Granite des Crêtes : 3. Description
Le granite porphyroïde
La carrrière est ouverte dans le granite des Crêtes. C'est un granite porphyroïde à biotite et amphibole, de teinte sombre gris bleuté.
Il se compose des minéraux suivants (% selon l'analyse modale) :
• quartz (15 %), interstitiel, discret à l’observation,
• feldspath potassique (40%) en phénoblastes blancs de 1 à 2 cm de longueur, montrant des "front de croissance",
• plagioclase (15%) en cristaux sans forme propre, gris-verdâtre pâle à rouille selon l’état de fraîcheur de l’échantillon,
• biotite (20%) à teneur élevée en magnésium,
• amphibole (10%) en prismes allongés ; actinote magnésienne, dont la composition la rapproche des hornblendes.
Remarque. Les carriers distinguent la "variété bleue" de la "variété noire". La première décrite ci-dessus est présente dans la grande carrière. La seconde se distingue par sa plus grande richesse en ferro-magnésiens, biotite et amphibole, et par la présence de plagioclases saumon. Elle est visible dans les anciennes petites carrières et au col.
Biotite et amphibole donnent à ce granite un caractère magnésien marqué (en moyenne 4,3% selon l'analyse chimique - Gagny 1968). Sa richesse en potassium (6,3%) est également notable. Il est relativement pauvre en quartz ce qui le place parmi les syénites dans le diagramme de Streckeisen. L'appellation "granite" sera cependant conservée comme "nom d'usage" dans cette fiche.
Il était d'ailleurs nommé "syénite des Vosges" par les carriers.
Echantillon de granite des Crêtes. Les phénoblastes d'orthose de 1 à 2 cm se détachent sur un fond sombre.
Les cristaux de feldspath potassique sont souvent orientés. Cet alignement suggère que ces minéraux précédemment cristallisés ont été entrainés par l'écoulement du magma. L'orientation préférentielle des minéraux se produit aussi lorsque le magma encore visqueux est comprimé : les cristaux s'orientent perpendiculairement à l'aplatissement, et la roche présentera alors un débit planaire. Lorsque la cristallisation en masse intervient, la disposition des minéraux est fossilisée.
Cristaux de feldspath potassique orientés (en majorité "horizontalement" sur l'image)
Les enclaves arrondies de roches sombres cristallines (diorite ?) sont assez fréquentes. Il pourrait s'agir de "gouttes" de magma basique qui ont échappé au mélange avec le magma acide.
Enclave de roche cristalline dans le granite porphyroïde (vue sur surface sciée)
Au sommet des fronts de taille, sous le sol, il est possible d'observer une zone d'altération du granite. Cette altération se produit d'abord le long des diaclases préexistantes et conduit à la formation d'arène granitique que l'eau de ruissellement peut entraîner, et de boules de granite résiduelles. Ce processus est développé dans la fiche Carrière de granite de Senones.
Sur le terre-plein noté P sur la carte de localisation, des boules de granite ont été amassées par l'exploitant.
Les filons de microgranite
Le granite est recoupé par des filons de microgranite, roche claire, rose, entièrement cristallisée, à petits cristaux, essentiellement quartzo-felsdpathique, pauvre en minéraux ferromagnésiens. Cette composition est celle d'une aplite. Cette roche correspond à la cristallisation du jus magmatique résiduel appauvri en fer et magnésium par la cristallisation fractionnée du magma initial.
Ces filons de largeur métrique à plurimétrique recoupent le granite verticalement.
Filon d'aplite (largeur 5m) à différentes échelles dans le front de taille nord-est (septembre 2020)
Un filon présente une structure concentrique remarquable. Le front de taille expose une coupe transverale de ce filon, grossièrement elliptique, qui présente une zonation parallèle à son encaissant granitique.
Filon à section ovale (5m) et sa zonation parallèle à l'encaissant (cliquer sur les images pour les agrandir)
Cette structure du filon pourrait traduire le refroidissement progressif centripète du magma, depuis les bords granitiques refroidis, vers le centre où circule le résidu magmatique.
Elle pourrait aussi être due à un mécanisme d'intrusion télescopique ("filons téléscopiques" décrits par Gagny 1982) : il se produit des injections répétées de magma, les cristaux sont repoussés vers le centre qui devient plus visqueux, et le liquide est rejeté en périphérie donnant une roche quasi dépourvue de cristaux. De tels filons ont été décrits dans le granite des Ballons (thèse de F. André 1983).
Mode d'exploitation de la carrière et utilisation des matériaux
La carrière présente plusieurs terrasses où circulent les engins et donnent accès aux fronts de taille.
Pour attaquer le front de taille, des trous de forage interconnectés (horizontaux et verticaux) sont réalisés, puis une scie à cable diamanté est utilisée pour scier trois surfaces (2 surfaces verticales et une surface horizontale). Un bloc est ainsi isolé du front de taille (environ 13m de côté). Il est ensuite fracturé en plusieurs blocs au moyen de petites charges explosives. Les morceaux sont enfin dégagés à l'aide d'une pelle hydraulique et transportés par camion jusqu'à l'atelier de l'entreprise situé à La Bresse.
