Carrière de Trapp de Raon-l'Étape : 3. Description
La grande carrière de Raon l’Étape exploite le « trapp* », une formation représentative du volcanisme calco-alcalin d'âge dévonien à carbonifère inférieur des Vosges septentrionales. Grâce à ses propriétés mécaniques exceptionnelles, la roche, concassée sur place, est utilisée comme ballasts ou dans les enrobés bitumineux.
* Trapp vient du mot allemand "Treppen" ou encore du suédois "Trappar" qui signifie marche ou escalier. Ce terme désigne d'immenses empilements sub-horizontaux de coulées basaltiques donnant par érosion des reliefs en marches d’escalier. La formation de Raon l’Étape ne possède pas ces caractéristiques, et en toute rigueur, le terme « trapp » est impropre pour la désigner. Il sera cependant utilisé dans la description, car c’est un nom d’usage connu des géologues régionaux et des utilisateurs de la roche.
1. La géologie
Le contexte
Raon l’Étape se situe à la limite entre les Vosges gréseuses et les Vosges cristallines. Le "trapp" est interstratifié dans des formations sédimentaires majoritairement détritiques (arkoses, conglomérats, grauwackes, schistes) d'âge dévonien à carbonifère inférieur. La série appartient au massif du Rabodeau. Elle est plissée et à Raon elle est subverticale (plus d'inforations dans la fiche Magmatisme hercynien dans les Vosges du nord).
Dans sa partie sud, le trapp a subi le métamorphisme de contact par intrusion du granite de Raon.
Enfin, des dépôts détritiques du Permien et du Trias reposent en discordance angulaire sur la série volcano-sédimentaire.
Extrait de la carte géologique Saint Dié.
En violet le trapp de Raon, en rouge le granite rose de Raon, en brun (dR) les formations sédimentaires
du Dévonien de Raon, en gris (r3b) les grès du Permien, en rose (t1a et t1b) les formations du Trias.
Les carrières
La grande carrière de trapp de Raon, encore connue sous le nom « carrière de la Meilleraie », se présente aujourd’hui comme une énorme excavation qui atteint par paliers une profondeur de plus de 120 m. D’autres carrières plus petites situées à proximité ne sont plus exploitées.
Vue panoramique de la carrière de trapp (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
1. Le Trapp bleu de Raon-l'Etape
La formation est sub-verticale d'orientation ENE-OSO. Elle a une épaisseur de l'ordre de 400 à 500 m.
La roche se présente sous deux faciès principaux : quelques coulées de lave porphyrique homogène et massive au sud ; des brèches pyroclastiques au nord. Ces brèches sont composées d’un agglomérat de fragments de cristaux soudés, de verre et de fragments de roches, et serait un produit d'explosion du magma à la sortie de l'évent.
Bloc de trapp de faciès brêche pyroclastique.
Composition minéralogique :
- nombreux phénocristaux de plagioclases zonés, en lattes de 0,4 à 2 mm de longueur, séricitisés,
- phénocristaux d'augite de 1,2 à 2 mm de longueur, transformés en ouralite et épidote
- amphibole brune parfois,
- oxydes de fer et titane abondants,
- mésostase recristallisée en ouralite aciculaire, épidote, quartz, chlorite, calcite, minéraux issus d'un métamorphisme épizonal (métamorphisme modérée dans le faciès des schistes verts).
D'après la carte géologique, le trapp est un basalte porphyrique. Toutefois, sa composition chimique varie entre basalte et andésite selon les échantillons (Tableau ci-dessous). Les caractères les plus marquants sont la richesse en Al2O3, et la pauvreté en éléments de transition Cr et Ni (qui ne figurent pas dans le tableau). Le pourcentage de FeO, supérieur au pourcentage de MgO, est en proportion anormalement élevé, témoignant d'un apport tardif par des circulations d'eau.
La composition de ces roches présente les caractères classiques d’une série calco-alcaline. Cependant, pour le confirmer, la composition en éléments majeurs doit être complétée par les teneurs en éléments traces.
