Marnes irisées du Keuper : 3. Description
La tranchée ouverte par la RN57 dans la côte de Charmes permet l'observation d'une coupe stratigraphique complète (fig.2 et 3) et pratiquement continue au sein de la partie sommitale du Keuper moyen. Les Marnes irisées qui caractérisent ce sous-étage, sont inaccessibles à l'affleurement mais en partie observables à distance derrière les grillages de protection qui empêchent l'accès de la voie express au gibier et lorsque les empierrements destinés à la stabilisation des talus ne les masquent pas.
Fig.2 : Place de la coupe dans la série stratigraphique lorraine (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM).
Les faciès du Keuper Supérieur (Argiles de Levallois et Grès rhétiens) sont quant à eux totalement masqués par ces empierrements rocheux en dolomie qui stabilisent la partie sommitale des flancs pentus de la tranchée.
Les Calcaires à gryphées du Jurassique inférieur affleurent sur le plateau au sommet de la côte dans les terrains labourés (fig.3).
Fig.3 : Affleurements des formations observées
Le Keuper est principalement représenté par les Marnes irisées qui englobent un ensemble de 3 formations géologiques dstinctes (elles-mêmes constituées de différents termes) : les "Marnes irisées inférieures", les "Marnes irisées moyennes" et les "Marnes irisées supérieures". Ces formations résultent d'une sédimentation côtière, en milieu confiné, effectuée sous climat aride.
Les Marnes irisées inférieures affleurent au sud du secteur étudié (fig.1 et 3). Dans l'est du Bassin de Paris, cette formation correspond aux dépôts évaporitiques de sabkha à l'origine des formations de sel, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres d'épaisseur et actuellement exploitées en Lorraine à Varangéville. Les couches salifères n'affleurent pas le long de la nationale 57 et on ne rencontre qu'un faciès argileux verdâtre sur quelques mètres d'épaisseur se rattachant aux "Marnes à esthéries" (du nom d'un petit crustacé branchiopode) et formant le sommet des Marnes irisées inférieures (fig.4).
Fig.4 : Affleurement et faciès des Marnes irisées inférieures (clichés © BRGM)
Les Marnes irisées moyennes (fig.5) apparaissent environ 400 m plus loin en remontant vers le nord (fig.3). À la base de l'affleurement, le faciès demeure majoritairement argileux ou marneux (marnes couleur lie-de-vin et verdâtres) puis devient gréseux sur 3 mètres d'épaisseur environ avant que ne réapparaisse un ensemble de marnes comparables aux précédentes. Il s'agit de dépôts côtiers argileux alternant avec des afflux gréseux de plaine alluviale caractérisant la formation du Grès à roseaux - en l'occurence des prêles, plutôt que des roseaux, à l'époque - (1).
Fig.5 : Marnes irisées moyennes - sommet des Grès à roseaux
et Dolomie de Beaumont avec lithologie correspondante à gauche
Le sommet du talus et de l'affleurement est marqué par un niveau carbonaté dolomitique, d'origine mixte, marine et/ou lacustre (bassin littoral confiné) : il s'agit de la Dolomie de Beaumont. Cette formation de roche dure au sein d'un ensemble argileux forme un ressaut topographique bien repérable dans le paysage local (fig.6).
On peut également recueillir des échantillons de cette dolomie, sous forme de pierres volantes, dans les champs labourés qui jouxtent la nationale sur son côté est. On reconnaît la Dolomie de Beaumont aux vacuoles qui parsèment la roche (fig.5). Celles-ci sont le résultat de la dissolution de cristaux d'anhydrite que contenait la roche à l'origine.
