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Ligne des crêtes du Gazon du Faing : 3. Description

1. Aperçu général et panorama.

Ce site permet une étude générale du paysage avec à l'ouest, une vue dégagée sur les Vosges lorraines et leurs chaumes (ou gazons = pente douce), alors qu'à l'est, la vue plonge sur les Vosges alsaciennes entaillées de cirques glaciaires vertigineux (à pente abrupte), la plaine d'Alsace et le massif volcanique du Kaiserstuhl, puis apparaît à l'horizon l'autre lèvre du bassin rhénan avec la Forêt-Noire et en fond les Alpes (seulement visibles par temps clair).

La réserve naturelle du Tanet-Gazon-Du-Faing constitue une des parties les plus élevées de la lèvre occidentale du fossé rhénan (1). Ce fossé d'effondrement ou graben correspond à un rift passif orienté Nord-Sud, en grande partie comblé par 5000 m de dépôts sédimentaires. Il a commencé son ouverture à la limite entre l'Eocène et l'Oligocène vers -35 Ma. La mise en place récente au Miocène entre -16 et -18 Ma de phénomènes magmatiques localisés dans le temps et dans l'espace (volcanisme du Kaiserstuhl ; voir la fiche "Kaiserstuhl") confirme cette hypothèse de rift passif ouvert consécutivement à une période d'extension avec amincissement crustal mais sans océanisation.

Fig. 6: Coupe schématique au travers du fossé rhénan actuel © Ressources Eduterre ENS Lyon (1)(modifié)
(FV = Faille Vosgienne, FR = Faille Rhénane, VK = Volcanisme alcalin tertiaire du Kaiserstuhl)

En regardant vers l'est (fig.7), on distingue parmi les sommets des Vosges:

- des reliefs trapézoïdaux correspondant à des entablements de Conglomérat Principal et de Grès Vosgien du Trias qui sont des vestiges de l'épisode sédimentaire détritique qui a recouvert la pénéplaine vosgienne à la fin de l'Orogenèse Hercynienne. Ces buttes témoins attestent d'un soulèvement généralisé du socle du Massif Vosgien lors de l'Orogenèse Alpine. Ce rajeunissement des reliefs a été suivi d'une intense période d'érosion. Celle-ci qui a fourni une importante quantité de matériel détritique qui est venue alimenter et combler en partie le bassin sédimentaire alsacien.

- au loin les collines sous-vosgiennes qui correspondent aux blocs basculés du bord occidental du graben. Ces compartiments sont limités par des failles normales peu visibles mais dont les rejets sont importants et oscillent entre 200 et 1800m (1). Ces blocs sont constitués de terrains cristallins du socle (granitoïdes, migmatites et roches métamorphiques...) coiffés ou non de leur couverture sédimentaire mésozoïque: sédiments du Trias (Grès Vosgien, Conglomérat Principal, argilites du Keuper...), du Jurassique (Calcaires oolithiques du Bajocien...) ou encore du Tertiaire (Conglomérat Latorfien). Pour plus de détails, voir par exemple les fiches "Sigolsheim" et "Château du Haut Barr".

Fig. 7: Panorama estival (juillet 2008): Le regard est tourné vers l'est se porte sur les collines sous-vosgiennes  puis le fossé rhénan et la plaine d'Alsace (La vache appartient à la race vosgienne).

Les failles majeures sont la Faille Vosgienne, qui sépare les Hautes Vosges cristallines (horst) des blocs basculés ou collines sous vosgiennes et la Faille Rhénane, qui sépare ces mêmes collines des sédiments de la plaine du Rhin (fig.6). Ces deux failles délimitent donc la zone des blocs basculés en bordure du rift.

A l'horizon, on aperçoit la plaine d'Alsace qui correspond à la partie effondrée ou graben (fig.7). Par temps clair les sommets de la Forêt Noire, seconde lèvre du fossé, apparaissent de l'autre côté de la plaine d'Alsace. A l'horizon et avec beaucoup de chance  (à certaines heures, à certains moments de l'année ...), il est possible d'apercevoir les sommets des Alpes Suisses (fig.8).

Fig. 8: Panorama hivernal (février 2015): Contreforts des Vosges au premier plan, plaine d'Alsace sous la mer de nuages, sommets sombres de la Forêt Noire de l'autre côté du Rhin et, à l'horizon, les sommets enneigés des Alpes.