Basalte | Andésite | |
SiO2 | 47.13 | 55.78 |
Al2O3 | 19.72 | 17.45 |
FeO | 10.43 | 7.83 |
MnO | 0.18 | 0.16 |
MgO | 5.19 | 3.93 |
CaO | 8.28 | 6.24 |
Na2O | 3.31 | 3.84 |
K2O | 1.72 | 1.10 |
TiO2 | 1.22 | 0.87 |
P.F. | 2.38 | 2.19 |
Composition chimique du trapp (oxydes en % de la masse)
2. Les grès
Tout en haut de la carrière, les grès permiens subhorizontaux reposent sur les bancs verticaux du trapp selon une surface légèrement ondulée, formant une discordance angulaire très nette.
Discordance du grès permien sur le trapp. La surface de contact ondulée est bien visible.
La discordance du grès permien sur le trapp, vue de près :
dans la moitié inférieure, le trapp en bancs verticaux ;
dans la moitié supérieure, grossièrement stratifiés, les dépôts permiens.
(cliquer sur l'image pour voir son interprétation)
Cette surface de contact entre les deux formations est une surface d’érosion qui correspond à la pénéplaine post-hercynienne : les terrains antérieurs au Permien mis en relief et plissés lors de l’orogénèse hercynienne ont subi une érosion intense ; le trapp a été mis à l’affleurement et les bancs verticaux érodés ; les dépôts détritiques permiens se sont effectués sur ceux-ci et ont peu à peu nivelé la surface d’érosion.
Ces grès appartiennent au bassin permien de Saint-Dié et sont eux-mêmes surmontés par les grès roses du Trias.
3. Le granite de Raon
Le granite de Raon a été exploité dans une carrière au sud de la grande carrière de trapp (N 48° 23’ 30’’ / E 6° 51’ 44’’). On peut y accéder par la D37A, ancienne route de St Blaise. Actuellement la carrière sert à entreposer des granulats et du matériel, de ce fait le granite est difficilement observable.
Il est par contre bien exposé 200m plus loin dans les talus d'une nouvelle route d'accès à la grande carrière par le sud.
Pétrographie : granite rose, hyperalcalin ; il contient du quartz (33%), de l’orthose (54%), du plagioclase (7,5%) et de la biotite (4,5%).
Il s’agit d’un pluton granitique intrusif hercynien tardif.
Affleurement de granite rose de Raon dans l'ancienne carrière
A gauche, afleurement de granite dans les talus de la route nouvelle. A droite, échantillon de granite de Raon
4. Formations sédimentaires dévoniennes de Raon-l'Étape
Ces formations sont difficilement visibles. Elles pouvaient être observées dans la carrière de « trapp bigarré » située au sud de la grande carrière, aujourd’hui abandonnée et inaccessible. Elles sont présentes aussi sur la rive gauche de la basse vallée de la Plaine, le long d'un replat déterminé par le trapp (à droite de la route D392A, direction Celles sur Plaine 1 à 2 km après l’entrée de la carrière).
Ce sont des schistes fins, arkoses et conglomérats.
Historique
Dès le 16e siècle, le granite et le trapp ont été utilisés pour les besoins locaux.
En 1884, des industriels belges créent la « société H. Ramu et Cie ». Celle-ci a deux pôles d’activité : l’exploitation du granite rose en bordure de la route de Saint-Dié destinée à la production de pierres taillées et l’extraction du trapp pour la production de pierres concassées destinées aux routes et aux voies ferrées locales. Le site est desservi par le chemin de fer.
En 1905, la société devient « S.A. Trapp et Granite de Raon l’Étape ». En 1938, l’activité granite cesse. Les dalles et bordures sont désormais faites en béton utilisant le trapp concassé, commercialisées sous le nom de « dur trapp ». Parallèlement la carrière de la Meilleraie s’est ouverte et les deux sociétés fusionnent en 1969. Des investissements importants sont réalisés pour parvenir à une modernisation et une mécanisation très poussées.
En 1992, la carrière appartient au groupe Redland Granulats, leader national, repris en 1998 par le groupe Lafarge. Le site passe ensuite à la société SCREG.
Actuellement, la carrière de Trapp est exploitée par la société Carrière de Trapp qui appartient au groupe Colas. La carrière produit entre 1 500 000 et 2 000 000 de tonnes de granulats par an, avec environ 60 employés.
