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Doline du Grand Bichet : 3. Description

Une doline est une "dépression fermée, plus ou moins circulaire ou elliptique, qui se forme à la surface des roches solubles" comme les calcaires (roches carbonatées), sous l'action des eaux d'infiltration acides chargées en CO2, dans le cas présent (source : http://ikare.loterr.univ-lorraine.fr).

Pour rappel, ce processus d'altération de dissolution des carbonates produit des ions calcium Ca2+ et hydrogénocarbonates HCO3- selon la réaction suivante:

CaCO3 (carbonate de calcium) + CO2 (dioxyde de carbone) + H2O (eau)  -->  Ca2+ (ion calcium) + 2HCO3- (ions hydrogénocarbonates)

La doline du Grand-Bichet, qui possède de bonnes dimensions avec plus de trente mètres de diamètre et une dizaine de mètres de profondeur, est masquée par des arbres et des buissons épineux. Ces derniers servent à la localiser en bordure de la D24 sur le plateau entre Mercy-le-Bas et Joppécourt, ainsi qu'à protéger de chutes éventuelles ceux qui s'en approcheraient. Les flancs de cet entonnoir naturel sont assez abrupts et l'accès au fond de la doline exige de prendre certaines précautions (fig.2).

Cette doline donne accès à une circulation d'eau souterraine ne se manifestant pas en surface, ce qui, en termes de karstologie, permet de la qualifier de doline-regard.

Fig.2 : Le fond de la doline du Grand Bichet en février 2023. L'ouverture sur le réseau karstique se situe au pied de la falaise visible à l'arrière de la photographie derrière le gros bloc calcaire. (La masse terreuse visible au premier plan est la souche d'un arbre déraciné)

L'ouverture sur le réseau karstique se situe au pied d'une petite falaise calcaire et pas tout au fond de la doline comme on pourrait le supposer. Le regard, qui avait, pour des raisons de sécurité (risques d'effondrements, de chutes et de noyade) été condamné par une grille boulonnée dans la paroi, était libre lors de notre visite en février 2023 (fig.3). La grille a manifestement été arrachée laissant maintenant l'accès au réseau souterrain sans protection !

Fig.3 : Ouverture sur le réseau karstique en février 2023. La grille mise en place pour en protéger et sécuriser l'accès a manifestement été arrachée.

La doline-regard du Grand Bichet est ouverte sur un réseau souterrain actif qui draine le plateau calcaire entre Mercy-le-Bas et Joppécourt. Les spéléologues ont pénétré par le regard ouvert au pied de la paroi et cartographié la partie visitable du reseau (fig.4)[1].

Ce réseau proche de la surface est occupé par une rivière souterraine pérenne ; celle-ci peut réagir rapidement après un épisode pluvieux, un orage ou la fonte des neiges... L'accès à ce réseau au plafond instable, étroit et inondable, donc potentiellement dangereux, est interdit (ou réservé aux membres des groupes spéléologiques avertis).

Fig.4 : Plan du réseau connu et accessible depuis le regard du Grand-Bichet. (© SCM - Spéléo Club de Metz-1973)[1]

Le bruit de la rivière qui circule dans la galerie (fig.5) est bien audible depuis la grille d'entrée. Le débit varie selon les saisons (Il a plusieurs fois été mesuré lorsque le réseau était pénétrable, donc hors crues : à 50 L/s en mars 1975 et encore à 14 L/s pendant l'épisode de sécheresse mémorable en juin 1976 propice à son exploration)[1].

Les parois de la galerie sont hérissés de piquants et creusés de cupules d'érosion. Cette morphologie est caractéristique dans les réseaux dans lesquels une rivière est active (voir aussi ces figures d'érosion sur la fiche Sans-Vallois).

Fig.5 : La rivière souterraine accessible depuis le regard du Grand-Bichet. Les cupules d'érosion ainsi que les pointes acérées visibles sur les parois et le plafond de la galerie attestent de l'activité du réseau. (© Fabien Champrefonde 2014).

