SVT Lorraine > Géologie Lorraine > La Borne de fer >

La Borne de fer : 3. Description

La forêt qui couvre la colline entre Aumetz et Ottange cache une relique de l'histoire tropicale de la Lorraine sous la forme d'un fragment de cuirasse latéritique en place sur la saprolite (épaisse couche formée de minéraux argileux néoformés lors de l'épisode d'altération) qui lui est associée et les Marnes de Longwy dont elle est issue (roche mère originelle).

1. Description des affleurements

Les affleurements de la Borne de fer se situent au sommet de la butte éponyme. Abandonnées depuis le la fin du XIXe siècle dans la région, les excavations qui permettaient autrefois d'extraire le fer fort des lieux sont aujourd'hui largement recouvertes par la végétation forestière. Ces excavations forment des "ruelles" ou des dépressions encore bien visibles (fig.3) qui hachent ou entaillent la butte, de manière discontinue, sur une superficie de 125 ha et sur une cinquantaine de mètres d'épaisseur au total, entre sa base et son sommet.

Fig.3 : Ancienne ruelle d'excavation entaillant le sommet de la butte de la Borne de fer

Actuellement, il ne subsiste ça-et-là que quelques pointements sporadiques du minerai de fer et de son encaissant : au sommet, de rares fragments d'une cuirasse ferrugineuse en place peuvent être observés en bordure des excavations dans un périmètre autour de la borne IGN (fig.1 et 3) mais, le plus souvent, le gisement se résume à des blocs de fer fort de dimensions variables ou de restes de bancs gréseux ferrugineux épars dans une matrice argileuse ocre (fig.5 à 7). La succession lithologique fer fort-grès ferrugineux qui correspond à la cuirasse, partie sommitale d'un ancien profil d'altération, constitue une ferricrète que l'on observe dans les latérites et sols tropicaux actuels (voir §. 2).

Fig.4 : Coupe stratigraphique de la ferricrète réalisée au sommet de la Borne de fer (in Fizaine, 2012)

Le niveau d'argiles rouges, décrit dans la littérature (fig.9), qui surmonte la cuirasse ferrugineuse n'a pas été observé.

Fig.5 : Cuirasse ferrugineuse en place

Fig.6 : Bloc de minerai de fer fort (B) et aspect de sa gangue gréseuse grossie (A)

Fig.7 : La saprolite, une épaisse couche argileuse issue de l'altération ;
à droite, blocs et graviers de minerai de fer issus de la cuirasse

L’observation au microscope et l'analyse minéralogique du faciès grèseux ferrugineux de la ferricrète (fig.8) montre une majorité de grains de quartz détritiques (taille de 50 µm à 500 µm) qui forment jusqu’à 65% de la composition de la roche (Fizaine, 2009). Le liant noir (env. 20% de la roche) qui cimente les grains est essentiellement composé de goethite, un hydroxyde de fer de formule chimique FeO(OH). Celle-ci peut également se trouver sous forme de pisolithes (phase de dégradation du minerai - Fizaine et al., 2016), grains à cortex de grande taille. Une fraction argileuse complète la composition de la ferricrète.

La composition du minerai de "fer fort" extrait de la cuirasse (faciès massif - fig.4) ou sous forme de pisolithes révèle des teneurs en fer (Fe2O3) toujours supérieures à 50% (certains échantillons peuvent même dépasser les 80%). La silice (SiO2) est présente en quantité très variable (jusqu'à 50% si le quartz est abondant). Un faible pourcentage (3%) d'alumine (Al2O3) traduit une "bauxitisation" légère du minerai (Fizaine et al., 2016). D'autres éléments (P, Mg, Na, K, Ca...) sont en quantité négligeable.

La saprolite sous-jacente à la ferricrète possède une composition similaire mais avec des proportions différentes puisque ce sont maintenant les argiles (env. 50% de la masse totale) qui constituent les minéraux les plus abondants (Théveniaut et al., 2007). La famille des minéraux argileux est représentée  pour 95 à 100% au sommet, juste sous la cuirasse, par une argile de type TO, la kaolinite caractéristique d'une altération et d'un lessivage forts (stade monosiallitisation - il ne reste plus qu'un Si pour un Al). L'abondance en kaolinite décroît lorsqu'on descend dans le niveau de saprolite ; celle-ci est progressivement remplacée par des argiles plus riches en cations, donc caractéristiques d'une altération et d'un lessivage moins poussés, argiles de type TOT appartenant au couple illite/smectite (stade bisiallitisation - il reste deux Si pour un Al). Nous sommes donc en présence d'un profil d'altération classique, l'altération et le lessivage décroissant logiquement avec la profondeur.