Propriétés et utilisation du trapp
Quelques propriétés répertoriées :
- résistance au gel
- résistance à l'humidité
- résistance aux agents chimiques
- résistance à l'usure
- résistance au feu
- conservation de sa rugosité
- neutralité électrique
Compte tenu de ces qualités, le trapp est utilisé, suivant sa granulométrie, comme ballast de voie ferrée, produit de revêtement routier et autoroutier, enrochement… La carrière de Raon fait partie des 10 seules carrières homologuées pour produire du ballast pour les LGV françaises.
Il faut cependant distinguer plusieurs qualités de matériaux suivant l’intensité de la fracturation et de l’altération. Ainsi, la résistance à la compression est de 4000 bars pour les matériaux les plus sains, mais descend à 2000 bars pour les faciès altérés. Ceux-ci sont réservés à des utilisations moins nobles, comme par exemple les couches de forme des routes.
Le mode d’exploitation
La carrière exploitée s’étend sur une trentaine d’hectares et atteint une profondeur de plus de 120 m par paliers de 15 à 25 m.
Paliers d'exploitation. Remarquer les bancs de trapp quasi verticaux.
Les opérations successives :
- Abattage des fronts de taille par tir de mines. Des explosifs (nitrate fuel ou cartouches) sont placés dans plusieurs trous de forage de 15 m (les trous sont espacés de 6 m et chacun possède une inclinaison qui est calculée). Dans chaque trou de forage 110 à 115 kg d'explosif sont déposés, soit 2 à 3 tonnes d’explosif par tir. Au final 15 000 à 25 000 tonnes de roches sont abattues de calibre 0 à 1000 mm.
- Les plus gros blocs non chargeables sont divisés par une machine équipée d’un brise roche
- Chargement en tombereau et transport vers l’usine de concassage situé en haut de la carrière
Camion de transport ou dumper (à gauche), et chargeuse (à droite).
La chargeuse est une machine d'environ 95T, dont le godet a une capacité de 20 tonnes soit 17 m3.
Les dumpers ont une capacité de 100 tonnes, soit 5 godets de chargeuse.
- Traitement dans l'usine :
- Concassage primaire par des concasseurs successifs à mâchoires, qui réduit les matériaux à un produit de granulométrie 0/150.
- Elaboration des produits par broyage, lavage puis tri par tranche granulométrique.
Au cours de leur élaboration, les produits circulent sur des bandes transporteuses et sont triés en passant dans des cribles.
Deux vues des installations de traitement : à gauche depuis le fond de la carrière
(source photo) ; à droite les convoyeurs à bande, depuis l'entrée de la carrière.
- Deux tiers des produits sont acheminés par voie ferrée, le reste par la route. Il existe à l'extrémité Sud-Ouest de la carrière en bordure de la Meurthe un poste de chargement SNCF comportant des silos alimentés par un tapis provenant des installations de traitement de la carrière.
Unité de chargement des trains (source photo).
Les roches triées et calibrées sont amenées par convoyeur à bande
jusqu'à l'unité de chargement. Capacité : 7 trains par jour, soit environ 9000 T.
La chaine de traitement nécessite à la fois de l'eau et de l'énergie. La carrière consomme environ 8 000 000 de KW/an. L'eau est utilisée aux postes de lavage des matériaux. Elle provient des pompages des eaux d'exhaure du fond de la carrière après passage dans un décanteur avec un floculant. Elle est recyclée en permanence.
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Remerciements à Dr Françoise Chalot-Prat (Université de Lorraine - CRPG-CNRS / FST Nancy) pour sa relecture et les corrections apportée à la partie Géologie.
et à Henri Sion (Institution Saint Dominique Nancy) et Jean-Yves Boulanger (Lycée Callot Vandoeuvre) pour la documentation photographique.
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Bibliographie / Sitographie sommaires
- Lexa-Chomard A. et Pautrot C. (2006) - Géologie et géographie de la Lorraine ; Serpenoise éd.
- Marc Deschamps et al (1994) - "Le magmatisme d'âge primaire des Vosges" - Livret guide dexcursion du Congrès Lorraine de l'APBG
- BRGM (1975) - Notice de la carte géologique St Dié 1:50000
- http://raon-l-etape-tome5.blogspot.fr/p/les-carrieres-1884.html - Un site, une ville, une histoire (histoire de l’exploitation des carrières de trapp de Raon)
Auteurs : Roger CHALOT - Claudette DIDIERJEAN - Date de création : 17/06/2009 - Dernière modification : 01/10/2016