Fig.6 : Le ressaut topographique de la Dolomie de Beaumont au nord de Charmes (image satellite © Geoportail)
Les Marnes irisées supérieures forment l'affleurement le plus conséquent de la série. Avant qu'il ne soit masqué par les blocs d'empierrement, on peut en effet le suivre, de loin depuis le versant opposé, sur plus d'une centaine de mètres en longueur et sur une épaisseur totale cumulée de 10 m environ. Les faciès sont à dominante argileuse et se distinguent les uns des autres par des teintes contrastées. La base du talus forme un ensemble de couleur rouge brique correspondant aux dépôts anhydritiques de sabkha de la formation des Argiles de Chanville. Au-dessus les niveaux verdâtres appartiennent aux Argiles bariolées dolomitiques (sommet des Marnes irisées supérieures). Un niveau rouge est présent à la base de cette formation : il s'agit d'un banc de grès grossier (arénite) dont la couleur témoigne d'un dépôt continental en milieu oxydant. Les Argiles bariolées dolomitiques sont quant à elles, interprétées (1) comme des dépôts d'épandage alluvionnaire dans un bassin fermé évaporitique (= dépôts de playa).
Fig.7 : Les Marnes irisées supérieures affleurant le long de la Nationale 57 (le nord est à gauche - cliché © BRGM)
Une surface d'érosion, la Discontinuité éocimmérienne majeure, sépare les Argiles de Chanville des Argiles bariolées dolomitiques. Cette discontinuité peu visible à Florémont ne peut être reconnue que par la présence de grains de quartz colorés millimétriques (1) au sommet des Argiles de Chanville. Cet important épisode d'érosion a été enregistré dans toute la partie orientale du Bassin Parisien ainsi que dans une grande partie de l'Ouest de l'Europe (Allemagne, Pays-Bas...). Elle est la conséquence d'importants mouvements tectoniques d'extension, mis en jeu lors de la dislocation de la Pangée débutant à la fin du Trias (1).
La transition Marnes irisées supérieures - Grès rhétiens ainsi que les Argiles de Levallois (Trias terminal) ne sont pas visibles sur ce site. Les niveaux les plus récents sont ceux marquant la transgression marine du Lias avec les Calcaires à gryphées que l'on rencontre en champ uniquement, au sommet de la butte du Haut du Saulcy qui domine Florémont au nord (fig.3).
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Excepté l'épisode à l'origine de la Discontinuité éocimmérienne affectant les Marnes irisées supérieures, les dépôts du Keuper s'inscrivent dans un contexte géodynamique calme. À la fin du Trias, au pied de la chaîne hercynienne déjà bien érodée, s'étale une vaste dépression, à l'emplacement du Bassin de Paris, qui draîne des apports détritiques continentaux en provenance du nord du Massif Central mais aussi du Massif Armoricain. La Lorraine occupe une zone de transition entre ces domaines continentaux de l'ouest et du sud et la Mer Germanique qui occupe le nord de l'Europe. De ce fait, au niveau de la Lorraine, les phases de sédimentation à influences marines alternent avec des phases de dépôts à influences continentales. Entretenue par la subsidence, la sédimentation keupérienne verra l'accumulation de plusieurs centaines de mètres de dépôts qui se réalise sous une très faible tranche d'eau.
Le climat aride qui sévit sur la région au cœur de la Pangée au cours du Trias, explique l'occurence régulière de dépôts évaporitiques dans des milieux soit littoraux lagunaires de type sabkha, soit confinés lacustres de type playa. Ces conditions climatiques, peu favorables à l'épanouissement de la biodiversité, expliquent également la rareté des fossiles dans les formations du Keuper.
L'épisode triasique prend fin lors de l'arrivée des dépôts gréseux du Rhétien, conséquence d'une transgression marine venant cette fois de la Téthys au sud-est (et non plus de la Mer Germanique au nord) et qui repousse les faciès évaporitiques vers le centre du Bassin Parisien (2).
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Bibliographie
(1) - BOURQUIN S. et DURAND M. (2006) - Pan-European correlation of the epicontinental Triassic International Field Workshop on ‘The Triassic of eastern France’ - Livret d'excursion - Géosciences Rennes, UMR 6118 du CNRS Université de Rennes.
(2) - PAUTROT C. (2006) - Les évaporites du Keuper in Lexa-Chomard A. et Pautrot C. - Géologie et géographie de la Lorraine. éd. Serpenoise.