Le mode d'exploitation est détaillé dans la fiche Carrière de granite de Senones exploitée par la même entreprise.
Quelques aspects de l'exploitation (de gauche à droite et de haut en bas) : bloc à surface lisse découpé à la scie ; foreuse ; terrasses d'exploitation et blocs rassemblés sur le plancher de la carrière ; enlèvement des blocs.
Dans les ateliers de la graniterie Petitjean à La Bresse, les produits de la carrière deviennent bordures de trottoir, dalles et pavés, mobilier urbain et paysager, pierres tombales.
Origine du granite
Le secteur des Vosges qui nous intéresse ici (carte ci dessous) fait partie de la zone "Moldanubienne", définie dès 1927 par Franz Kossmat. Il est caractérisé par la présence d'écailles de croûte continentale intensément métamorphisées et migmatitisées dans lesquelles se sont mis en place des granitoïdes variés, le Granite des Crêtes dans la zone médiane et le Granite des Ballons au sud, ces deux entités étant noyées dans un vaste domaine occupé par le Granite Central Vosgien (anciennement "Granite Fondamental" et les autres granites qui lui sont rattachés, Brézouard, Valtin, Bramont, Lac Vert...).
Le Granite des Crêtes occupe des bandes ou lames de un à quelques kilomètres de largeur qui semblent présenter une pente orientée vers l’ouest. Dans la partie centrale, il paraît injecté dans une zone de dislocation, due à un cisaillement sénestre dont les manifestations ultérieures détermineront la “faille de Sainte-Marie-aux-Mines”.
Le granite des Crêtes au sein des Vosges moyennes (A.-S.Tabaud 2012, d’après Fluck et al., 1991)
Le granite des Crêtes est un granite Mg-K ou granite métalumineux ACG à biotite et hornblende (= "granites" de type I selon la classification de Chappell et White 1974 ou métalumineux selon Barbarin 1999). Sa composition chimique, caractérisée par une richesse à la fois en magnésium et en potassium, indique que ce granite provient d'un mélange de magma acide et basique. Le magma basique a une origine mantellique et le magma acide provient de l’anatexie en profondeur de roches de la croûte continentale profonde (Gagny, 1968).
L’analyse des éléments en trace (Sr, Nd), l’analyse isotopique et l’âge des zircons hérités montrent que la croûte affectée par la fusion partielle comprend des formations allant jusqu'au Protérozoïque. Celles-ci appartiendraient à de la croûte continentale "Saxothuringienne" subductée sous la croûte continentale "Moldanubienne". Quant à la partie basique, elle proviendrait du « manteau lithosphérique enrichi et métasomatisé » (AS Tabaud 2012).
Compte tenu du degré élevé d'homogénéisation, les processus de mélange ont dû se produire dans la croûte inférieure dans des conditions de faciès granulitiques.
Ce même mélange et cette même association se retrouvent en Forêt Noire (Durbach), en Bohême, dans les Massifs Cristallins Externes des Alpes et dans le bloc Corso-Sarde. Il caractérise un épisode magmatique de l'orogenèse varisque daté à 345-335 Ma (Carbonifère Inférieur, début du Viséen) dit « magnésio-potassique Mg-K » résultant de l'hybridation de deux magmas. Le granite des Crêtes est daté à 340 ± 1 Ma.
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Coupe schématique illustrant le développement d'intrusions et d'extrusions magmatiques des Vosges Centrale et méridionale, entre 310 et 290 Ma. (AS. Tabaud 2012, d'après Oncken et al., 2000 et Edel & Schulmann, 2009).
(CVMg-K pour granite Mg-K des Vosges centrales, dont le granite des Crêtes : fusion de croûte d'age protérozoïque ;
SVMg-K pour granites Mg-K des Vosges du sud, dont le granite des Ballons : fusion d'une croute d'âge ordovicien)
Quelques référence bibliographiques :
Kossmat, F. (1927) - Gliederung des varistischen Gebiergsbaues. Abhandlungen des Sächsischen geologischen Landesamts, 1, 1-39.
Gagny, C. (1968). Pétrogenèse du granite des Crêtes, Vosges meridionales, France. Ph.D. thesis, University of Nantes, 515 p
Fluck, P., Piqué, A., Schneider, J. L. & Whitechurch, H. (1991). Le socle vosgien. Sciences Géologiques Bulletin,44, 207-235
Fluck, P. (2007) - Dans géologie du massif vosgien et du fossé rhénan. PNR des Ballons des Vosges.
Skrzypek, E. (2011) - Contribution structurale, pétrologique et géochronologique à la tectonique intracontinentale de la chaîne hercynienne d'Europe (Sudètes, Vosges). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, 416p.
Tabaud, A.S. (2012) - Le magmatisme des Vosges : Conséquence des subductions paléozoïques (datation, pétrologie, géochimie, ASM). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, EOST, 231 pages
Géologie du massif vosgien et du fossé rhénan (2007). PNR des Ballons des Vosges.
Notice de la carte géologique de la France au 1:1 000 000 (2003) - BRGM Ed.
Notice de la carte géologique de la France au 1:50 000 (1976) - Feuille Munster, n° 377, BRGM Ed.
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