Il n’y a généralement aucun fossile présent dans les roches de ce profil d'altération : quelques rares verticilles d'algues calcaires (genre Clypeina), encrines ou radioles d'échinides et empreintes de coquilles de lamellibranches remaniés sont toutefois mentionnés dans le faciès gréseux ferrugineux par les auteurs (Fizaine, 2012).

Fig.8 : À gauche, lame mince du grès ferrugineux de la Borne de fer (en blanc, les grains de quartz, en noir le liant formé de gœtithe - trait d'échelle = 0,5 mm - cliché © Théveniaut et al., 2007); à droite, composition minéralogique de l'ensemble ferricrète-saprolite prélevé à différents endroits (d'ap. Théveniaut et al., 2007)

L'ensemble ferricrète-saprolite de la Borne de fer repose sur les Calcaires du Bajocien qui forment l'assise du plateau de la Côte de Moselle culminant à 400 mètres d'altitude dans la région. Le contact entre les deux formations est observable dans la carrière d'Ottange, située à quelques hectomètres à vol d'oiseau (fig.2) : la saprolite comble des fissures ou cavités creusées dans la roche calcaire (fig.9). Ces structures qui affectent les calcaires du Jurassique moyen sont interprétées comme résultant d'une altération continentale (= karstification) ancienne (Quesnel et al., 2006).

Fig.9 : Série stratigraphique (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM) et coupe géologique schématique montrant le contact
entre ferricrète de la Borne de fer et Calcaires du Bajocien
(F : faille)

2. Interprétation et datation du profil d'altération

La chaleur et l’abondance des précipitations en climat tropical accélèrent les réactions chimiques d’altération des roches: de grandes quantités de matériaux d’altération argileux sont produites et s'accumulent sur une épaisseur considérable au-dessus de la roche saine (fig.10). Le niveau sommital est constitué d’oxydes ou hydroxydes de fer ou goethite Fe(OH)3 et d’aluminium ou gibbsite Al(OH)3 parfois. Il porte le nom de latérite ou de ferricrète (voir carte de répartition des sols latéritiques en annexe). C'est un profil d'altération comparable que l'on rencontre à la Borne de fer où l'horizon argileux, la saprolite, peut par endroits atteindre 50 mètres d'épaisseur.

Fig.10 : Coupe schématique d'un profil d'altération latéritique (d'ap. u-picardie.fr)

Le fer qui constitue la cuirasse à la Borne de fer et les différents gisements de fer fort allochtones de Lorraine (voir les fiches Minières de St Pancé et Reffroy) est donc issu de l'altération météorique sous climat tropical du substratum jurassique sur lequel reposent ces formations. La Borne de fer demeure cependant un des rares lieux où la cuirasse et son profil d'altération soient encore en place.

L’origine des éléments qui constituent les nodules de fer fort est à rechercher parmi les roches carbonatées du Bajocien : la roche mère semble être une formation marneuse (= mélange de calcaire et d’argile) et sableuse à éléments pyriteux, les Marnes de Longwy, qui surmontent les calcaires du Bajocien inférieur de la Côte de Moselle (fig.11). Les quartz du fer fort proviendraient des grains de sable détritiques, le fer aurait pour origine la pyrite, un sulfure de fer (FeS2) et/ou les argiles qui sont des minéraux pouvant aussi contenir du fer.

 

Fig.11 : Place des Marnes de Longwy dans la colonne stratigraphique lorraine

L'altération qui a conduit à la formation de la cuirasse s'est déroulée en milieu continental. On sait que la région Lorraine a connu plusieurs épisodes de continentalisation, au Crétacé inférieur puis à partir du début du Tertiaire, qui ont succédé aux périodes de sédimentation marine qui ont prévalu durant le Trias et le Jurassique. Des analyses de paléomagnétisme effectuées par une équipe du BRGM (Théveniaut et al., 2007) ont permis de dater la formation de la ferricrète de la Borne de fer. La cuirasse de la Borne de fer étant en place, de telles analyses  ont été réalisées dans les gœthites - hydroxydes de fer ayant enregistré le champ magnétique rémanent - de la ferricrère prélevée par forage in situ. Les résultats ont permis de déterminer l'emplacement du pôle nord apparent, autour d'une latitude comprise entre 73 et 78°N et une longitude autour de 205°E, soit un point situé dans la mer de Beaufort (océan Arctique) à environ 400 km de la côte nord de l’Alaska. Le pôle nord géographique actuel se situe à environ 1700 km de ce point. Ce décalage entre la position du pôle enregistrée au moment de la formation des gœthites du fer fort et celle du pôle nord actuel s'explique en partie par le mouvement des plaques tectoniques au cours du temps. Pour un continent donné, l'emplacement du pôle semble se déplacer le long d'une trajectoire qui le rapproche de la position polaire actuelle au fur et à mesure du temps. L'interprétation de cette dérive polaire apparente, due au mouvement de la plaque européenne ici (fig.12), indique une localisation de la Lorraine plus au sud, au niveau d'une latitude correspondant actuellement à celle du Maroc, au moment de la formation de la cuirasse de la Borne de fer. Cette situation correspond à celle qu'occupait la région au Barrémien (Crétacé inférieur), entre -140 et -120 M.a. (fig.12).

