Les roches en présence

Entre le col des Croix et le sommet de la Tête Niqueuse, le long de la route D57 affleurent diverses roches magmatiques (syénite, monzonite, syénodiorite, diorite, selon la carte géologique) qu'il n'est pas du tout facile de distinguer sur le terrain, sans possibilité de recours à l'examen de lames minces.

La syénite-monzonite (ou monzo-syénite - fig.2) qui est l'objet de cette fiche affleure largement dans le secteur. Elle est de couleur rose, grenue, riche en feldspath potassique (cristaux roses), plagioclases et pauvre en quartz. Les minéraux ferro-magnésiens (micas, hornblendes) sont relativement abondants et complètent l'inventaire minéralogique de cette roche.

Fig.2 : Diagramme de Streckeisen montrant la position des syénites et monzonites, des roches pauvres en quartz (le nom des roches plutoniques est écrit en lettres droites, celui des équivalents volcaniques est en italiques)

Aux endroits indiqués sur la carte de localisation (fig.1), les roches présentent un aspect bicolore, tout à fait singulier : la syénite-monzonite se présente en filons roses contrastant avec des fragments anguleux noirs de roche sombre (fig.3 et 4). Ces intrusions ont une largeur très variable, centimétriques à pluridécimétriques. D'après la notice de la carte géologique de Giromagny, les roches mélanocrates à texture microgrenue sont formées essentiellement de minéraux colorés, pyroxène, amphibole et biotite, mais contiennent aussi des feldspaths. Ces caractéristiques texturales et minéralogiques rapprocheraient cette roche d'une dolérite.

Lors de sa mise en place, le magma à l'origine de la syénite-monzonite s'est injecté dans la roche préexistante (dolérite) en la fragmentant. La fracturation de l'encaissant doléritique par la syénite-monzonite peut paraître particulièrement évident sur certains affleurements (fig.4) mais l'observation à la loupe révèle des contours diffus au contact entre les deux roches.

Fig.3 : Affleurement montrant les contacts entre la roche mélanocrate (basalte-dolérite) et la syénite-monzonite (site n°2 = chemin du fort de Château-Lambert - voir la fig.1 pour la localisation).

Fig.4 : Bloc montrant l'association entre la roche mélanocrate (basalte-dolérite) et la roche leucocrate rose (syénite-monzonite) sur le flanc nord-est de la Tête Niqueuse (site n°1 - voir la fig.1 pour la localisation). Le contact entre les deux faciès, noir et rose, apparaisent diffus à la loupe.

Origine de cette association originale

Les affleurements de la Tête Niqueuse s'intègrent dans un massif de roches leucocrates à mésocrates variées du sud vosgien et qui comprend, outre les syénites-monzonites décrites, des diorites, syénodiorites et gabbros. Cet ensemble constitue un des éléments appartenant à la complexe série magmatique hercynienne, mise en place durant le Viséen Inférieur (Carbonifère), au sein du bloc continental moldanubien auquel appartiennent les Vosges du Sud. Ces syénodiorites sont en effet contemporaines (datation U-Pb à 342 Ma ± 1 Ma) de l'intrusion du monzogranite porphyroïde à amphibole, appelé plus couramment " Granite des Ballons". Ce granite a été daté par la méthode U-Pb à  340 ± 4 Ma (1)(2). Les syénodiorites constituent un de ses faciès de bordure que l'on retrouve au nord et au sud des Ballons de Servance et d'Alsace (fig.5).

Fig.5: Carte géologique simplifiée des Ballons de Servance et d'Alsace montrant la diversité des intrusions plutoniques en bordure du massif du Granite des Ballons

Des faciès basiques mélanocrates, intermédiaires et plus différenciés, à textures variées, intimement mêlés, sont couramment décrits dans les explications de la mise en place des plutons hercyniens (3) et plus particulièrement ici dans le contexte de magmatisme Mg-K des Vosges du Sud (2). La géochimie singulière de ce magmatisme révèle à la fois des affinités mantelliques (richesse en Mg) et crustales (richesse en K) résultant d'un mélange de magmas, générés par fusion partielle de matériaux de la croûte inférieure (magma acide) et du manteau lithosphérique (magma basique) formant la base profonde du socle continental hercynien (i.e. moldanubien) des Vosges du Sud (2). La mise en place des intrusions plutoniques de bordure et celle du Granite des Ballons semble s'être opérée en deux temps, lors d'une phase de plissements régionale de l'orogenèse varisque (2). La diversité pétrographique des faciès de bordure du massif granitique des Ballons serait à mettre en relation avec l'évolution d'une première lignée magmatique (shoshonitique ou tholéïtique selon le degré de contamination du magma mantellique): les roches basiques, comme les dolérites, correspondraient aux termes peu différenciés et les syénites-monzonites, aux temes les plus différenciés. Dans un deuxième temps, la genèse d'une nouvelle génération de magmas hybrides Mg-K serait à l'origine du monzogranite des Ballons, intrusif dans les encaissants plutoniques précédents.

La situation du gisement à sulfures de Château-Lambert - Le Thillot exploité exploité à Château-Lambert (70) et aux Hautes-Mynes sur le territoire du Thillot (88) qui a fait la richesse et la réputation de la région, ainsi que la zonation des minéralisations dans tout le Massif des Ballons, sont liées à la mise en place des différentes intrusions associées à celle du Granite des Ballons (voir fiches Château-Lambert et Le Thillot 1).

Bibliographie :

(1) Schaltegger U., Schneider J.-L., Maurin J.-C. et Corfu F. (1996) - Precise U-Pb chronometry of 345-340 Ma old magmatism related to syn-convergence extension in the Southern Vosges (Central Variscan Belt). Earth and Planetary Sciences Letters, 144, pp. 403-419.

(2) Tabaud A.-S. (2012) - Le magmatisme des Vosges : Conséquence des subductions paléozoïques (datation, pétrologie, géochimie, ASM). Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg, EOST, 231 pages.

(3) Gasquet D. (1991) Genèse d'un pluton composite tardi-hercynien. Le Massif du Tichka, Haut Atlas oocidental Maroc, Thèse de Doctorat, Université de Nancy I, 440 pages.