Calcaire à ptérocères : 3. Description
La RD 966 à la sortie de Gondrecourt-le-Château en allant vers Neufchâteau, offre une belle coupe dans la série carbonatée de la fin de l'Oxfordien et de la base du Kimméridgien (fig.2).
La route qui s'élève recoupe la puissante assise des Calcaires à astartes (voir également les fiches Broussey-en-Blois, Ménil-La-Horgne et Mauvages), responsable de l'escarpement sur lequel est construite la ville haute (fig.3). L'Ornain coule au pied de la masse calcaire. Le plateau est constitué des Calcaires rocailleux blancs à ptérocères du Kimméridgien inférieur.
Fig.2 : Position des formations étudiées dans la série stratigraphique (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM).
Fig.3 : Affleurement des Calcaires à astartes de l'Oxfordien le long de la RD 966 à la sortie de Gondrecourt le Château en direction de Neufchâteau.
La formation des Calcaires à astartes est une série homogène de bancs décimétriques de calcaire micritique beiges clairs à patine noire (fig.4). L'épaisseur totale de cette formation est habituellement d'une quinzaine de mètres. Elle surmonte la formation (non affleurante ici) des Calcaires crayeux de Gudmont, caractérisée par un faciès plus grossier (texture wackestone à grainstone) et une relative abondance en fossiles. Contrairement à ce que pourrait laisser penser leur nom (les astartes sont de petits lamellibranches épibiontes), les Calcaires à astartes sont très pauvres en fossiles. Lorsqu'ils sont présents, les fossiles se concentrent à la base de la formation (bivalves, gastéropodes, foraminifères et échinodermes). Ailleurs, les traces de vie sont le plus souvent attestées par la présence de serpules et de bioturbation sous la forme de terriers de taille et d'orientation variables (fig.5). Le sommet d'un banc calcaire sur le site de la DDT a toutefois livré une accumulation de moules internes de coquilles d'astartes et de brachiopodes, tous de petite taille (diamètre inférieur à 1 cm).
Fig.4 : Affleurement des Calcaires à astartes de l'Oxfordien dans la carrière occupée par une antenne de la DDT de la Meuse à la sortie de Gondrecourt le Château en direction de Neufchâteau ; en encadré : moules internes de coquilles d'astartes
Des observations rapportées par le BRGM sur le site de la DDT (= local CG55 - fig.4) font état de la présence, dans le Calcaire à astartes, de deux familles de fractures conjuguées, accompagnées de stries et pics stylolithiques, probablement liées à la présence du fossé tectonique de Gondrecourt.
Fig.5 : Terriers dans les Calcaires à astartes
Fig.6 : Les Calcaires rocailleux à ptérocères du Kimméridgien inférieur (au-dessus du trait jaune) recouvrent les Calcaires à astartes de l'Oxfordien à la sortie de Gondrecourt le Château sur la RD966 en direction de Neufchâteau.
À la sortie de Gondrecourt, en direction de Domrémy-la-Pucelle, du fait de l'action conjointe de la végétation et de l'altération de la roche, les affleurements de Calcaires à astartes s'estompent progressivement le long des talus bordant la chaussée (fig.6). Le sommet de la formation est normalement marqué par l'occurrence de niveaux ferrugineux et glauconieux qu'il n'a pas été possible d'observer et d'identifier à coup sûr sur ce site en raison de la médiocre qualité des affleurements.
La transition avec la formation sus-jacente des Calcaires rocailleux à ptérocères est cependant bien perceptible grâce au changement net de faciès (fig.6). Les bancs réguliers des Calcaires à astartes laissent en effet place à des niveaux d'aspect noduleux (fig.7). Cette limite lithologique coïncide également avec le passage de l'Oxfordien (Calcaires à astartes) au Kimméridgien (Calcaires rocailleux à ptérocères).
Fig.7 : Affleurement des Calcaires rocailleux à ptérocères du Kimméridgien inférieur (talus de la RD 966 sortie de Gondrecourt en allant vers Neufchâteau).