Fig.12 : Emplacements du pôle nord apparent (étoiles) déduits des mesures paléomagnétiques (LTC et HTC) réalisées sur la ferricrète de la Borne de fer - leurs positions sont comparées avec la trajectoire de la dérive polaire apparente pour le continent européen lors des 200 derniers millions d'années ; les positions les plus proches sont celles correspondant à -140 M.a. et -120 M.a. (d'après Théveniaut et al., 2007)

Fig.13 : Place de la cuirasse de La Borne De Fer dans la colonne stratigraphique

Cette datation concorde avec celle du premier basculement des couches sédimentaires mésozoïques vers le centre du Bassin de Paris, marqué par la discordance des terrains du Crétacé inférieur sur ceux du Jurasssique supérieur (fig.14). Ces mouvements tectoniques résultent de l'ouverture du Golfe de Gascogne et sont à l'origine de l'exondation des terrains anté-crétacés sur les pourtours du Bassin de Paris. La couverture jurassique est ainsi soumise à l'altération et à l'érosion sous un climat correspondant à celui de la zone intertropicale actuelle.

Fig.14 : Extrait de la carte géologique de Bar-le-Duc (1/50.000) et coupe géologique schématique montrant la discordance angulaire (trait jaune) des terrains du Crétacé inférieur  (en vert) sur le Jurassique supérieur (en bleu)

L'altération conduit à la genèse de sols ferralitiques que l'on rencontre à différents endroits dans le Bassin Parisien (Lorraine, Basse-Normandie, Nivernais, Haute-Marne...) ou en Belgique et au Luxembourg, à la même époque (les bauxites de Provence datent aussi de cette période). Le centre du bassin forme alors une sorte de gouttière d'orientation nord-ouest - sud-est communiquant par intermittence avec l'océan Téthys méridional. Dans ce contexte paléogéographique, la Lorraine et la Borne de fer occupent une position surélevée (élévation d'une amplitude de +700 m) sur le versant oriental de cette dépression (fig.14 - Quesnel et al., 2006; Thiry et al., 2005). La surface définie par la cuirasse ferralitique coïncide avec une paléosurface d'érosion infra-crétacée installée au sommet des calcaires bajociens de la Côte de Moselle. Par la suite, cette surface et la ferricrête ont vraisemblablement été scellées et préservées par une couverture sédimentaire, mise en place au Crétacé supérieur, aujourd'hui érodée.

Fig.15 : Situation paléogéographique du Bassin de Paris
au Barrémien - Crétacé inférieur (coupes d'après Quesnel
et al., 2006)

 

3. Histoire de l'exploitation du fer fort dans le nord de la Lorraine

Le fer fort a vraisemblablement été exploité depuis l’Antiquité en Lorraine.

En Meuse, par exemple, près de Naix-aux-Forges (cf. fiche Reffroy), sur le site de l’ancien oppidum de Boviolles occupé par les Leuques dès la fin de l'âge du fer (Ier et IIe siècles av. J.-C.), on retrouve les traces d’une industrie métallurgique gauloise attestée par la présence de déchets et d'objets en fer en cours de fabrication retrouvés sur place.

Dans le nord de la Lorraine, un des gîtes d’extraction les plus connus est celui de Saint-Pancré (cf. fiche éponyme), entre Longwy et Longuyon, dont une description détaillée a été faite par le baron de Dietrich en 1785 (Fizaine, 2009) : « De toutes les mines dont j’ai eu à parler dans cette partie de Lorraine, il n’y en a point qui puissent être comparées ni pour l’abondance, ni pour l’excellence de leur qualité, à celle de Saint-Pancreix. » Les mineurs de l’époque parlent alors de « truffes » en raison de la forme en grains des nodules (pisolithes) de fer qu’ils extraient du sous-sol.

Le gîte de la Borne de fer est lui aussi l'objet d'une activité minière importante : 11 000 tonnes de minerai sont annuellement extraits sur le site. L'évaluation approximative du gisement est estimée à près de 2 500 000 tonnes par l'ingénieur Jacquot, en 1849. Lorsque s'arrête l'exploitation en 1882, 2 millions de tonnes de minerai demeurent encore en place dans le sous-sol de la butte (Fizaine, 2012).

