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Moraine et granitoïdes du Lac des Corbeaux : 3. Description

Eléments de géologie régionale : Le Lac des Corbeaux

Le Lac des Corbeaux est situé sur la commune de La Bresse à 887m d'altitude. Allongé nord-sud, d'une longueur de 600m pour une largeur de 200m, il couvre une superficie de 10ha. Sa profondeur atteint 27m. Il peut retenir 420 000m3 d'eau.

Le lac occupe un ancien cirque glaciaire datant de la dernière glaciation (Würm). Il s'étend derrière un barrage morainique surélevé par une petite digue dont la constructon date de 1845.

Son exutoire, la Goutte du Lac des Corbeaux, se jette dans la Moselotte 200m plus bas. Depuis 1905, une conduite forcée amène l'eau à une centrale hydroélectrique à la Vertbruche, qui fait partie des centrales de la Régie municipale d’électricité de La Bresse.

lac vu de la digue

Le lac vu depuis la digue, vers le sud

lac vu de la Roche du Lac

Le lac vu depuis le point de vue de la Roche du Lac

- Les traces de l'époque glaciaire.

La dépression en fer à cheval et les versants raides, caractérisent un cirque glaciaire. Au coeur du cirque, un "lac d'ombilic glaciaire" s'est formé lorsque le glacier qui l'occupait a disparu.

La moraine qui barre l'extrémité nord du lac est constituée de blocs de granite, décimétriques à métriques, provenant des versants du cirque glaciaire, accumulés sur quelques dizaines de mêtres de largeur et quelques mètres de hauteur. Il s'agit d'une moraine frontale abandonnée par le glacier lors de son retrait.

moraine frontale

La moraine frontale, à l'extrémité nord du lac.

Les versants du cirque, surtout côté ouest, sont tapissés de blocs anguleux, fixés ou non, colonisés par la végétation. Il peut s'agir d'anciens éboulis ou d'anciennes moraines latérales, lavées, débarrassées de leurs matériaux fins, par les eaux de ruissellement.

Les affleurements rocheux des versants montrent par endroit un poli dû à l'érosion glaciaire

Rochers polis (versant ouest)

Eboulis ou moraine latérale (versant ouest)

- Les granites

Le granite du Valtin : roche de teinte claire gris-beige, à grain grossier, et à deux micas. Les minéraux clairs occupent plus de 90% du volume de la roche. Le quartz est abondant, d'aspect globuleux, sub-automorphe ; les feldspaths sont xénomorphes.
Sa composition minéralogique : quartz 33 à 36%, Feldspaths 52 à 55%, Biotite 3 à 10%, Muscovite 5% (J. Hameurt 1967 ; Cl. Gagny 1968).
Selon la classification actuelle des granitoïdes, il a d'abord été identifié comme granitoïde métalumineux sub-alcalin potassique, puis, plus récemment, reconsidéré comme granite leucogranite peralumineux (Tabaud, 2012).

  Le granite du Bramont : roche grenue de teinte gris clair, parfois ponctuée de rose, porphyroïde à grands phénoblastes de feldspaths potassiques. L'analyse modale donne : quartz 21%, Feldspath potassique 33%, Plagioclase 36% et Biotite 10% (J. Hameurt 1967), et cordièrite en minéral accessoire. Cette composition en fait un granite "monzonitique". D'un point de vue chimique, il peut être classé parmi les granites peralumineux à cordiérite.

Sur l'origine de ces granites, voir plus bas dans cette page.

Echantillons de granites : à gauche granite du Valtin (cristaux de quartz et feldspath : jusqu'à 1cm) ; à droite granite du Bramont (taille des grands cristaux de feldspath = 2cm) Cliquer sur les photos pour les agrandir

  Granite du Valtin
(Colline de Vologne)
Granite du Bramont
(Wildenstein)
SiO2 75,80 70,10
Al2O3 12,75 14,60
Fe2O3, FeO 1,22 2,42
MnO 0,0 0,05
MgO 0,10 0,99
CaO 0,50 1,23
Na2O 3,54 3,61
K2O 4,60 4,95
TiO2 0,07 0,42
P2O5 0,21 0,0

Composition chimique des deux granites (Ph. Granclaude 1971)

Une faille orientée N80° (faille de Retournemer) sépare le granite du Valtin au Nord-Ouest, et le granite du Bramont  au Sud-Est. Le granite du Valtin est broyé tectoniquement le long de cette faille, indice du jeu de celle-ci après la mise en place du granite. Sur le terrain, en faisant le tour du lac, le passage d'un granite à un autre est perceptible, mais le contact n'est pas visible.

extrait carte géologique Munster

Extrait de la carte géologique Munster 1:50000 (© BRGM 1976) - Situation du Lac des Corbeaux au sein des granites du Valtin et du Bramont ; tracé probable de la faille de Retournemer ; Gyc = moraines d'âge würm.

NB. Le Lac des Corbeaux fut un site privilégié aux siècles passés pour la recherche de l'améthyste des Vosges. Elle se présentait en filon dans le granite avec de la barytine.

