Zone-limite violette : 3. Description
1. Description des terrains
L'affleurement est un large (plus de 500 m) et haut (10 m env.) front de taille en pente douce qui recoupe plusieurs formations triasiques du sommet du Buntsandstein moyen et de la base du Buntsandstein supérieur (fig.2, 3 et 5). La mise à l'affleurement de la série s'est faite à la faveur de travaux de terrassements réalisés lors de la mise à quatre voies de la RN57.
Fig. 2: Vue de l'affleurement situé au niveau du rond point de Plombières
(CP = Conglomérat principal, ZLV = Zone-limite violette, CI = Couches intermédiaires)
Fig. 3: Vue du talus qui borde la D157 (CP = Conglomérat principal,
ZLV = Zone-limite violette, CI = Couches intermédiaires)
- La coupe débute par 3 à 5 mètres de conglomérat aisément reconnaissable à ses galets de quartzites noyés dans une matrice siliceuse et ferrugineuse (fig.4). Ce niveau appartient à la formation du Conglomérat principal.
Fig. 4: Les galets du Conglomérat principal
- Au-dessus, sur environ 3 à 4 mètres d'épaisseur, un changement de facies, marqué par l'occurence d'un niveau rougeâtre argilo-gréseux à concrétions ou encroûtements siliceux (= silcrètes) et/ou dolomitiques (= dolocrètes) (fig. 6 à 8), annonce la formation de la Zone-limite violette (= ZLV). Celle-ci marque, avec la formation du Conglomérat principal, la fin du Buntsandstein moyen (fig.5).
Fig. 5: Place de la Zone-limite violette (ZLV) dans la série stratigraphique du Trias lorrain (données chiffrées = âges en millions d'années - © BRGM).
Les importantes variations de couleur (de lie de vin à gris-bleuté - fig.6) caractéristiques de ce niveau résultent de la présence de pigments hématitiques contenus dans la roche. La teinte dépend exclusivement de la granulométrie des grains contenant le pigment : lorsque les particules d'oxyde ferrique correspondent à la fraction argileuse, elles confèrent à la roche une couleur dominante rouge, alors que lorsque les grains sont de taille supérieure, ils sont responsables d'une couleur grise et bleutée (Marc Durand, annexe scientifique n°3).
Fig. 6: Zone limite violette et variations de couleur de lie de vin à gris-bleuté
La Zone-limite violette est également riche en croûtes et en concrétions aux formes variées, constituées de dolomite (dolocrètes), de cornaline et calcédoine (silcrètes) ou encore de petites géodes (fig. 7). Une résistance accrue à l'érosion de ces concrétions par rapport à la roche argilo-gréseuse encaissante, donne naissance à des figures comparables à des "cheminées des fées" (ou "demoiselles coiffées") en miniature, une concrétion se dressant au sommet d'un promontoire argileux (fig.8).
Fig. 7: Encroûtements et concrétionnements (dolocrètes et silcrètes)
Fig. 8: Figures d'érosion miniatures dans la Zone-limite violette
- Une série gréseuse de teinte claire occupe le sommet du talus au-dessus de la formation de la Zone-limite violette. Il s'agit de grès plus ou moins indurés se transformant en sable meuble sous l'action des agents de l'érosion (fig.9). Cette série correspond à la formation des Couches intermédiaires qui constitue la base du Buntsandstein supérieur (fig.5).
Fig. 9: Les grès et sables ocres des Couches intermédiaires
2. Interprétation et paléoenvironnements
La description des principaux paléoenvironnements qui caractérisent le Permo-Trias en Lorraine et dans les Vosges du Nord est présentée en détail dans une annexe scientifique sur ce site à laquelle le lecteur pourra se référer en complément d'informations.
La ZLV traduit une pause, un intermède dans la sédimentation détritique terrigène qui alimente le Bassin Germanique durant le Buntsandstein. Elle correspond à une succession d'épisodes de très faible sédimentation et de phases d'érosion-altération qui affectent le sommet du Conglomérat principal, dont la marque a été laissée par un complexe de paléosols, comme en atteste la présence de silcrètes et dolocrètes d'origine pédogénétique, dans un environnement aride et désertique dépourvu de végétation (1) (2). Des niveaux équivalents peuvent être observés dans une carrière située à la sortie de Relanges (88) sur le RD 164 (1). Les silcrètes et dolocrètes sont des concrétions qui résultent de précipités se formant à l'issue de l'évaporation d'eaux saturées en éléments dissous (silice ou carbonate de calcium-magnésium), présentes dans les interstices de la roche hôte soumise à une exposition sub-aérienne en climat aride (ou semi-aride), et remontant par capillarité vers la surface.