Les Calcaires rocailleux à ptérocères tirent leur nom du gastéropode éponyme dorénavant appelé Apporhais ou Harpagodes proche parent du "Pied-de-pélican" actuel (fig.8B). Les "ptérocères" peuvent être assez facilement récoltés en champ, dans les terrains surmontant les talus de la route. Les Calcaires à ptérocères sont majoritairement constitués de calcaires micritiques beiges de texture mudstone. Des brachiopodes (genres Zeilleria et Terebratula), des bivalves (genres Trichites, Ceratomyopsis, Pholadomya et ostréidés avec Nanogyra virgula) et d'assez rares ammonites (genre Rasenia notamment mais non récolté ici) et nautiles complètent l'inventaire de la faune plutôt abondante dans cette formation (fig.8).
Fig.8 : Fossiles des Calcaires rocailleux à ptérocères (Kimméridgien inférieur)
A : Ceratomyopsis striata ; B : Harpagodes oceani ; C : Globularia hemisphaerica ; D-E : Terebratula cf. suprajurensis ; F : Zeilleria cf. humeralis - sur chaque cliché, la barre d'échelle mesure 1 cm.
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L'interprétation des faciès de dépôts des formations des Calcaires à astartes et des Calcaires rocailleux à Ptérocères a fait l'objet de travaux récents par A. Lefort (2012) pour les sites de Gudmont-Villiers (52) et des carrières meusiennes Chardot et Eurovia localisées respectivement à Ménil-la-Horgne et Void-Vacon.
Partout dans la région de l'ouest de la Lorraine, les Calcaires à astartes présentent le même faciès carbonaté micritique, pauvre en fossiles. Quelques niveaux granoclassés et/ou lumachelliques, assimilés à des tempestites, sont signalés par Lathuillière et al. (2003) à Gudmont-Villiers ainsi qu'à Void et Ménil-la-Horgne par A. Lefort. Les conditions de dépôt de cette formation tardi-oxfordienne sont vraisemblablement à mettre en relation avec une très faible profondeur couplée à une agitation très modérée et une pauvre oxygénation des eaux. L'environnement sédimentaire correspondrait à un lagon très peu profond et très abrité (en arrière d'une barrière oolithique), installé sur une plate-forme ennoyée. L'arrivée épisodique de dépôts de tempêtes troublerait, par moments, la relative quiétude des lieux.
Le niveau glauconieux au sommet des Calcaires à astartes ainsi que l'apparition d'une faune plus diversifiée et caractéristique de la zone circalittorale (genre Apporhais) traduit un approfondissement du milieu et une connection plus marquée avec le large (présence de faune pélagique avec nautiles et ammonites) lors de la mise en place des Calcaires rocailleux à ptérocères au Kimméridgien inférieur. L'occurrence de formes fouisseuses endobiontes telles que Pholadomya ou Trichites indiquent un substrat plutôt mou. L'environnement correspondant, proposé par A. Lefort, est celui d'une plate-forme peu profonde de la zone subtidale soumise aux tempêtes (= offshore supérieur - cf. annexes scientifiques).
D'autre part, des analyses portant sur le rapport des isotopes de l'oxygène (A. Lefort, 2012) montrent une augmentation du delta 18O des coquilles de bivalves, au passage Oxfordien (-3‰) - Kimméridgien (-1‰). Cette variation peut être assimilée à une diminution d'environ 4°C de la température moyenne de l'eau de mer passant de 22°C à l'Oxfordien à 18°C au Kimméridgien. Ce refroidissement des eaux marines est également noté ailleurs en Europe de l'Ouest pour les formations de la plate-forme jurassienne du sud de l'Allemagne (Bartolini et al., 2003).