 

Contexte géodynamique de mise en place des granitoïdes dans les Vosges Centrales (d'après E. Skrzypek 2011 et A.S. Tabaud 2012)

La 6ème et dernière édition révisée (2003) de la carte géologique de la France au millionième apporte des informations sur la nature, l’âge (obtenu par radiochronologie) des granites du territoire français et le contexte géodynamique de leur mise en place. Des travaux plus récents (Skrzypek, 2011 et Tabaud, 2012) ont cependant complèté et précisé ces informations (notamment en affinant les datations) et apporté un nouvel éclairage quant à la nature et l'origine des magmas parents de ces granites.

Ainsi pour le lac des Corbeaux, le granite du Bramont correspond à un granite peralumineux. La notice de la carte géologique harmonisée du département des Vosges (2008) le qualifie de granite porphyroïde alumino-potassique à biotite, muscovite et cordiérite (en minéral accessoire), d’âge Viséen-Namurien (transition Mississippien – Pennsylvanien = transition Carbonifère inf.-sup.).

La présence de muscovite (K[SI3AlO10]Al2(OH)2) et de cordiérite [Si5Al4O18](Fe,Mg)2  exprime la richesse en aluminium du granite du Bramont et donc du matériel source qui en est à l’origine. Les matériaux caractéristiques d’une telle composition chimique sont des métapélites, c’est-à-dire des roches sédimentaires argileuses métamorphisées, constituant de la croûte continentale. Par comparaison, les magmas des zones de subduction, à affinité mantellique, présenteraient une richesse moindre en aluminium ; on les qualifierait de granites métalumineux. Dans la classification de Barbarin (1999), ces granites correspondent aux Cordierite Peraluminous Granites, syn-orogéniques, désignés par l’acronyme CPG.

Le magmatisme lié à la mise en place du granite du Bramont implique donc une fusion de croûte continentale. La présence de cordiérite signifie que cette fusion s’est produite à haute température par déstabilisation-déshydratation de la biotite (faciès granulite basse / moyenne pression-haute température du métamorphisme régional - voir fiche Arrentès-de-Corcieux).

Le Granite du Valtin, longtemps considéré plus récent que le précédent (Westphalien-Stéphanien = fin du Carbonifère - voir plus haut), a fait l'objet de nouvelles datations qui le situent dans l'intervalle 330-320 M.a. (Namurien = début du Carbonifère sup.). D’après la carte géologique de la France, il fait partie des granitoïdes métalumineux sub-alcalins potassiques. Dans la classification de Barbarin (1999), ce type de granite à faciès porphyroïde correspond aux granites calco-alcalins de type KCG ((K)potassic Calc- alkaline Granites). Le granite du Valtin est dorénavant requalifié de granite peralumineux et le contexte de sa mise en place est certainement identique à celui du granite de Bramont (voir ci-après).

Localisation des granitoïdes du lac des Corbeaux sur la carte géologique de la France au 1:1 000 000 (© BRGM 2003) - cliquer sur la carte pour l'agrandir

Dans les Vosges, deux zones (séparées par l'accident ou Faille de Lalaye-Lubine) ont été historiquement définies par Franz Kossmat dès 1927. La zone septentrionale "Saxo-Thuringienne" est le siège d'un magmatisme orogénique (granodiorites et roches annexes qui affleurent dans le Massif du Champ du Feu) alors que la zone méridionale "Moldanubienne", qui nous intéresse ici, est caractérisée par la présence d'écailles de croûte continentale intensément métamorphisées et migmatitisées dans lesquelles se sont mis en place des granitoïdes variés, le Granite des Crêtes et ses annexes (répartis sur 180 km2) dans la zone médiane, le Granite des Ballons et ses annexes plus méridionales (extension sur 260 km2), ces deux entités étant noyées au milieu d'un vaste domaine (860 km2) occupé par le Granite Central Vosgien (anciennement "Granite Fondamental" et les autres granites qui lui sont rattachés, Brézouard, Valtin, Bramont, Lac Vert...).

La mise en place de tous ces granitoïdes est à mettre en relation avec des événements tectoniques qui ont accompagné un épisode de l’orogenèse varisque durant le Carbonifère dans l’ouest de l’Europe.

Cette orogenèse dans laquelle le Massif Vosgien est largement impliqué, résulte de la collision de blocs continentaux situés entre la Laurussia au nord et le Gondwana au sud, après disparition de l'océan Rhénohercynien les séparant (voir fiche Oderen-Thalhorn pour les reconstitutions paléogéographiques).

Emplacement des Vosges dans la chaîne varisque européenne (d'après Ballèvre, 2016)

Deux grands événements magmatiques caractérisent la zone moldanubienne. Ils sont directement liés à la progression de la subduction (d'abord de nature océanique avec suture ophiolitique au Cap Lizard en Angleterre) d'une partie du domaine rhénohercynien sous la croûte saxothuringienne , puis à l'entrainement d'une partie de cette croûte en sous placage sous la croûte moldanubienne (subduction continentale) lors de la collision impliquant les deux masses continentales Avalonia-Rhénohercynien et Saxothuringica (voir une coupe paléogéographique : ICI).

