Pierre d'Euville, carrière de Mécrin : 3. Description
L'ancienne carrière de Mécrin présente un beau front de taille orienté est-ouest, d'environ 30-40 mètres de haut et s'étalant sur 300 mètres en longueur (fig.3). De nombreux terrils jalonnent le périmètre de la carrière et peuvent permettre une récolte d'échantillons en toute sécurité. Les abords de la carrière sont également colonisés par une végétation pionnière qui n'empêche cependant pas l'étude de la géologie du site.
Fig.3: Le front de taille (partie ouest) de la carrière de Mécrin
(sur ce cliché, l'ouest est à gauche et l'est, à droite)
Depuis le plancher de la carrière, au moins trois ensembles superposés horizontaux se succèdent le long du front de taille (fig.4). Tout en respectant les mesures de sécurité inhérentes à ce type de lieu, seul le niveau de base est abordable depuis le plancher de la carrière. L'accès aux deux ensembles supérieurs, au niveau de la terrasse à mi-hauteur du front de taille, est actuellement impossible car trop dangereux (parois abruptes et instables). L'échantillonnage pour ces formations inaccessibles ne peut se faire que dans les éboulis ou les terrils.
De bas en haut, on observe :
1. Le plancher de la carrière : il est généralement recouvert d'éboulis ou masqué par la végétation. Cependant, par endroits (côté est), le substratum de la carrière affleure et il est alors possible de reconnaître un calcaire construit à polypiers appartenant à la formation des Calcaires à coraux de Foug (Complexe récifal inférieur de l'Oxfordien moyen).
2. Un calcaire à entroques caractérisant la Pierre d'Euville-Lérouville (20 mètres d'épaisseur environ) formant, sur le front de taille, une paroi lisse noircie et présentant de nombreuses traces de dissolution. L'observation d'un échantillon à l'œil nu montre qu'il s'agit d'une roche blanche granuleuse scintillante formée d'un assemblage bien trié de débris de taille millimétrique d'échinodermes (crinoïdes et oursins), soudés par un ciment sparitique (fig.5). Le toit de cette formation est marqué par un pallier soulignant la transition avec l'ensemble sus-jacent.
Fig.5: Echantillon pétrographique du calcaire à entroques de Mécrin
3. Des calcaires blancs à stratification grossière (12 m environ), présentant un aspect grumeleux. Des échantillons provenant des éboulis ou des terrils indiquent qu'il s'agirait d'un calcaire biomicritique (texture packstone) à coraux lamellaires (genre Isastrea notamment), pectinidés, radioles d'oursins et crinoïdes : fig.6. Ce faciès correspond à la formation des Calcaires coralliens de la Mésangère. Dans sa partie supérieure, cet ensemble est parcouru par des dépôts de tempêtes.
Une limite horizontale bien visible marque la séparation entre l'ensemble médian et le niveau sommital.
Fig.6B: Echantillon pétrographique de calcaire à coraux lamellaires (ensemble médian ?) récolté dans les éboulis
4. Un calcaire massif à patine noire (8 m environ) pouvant toutefois latéralement présenter un débit en plaquettes ou grumeleux par endroits. Il s'agit d'un calcaire massif bioclastique (texture grainstone) à entroques et polypiers remaniés. Ce faciès correspond à la formation de la Calcarénite d'Haudainville du Complexe récifal supérieur (Hilly & Haguenauer 1979; Geister et Lathuilière 1991; Lathuilière et al. 2003, Carpentier 2004).
Comme dans les carrières avoisinantes, le calcaire construit du plancher de la carrière de Mécrin, sur lequel repose la Pierre d'Euville-Lérouville, appartient vraisemblablement au Complexe récifal inférieur et à la formation des calcaires à coraux de Foug (Carpentier, 2004).
Même si elles sont difficiles à observer ici, des surfaces durcies perforées marquent généralement le sommet des biohermes du Complexe récifal inférieur et les parties les plus élevées de la Pierre d'Euville-Lérouville. Ces indices d'émersion sont à mettre en relation avec une baisse du niveau marin relatif (Lathuilière et al. 2003).
Les niveaux à polypiers sus-jacents (Calcaires coralliens de la Mésangère du Complexe récifal supérieur) accompagnent un nouvel ennoyage de la plate-forme oxfordienne, à l'issue de cette phase d'émersion ou de quasi-émersion.
La Calcarénite d'Haudainville coiffe les Calcaires coralliens de la Mésangère avec un contact franc, marquant une discontinuté en période de baisse de niveau marin relatif.