De nombreux autres phénomènes karstiques peuvent être observés sur le plateau calcaire entre Mercy-le-Bas et Joppécourt ; il est le siège d'un karst important (fig.6) comme toutes les formations bajociennes du revers de la Côte de Moselle (voir par exemple le karst de Pierre-la-Treiche, les différentes fiches sur le karst de l'Aroffe, les fiches sur le pertes et résurgences de la Meuse, les tertres de Baslieux ...).

Fig.6 : Localisation des principaux phénomènes hydrogéologiques sur le plateau entre Mercy-le-Bas et Joppécourt (cartographie © IKARE)[4] - cliquer sur la carte pour l'agrandir

Légende : disque bleu = sources ; disque blanc cerclé de noir = doline correspondant à une doline à fond non rendu étanche par de l'argile, dans laquelle l'eau se perd ; disque blanc cerclé de brun = doline-regard avec ouverture sur le reseau souterrain ; disque pointé = mardelle qui est une doline à fond argileux étanche qui conserve l'eau, ce qui crée une mare (© IKARE).

Les calcaires du Bajocien supérieur dans lesquels s'ouvre la doline sont à rattacher à la formation de l'Oolithe de Doncourt (fig.7).

Fig.7 : Localisation du karst dans la colonne stratigraphique du Jurassique moyen - âges en M.a. à gauche (illustration © BRGM)

D'une belle couleur jaune, ces calcaires bioclastiques à passées oolithiques, à texture packstone, qui rappellent le faciès de la célèbre Pierre de Jaumont, montrent des litages obliques arqués et des stratifications entrecroisées ("herringbone cross-stratification" des Anglo-saxons), mis en relief par l'érosion (fig.8).

Fig.8 : Stratifications entrecroisées caractéristiques observées dans les calcaires du Bajocien supérieur de l'Oolithe de Doncourt - cliquer sur l'image pour voir un échantillon de roche

Ces stratifications entrecroisées sont observées actuellement dans les dépôts de barres tidales ou de rides des shoals oolithiques [5] ; elles correspondent à des accumulations réalisées et remaniées sous l'action de courants de direction changeante (ex. : courants de flot et de jusant des marées). La hauteur (= épaisseur) d'un banc, comprise entre le décimètre et le mètre, permet de classer ces structures parmi les mégarides (voir d'autres exemples caractéristiques au Bajocien supérieur-Bathonien dans les faciès de l'Oolithe de Jaumont à Montois-la-Montagne, de l'Oolithe Miliaire supérieure à Bicqueley près de Toul ou de la Dalle nacrée à Senon près d'Étain)[2,3].

 

Bibliographie:

(1) HERRIOT F. (1967) - Le réseau souterrain de Mercy-le-bas (54), Spelunca n°4-1967, F.F.S., Paris, pp. 262-268.

(2) LATHUILIÈRE B., CARPENTIER C., ANDRÉ G., DAGALLIER G., DURAND M., HANZO M., HUAULT V., HARMAND D., HIBSCH C., LE ROUX J., MALARTRE F., MARTIN-GARIN B. et NORI L. (2003) - Production carbonatée dans le Jurassique de Lorraine. Excursion Groupe Français d'Étude du Jurassique, livret guide, 2 vol., 113 pages.

(3) LE ROUX J. et LATHUILIÈRE B. (2014) - Le Jurassique moyen de l'est du Bassin parisien in GÉLY J.-P. et HANOT F. (dir.) - Le Bassin parisien - Un nouveau regard sur la géologie. Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, Mémoire hors-série n°9, 228 pages, p.157.

(4) Projet IKARE : IKARE

(5) YANG, C.S. et NIO S.D. (1985) - The estimation of palaeohydrodynamic processes from subtidal deposits using time series analysis methods. Sedimentology, 32, pp. 41–57.


Auteurs : Philippe MARTIN - Didier ZANY - Date de création : 22/02/2023 - Dernière modification : 26/07/2023

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Contact : Roger CHALOT (Géologie) - Christophe MARCINIAK (Réalisation)