  - Le premier événement magmatique est daté à 345-335 Ma (Carbonifère Inférieur, début du Viséen). Il est de type magnésiopotassique ou Mg-K, (= "granites" de type I selon la classification de Chappell et White 1974 ou métalumineux selon Barbarin 1999) résultant du mélange de deux magmas, un premier d'origine mantellique issu de la fusion du manteau supérieur enrichi, et un second d'origine crustale formé lors de l'anatexie de la croûte continentale saxo-thuringienne d'âge Protérozoïque, plaquée sous la croûte moldanubienne. C'est à cette époque que se mettent en place le Granite des Crêtes (340 ± 1 Ma) et le Granite des Ballons (340 ± 4 Ma - Schaltegger et al., 1996). Ces magmas sont accompagnés sur le terrain de gneiss variés et de granulites. Ce même mélange et cette même association se retrouvent en Forêt Noire (Durbach), en Bohême, dans les Massifs Cristallins Externes des Alpes et dans le bloc Corso-Sarde.

  - Le deuxième épisode qui débute à la fin du Viséen (vers 330 Ma) et se poursuit jusqu'au Namurien (vers 320 Ma)  est induit par la chaleur apportée par la désintégration des radioéléments contenus dans les importants volumes de magmas Mg-K lors de leur mise en place dans la croûte continentale moldanubienne. Les intrusions entraînent la fusion anatectique des gneiss qui la constituent ainsi que celle des sédiments hydratés de la croûte supérieure (i.e. grauwackes du faciès Culm du Dévonien supérieur-Carbonifère inférieur). C'est ainsi que se mettent en place des granites de type S (peralumineux),  le Granite Central Vosgien (anciennement -et mal- dénommé "Granite Fondamental" puisqu'il est plus récent) et les autres granites contemporains : Granite du Brézouard, leucogranites du Valtin, du Lac Vert, du Bramont... qui appartiennent tous à ce même épisode et sont donc de 15 à 20 Ma plus jeunes que les granites issus des magmas Mg-K.

Les leucogranites du lac des Corbeaux qui constituent une partie du socle paléozoïque des Vosges centrales et méridionales (= unité moldanubienne d’origine gondwanienne) appartiennent donc à ce second épisode anatectique et sont d'âge Namurien.

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Quelques références bibliographiques et sitographiques :

BALLÈVRE M. (2016) - La place du Massif armoricain avant l'orogenèse varisque. Géochronique, n°140 - SGF et BRGM éd.

BARBARIN B. (1999) - A review of the relationships between granitoid types, their origins and their geodynamic environments, Lithos, 46, 3, 605-626 

CHAPPEL B.W. et WHITE A.R. (1974) - Two contrasting granite types, Pacific Geology, 8, 173-174.

CHÈVREMONT P. (2008) - Carte géologique harmonisée du département des Vosges (88). Notice géologique. BRGM/RP-56439-FR, 232 p., 2 fig., 3 tab., 5 ann., 4 pl. hors-texte.

FLUCK P. (2007) - Dans géologie du massif vosgien et du fossé rhénan. PNR des Ballons des Vosges.

GAGNY Cl. (1968) - Pétrogenèse du Granite des Crêtes. Vosges méridionales. Thèse Sciences, Univ. Nantes, 546p.

GRANDCLAUDE Ph. (1971) - Répertoire d'analyses géochimiques effectuées sur les Vosges. CRPG, Nancy.

HAMEURT J. (1967) - Les terrains cristallins et cristallophylliens du versant occidental des Vosges moyennes. Mem. Serv. Carte géol. Als. Lorr., 26, 402p, Strasbourg.

JAUJARD D. (2019) - Géologie - Géodynamique - Pétrologie - Études de terrain (2e édition) - Maloine éd.

KOSSMAT F. (1927) - Gliederung des varistischen Gebiergsbaues. Abhandlungen des Sächsischen geologischen Landesamts, 1, 1-39.

SCHALTEGGER U., SCHNEIDER J-L., MAURIN J-C., CORFU F. (1996) - Precise U-Pb chronometry of 345–340 Ma old magmatism related to synconvergence extension in the Southern Vosges (Central Variscan Belt). Earth Planet Sci Lett 144, 403–419.

SKRZYPEK E. (2011) - Contribution structurale, pétrologique et géochronologique à le tectonique intracontinentale de la chaîne hercynienne d'Europe (Sudètes, Vosges). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, 416p.

TABAUD A.S. (2012) - Le magmatisme des Vosges : Conséquence des subductions paléozoïques (datation, pétrologie, géochimie, ASM). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, EOST, 231 pages

Carte Géologique de la France au 1:1 000 000 (2003) - BRGM Ed.

Carte Géologique de la France au 1:50 000 (1976) - Feuille de Munster, n° 377, BRGM Ed.


Auteurs : Roger CHALOT - Didier ZANY - Philippe MARTIN - Date de création : 14/08/2019 - Dernière modification : 19/09/2020

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