Fig.7a: Position stratigraphique des terrains affleurant dans la carrière de Mécrin
Techniques d'extraction
Les parois sont également parsemées d'empreintes régulières obliques et parallèles donnant un aspect zébré à la surface de la roche. Ces traces rectilignes creusées, longues de quelques 50-60 centimètres chacune (fig.9) correspondent à autant de coups de pic assénés à la roche.
Ces traces suggèrent l'utilisation d'un outil, la tranche, sorte de pioche à deux pics, qui servait à débiter les blocs de roche sur le front de taille. Dans les grandes carrières du secteur de Commercy (Euville, Lérouville), cette technique prévalait jusqu'à la fin du XIXe siècle et consistait à creuser un couloir, l'enjarot (ou enjartée), de la largeur d'un homme, de chaque côté du bloc à extraire (= la garde). En moyenne, l'enjarteur (= le carrier réalisant l'enjarot) progressait quotidiennement d'un à deux mètres en longueur pour 50 cm en largeur et en épaisseur (ce qui correspond à la longueur des traces laissées sur les blocs dégagés de la sorte - fig.9); la mécanisation permit d'améliorer sensiblement ce rendement. Cependant, dans des carrières à production modeste, la technique de l'enjarot perdura jusqu'au milieu du XXe siècle.
Des blocs équarris (= issus de la découpe de la garde) sont encore entreposés dans la partie ouest de la carrière; certains portent également les traces laissées par les pics de carriers (fig.10).
Au milieu du front de taille, les traces des deux types d'extraction se succèdent sur une même paroi : traces de pics ou d'enjartage à la base, perforations pour explosifs au sommet (fig.11).
Dans leur ouvrage de 1848, Dufrénoy et Elie de Beaumont font mention d'une carrière à Mécrin et en livrent une première étude géologique. L'exploitation du site pour la production de "pierres dures" de construction remonte toutefois au XVIIIe siècle (P. Briot communication orale). La carrière appartient alors à la Fabrique de l'Eglise. Le bâtiment de l'église du village de Mécrin est d'ailleurs construit avec des pierres issues de cette carrière.
Pendant la première partie du XIXe siècle, la carrière est louée à des particuliers moyennant un loyer (modeste) à l'année, pour des baux d'une durée de 3, 6 ou 9 ans.
Au cours du XIXe siècle et jusqu'au début du XXe, en raison de leur construction d'abord puis de leur proximité ensuite, le Canal de l'Est et la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg accentuèrent la demande et l'exportation (travaux engagés par le baron Haussmann à Paris notamment) de l'entroquite d'Euville-Lérouville. L'exploitation de la pierre prend alors une autre dimension et des maîtres carriers venus de la région parisienne s'installent dans la Meuse. Les loyers des carrières communales "explosent". Au cours de cette période de prospérité, la carrière de Mécrin connaît son âge d'or et passe ainsi entre les mains de différentes sociétés dirigées par les maîtres carriers parisiens : Crouet, Civet, Giraudier, Fèvre...
Après cette phase d'essor, l'activité de la carrière de Mécrin décline progressivement, à l'issue de l'avènement du béton et de l'aggloméré. Quelques sursauts d'activité inhérents aux périodes de reconstruction qui suivirent les deux Guerres Mondiales interrompent temporairement ce déclin. Dans les années 30, la pierre de Mécrin est en outre utilisée pour l'édification du mémorial américain de Montsec, situé à quelques kilomètres (Briot 2006).
L'exploitation cesse définitivement dans les années 60.
Aujourd'hui, la carrière d'Euville demeure la seule carrière du pays de Commercy à maintenir son activité pour la production de pierre de taille utilisées dans la restauration de monuments historiques.
La carrière de Mécrin est actuellement un espace naturel à protéger (présence de pelouses à orchidées et de faune reptilienne notamment) inventoriée au titre des ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique).
Bibliographie
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DAVID J. (1998) - Adaptation morphologique, croissance et production bioclastique chez les crinoïdes pédonculés actuels et fossiles (Pentacrines et Millericrinina); application paléoécologique aux gisements du Jurassique supérieur des Charentes et du Nord-Est du Bassin de Paris. Thèse Univ. Reims Champagne Ardennes, inéd., 2t., 551 p.
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LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRE G, DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. & NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Excursion Groupe Français d'Etudes du Jurassique, livret-guide.