Fig.9 : Paléogéographie et paléocourants océaniques au Kimméridgien inférieur en Europe occidentale (d'après Cecca et Westermann, 2003 et Lefort, 2012)
L'origine de cette baisse des températures est peut-être à corréler avec un changement du régime des vents et des courants entre la zone subboréale au nord du Bassin Parisien et la zone théthysienne au sud. Des modélisations réalisées par Selwood et Valdes (2008) indiquent une direction des vents dominants O-E voire SO-NE à la latitude du Bassin parisien au Jurassique supérieur. Comme l'écrit A. Lefort (2012), "au cours de cette période (i.e. au Jurassique sup.), des courants chauds provenant de la zone téthysienne remontent vers le nord via les nombreux couloirs marins existant au sein de l’archipel ouest-européen. Les eaux de la province subboréale au nord du Bassin de Paris sont plus fraîches que celles de la Téthys. Au passage Oxfordien-Kimméridgien, un changement dans le régime des vents, la mise en place d’une barrière paléogéographique au sud du Bassin parisien ou l’ouverture d’un couloir au nord, pourraient amoindrir la remontée des eaux téthysiennes (fig.9). Des courants boréaux viendraient alors refroidir les eaux du haut-fond ouest-européen. Des changements dans le sens et l’intensité des courants boréaux et téthysiens ont déjà été suggérés par Carpentier et al. (2006)."
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En Meuse, les Calcaires à astartes et les Calcaires rocailleux à ptérocères constituent des ressources minérales actuellement exploitées en carrières:
- Société Eurovia à Void-Vacon (150 000 t/an) pour les Calcaires à ptérocères;
- Société Chardot à Ménil-la-Horgne (350 000 m3) et Société M.E.A.C. S.A. à Maxey-sur-Vaize (20 000 t/an) pour les Calcaires à astartes.
source : DDE 55 (2001)
Dans leurs zones d'affleurement, en raison de leur bonne résistance au gel, les Calcaires rocailleux à ptérocères ont autrefois fourni des moellons pour la construction. L'utilisation actuelle de ces calcaires consiste principalement au renforcement des chemins ruraux ou la confection de plate-formes artisanales et agricoles.
Les Calcaires à astartes servent pour le renforcement de chaussées routières existantes ou pour la réalisation d'assises de chaussées neuves supportant des trafics lourds, telle que la RN4.
Compte-tenu de leurs caractéristiques géotechniques, il est envisageable, à moyen terme, d'exploiter les Calcaires à ptérocères et les Calcaires à astartes pour la production de granulats béton pour les activités du bâtiment. De par leur qualité, les Calcaires à astartes constituent d'ailleurs un bon matériau de substitution aux alluvions de Meuse dont la ressource se raréfie.
Bibliographie
BARTOLINI A., PITTET B., MATTIOLI E. et HUNZIKER J.C. (2003) - Shallow-platform palaeoenvironmental conditions recorded in deep-shelf sediments: C and O stable isotopes in upper Jurassic sections of southern Germany (Oxfordian-Kimmeridgian). Sedimentary Geology, 160, pp. 107-130.
CARPENTIER C., MARTIN-GARIN B., LATHUILIÈRE B. et FERRY S. (2006) - Correlation of reefal Oxfordian episodes and climatic implications in the eastern Paris Basin (France). Terra Nova, 18, pp. 191- 201.
CECCA F. et WESTERMANN G.E.G. (2003) - Towards a guide to palaeobiogeographic classification. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 201, pp. 179-181.
D.D.E. de la Meuse (2001) - Schéma départemental des carrières de la Meuse - Rapport complet. Préfecture de la Meuse, 68 p.
LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Livret guide excursion Groupe français d’études du Jurassique, Nancy, 142 p.
LEFORT A. (2012) - La limite Oxfordien-Kimméridgien: stratigraphie et paléoenvironnements dans les domaines téthysien (est et sud du Bassin de Paris, France) et boréal (Ile de Skye, Ecosse). Thèse de doctorat - Université Henri Poincaré, Nancy, 306 p.
SELLWOOD B.W. et VALDES P.J. (2008) - Jurassic climates. Proceedings of the Geologists' Association, 119, pp. 5-17.
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 14/03/2013 - Dernière modification : 21/08/2022