saint-Mihiel (Meuse) - Bull. Soc. Préhist. Luxembourgeoise, 25, p.23-41.
Base de connaissances sur les Coraux des Mascareignes - Université de la Réunion : http://coraux.univ-reunion.fr/ (dernière mise à jour 2014).
Auteurs : Roger CHALOT - Didier ZANY - Date de création : 16/10/2005 - Dernière modification : 07/08/2023