L’activité minière autour du fer avait véritablement débuté dans l’Est de la France à partir du XVIIe siècle lorsque les exploitations du Berry et de Bourgogne commençaient à décliner. À la fin du XVIIIe, les mines de fer fort de l’Est (Lorraine et Franche-Comté) assurent 70% de la production de fer française.

Les minerais de fer fort de la région étaient non seulement d’une teneur importante (60% de fer contre 38% en moyenne pour la minette - cf. fiche "Saint-Pancré"), sans phosphore mais ils étaient aussi faciles d’extraction : les gisements sont proches de la surface ou peu profonds et directement accessibles. L’exploitation était donc parfaitement rentable. Des blocs de plusieurs mètres cubes sont parfois découverts : pour pouvoir débiter et transporter une telle masse, on allume autour des bûchers pour la chauffer avant de la refroidir brutalement avec de l’eau. Le choc thermique subi génère ainsi une fragmentation du bloc.

À la Borne de fer un système de pompage permet d'alimenter un lavoir de 100 m3 (dont il demeure encore des vestiges) installé au sommet de la butte (Fizaine, 2012). L'eau est acheminée depuis le Fond de Kahler, là où passe aujourd'hui la route départementale D15 menant à Ottange (fig.2).

L’essor de l’industrie du fer fort perdure dans l’est de la France et en Lorraine durant toute la première moitié du XIXe siècle. L'abandon des gîtes de fer fort coïncide avec l'invention du procédé Thomas qui autorise l'exploitation d'un autre minerai de fer de la région, jusque là inexploitable, en raison de la présence de phosphore, la minette aalénienne, plus pauvre mais beaucoup plus abondante en termes de volumes.

La fermeture des minières de la Borne de fer est effective en 1882, année de l'ouverture de la première acièrie Thomas de la région, à Hayange, par le maître de forges Wendel.

----------------------------------------

Bibliographie :

FIZAINE J.-P. (2009) - Paléokarsts et ferricrètes: l'exemple du Pays Haut (Nord Meurthe-et-Moselle) - SpeleoL, n°17, pp. 59-68.

FIZAINE J.-P. (2012) - Les paléokarsts et les formations ferrugineuses associées dans le Bassin parisien et ses bordures: caractérisations et évolutions géomorphologiques. Thèse Doctorat - Univ. Lorraine - Fac. Lettres Sci. Humaines Nancy 2 - Dépt. Géographie - CERPA, 2 volumes, 761 pages.

FIZAINE J.-P., HARMAND D. et OLLIVE V. (2016) - Le minerai de Fer fort des plateaux du Bajocien des régions frontalières du Pays Haut France), de la Gaume (Belgique) et du Gutland (Grand-Duché de Luxembourg). Anthropologica et Præhistorica, 126/2015, pp.121-135.

QUESNEL F. (2003) – Paleoweathering and paleosurfaces from northern and eastern France to Belgium and Luxembourg: geometry, dating and geodynamics implications. Special Conference on paleoweathering and paleosurfaces in the Ardenne-Eifel region at Preizerdaul (Luxembourg) on 14 to 17 may 2003. Géologie de la France, 1, pp. 95-104.

QUESNEL F., YANS J., DUPUIS C., WYNS R., THEVENIAUT H. et DEMOULIN A. (2006) - Paléoalterations mésozoïques et cénozoïques en Ardenne et ses bordures : caractérisation, datation et reconstitution géométrique des paléosurfaces associées et analyse de leurs déformations successives. Géologie de la France, n°1 et 2.

THEVENIAUT H., QUESNEL F., WYNS G. et HUGUES G. (2007) - Palaeomagnetic dating of the “Borne de Fer” ferricrete (NE France) : Lower Cretaceous continental weathering. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology 253, pp. 271-279. (2007) 271–279.

THIRY M., QUESNEL F., Yans J., WYNS R., VERGARI A., THEVENIAUT H., SIMON-COINCON R., RICORDEL C., MOREAU M.-G., GIOT D., DUPUIS C., BRUXELLES L., BARBARAND J. et BAELE J.-M. (2006) - Continental France and Belgium during the Early Cretaceous : paleoweatherings and paleolandforms. Bull. Soc. géol Fr., 177/3 , pp. 155-175.


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 01/11/2014 - Dernière modification : 13/09/2023

Suite Retourner à l'accueil Géologie de la Lorraine Suite Suite de la fiche Audun-le-Tiche/Aumetz (57) : 4. Activités réalisables

Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)