Ce piège sédimentaire a donc a été d'abord partiellement comblé par divers sédiments durant le Tertiaire (sédiments détritiques produits par l'érosion des reliefs des horsts..., sédiments marins ou lacustres avec des calcaires et des évaporites...). Il a pris l'apparence d'une plaine alluviale, la plaine d'Alsace telle qu'on la connait aujourd'hui, grâce aux apports des alluvions récentes apportées par le Rhin.

2. Le paysage glaciaire.

Les sommets sont échancrés par des cirques profonds occupés par des tourbières (fig.9) ou des lacs glaciaires, naturels ou artificiellement transformés en barrages hydrauliques. Ces paysages ont été sculptés durant les épisodes glaciaires du Quaternaire (2). Ils sont jumeaux de ceux qui jouxtent le Hohneck (3) et qui se sont formés de la même manière.

Fig. 9: Le cirque et la tourbière de Missheimle (réserve naturelle) vus de la crête (dénivelé 200 m environ)(juillet 2008). (Pour la localisation voir fig.2b).

Fig. 10: Le cirque glaciaire du Lac Vert (juillet 2008). (Pour la localisation voir les figures 2a ou 2b)

Fig. 11: Le cirque du Lac des Truites ou Lac Forlet en hiver (février 2015:  La forme géométrique du lac montre qu'il a été aménagé en réservoir. La Forêt Noire est visible de l'autre côté de la mer de nuages qui couvre l'Alsace et de laquelle émerge le Kaiserstuhl. (pour sa localisation voir la figure 2a).

Ces cirques (fig.9,10,11,12) du versant alsacien ont toujours été suralimentés en neige, particulièrement pendant les épisodes glaciaires quaternaires, par les vents d'ouest dominants (à voir lors d'une balade hivernale les énormes plaques à vent qui se forment encore de nos jours sur les lèvres des cirques sur les figures 11,12,13a et b,14) qui balayaient les chaumes (fig.15)

Ils ont été davantage creusés que ceux du versant vosgien. On parle de cirques de surcreusement.

Fig. 12: Rempart du cirque du Lac Forlet (dénivelé de 200 m entre la crête et le lac) avec une cloison (Remarquez les accumulations de neige en balcon).

Fig. 13 a et b: Accumulations de neige ("meringues géantes") sur la lèvre du cirque du Lac Forlet (février 2015)

Fig.14: Crête du Gazon du Faing balayée et sculptée par les vents (février 2015): Remarquez l'inclinaison et le port des arbres en drapeau ; ils indiquent la direction des vents dominants.

Des promontoires ou cloisons isolent les cirques successifs (fig.8 et 11).

Les moraines frontales servent de digue aux lacs d'origine glaciaire (fig.10,11,15,16). Ces digues naturelles ont souvent été renforcées et surélevées par un petit barrage en béton (fig.15). Ces lacs (Lac Vert, Lac Forlet, Lac Blanc...) sont ainsi utilisés comme réservoirs d'alimentation pour des usines hydroélectriques.

Fig. 15: Vue depuis un éperon, sommet d'une cloison découpant le cirque du Lac des Truites ou Lac Forlet (juillet 2008)

Un autre cirque glaciaire très pittoresque peut être visité à proximité, le cirque du Lac Blanc (fig.16).
Poursuivre la route des crêtes en direction du col du Bonhomme. Au col du Calvaire, descendre à droite en direction du Lac Blanc. Le mur du cirque sub-vertical et haut de 200m est vertigineux. Là aussi, le lac originel a été aménagé pour servir de réservoir à une usine hydroélectrique. Les marques sur les berges indiquent ses variations de niveau en période estivale lorsque les précipitations sont insuffisantes pour compenser les soutirages.

Fig. 16: Le vertigineux cirque glaciaire du Lac Blanc (juillet 2008). Un bel éperon est visible.

3. Les granitoïdes et leur altération.

Le sous sol de cette partie du Massif Vosgien est essentiellement constitué de roches cristallines du socle, dont beaucoup sont des granitoïdes précambriens ou primaires. 