La discontinuité Conglomérat principal-ZLV est connue outre-Rhin sous le nom de discordance H (ou de "Hardegsen" en Allemagne Centrale). Plus à l'est en Lorraine, dans la région de Bitche (57), cette surface d'érosion affecte même la formation du Grès vosgien. Ainsi, par endroits, plus de 100 mètres de Buntsandstein moyen ont pu être érodés au cours de cet épisode (1). L'occurence de la discontinuité de Hardegsen est à mettre en relation avec les premières manifestations de fragmentation de la Pangée, qui donnent lieu à une importante phase de rifting, à la fin du Trias inférieur, en Allemagne (3). (voir notamment la fiche Grès au nord de Grosbliederstroff)
En Lorraine, le Buntsandstein moyen est surtout caractérisé par un puissant épisode de sédimentation fluviatile détritique (chenaux, chenaux en tresses, dépôts de plaines inondables ... fig. 10) dont les matériaux transportés proviennent du démantèlement de la Chaîne hercynienne (Massifs Armoricain et Central) située au sud du Bassin Germanique. Ces dépôts continentaux de plaine alluviale constituent les formations du Conglomérat basal, du Grès Vosgien et du Conglomérat principal dans les Vosges. Cette sédimentation s'est réalisée en milieu fluviatile sous un climat chaud et aride. En période de sécheresse intense et de basses eaux, les dépôts alluviaux sont mis à l'air libre, soumis à l'action des vents puissants comme l'attestent la présence de nombreux galets éolisés à facettes abrasées (= ventifacts) et de certaines dunes éoliennes (Raon l'Etape, Reipertswiller) conservées dans les formations du Buntsandstein moyen (annexe scientifique).
À la fin du Buntsandstein moyen, la mise en place des paléosols à l'origine de la Zone-limite violette traduit une pause dans la sédimentation qui peut s'expliquer par un épuisement temporaire des ressources ou une progradation des dépôts vers l'est, dans un contexte tectonique extensif actif (4).
Fig. 10: Paléogégraphie de l'Europe de l'Ouest au Trias inférieur (d'après Péron et al. 2005)
Les Couches intermédiaires (CI) soulignent la reprise de la sédimentation détritique. Elles sont la marque laissée par une sédimentation fluviatile mais plus proximale (grains moins usés, présence de feldspaths ...). Les chenaux sont peu sinueux, plus réguliers avec présence de barres sableuses transversales, de niveaux de débordement et mise en place de petits paléosols (petites zones violettes) caractéristiques de périodes d'émersion et d'un climat semi-aride mais plus humide que lors du Buntsandstein moyen (4).
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Bibliographie
(1) BOURQUIN S. et DURAND M. (2007) - International Field Workshop on ‘The Triassic of eastern France’ - Livret d'excursion - Mémoires Géosciences Rennes, hors-série n°5, 80 pages.
(2) DURAND M. et MEYER R. (1982) - Silicifications (silcrètes) et évaporites dans la Zone-limite violette du Trias inférieur lorrain. Comparaison avec le Buntsandstein de Provence et le Permien des Vosges. Sci. Géol. Bull., Strasbourg, 35,1/2, 17-39.
(3) PÉRON S., BOURQUIN S., FLUTEAU F. & GUILLOCHEAU F. (2005): Paleoenvironment reconstructions and climate simulations of the Early Triassic: impact of the water and sediment supply on the preservation of fluvial system. Geodinamica Acta, 18/6: 431-446.
(4) BOURQUIN S., DURAND M., DIEZ J.B., BROUTIN J. & FLUTEAU F. (2007) - The Permian-Triassic boundary and Early Triassic sedimentation in Western European basins: an overview. Journal of Iberian Geology, 33 (2) p.221-236
Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 12/03/2014 - Dernière modification : 07/02/2017