Le Sentier qui longe la crête entre le Col de la Schlucht et le Col du Calvaire est un lieu privilégié pour observer de beaux Granites sub-alcalins (mais pas le Granite des Crêtes !), le sol est peu épais et la couverture végétale ténue aussi les affleurements sont nombreux.

Parmi ceux-ci, le Granite du Lac Vert, gris-clair, à grain fin et à 2 micas ; il affleure entre le Col de la Schlucht et le Lac Vert (Composition: 25 % de Quartz,18 à 25 % de feldspath potassique, 35 à 42 de plagioclase sodique, 10% de biotite, 4% de muscovite et 1% deminéraux accessoires)(4). 

Mais c'est surtout le Granite Porphyroïde (fig.17) qui est remarquable avec ses cristaux pluricentimétriques de microcline mis en relief par les phénomènes d'altération ; il affleure sur la crête du Tanet-Gazon-du-Faing entre le Dreieck et le Col du Calvaire (Composition: 24 à 29 % de Quartz, 25 à 43 % de feldspath potassique microcline, 23 à 40 % de plagioclase sodique=albite-oligoclase, 5 à 8 % de biotite, 0,5 à 2,5 % de muscovite  et quelques accessoires=apatite...)(4).

Fig. 17: Le Granite Porphyroïde et ses grands cristaux de microcline

Ce beau Granite contient d'énormes cristaux automorphes de feldspath potassique microcline.

Sur le sentier, les différents phénomènes d'altération classique d'un Granite en climat tempéré (arénisation) sont bien visibles:

- figures de chaos granitique (altération en boules...) (fig. 18),

Fig. 18: Chaos granitique et altération en boule.

- figures d'altération mécanique (par cryoclastie essentiellement = gélifraction) (fig.19) et résultat de l'altération chimique par hydrolyse modérée (bisialitisation). On passe ainsi d'un Granite sain cohérent, mais déjà diaclasé, observable dans les remparts et les éperons des cirques, à une arène grossière (sable plus ou moins grossier mêlé d'argiles) meuble qui contient des petits amas de cristaux de quartz et de feldspaths encore en connection, des cristaux de quartz résiduels libres et des argiles (surtout de l'illite, les smectites et la kaolinite étant subordonnées). 

Fig. 19: Altération du granite porphyroïde (l'altération mécanique par cryofracturation est dominante, l'altération chimique est limitée): Le résultat obtenu est une arène grossière.

L'érosion qui mobilise les produits de l'altération est ici ralentie par la présence d'un sol acide de type ranker et de sa couverture végétale adaptée aux rudesses du climat où l'on retrouve des gazons, des buissons de bruyères (callunes) ou d'airelles des marais et/ou de myrtilles et/ou de canneberge et quelques arbustes (sorbiers et hêtres avec port en drapeau)... Les effets de l'érosion sont néanmoins visibles et accentués au niveau des sentiers creusés par le passage des randonneurs ce qui facilite le ruissellement.

Il est donc impératif de ne pas sortir des sentiers balisés afin de ne pas altérer cette fragile couverture.

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Sur le même thème consulter la fiche Panorama du Hohneck sommet situé sur la ligne de crêtes, à 9km vers le sud, au delà du col de la Sclucht.

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Cette fiche est dédicacée "à la mémoire du géologue Marc Deschamps" qui a perdu la vie au cours d'une randonnée sur ce site.

Eléments de bibliographie:

(1) Pajon-Perrault N. (2010) - "Le fossé rhénan: compléments d'information. Access, Eduterre ENS Lyon.

http://eduterre.ens-lyon.fr/eduterre-usages/ressources_gge/fossrh/complements

(2)  Flageollet J.C. (2002) - "Sur la trace des glaciers vosgiens"  CNRS Ed., 212 pages.

(3)  Andréoli R., Rosique T., Schmidt M. et Carozza J.M. (2006) - " La dernière phase glaciaire du haut bassin de la Fecht (Vosges, France): dynamique de l'englacement et chronologie relative de la déglaciation", Géomorphologie: relief, processus, environnement, 1/2006, pp. 23-36.

(4) Hameurt J. et al. (1978) - Notice de la carte géologique , Feuille de Geradmer n° 341, BRGM Ed., 73 pages.


Auteur : Philippe MARTIN - Date de création : 02/03/2015 - Dernière modification : 13/09/2023

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